J'ai emmené Elsa et Chloé voir le spectacle de la contorsionniste québecquoise Angela Laurier au Théâtre des Bergeries à Noisy-le-sec, conseillé par Françoise que Déversoir avait emballée lors de sa programmation à La Villette. Malgré mon lumbago qui ne cède toujours pas, j'en suis ressorti renversé. Angela Laurier a construit son spectacle sur une résistance. Elle a mis en scène son propre corps face au drame où son père maniaco-dépressif et son frère schizophrène ont subi l'un et l'autre des électrochocs. Le grand écran présente le road movie de la saga familiale, avec sa mère et ces deux-là. Le moment le plus émouvant et le plus généreux arrive lorsque tout est terminé, quand le frère malade et son propre fils viennent saluer. La contorsionniste a su jouer de son art pour apprivoiser la douleur de leur histoire. En regardant le numéro qu'elle exécutait du temps où elle participait au Cirque du Soleil, on saisit l'écueil qui sépare la mécanique trop bien huilée et la profondeur de l'aventure familiale qui va lui permettre de se réconcilier aussi avec son corps qu'elle ne pouvait plus voir en peinture.


La peinture, j'y ai pensé tout le temps pendant Déversoir. J'ai vu passer tous les modèles de Jérôme Bosch, ces monstres étonnants dont les corps difformes sculptaient leur résistance à la normalité. En croisant son art et l'histoire qui l'a faite femme, elle a trouvé ce que tout saltimbanque cherche à partager, l'amour du monde, impossible mais pourtant réel.