70 août 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 31 août 2011

Big Beat Story


D'abord, je n'aime pas danser. Du moins, dans les règles de l'art. Adolescent, j'inventais une sorte d'épilepsie électrisée sur les morceaux rapides qui mettait tout le monde mal à l'aise et j'étais trop timide pendant les slows. Je suis devenu musicien probablement pour pouvoir faire danser les filles sans avoir à les inviter. Il n'y a que Cab Calloway qui me fasse faire des bonds sans que je sache comment résister.
Ensuite, ce qui est devenu la variété internationale nous l'appelions musique pop quand les Américains parlaient de rock. Le rock affublé de son suffixe 'n roll était un truc ringard de nos aînés gominés, style Elvis, loin du psychédélisme de mon éveil. Les revivals et les nostalgies ne sont pas ma tasse de thé. Alors que faire du rockabilly influencé par la country, quand les années 50 se conjuguèrent aux années 80 ?
Si je suis amusé un moment ou que Vince Taylor m'impressionne (réécoutez aussi son Rock And Roll Station avec Jac Berrocal à la bicyclette dans l'album Parallèles de 1976 !), les 2 DVD et 5 CD présentés par Antoine de Caunes fascineront les adeptes de ce revival rockabilly dont le label français Big Beat dirigé par Jacky Chalard est le fer de lance. Le moule est trop contraignant pour me plaire, mais je sens aussi qu'il s'agit d'une affaire de classes sociales. Dans Violent Days la réalisatrice Lucile Chaufour avait très bien filmé les prolétaires du Havre aux prises avec cette musique montée sur ressorts. Coiffures banane et santiags, glissement des voix du grave vers les aigus comme une mue rauque et roulez jeunesse !
Les CD affichent Vince Taylor en 1979, le Texan Sonny Fisher, les Français des Alligators et les Gallois de Breathless quand les DVD ratissent plus large de Crazy Caravan à Gene Summers, compilation exceptionnelle d'émissions de télévision (ed. Montparnasse).

mardi 30 août 2011

Avant, dans une autre vie


"Tout" garder finit par porter ses fruits. Comme j'avais besoin de retrouver les diapositives de mon voyage aux USA en 1968 pour mon prochain roman j'ai gravi l'échelle jusqu'au grenier et commencé à trier les boîtes poussiéreuses dont certaines n'avaient pas été ouvertes depuis les années 60 ! La récolte s'est avérée fructueuse même si mes qualités de photographe étaient d'un niveau si déplorable que la plupart sont d'une superficialité confondante et d'un ennui profond. On souhaiterait des frimousses quand se succèdent des bâtiments, des paysages... Les plans d'ensemble étouffent les gros plans. Je me souviens que je sonorisais mes montages et les faisais subir à la famille comme il se doit. Lorsque l'on me propose aujourd'hui ce genre d'exercice le spectre de devoir m'y confronter me glace d'effroi. En fouillant je suis tout de même tombé sur des pépites comme mon premier concert au Lycée Claude Bernard, un autre avec Dagon à la Fac Dauphine, des portraits de mes camarades de classe pris en cachette du prof de français et une flopée de souvenirs totalement oubliés de 1965 à 1970. S'il m'apparaît de plus en plus clair que nous réinventons le passé à force de ressasser les mêmes histoires, qu'en est-il des souvenirs qui se révèlent sans que l'on n'ait le moindre soupçon de leur existence ? Tirer sur les fils où ils sont accrochés permet-il qu'ils se déroulent et livrent leurs secrets ? Mes autoportraits d'alors, aux poses contrôlées, en disent long sur mes projets et mon caractère. Je découvre aussi ma famille dans des situations cocasses et les disparus rajeunissent d'un coup de baguette magique. Je commence à scanner les diapos les plus significatives, mais c'est effroyablement long.

lundi 29 août 2011

Un aventurier hors du temps


Le grand livre, épais et riche en couleurs, ne s'achète pas. Il se donne, se partage, pour peu qu'on le trouve au détour d'un marché cévenol. Mika, son auteur (anonyme dans l'ouvrage ou sous le pseudo d'Écureuil), en avait laissé une pile en dépôt au magasin bio du coin. Pas de publicité. Il faut simplement le demander. Romuald, un aventurier comme lui, qui vit de peu mais s'active comme un fou, nous l'avait montré avec des yeux émerveillés. C'est l'histoire d'un jeune homme qui décide de vivre autrement, en construisant ses habitacles, ses véhicules, réinventant perpétuellement sa vie comme un gamin qui traîne les pieds pour grandir à son rythme. Il en existe quantité comme lui dans les Cévennes, enfants de celles et ceux qui ont quitté la ville dans les années 60 pour vivre proches de la nature. On les croise les jours de marché, comme ce matin-là à celui de Florac. À leur tour leurs choix déboussolent leurs parents qui n'avaient pas prévu que le déracinement allait laisser germer leurs graines sur des planètes improbables. Comme leurs aînés ils portent les cheveux longs et la barbe, les filles semblent danser dans la couleur.


