C'est une pensée récurrente. Je suis chez moi au chaud. Je regarde le jardin. Mes billets m'apparaissent bien légers face à l'actualité révoltante que nous font partager les médias dominants à coups de flashes d'information volatiles ou les résistants de l'ombre révélant les maux tus et bouches cousues. Rafle dans une école en Isère, descente de police dans des classes de troisième avec fouille au corps dans le Gers, accusation sans preuves d'une hypothétique ultra-gauche à Tarnac, méthodes abusives des gardes à vue, projets de cadenasser les asiles psychiatriques ou d'incarcérer les enfants dès 12 ans, surpopulation des prisons avec suicides à la clef, cynisme du patronat, cadeaux somptueux de l'État offerts aux riches sur le dos des pauvres, SDF morts de froid aux portes de Paris, chômage grandissant et faillites des petites entreprises, arrogance du pouvoir pérorant dans la peopolisation tape-à-l'œil, blanc-seing à la brutalité de ses flics, presse aux ordres de ses propriétaires, télévision à la botte de leur ami président démocratiquement (!) élu... Nous sommes débordés par les manifestations d'un régime paranoïaque qui multiplie les effets d'annonce, les coups fourrés et les coups foireux. Et encore ! Je n'évoque ces exemples que dans le cadre serré de la politique nationale. Partout les populations semblent anesthésiées. Mais qu'en sait-on vraiment ? La presse est sous contrôle. On pille les ressources de la planète, faune et flore, on parque les pauvres, on les exproprie, on les affame et on les assassine puisque le lumpen n'est pas récupérable, on les fait s'entretuer pour s'approprier le minerai ou le cacao... Ma plaquette de chocolat a le goût du sang. Les lois de l'entropie sont à l'œuvre. Tout a une fin. Les révolutions ne se produisent que lorsque la faim devient intolérable et qu'un mouvement politique s'organise. Entre faim et fin il n'y a que la rime qui soit riche. "S'ils n'ont plus de pain qu'ils mangent de la brioche !" Dans ses Antimémoires, Malraux raconte qu'en Chine pendant la Longue Marche il n'y avait plus d'écorce aux arbres sur plusieurs mètres de haut, générant, de plus, des dysenteries terribles. Où se produira le débordement ? Aux États Unis où les armes sont en vente libre, lorsque les noirs et les hispanos comprendront que leur président est un fantoche de plus à la botte du Capital, le dernier coup de génie de la CIA ? En Afrique où des millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont sacrifiés sur l'autel de l'inexploitabilité ? En Amérique du Sud, seul continent où souffle actuellement une brise de révolte contre le pillage de ses ressources naturelles par le géant du Nord ? En Russie ou en Chine où la corruption se frotte aux modèles conjugués du libéralisme sauvage et des restes du stalinisme ? J'évite d'évoquer l'Australie au risque de comparer notre cas à celui des kangourous et des aborigènes ! Mais que se passe-t-il donc dans notre vieille Europe anesthésiée ? Est-ce la fatalité, l'embonpoint, la superficialité, la compromission, la paresse, la lâcheté qui nous assagissent ?
Mes billets reflètent souvent une consommation (plutôt culturelle mais qu'est ce que cela change ?) qui fait écran à la difficulté d'être et à la responsabilité civile, citoyenne ou simplement humaine. Nous vivons avec nos contradictions. La culpabilité ne résout rien. Seule notre responsabilité peut changer les choses. Notre sens critique doit s'exercer dans tous les domaines, sur tous les fronts. Il y a heureusement des jours où je me laisse aller à l'euphorie et où j'oublie un instant l'horreur du monde des hommes. Je m'étourdis. Tension, détente, pour avancer nous avons besoin de ces deux termes, consonance et dissonance, le yin et le yang ! Comment trouver l'équilibre ? Certainement pas en jouant les trois singes, à nous boucher les oreilles, fermer les yeux et nous taire. C'est dans la rue que se jouera la prochaine manche... De quel côté de la barricade serons-nous ? Quelles flammes nous ranimeront ? Répétition.

Illustration de l'exposition Kiefer au Grand Palais, à deux pas de celui de l'Elysée.