Tabernac', l'hôtel est situé à plus de trente minutes à pied du centre ville. C'est que tout le monde a un volant entre les mains, sauf nous et les jeunes adolescentes que nous croisons sur les terre-pleins sans trottoir nous menant à travers une petite ville de province apparemment sans histoire. À leur âge, les gars seraient-ils les seuls motorisés ? Elles ont toutes la même taille, le même look, le même profil. Nous apercevons un match de football féminin derrière un grillage. Leurs corps, petits et trapus, semblent formatés. La junk-food, les chips et les frites suffiraient-elles à expliquer le phénomène ? C'est un peu dur pour des Français. Une pseudo cuisine italienne s'est imposée sur tout le globe et je rechigne à replonger dans la poutine. Les maisons individuelles sont dépourvues de barrière et le gazon est bien tondu. Tout semble lisse, le temps ralenti. La nuit, les habitants ne se transformeront pas en loups-garous, mais l'ambiance nous fait irrésistiblement penser au film Stepford Wives ou à son remake. Les clones remplacent les personnages du réel. Question de confort. Les retraités prennent le soleil devant leur porte. Les gamins sont à bicyclette. Les bolides ronronnent d'un joli bruit sur Notre Dame Est, camions rutilants avec tuyaux chromés et guirlandes de lumière, Harleys plus briquées les unes que les autres, pick-ups mastodontes, drôles de buggys entre moto et char, autocars longs comme le bras, coffres biscornus, décapotables trendy aux couleurs flashy, on dirait qu'il n'y en a que pour la bagnole. Si les Québecois sont très gentils, les femmes m'ont toujours paru plus dynamiques. Après le souper (ici on appelle les trois repas déjeuner-dîner-souper) nous rentrons en taxi et nous écroulons de fatigue. Vivement que le festival débute !


Grâce à Internet, nous trouvons enfin de quoi manger léger, salades ou sushis amoureusement préparés. Le lendemain, nous comprendrons que le centre-ville est le quartier de l'université, mais qu'il faut s'excentrer pour rencontrer quelque chose qui ressemble à une animation urbaine. Dans d'immenses centres commerciaux entourés de parkings s'étalent restaurants, supermarchés, boutiques et tout le toutim, justifiant donc cette satanée automobile. Ici on ne marche pas, on roule. Toute cette journée de magasinage, nous ne croiserons pas un seul individu à pied. Si nous n'étions pas vêtus "au chic parisien", on nous prendrait pour des SDF ou des routards. Pourtant, aucun n'est apparu à l'horizon de cette Suisse des grands espaces. Depuis le bas-côté où nous enjambons des milliers de pissenlits en fleurs je prends les clichés de trois maisons côte à côte. On dirait la vitrine d'une agence immobilière. Les variations ne sont que de surface. Aucune fantaisie ne semble possible dans ce monde tiré au cordeau. Vivement que le festival débute !


Le soir, nous rentrons à l'hôtel sur les genoux, mais l'opéra est en place au Cinéma Le Laurier. Bien que nous ayons commencé en retard, l'équipe technique a su leur construire de magnifiques gradins à quatre niveaux, installer des lumières de sous-bois et une sonorisation de 28 microphones digne d'un orchestre symphonique. Jamais nos lapins n'auront été confrontés à autant de matériel. Nous garderons l'ambiance forestière pour le second mouvement éclairé chaudement par les côtés, les gobos et les autres effets pour le dernier, donc les couleurs froides pour attaquer délicatement... Comme d'habitude j'improviserai le mélange, sauf que cette fois les possibilités sont démultipliées. Demain en début d'après-midi, nous jouerons devant 350 scolaires en avant-goût du festival. L'impatience grandit.