Mika ou Écureuil a choisi de raconter son aventure en publiant un livre bourré de photos et de dessins pleine page. Et de l'offrir à celles et ceux qui voudraient partager son rêve. Il raconte librement les siens. Le récit est impudique. Les lettres de ses parents sont étonnantes. Il ne voudrait rien cacher, de ses émotions fragiles, de ses rencontres magiques, de la gestion de son héritage anticipé. Les 6379,20 kg que constitue le tirage de 5000 exemplaires a coûté 41000 euros. Dépensant entre 100 et 200 euros par mois, il lui en reste encore plus de 100000. Qu'ils soient rentiers ou n'aient pas un sou devant eux l'argent n'est pas le moteur de ces jeunes gens. Ils veulent vivre en respirant l'air pur. Si certains sont RSAstes, ils ne chôment pas. Ce sont des castors insatiables, des constructeurs, des bricoleurs imaginatifs. Cela ne les empêche pas de traverser les mêmes tourments sentimentaux ou métaphysiques que n'importe qui, mais ils n'ont de comptes à rendre à personne...


Comme tous les aventuriers l'auteur est égocentrique. La famille ou l'âme sœur tenues à distance il se répand dans un mysticisme de pacotille, plus kitsch tu meures ! On sautera les pages où le Grand Tou lui fait pondre des vers de mirliton pour admirer ses astuces de bâtisseur, sa fantaisie de jouisseur et son kaléidoscope en technicolor.


L'ouvrage est aussi sympathique que son auteur. Il nous fait retomber en enfance, lorsque nous construisions des cabanes dans les arbres, des ponts de cordes au dessus des rivières, des embarcations de fortune. Les siens ont atteint la taille adulte. Ce n'est pas sans risque, mais vivre comme nous le faisons, sur une terre bitumée à 98%, dans les gaz et la poussière, aux ordres des pandores, sous un ciel sans étoiles et au rythme d'un soleil bègue qui a ses heures d'été et d'hiver, c'est franchement moins folichon.

vendredi 26 août 2011

Reprise


Bip bip bip bip bip bip bip bip... Dans mon sommeil j'imaginais être rentré à Paris. Un camion reculait dans la rue, mais sa marche arrière n'en finissait pas. Après le silence absolu des matins cévenols seule une très grosse averse avait su nous réveiller au milieu de la nuit pour que nous courions fermer portes et fenêtres. Le camion continuait de reculer. Trop longtemps : je me suis redressé. Au second étage, un réveil répétait inlassablement son message aux amies à qui nous avions prêté la maison, parties avant notre retour. Sans lunettes j'ai tâtonné pour arrêter le cours du temps. Nous étions revenus, seul l'avenir devait focaliser notre attention. La maison racontait pourtant les six semaines passées en notre absence.
Ade et Nicolas avaient déposé la boule blanche du Prisonnier au pied du futon, sauf que celle-ci sourit lumineusement lorsque nous changeons ses couleurs à la télécommande. Au salon, aux pieds de Ganesh, le tabouret orange de Sonia et Elisabeth pouvait être une petite table indienne où nous poserions nos verres, nos jambes ou nos fesses. Dans l'âtre une installation très sicilienne figurait un collage sur bûche à décrypter comme le rébus de nos amitiés partagées. De l'autre côté de la rue, Marie-Laure et Sun Sun nous invitent à dîner, coupure délicieuse au milieu du grand déballage des affaires à ranger, break salutaire avant l'ouverture du courrier qui révèle ses sinistres factures.
La traversée des Cévennes avait été un enchantement. Au marché de Florac nous avions trouvé le livre haut en couleurs de Mika dévoilé par Romuald à l'Espinassounel des bergers (j'y reviendrai bientôt). L'autoroute au sud comme au nord de Clermont-Ferrand est assez vert pour se faire oublier. Nous évitons ainsi le stress de celui du Sud, un ruban de l'horreur. Scotch n'a jamais été aussi sage. Ces vacances lui ont été aussi salutaires qu'à nous-mêmes.
La pluie a laissé une fraîcheur à laquelle nous n'étions plus habitués. Le marteau d'un ouvrier résonne au lointain, soulignant ce qu'il est coutume d'appeler la rentrée.

