En discutant au téléphone avec Bernard du concert du Triton, je me rends compte à quel point la fragilité de nos expériences scéniques est inévitable et la démarche incontournable. Lorsque nous travaillons en studio ou sur le papier, nous pouvons essayer ci ou ça, et corriger nos errances au fur et à mesure. Nous affinons le travail jusqu'à ce que nous obtenions ce dont nous rêvons. Lorsque nous expérimentons des rencontres inédites en spectacle vivant, puisqu'il est ainsi coutume d'appeler les représentations publiques, nous ne pouvons éviter les tâtonnements, les à peu près, certaines provocations maladroites ou gauches tendresses. Il est indispensable d'en passer par là pour préciser les rôles et savoir où cela peut aller, jusqu'où peut-on "aller trop loin". C'est le jeu de la découverte qui donne son sel à l'expérience. Les collaborations durables s'inventent ainsi au jour le jour, les "premières" se révélant plus déterminantes que nulle part ailleurs. Comme dans la vie quotidienne, c'est en marchant, en se heurtant, en découvrant nos complicités que nous fabriquons l'œuvre en devenir. Généralement le public s'en fiche, il assiste à un mouvement plutôt qu'à un aboutissement, et sa présence est nécessaire, car tout ce qui se produit là, en scène, lui est directement ou indirectement adressé. Lorsque la rencontre a eu lieu, c'est-à-dire qu'elle s'est bien passée, que la passe a eu lieu, que l'échange de passes a été fructueux artistiquement et riche d'enseignement, il ne nous reste plus qu'à recommencer (sans pour autant reproduire !) pour mettre à profit ce que l'évènement a suscité de réflexions et de désirs.