Associant deux termes extrêmes et de natures apparemment incompatibles, le bruit blanc excite l'imagination. Les bruits nous en feraient voir de toutes les couleurs et le blanc pur n'existant pas plus que le noir, plongeons dans la collection de nos souvenirs pour faire vibrer quelque arc-en-ciel sonore. En musique on appelle bruit blanc le mélange de toutes les fréquences en référence à la lumière blanche produite par l'addition de toutes les couleurs. Rappelez-vous la palette que l'on faisait tourner comme un disque en cours de physique. Mon premier synthétiseur, un ARP 2600, m'apprit ce que l'on pouvait générer avec le module de bruit blanc, en réalité tous les bruits non accordables, depuis le vent qui souffle jusqu'aux applaudissements en passant par la percussion des tambours (sauf à en accorder les peaux). En le filtrant j'obtenais un bruit rose, ce qui flattait mon goût pour les expériences psychédéliques. Le groupe White Noise dont j'avais acquis l'album An Electric Storm en 1968 fut l'une de mes premières émotions électroniques en termes de pop music, modèle anticipatoire de toutes les vagues electro qui déferleront plus tard sur les platines.
Au début du XXe siècle le compositeur Edgard Varèse valida le concept musical du bruit et John Cage valorisa sa forme minimale, le silence, avec à l'autre bout du spectre la musique industrielle des années 70 dont les diverses noise musics actuelles ne sont que des revivals. Je m'infiltrai rapidement dans le créneau bruitiste en produisant en 1965 ma première œuvre électroacoustique pour ondes courtes et pompe à vélo, deux ans après que Frank Zappa, mon maître, se soit produit au Steve Allen Show avec deux bicyclettes complètes. Ne plus faire de distinction entre bruit et musique fut dès lors une source de préoccupation constante que le concept de partition sonore entérina pendant mes études à l'Idhec quand y intervint Michel Fano. Puisque le blanc n'existe pas véritablement, j'ai passé ma vie à peindre des bruits de toutes les couleurs, des plus mélodieux aux plus dérangeants, pour raconter des histoires et interroger le monde qui reste toujours à faire, aujourd'hui plus que jamais.
David Carter publie un nouveau pop-up où ses sculptures de papier ne créent plus la surprise des premières fois, mais lorsqu'elles se déplient chacune produit un petit bruit blanc délicat, plus doux que celui de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain, un bruit qui court de page en page, comme on les tourne de manière répétitive, transformant le livre en instrument bruitiste pour le plaisir des yeux et des oreilles (Gallimard Jeunesse).