jeudi 25 août 2011

Les grands retours


À suivre...

mercredi 24 août 2011

Conjugaison


Au gré de nos pérégrinations je cherche du réseau pour pouvoir continuer à émettre. Ces derniers jours, le satellite m'a permis de le faire pendant les rares minutes fournies par l'énergie solaire.
À la rentrée je ne pourrai peut-être pas continuer à publier chaque matin un article comme je le fais depuis cinq ans. Depuis le début de l'année, j'ai déjà fait sauter les week-ends. C'est très prenant et je me suis trop longtemps astreint à des formes courtes qui n'autorisent ni les ratures ni la maturation. J'hésite à écrire des chansons ou à repartir sur une longue histoire. Ces semaines de vacances dans le sud de la France devraient laisser l'évidence s'imposer d'elle-même.
Ayant commencé à rédiger mon premier roman à partir de photographies que j'avais déjà prises j'hésite à m'en servir pour le blog ou à les garder sous le coude pour mon prochain opus. Mais à quoi ressemblera-t-il ? Nouveau récit de fiction ou narration de mon voyage initiatique aux USA en 1968 ? Conjuguer les deux est séduisant, mais j'ai l'impression que la fictionnalisation de l'aventure vécue la rendrait incroyable (j'ai toujours à l'esprit l'exergue de Cocteau pour son histoire féline extraite du Journal d'un inconnu : "ne pas être admiré, être cru", dont le Drame fit d'ailleurs une pièce pour orchestre publiée sur le vinyle Les bons contes font les bons amis en 1983). Pour attester de son authenticité la narration devrait obligatoirement être rédigée à la première personne (du singulier ou du pluriel ?), me rapprochant trop du style du blog. Encore faudrait-il que je retrouve les diapositives du voyage avec ma petite sœur qui sont disséminées quelque part au grenier dans les archives. Agnès avait de son côté tenu un journal qui raconte une expérience fort différente de la mienne ; j'aurais besoin qu'elle m'en fasse copie. À quinze et treize ans nous avions parcouru les États Unis pendant près de trois mois, totalement indépendants, à une époque clef du XXème siècle. Nos rencontres ayant été à la hauteur de la réputation de l'époque notre périple avait tourné à l'odyssée.
Après tout, la forme du blog pourrait se prêter à ses étapes successives, comme les chapitres d'un livre, les épisodes d'une nouvelle série…

mardi 23 août 2011

Cadres et tuyaux percés


Il fait une chaleur d'enfer alors que l'endroit rappelle plutôt le paradis. Depuis deux jours la pression n'était plus suffisante pour que l'eau arrive jusqu'au mas. Sur deux mille mètres à partir de la source nous avons longé le tuyau pour chercher les fuites causées par les rongeurs. Jean-Pierre, qui passa tout un été à dessiner le meilleur tracé pour un dénivelé de seulement dix mètres, nous guide le long des pentes escarpées. Les tapis d'épines de pin glissent comme une piste de ski et les piquants des cupules séchées des châtaigniers traversent nos tennis inadaptées à la balade. Presque arrivée, Françoise se tord une cheville avant un vol plané qui la laisse hilare sur le carreau. Le lendemain elle ne peut plus faire un pas. La pommade, l'arnica et le bandage la remettront bientôt sur pied, mais l'eau n'arrive toujours pas bien que Jean-Pierre ait colmaté le tuyau à chaque série de morsures ravageuses. Son système est astucieux : tuyau perché à la source pour évacuer les bulles d'air, réservoir placé au-dessus du mas pour donner de la pression, etc. Mais là il manque quelques mètres pour que l'eau le remplisse, notre ami en perd son latin et la vaisselle s'accumule. Nous ne sommes tout de même pas à sec, je ne parle ni du rouge ni du rosé, mais du robinet qui coule suffisamment pour que nous puissions remplir des bidons. Hélas plus assez pour alimenter la plomberie de toute la maisonnée.


