Les clichés de Vik Muniz pulvérisent ceux sur la pauvreté. Ses héros travaillent dans une décharge brésilienne où ils recyclent tout ce qu'ils peuvent. La réalisatrice Lucy Walker filme l'artiste au travail dans son œuvre de réconciliation avec son pays où il a grandi dans une favela avant d'émigrer aux États-Unis. Comme chez Michel Séméniako, JR ou Nicolas Clauss il s'agit d'images négociées (une expression de Séméniako), à savoir une collaboration entre les sujets et celui qui leur tire le portrait. La sociologie ou la psychologie sociale se montrent alors sous leur meilleur profil, celui de la création concertée. L'artiste, soliste d'un ensemble solidaire, réfléchit ce qu'il voit en prenant le temps d'apprivoiser les personnages qu'il filme ou photographie. À tel point ici qu'il s'imprègne du recyclage généralisé pour à son tour n'utiliser aucune autre matière que les ordures de notre société caractérisée par son gâchis. En réponse à cette absurdité ravageuse, chacun des protagonistes choisis est un modèle d'humanité et d'intelligence partagées. Leurs sourires valent ceux des "Nigériens" à la fin des Maîtres fous de Jean Rouch, sauf que dans Waste Land les Catadores (éboueurs) trouvent leur salut dans le travail, activité insalubre et honteuse pour les uns, utile et solidaire pour les autres. Lucy Walker participe à cette aventure en poussant malgré eux les acteurs à une analyse, subtile, que la caméra induit automatiquement. Le succès du film (Prix du Jury et du Public à Sundance, Prix du Public à Berlin, nomination aux Oscars, etc.) après celui des photographies de Vik Muniz transforme la noirceur du récit en conte de fées. Les bénéfices des photos ont été reversés aux modèles, soit 12 000 dollars chacun, avec lesquels ils se sont achetés une maison, en plus de la création d'une bibliothèque et un centre de ressources avec ordinateurs. Par où qu'on le prenne, Waste Land est un film emblématique de notre époque, système D contre gâchis, l'art comme dernier rempart de la barbarie, bulles financières inhérentes avec répartition relative des richesses, urgence à trouver des solutions écologiques, identification à des modèles humains, etc. À voir absolument (en ce qui concerne l'écoute, la musique de Moby alourdit inutilement le propos, comme d'hab !).