En se levant ce matin-là il eut une furieuse envie de changer de style. Déjà plus d'une corde à son arc, il avait rempli son carquois avec des flèches indiquant un faisceau de directions improbables. À couper à travers champs il se fichait pas mal des carrefours européens comme des limitations de vitesse. Amateur de palindromes, il aurait apprécié que les aller et retour puissent se prendre aussi à l'envers, qu'on puisse lire les livres en commençant par la fin pour remonter le temps, chapitre avant chapitre. À force de ne plus répondre de rien, il ne sait même plus comment il s'appelle, confondant fiction et réalité, un peu comme au cinéma. Dès qu'on sort la caméra, la mise en scène choisit son camp. Chaque fois qu'il ouvre un canard, il voit bien aussi qu'on essaye de lui faire avaler des couleuvres, à lui qui a goûté du python et du caïman. Depuis qu'il a lu le Journal d'un inconnu, il sait que les poètes ne mentent pas, ils témoignent. Il tient cette vérité d'une histoire de chats. Nehru l'avait racontée à Malraux qui lui faisait remarquer qu'il était revenu à lui ministre. Un jour donc, le chat de Mallarmé, le genre pantouflard qui ne sort jamais, s'aventure le long du toit et tombe museau à museau avec un matou de gouttière, ce qu'on fait de mieux comme titi parisien, avec l'accent et la casquette sur l'œil. "D'où tu viens, toi ?" lui demande l'escogriffe. Et le gros minet de répondre : "Chut ! Je feins d'être chat chez Mallarmé." C'est peut-être ça, son idée, la métempsychose dans le cours d'une seule vie, une schizophrénie under control, le total reset, effacer le passé pour renaître de ses cendres. Il est dragon dans l'horoscope chinois et il a beau en avoir vu de toutes les couleurs, son astre préféré reste la Terre. Lorsqu'il est certain de n'être entendu de personne, il marmonne souvent les dernières paroles de Villiers de l'Isle-Adam, "Eh ben, je m'en souviendrai de cette planète !".