Un grand trou noir. Le courant ne passait plus. Max avait collé un film opaque sur les vitres, le répondeur filtrait les appels qu'il n'écoutait plus, les factures étaient de toute manière payées automatiquement et personne n'aurait l'idée de vérifier sa consommation d'eau ou d'électricité. Sa dépression ne lui avait pas retiré son instinct de survie. Philippe avait glissé chaque jour des mots sous la porte. En lui demandant de le contacter, il faisait état des avancées de son enquête. La moisson s'avérait juteuse. En cherchant son ami, il avait mis le doigt sur un truc énorme, mais il voulait en savoir plus avant de publier. Quand bien même, le laisserait-on faire ? Lui aussi se posait des questions sur ce "on" indéterminé, propre à chacun et étranger à tous.
Le logiciel censé servir à représenter de façon réaliste des mondes virtuels permettait en réalité, couplé avec les captations satellite, de reconstituer des cibles dans leurs moindres détails et en temps réel. Des contrats avaient été passés avec des pays en plein conflit, dont certains régimes prétendument opposés à la politique du gouvernement français. Le logiciel était inexploitable sans les images satellitaires fournies par l'armée française. De plus, des commissions avaient été versées ou étaient en passe de l'être à de hauts dignitaires de régimes incriminés et non des moindres. Étaient impliqués le célèbre fils d'un potentat africain et le ministre de la défense d'un pays "ami". La partie visible de l'iceberg s'était mise à fondre. Tout cela aurait pu être chose banale si Philippe n'avait acquis la conviction que le Président était au courant du marché et avait lui-même reçu un cadeau substantiel sur un compte asiatique. Cela lui rappelait l'affaire des hydrocarbures. C'était un peu trop pour un petit journaliste comme lui. Il savait que les vrais responsables s'en tirent toujours et que l'on fait payer les lampistes, fussent-ils ministres ou hauts-commis de l'État. Max était-il au courant ? Il manquait à Philippe une preuve qu'il espérait obtenir de son copain. Le black-out qui entourait l'affaire expliquait, pensait-il, sa disparition. Mais deux solutions s'offraient à lui. Soit Max était parti se mettre au vert, soit on l'y avait aidé. Cette perspective inquiétait le journaliste. Les méthodes sont expéditives. Le cosmos vous avale sans qu'on ait le temps de dire ouf. Il commençait à sentir le chaud quant à sa propre personne. Il se sentait surveillé, persuadé d'avoir été suivi la veille. Heureusement, avec sa bicyclette il connaissait la combine pour se débarrasser de ce genre de gêneur, sauf qu'il craignait d'avoir affaire à plus malin et surtout mieux équipé. Si les scénaristes écrivaient ce qui se passe vraiment dans la réalité, ils perdraient toute crédibilité. Un problème que n'ont pas les poètes. Philippe et Max avaient les mêmes références.
Des deux côtés de la vitre, c'était la nuit. Max n'osait plus respirer et Philippe, derrière la porte, se demandait dans quel guêpier il s'était fichu.