Pendant qu'il planche sur son problème de robinets les filles font des cadres. Michèle nettoie ceux des abeilles à la flamme. Françoise passe des heures à attendre que Scotch veuille bien descendre la longue échelle en métal depuis la mezzanine où il a élu domicile. Ces dernières années les ruches ont été décimées. Frelons tueurs, teigne, pesticide, ondes ? Jean-Pierre est retourné à la source et a fini par trouver un défaut dans l'amorçage en amont. L'eau est revenue à la joie de tous. Habiter cet havre de paix exige que l'on soit des as du bricolage. Comme j'en suis très loin nous allons bientôt rejoindre nos pénates au confort parisien et réfléchir aux choix que nous propose l'avenir. Mais ça c'est une autre histoire…

lundi 22 août 2011

Ella et Pitr collent en Arles


Françoise a commencé à tourner le petit film qu'elle réalise sur les papierspeintres Ella et Pitr. Nous les avons rejoints en Arles où ils collaient de grands cadres incitant les passants à se photographier devant et à leur envoyer le résultat pour publication sur leur site. La vente des dessins, affiches ou pavés illustrés les autorise à continuer d'offrir leurs œuvres à la rue. Neuf cents personnes leur ont déjà répondu, photo à l'appui. Dans notre quartier le cadeau qu'il nous firent avait provoqué une rixe avec les sorcières qui habitent au fond de l'allée et qui avaient tout déchiré.


Ella et Pitr travaillent à l'avance sur les fins de rouleaux de papier journal récupérés dans des imprimeries. Un coup de balai à colle sur le mur dont les anfractuosités donnent du relief à leurs personnages, un second coup sur l'affiche, et le tour est joué. À chaque station leur fils Piel qui vient d'apprendre à faire pipi tout seul marque son territoire à l'instar de son papa lorsqu'il graphe clandestinement le métro de Naples ou les rues de Tokyo. La gentillesse du couple d'artistes incite les badauds à discuter avec eux lorsqu'ils les croisent...

vendredi 19 août 2011

Loin de tout


Aucune route n'était plus indiquée sur la carte. Nous avions grimpé sans voir le gros réservoir en béton. Heureusement, un peu plus bas sur la gauche la 2CV camionnette verte était bien à sa place et un panneau à moitié effacé indiquait la piste. Nous suivions scrupuleusement les indications envoyées par Jean-Pierre, car la moindre erreur d'aiguillage aurait pu nous perdre sans que nous sachions comment faire demi-tour. Tout marchait comme sur des roulettes, quand au détour d'une côte nous nous trouvâmes en face d'une barrière de l'ONF qui n'avait jamais été fermée. Il y était réglementairement indiqué que toute circulation était interdite au delà. Évidemment nous n'avions pas la clef à pipe permettant de l'ouvrir, mais je finis par réussir avec la pince universelle qui ne quitte jamais le coffre de la voiture et qui, pour une fois, justifiait qu'on l'y garde. Bien que toujours en première et avançant avec le maximum de précaution le bas de caisse frotta deux fois. Au bout d'une petite heure nous arrivâmes chez nos amis, un havre de paix où le silence règne en maître. Le jour on entend pratiquement aucun oiseau et la nuit les cigales s'amusent en stéréophonie. Le Parc National des Cévennes est d'une beauté à couper le souffle. Voilà plus d'une douzaine d'années que je n'étais pas venu. La vieille école n'a rien perdu de son charme ni les ruines de leur éclat. Les pierres de lauze brillent sous le soleil comme les étoiles pâlissent quand la lune éclaire les collines. Le téléphone ne passe pas, mais je publie grâce au satellite et à l'énergie solaire.

