Les municipalités de l'Est parisien sont de plus en plus prisées par une nouvelle génération de propriétaires qui souhaitent jouir d'un confort auquel la capitale ne leur permettrait pas de rêver même au prix d'un endettement carabiné. Les villes limitrophes de la couronne sont devenus inaccessibles et la plupart des "bonnes affaires" se réalisent déjà plus loin, à Romainville ou Noisy-le-Sec. Comme je m'étonnais du coût du mètre carré des lofts en face de chez nous, le conducteur de travaux me répondit offusqué : "Mais tout de même, c'est Bagnolet !" comme si nous habitions Neuilly. Voilà qui tranche avec le commentaire monstrueux de l'employée des Assedic de mon quartier qui, au moment de mon changement d'adresse (j'étais jusque là domicilié à Boulogne-Billancourt) me demanda si la déchéance n'était pas trop pénible ? Comme je ne comprenais pas ce qu'elle sous-entendait (mon inscription aux Assedic remontant à ma sortie de l'Ecole en 1974 !), elle s'expliqua : "Tout de même, passer du 92 au 93 !" Je restai bouche bée devant tant d'imbécilité et de mépris.
Je continue à regarder avec amusement les annonces qui tombent dans notre boîte aux lettres, avis de recherche de particuliers ou prospectus des agences immobilières cherchant à vendre ou à acheter. Cette fois le quatre pages en luxueuse quadrichromie vante les mérites d'une résidence proche du Parc du Château de l'Etang, l'endroit ayant été évacué des dizaines de Roms-Bulgares qui le squattaient depuis deux ans et demi, cousins de ceux qui campaient sur les talus qui longent le Périphérique. On voit que la Mairie communiste connaît les mêmes ambiguïtés, prise entre ses projets rénovateurs et "culturels" et la crise qu'elle vit dans ses limites territoriales. Amusé par l'argumentation et les somptueuses images du fascicule, j'admirais le plan des studios (on comprendra déjà la psychologie et la rentabilité du projet immobilier en constatant la taille des logements en construction, rien que des studios !) quand un détail de la simulation d'ameublement attira mon attention : les deux studios en haut de l'écran ne possèdent pas de WC ! Je suis sérieux, regardez bien, les toilettes sont figurées sur les autres appartements par un rectangle allongé dont un des petits côtés est arrondi. Ce ne peut tout de même pas être le rond dans un carré que l'on retrouve dans les kitchenettes ! Il ne s'agit pas de mobilier, mais des commodités faisant partie de la construction. Or deux des cinq lots n'ont pas prévu qu'on y fasse ses besoins. Les deux studios possédant un balcon, l'architecte et le promoteur ont-ils prévu que l'on se soulage dans le jardin ? Enfant, lors d'une coupure d'eau, mon père m'apprit à pisser par-dessus la balustrade du grand ensemble où nous habitions, mais la défécation aurait exigé de prendre des risques impensables. L'évacuation par la baignoire ou le lavabo impliquerait des consommations d'eau inadaptées avec les campagnes de réduction du gâchis et une insalubrité incompatible avec la qualité des autres prestations de la Résidence des Acacias. Le mystère reste entier. J'ai très envie d'appeler le promoteur pour savoir quel secret technologique abrite son projet.