Dès que je suis sorti du métro, Franck Vigroux m'a demandé qu'est-ce que c'était que ce bruit. J'étais heureux de constater que mon camarade avait l'ouïe fine et la curiosité en éveil. Le reste de la journée, j'ai bien senti quelques regards interrogateurs, mais personne ne comprenait d'où le son de grillon métallique provenait, d'autant que l'oscillation qui épousait mes pas était relativement discrète. L'élégance de mon vêtement faisait en outre de l'ombre à la partition sonore. Dans la semaine, plusieurs Africains m'avaient arrêté dans la rue pour complimenter le chic de mon ensemble, ce qui me comblait d'aise venant des princes de la sape. Toute la journée je me suis donc promené avec un drôle d'instrument, une bille d'acier enfermée dans un ressort bouclé. Je l'avais mis dans ma poche de manteau pour le rendre au luthier Sylvain Ravasse avec qui je travaille sur le projet de poème symphonique pour 100 vélos de Wolf Ka.
La petite percussion résonnait dans les salles du Centre Pompidou où j'avais choisi de visiter l'exposition Soulages. Noir c'est noir, mais il y a toujours de l'espoir. Les tableaux de Pierre Soulages sont incroyablement actuels et devraient ravir les amateurs de minimalisme et d'exigence absolue, j'avais envie d'écrire de musique techno tant les rythmes qui habitent les toiles sonnent modernes. La plupart des toiles ont d'ailleurs été peintes assez récemment. La scénographie épouse la pensée de l'artiste, variation autour d'un thème aussi simple que profond.
Deux étages plus bas, elles@centrepompidou m'enchante par la variété et la richesse de la sélection. À noter tout de même que l'exposition consacrée aux artistes femmes issues de la collection du Centre a au moins eu le mérite de pousser celui-ci à acquérir quelques œuvres lorsque les responsables se sont aperçu(e)s que le fonds en manquait redoutablement ! Parmi l'immense éventail présenté, je me rends compte que les pièces qui m'intéressent sont parmi les plus revendicatrices, entendre par là pas seulement féminines, mais aussi féministes. Comme chez leurs confrères mâles, beaucoup trop d'artistes se contentent d'attraper le train en marche et clonent les stars de l'époque, ou des précédentes... La révolte contre leur condition pousse les plus inventives à créer des œuvres qui ne peuvent fondamentalement ressembler à celles de leurs compagnons de voyage. La Mariée de Nikki de Saint-Phalle pour laquelle le Centre m'avait commandé une musique il y a quelques années et sa Crucifixion nous accueillent à l'entrée dans toute leur férocité. Je suis moins sensible aux Portraits Grandeur Nature d'Agnès Thurnauer que je préférai en petits modèles aux revers de Jean-Philippe Renoult et DinahBird affichant joyeusement leurs badges "La Corbusier", "Marcelle Duchamp" ou "Jacqueline Pollock". Si mes affinités me portent vers Eva Aeppli, Jana Sterbak, Kiki Smith, Dorothea Tanning, Annette Messager, je suis ravi de découvrir des dizaines d'artistes dont j'ignorais l'existence. L'exposition est si importante que je n'ai pas eu le temps de tout voir et encore moins de m'y appesantir, aussi y retournerai-je prochainement, puisqu'à mon avis toute exposition devrait se déguster en minimum deux étapes, la première pour un tour d'horizon, la seconde en prenant le temps nécessaire aux œuvres qui nous passionnent ou nous interrogent intimement.
En rejoignant Wolf et Sylvain, je m'aperçois que la musique que je produis en marchant n'est pas la même si je laisse les pans de mon manteau ouverts ou si je ferme un bouton. Nous discutons ensuite des mille manières de faire sonner un vélo et d'en accorder ensemble une centaine !