Je suis toujours sidéré par l'absence de jugeotte des professionnels de la critique qui ont l'art de passer à côté des œuvres qui sortent de leur ordinaire. Inféodés aux plans promo de l'industrie cinématographique américaine, les journalistes encensent des films plus stupides ou conventionnels les uns que les autres lorsqu'ils ne valorisent pas les plus ennuyeux sous prétexte que les images sont belles et les cadres "étudiés". On va nous pondre des pages sur les effets spéciaux ou le maquillage de Brad Pitt dans le dernier film de David Fincher, auteur de films fachos qui a déjà fait ses preuves, de quoi vous donner des Benjamin Button gros comme le bras, ou nous bourrer le mou avec les bons sentiments du dernier Clint Eastwood dont les ressorts de scénario sont cousus de fil rouge comme la plupart des films encensés, sans parler des films "du monde" qu'il est politiquement correct de défendre, mais dont ils semblent incapables de trier le bon grain de l'ivraie. Quand je pense que les Cahiers du Cinéma encensent ce mois-ci Z32 d'Avi Mograbi qui a eu l'idée de cacher le visage de ses protagonistes avec un masque numérique, occultant là son propos qui tourne laborieusement en boucle comme un disque rayé, j'en perds mon hébreu devant tant de lâcheté et d'esbroufe de pacotille ! On finirait pas croire que le cinéma n'accouche plus que de clones idiots issus de mariages industriels consanguins et de souvenirs pittoresques après avoir connu un âge d'or où les pépites brillaient au soleil à chaque parution de Pariscop. Les sorties en DVD rattrapent heureusement parfois les injustices faites aux meilleurs, devenus cultes par le décalage temporel qui les éloigne de leur exclusivité en salles et du ratage des annonces. À quoi sert la critique si ces professionnels gardent le nez collé à la vitre et défendent les mêmes films que le public irait voir de toute manière, attiré par la publicité dont nous inondent les services de communication, ou en contrepoint des maniérismes artificiels dignes d'universitaires pubères ignorant tout du cinéma expérimental ou des recherches apparues avec les nouveaux médias audiovisuels ? Cela devient tellement ennuyeux que je finirai par déserter les écrans au profit des pages, tout de même moins formatées.


Nous avons ainsi découvert par hasard un film italien que nous avons d'abord cru de l'engeance des esthètes à la plastique léchée, le genre qui cherche l'angle abracadabrant pourvu qu'il vous en fiche plein la vue. Mais le générique n'était pas encore terminé que l'on avait la puce à l'oreille. Le son ne ressemble déjà pas au sirop concertant pour piano et cordes. Les sous-titres qui parsèment le film et présentent succinctement les protagonistes semblent indiquer que ses deux heures ne sont que l'annonce d'une affaire beaucoup plus énorme que cette petite partie de l'iceberg émergée. Dans la première heure, sans l'aborder de front mais par petites touches intimes quasi buñuelliennes, Paolo Sorrentino réussit à faire le portrait de Giulio Andreotti, leader de la Démocratie Chrétienne italienne, sept fois président du Conseil, huit fois ministre de la Défense, cinq fois ministre des Affaires étrangères, deux fois ministre des Finances, du Budget et de l'Industrie, une fois ministre du Trésor, ministre de l'Intérieur et ministre des Politiques communautaires, sénateur depuis 1991, mais aussi probablement à l'origine de l'assassinat d'Aldo Moro par les Brigades Rouges, accusé d'être en relation avec des membres de Cosa Nostra, acquitté en première instance pour «faits non avérés» : la sentence d'appel émise en 2003 souligne qu'il a fait preuve «d'une disponibilité authentique, permanente et amicale envers les mafieux jusqu'au printemps 1980», délit prescrit par la suite. Andreotti a également été poursuivi pour le meurtre du journaliste Mino Pecorelli. Acquitté en 1999, il a été condamné à 24 ans de réclusion en appel en 2002, puis acquitté par la Cour de cassation en 2003. Actuellement, Giulio Andreotti est membre de la troisième commission permanente (Affaires étrangères, Émigration), de la commission spéciale pour la tutelle et la promotion des droits humains ; il est également membre de la délégation italienne à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. On l'a suspecté d'être à la tête de la Loge P2 à laquelle appartenait d'ailleurs Silvio Berlusconi... Il Divo renouvelle le genre du film politique italien par son humour grinçant, une ironie permanente dont le réalisateur ne se dépare pas. Il construit un portrait attachant du monstre, interprété génialement par Toni Servillo, que la migraine permanente transforme en une sorte de Nosferatu monté sur roulettes. Ici les effets font sens, les ambigüités servent le sujet, les ellipses évoquent le secret et la manipulation. Par leur outrance plus proche du réel que le ton compassé des films français du genre ou les tics des blockbusters américains le jeu des acteurs rappelle Fellini et les "morceaux choisis" de la bande musicale accompagnent une chorégraphie meurtrière où l'on devine à peine les fils des marionnettes. Bien qu'il traite du pouvoir et des dessous de la politique comme on le voit rarement, Il Divo est un film onirique, le mauvais rêve que traverse l'Italie.