Tant de trésors méconnus refont surface au fur et à mesure que se développent de nouvelles technologies qu'il est tragique d'imaginer tous ceux qui se sont à jamais perdus dans la nuit des temps. La multiplication des reproductions laisse espérer que ces joyaux résisteront au trou de mémoire que l'évolution des supports creuse paradoxalement.
Un vulgaire DVD ressuscite ici un de ces bijoux ensevelis que l'Histoire du cinéma nous avait cachés. En 1954, Jean Cocteau et Luis Buñuel présentent Closed Vision du jeune Marc'O au Festival de Cannes comme un film révolutionnaire. Ces deux-là s'y entendent, Le Sang d'un poète et L'âge d'or leur confèrent une autorité dont ils se moquent comme deux sales mioches. Cocteau n'aura de cesse de découvrir de nouveaux talents (dont Radiguet et Genet, lançant le Groupe des Six, soutenant Truffaut et ses 400 coups, etc.) et d'énerver les gardiens de la modernité. Buñuel utilisera son analyse de Freud, Marx et la Bible pour ses délires critiques et s'amusera à provoquer jusqu'à son dernier film.
Les Périphériques vous parlent éditent le DVD de Closed Vision en versions française et anglaise. Dans les deux langues les voix off scandent, chantent, ponctuent, interprétant avec excellence le "scénario paroles" tandis que le "scénario images" produit un montage surréaliste composé de collages graphiques (tableaux de Marc'O et son assistante Yolande du Luart, lettres picturales de Poucette), reportages, compositions avec acteurs, etc. Le cut-up avant-gardiste des dialogues généra le montage des images qui lui-même orientera l'interprétation des voix. La musique de Roger Calmel, élève de Darius Milhaud, suivant ces péripéties libres comme l'air, leur passe de fausses menottes de fil rouge.


En complément de programme à ces "soixante minutes de la vie intérieure d'un homme", André Labarthe et Marc'O, une nuit, étendus sur deux transats dans un petit bois, évoquent Guy Debord dont le second édita les premiers textes, François Dufrêne, Gil Wolman, le Traité de bave et d'éternité de Isidore Isou qu'il a produit en 1951, deux ans avant son film néo-symboliste qui ne ressemble à rien d'autre. Le cinéaste est connu pour son film-culte Les idoles, théâtre musical avant la lettre, satire yéyé du show-biz qui révéla les acteurs Bulle Ogier, Pierre Clémenti, Jean-Pierre Kalfon, Valérie Lagrange, Jacques Higelin, Elisabeth Wiener, etc.


Inspiré explicitement par James Joyce et Jean Vigo, rappelant furieusement Antonin Artaud, Closed Vision anticipe aussi bien les recherches de Jean-Luc Godard (Histoire(s) du cinéma) que les vociférations anarchistes de Léo Ferré. La révolte à l'œuvre, caustique et drôle, lyrique et mordante, annonce aussi mai 68 qui explosera quinze ans plus tard ! Sa poésie cinématographique laisse entrevoir un "haut les masques !" digne de Cocteau et des paradoxes buñuéliens que les contradictions n'ont jamais effrayé.
Si vous souhaitez assister à un spectacle cinématographique expérimental qui fait sens, n'hésitez pas, ce point de vue documenté sur la Croisette, introspection ouverte sur le monde, est aussi jubilatoire que passionnant (dist. Choses Vues / Coopaname).