Voilà plus de vingt ans que je connais Anh-Van. Nous habitions dans le même immeuble à Père Lachaise. Je grimpais au 3ème. Il descendait au 1er. Les enfants étaient chez les uns, chez les autres. À tour de rôle, les voisins faisaient les nounous. Nous pouvions décider de sortir sur un coup de tête. Michèle et moi n'avions pas une fille, mais une demi-douzaine ou pas du tout. Une véritable ruche. La quinzaine de moutardes (à deux près il n'y avait que des filles) avaient presque toutes le même âge. Certains dimanches, il y avait des fêtes d'immeuble que je filmai au fil des années. Marie-Christine et Anh-Van organisaient des soirées avec des dizaines de convives où se produisaient des musiciens classiques, des jazzmen, des danseurs de tango, des comédiennes... Lui, c'était le bon docteur, fidèle au serment d'Hippocrate, des comme on n'en voit plus beaucoup, dévoué à ses patients. J'en faisais partie, mais lorsqu'il a déménagé, j'ai arrêté d'être malade. Ce serait devenu trop compliqué. J'ai raconté les mardis soir où ensuite Anh-Van Hoang faisait table ouverte et plus tard ses dimanches après-midi à Belleville...
Lorsqu'il est passé à La Ciotat, entre ses plongées en Corse et Carnoules où jouait son fils Antonin-Tri, je lui ai suggéré que nous mettions en ligne les 26 numéros de notre revue ABC comme, quatre ans et demi, de 1992 à 1996, pour arriver à la lettre Z. Cela consisterait essentiellement à scanner un paquet de pages 21x29,7, textes et images. On pourrait en reproduire un florilège. Je rappelle que l'ABC comme tirait au nombre d'exemplaires qu'il y avait de rédacteurs. À l'époque où mes films tournés à Sarajevo rassemblaient 20 millions de téléspectateurs tous les soirs, je trouvais cela très sain. Selon les numéros qui grossissaient au fur et à mesure de la chronologie, on était assuré d'être lu par huit, dix-sept ou trente-trois lecteurs attentifs, d'autant que l'on s'en parlait mutuellement à la fête qui célébrait chaque sortie. Il sera impossible de restituer la variété de textures, les papiers variant pour chacun d'un coup sur l'autre, papier glacé, papier buvard, papier dessin... Marie-Christine Gayffier, qui assurait le secrétariat de rédaction en plus de tout le reste, reliait parfois des matières plus exotiques, grillage, carrelage en plastique... Nous livriions chacun les copies de notre contribution, image et texte associés. Tout était fait à la main, parfois numéroté. Pour la lettre K, nous avions édité une cassette audio dont j'avais réalisé le montage. Parmi les rédacteurs il y avait autant de pros (Françoise Petrovitch, Alain Monvoisin, François Davin, François Figlarz, Joseph Guglielmi et tant d'autres) que d'amateurs (Elsa qui était toute petite avait même écrit et dessiné un O comme Oeuf !). La revue vit naître des amours, des couples se séparer, des amis disparaître, des créativités se révéler... C'est dans ce cadre que j'écrivis mon M comme Mobilisation Générale et mon P comme Papa. En bon archiviste, je suis un des rares à posséder toute la collection, comme celle du Journal des Allumés qui publieront leur vingt-deuxième numéro à la rentrée.
J'aurais pu parler de la musique, des rêves, des filles, de politique ou de bouffe, de fumée ou d'alcool (en bon médecin, Anh-Van est l'auteur avec Yves Charpak du Guide de la Cuite !)... L'ABC comme fait partie des souvenirs que je partage avec Anh-Van et des beaux jours du boulevard de Ménilmontant.