Nous vivions nus. C'était le costume naturel de notre jeunesse. Sans fard. Nous avions l'impression de respirer par tous les pores de la peau. L'idée de se parquer dans un camp était d'une ringardise achevée. Nous choisissions des criques désertes ou des heures creuses. La question du pyjama ne se posait plus. Mon père avait l'habitude de se baigner sans rien. Sur la terrasse toute la famille était à poil. On peut le voir sur les films de la famille. L'effet peut paraître étrange aujourd'hui. Plus tard, ma fille s'inquiètera lorsque passeront les heures. Papa, j'ai des copains qui vont arriver, tu ne vas pas rester comme ça ? L'idée de choquer qui que ce soit n'était évidemment surtout pas notre propos. Je ressentais le vêtement comme une tricherie, un peu comme le maquillage. On n'avait pas envie de se réveiller le lendemain matin avec une autre personne que celle rencontrée la veille ! Je me suis habillé. À la maison, dans le studio de musique, quand je suis seul je travaille souvent nu, surtout l'été. J'enfile un vêtement si quelqu'un sonne. Et puis je le garde jusqu'à la nuit. Alors les draps reprennent le dessus. J'aimerais les écarter. La mode de se raser les poils m'apparaît comme une nouvelle manière de cacher sa nudité. Je comprends bien les barbus, les chevelus, les tout nus.
La jeune photographe Lili Lekmouli fait poser ses modèles dans le plus simple appareil en pleine ville sans que les passants s'en aperçoivent, parce que leurs gestes sont ceux du quotidien. Le costume est invisible. Le naturel de leurs attitudes rejoint l'acceptation de leur corps. Contrairement aux mises en scène somptueuses de Spencer Tunick où des milliers de volontaires nus se retrouvent aux quatre coins de la planète, ces hommes et ces femmes montrent leur visage. Souvent, du moins ! On peut se demander si les clichés de Lili exposés jusqu'au 8 novembre au restaurant El Triton aux Lilas exciteront ou couperont l'appétit de la clientèle. Chacun réagira au tabou de la nudité selon sa sensibilité et son éducation. Anna Sanchez Genard programme chaque mois un artiste différent pour habiller les murs du restaurant. Le suivant sera Louis Sclavis dont on connaît la musique, mais qui cette fois y accrochera ses photos.
Avant de partir je jette une oreille au quartet du trombone Yves Robert qui joue ce soir vendredi le troisième volet de son projet sur l'argent avec la chanteuse Élise Caron dans la salle du Triton. À l'écoute de ce bout de répétition qui me fait rêver je regrette de ne pouvoir en être, mais j'ai promis d'aller à l'Atelier du Plateau "qui fait son cirque", avec, entre autres, les Chiche Capon, pour l'anniversaire de ma nièce Chloé qui y travaille. Là aussi cela devrait dépoter !