jeudi 18 août 2011

Good for nothing


Je connaissais évidemment la traduction de cette expression que mon père prononçait avec "a typical Oxonian accent", l'accent d'Oxford, mais pourquoi m'appelait-il ainsi ? Peut-être n'étais-je pas très com-plaisant (la césure est de lui) pour débarrasser après les repas ? Mes résultats scolaires plus que rassurants n'impliquaient pas nécessairement d'application pratique. Peut-être n'en fichais-je pas une rame à la maison ? Je rechignais à ses injonctions alors qu'il avait le cul vissé sur sa chaise et que ma mère faisait tout le boulot.
Ma sœur a toujours été plus serviable. Encore aujourd'hui elle s'occupe régulièrement de notre mère alors que je la vois uniquement pour les grandes occasions. Elles s'engueulent aussi copieusement et ma sœur la traite comme du poisson pourri, mais elle l'accompagne faire ses courses chaque semaine et je crois (ou crains) que la coup de fil à sa maman soit un de ses premiers gestes du matin. Mes conversations téléphoniques avec ma mère sont plus serins que les échanges in vivo. Je peux raccrocher facilement si je sens que cela tourne au vinaigre. Myco come mycoacétyque, le champignon du vinaigre, était son surnom lorsqu'elle était adolescente aux Petites Ailes. Il m'aura fallu atteindre cinquante ans pour comprendre que je n'étais misanthrope que pour lui plaire et que ce n'étais pas du tout mon caractère. La section du cordon est plus tardive que beaucoup ne le croient, cet instant décisif où l'on saisit que l'on est soi et pas ce que nos parents attendaient de nous. J'ai déjà évoqué ma mère et mon père, l'amour pour leurs deux enfants et notre attachement, mais il y a plusieurs manières de vieillir. Mon père n'a pas eu le temps d'être grand-père, ma mère n'a jamais joué son rôle de grand-mère. Son complexe d'infériorité a développé un narcissisme agressif qui a rendu avec l'âge les conversations difficiles dès qu'elles abordent des sujets ayant trait au passé ou à la politique en général. Il y a longtemps que ma mère ne m'entend plus. Ma fille en a souffert. J'ai essayé d'aborder l'histoire de notre famille, l'origine des névroses, mais ma mère pense que cela n'a aucun intérêt. Elle réécrit à sa façon la vie de mon père. Je le comprends. Nos souvenirs sont systématiquement arrangés au fur et à mesure que nous les sollicitons. J'essaie de me rappeler…
Good for nothing ! Le bon à rien est devenu un touche à tout. Ce que je n'ai pas su transmettre à mes parents, je tente de le donner à d'autres, à mes amis, en conférence… Être utile procure des satisfactions qui donnent sens à une vie. Je perpétue la B.A. des louveteaux, la "bonne action" apprise aux Éclaireurs de France, organisation scout laïque à laquelle j'appartins de 8 à 11 ans et qui me fit grandir vitesse V. C'est incroyable ce que j'en retirai et qui me sert quotidiennement. Pourquoi n'apprend-on pas à l'école des rudiments d'électricité, de plomberie, de couture, de bricolage, toutes les choses pratiques auxquelles nous serons plus tard confrontés. L'informatique est passée dans les mœurs, mais je suis surpris à quel point nous sommes handicapés lorsque nous tombons en panne d'automobile, de chauffe-eau, ou lorsqu'il s'agit de faire la cuisine. Du moins pour la plupart. Je regrette aussi les cours d'instruction civique qui donnent un sens à notre citoyenneté. On me raconte qu'il n'existe plus de "plein air", cette demi-journée d'exercice physique que je n'affectais d'ailleurs pas outre mesure, complémentaire des cours de gymnastique. Il y avait la musique et le dessin, mais en retirait-on les moyens d'avoir plus tard accès à la culture ? De toute ma scolarité je n'ai lu aucun livre, me cantonnant aux extraits publiés dans le Lagarde & Michard. Rédactions et dissertations m'auront tout de même appris à écrire, les maths m'auront donné un esprit synthétique et logique, Monsieur Marnay le goût des langues étrangères… J'ai pourtant l'impression de n'avoir pas appris grand chose à l'école. Ce que sont la discipline et la rébellion plus certainement. Mais au delà de cette critique facile mon éducation scolaire m'aura permis d'acquérir plus tard les connaissances que je désirai vraiment, un peu comme mes parents dessinèrent le cadre que je remplirai plus tard à mon gré. Face à des propositions fortes mais ouvertes notre indépendance peut se développer en connaissance de cause, et notre existence trouve son sens lorsque nous apprenons à nous détacher et des uns et des autres.
N'empêche qu'aujourd'hui, question récurrente, je ne sais pas ce que je vais devenir. Les vacances servent à y réfléchir. Continuerai-je sur la voie de l'écriture ? Un second roman (le premier paraîtra fin août chez publie.net) ? Des chansons (comme jadis avec Kind Lieder, Carton ou pour Elsa) ? Vais-je lever un peu le pied du blog pour avoir plus de temps pour m'y consacrer ? J'aimerais réécrire L'astre en feuilleton cinématographique pour le Web, enregistrer quelques albums de musique qui me tiennent à cœur mais dont les conditions de production et de diffusion me freinent encore, imaginer un spectacle qui fasse suite à Nabaz'mob (l'opéra de lapins qui repartira en tournée dès septembre), composer plus souvent pour le cinéma, remonter sur scène… Ou tout autre chose parce que j'ai un besoin viscéral de faire ce que je ne sais pas faire et qui ne se fait pas. Histoire de contredire mon père ?

