Au risque de susciter de nouvelles insultes dans les jours prochains, je continue de m'interroger sur les gerbes anonymes qui fleurissent sur le Net comme une acné juvénile. J'ai pu le constater sur presque tous les blogs des amis qui ont, pour certains, dû fermer les commentaires, tant les incontinents volent au ras des pâquerettes. C'est de saison, me dis-je, soulagé depuis qu'ils s'effacent au fur et à mesure qu'ils s'inscrivent. Je ne perds pas grand chose, seul le phénomène de société faisant sens à mes yeux.
Pour comprendre de quoi il retourne, je n'ai d'autre solution que d'essayer de me glisser dans la peau des malades comme je le fis dans le passé avec les obsédés du téléphone. Dans les années 70, deux de mes amies, Brigitte et Marianne, furent en butte à des coups de téléphones répétés, souvent nocturnes, où leurs interlocuteurs restaient désespérément muets à l'autre bout du fil. Le répondeur automatique n'était pas encore développé. Je me proposai de les en débarrasser en décrochant à leur place. Le principe consistait à réfléchir ces personnes qui exprimaient leur impuissance par leur mutisme. Au lieu du ton inquiet auquel ils ou elles s'attendaient, j'alternais longs silences et confessions hésitantes en me mettant à leur place. Je monologuais dans un silence pesant dont j'avais à mon tour pris le contrôle jusqu'à ce qu'ils craquent, eux, et raccrochent de guerre lasse, confrontés au miroir de leur misère. "L'arroseur arrosé" est un thème récurrent qui m'a toujours beaucoup plu. En 1985, Un Drame Musical Instantané enregistra d'ailleurs une pièce où Bernard récite le texte que j'avais improvisé à l'origine in situ et qui met en ondes le principe de mon scénario, basique, mais efficace. Carnage, l'album vinyle dont il est issu, étant épuisé depuis vingt ans, voici donc 7'15" exhumées, numérisées, compressées et (forcément fadement) reproduites en mp3 :


Le téléphone muet avec Bernard Vitet (récitant, trompette), Jean-Jacques Birgé (synthétiseur PPG, piano, percussion), Francis Gorgé (direction, percussion), Jean Querlier (hautbois, cor anglais, flûte, sax soprano), Youenn Le Berre (flûte, flûte basse, basson), Michèle Buirette (accordéon, la victime), Geneviève Cabannes (contrebasse). À signaler que le logo en haut d'article est détourné de son but initial, même s'il n'est pas déplacé.

Les commentateurs haineux d'Internet ne seraient-ils que les enfants des obsédés du téléphone d'antan ? Si les propos obscènes des premiers remplacent le mutisme de leurs prédécesseurs, ils ont en commun l'anonymat et la vacuité, exprimant leur impuissance à travers une forme de violence, ne fut-elle que verbale. Devenu cette fois, à mon tour, la cible des attaques répétées, je suis bien mal placé pour y répondre. Je me suis aperçu que sur Internet, lors des échanges agressifs entre deux individus, seule une troisième personne pouvait mettre fin au duel stérile. Depuis que les commentaires haineux s'effacent automatiquement, il n'est évidemment plus possible d'y répondre, mais j'aurai mis un peu de temps avant de trouver une solution satisfaisante.