mercredi 17 août 2011

Touch The Sound (2nd step across the border)


Touch The Sound (2004) de Thomas Riedelsheimer suit la percussionniste sourde Evelyn Glennie de New York au Japon en passant par sa patrie, l'Écosse. Le guitariste et compositeur Fred Frith est le fil d'Ariane qui relie ce documentaire au célèbre film Step Across The Border (1990) de Nicolas Humbert et Werner Penzel dont il était lui-même le héros nomade. Il avait également composé la musique de Rivers and Tides de Riedelsheimer consacré à l'artiste de land art Andy Goldsworthy et il accompagne ici Glennie dans la scène principale où ils jouent dans une usine désaffectée.
Si les images en couleurs sont magnifiques et le travail des quatre designers sonores finement ciselé, les propos de la soliste et le choix des paysages urbains ou naturels véhiculent hélas quantité de poncifs qui finissent par tirer l'aventure vers un new age de surface. Il faudra revenir sur les limites du reportage sonore et la vanité de rêver mettre en boîte la symphonie de la nature. De son côté la musique reste ici parfaitement lisse malgré quelques superbes éclats comme la caisse claire dans Central Station ou un épatant Japonais jouant en virtuose d'une sorte de bilboquet. Focalisant sur la percussionniste, l'ensemble manque de la dialectique qui animait Step Across The Border sans donner les clefs du tour de force de la musicienne devenue sourde à douze ans. L'absence louable de commentaire explicatif n'est pas comblée par la réalisation, même s'il est suggéré qu'elle lit sur les lèvres et ressent la musique avec toutes les autres parties de son corps, du sommet de son crâne jusqu'à ses pieds nus. Entend-elle Frith et si oui comment puisque l'on ne constate aucun appareillage ? Le passionnant essai sur la surdité publié par Glennie sur son site perso répond mieux à ces questions. Dommage que sa communication marketing passe par le soutien aux montres Rolex, qu'elle rêve d'Eminem pour un concerto rap et que sa ligne de bijoux soit aussi ringarde !


Le film, qui mérite pourtant d'être vu et senti comme l'annonce le titre français (Il est possible de voir, sentir, et embrasser le son) du DVD publié par K-Films, laisse perplexe malgré sa sensibilité, car la musique est franchement banale et les improvisations plan-plans. Le handicap surmonté ne suffit pas à construire un monde, un nouveau monde, de ceux qui révèlent habituellement une fêlure, un mode de penser autrement, la poésie de l'indicible restant ici inaudible.

mardi 16 août 2011

D'un zodiaque à l'autre


Du dragon au scorpion il n'y a qu'un pas. Comme l'autoroute qui mène de Marseille à Nîmes. Ou du tape-cul nautique à la campagne languedocienne. Scotch avait su s'arranger des deux nouveaux chiens, des trois chevaux, des deux chattes dont l'une est la mère de Snow et l'autre la sœur de Scat, deux de mes ex-compagnons, mais Françoise ne trouva pas du tout à son goût le scorpion campant dans l'entrée à la nuit tombée. L'écrabouiller me crevait le cœur, comme un suicide collectif de ma propre espèce. La présence du bébé de Mathilde et des mammifères domestiques (canins) et domesticants (félins) me forçait à obtempérer. Le second euscorpius flavicaudis qui perchait au-dessus de notre lit dut subir le même sort à mon corps défendant. C'est la première fois que je vois cet animal quasi mythique (cf. ci-dessous la scène du bal masqué d'Arkadin d'Orson Welles) en France bien qu'il y en ait pas mal dans le sud.


Pendant des années j'ai conservé dans un tiroir le sérum emporté dans le désert marocain, périmé depuis belles lurettes. Comme un rempart à ma folie ou à mes mauvais penchants. But I can't help it: it's my character! On raconte tant de bêtises sur les tenants de ce signe que je me méfiais de moi-même, même si je me suis toujours bien entendu avec les natifs de novembre... Je possédais également un impressionnant spécimen inclus dans un cendrier de verre. Un jour à Marrakech un homme jouait avec l'un d'eux dans sa main. Il l'endormit dans sa paume, la rouvrit, le scorpion ne moufetait pas. Il souffla sur la bête qui se redressa d'un bond. Cette volte-face m'inspira plus d'une fois.

lundi 15 août 2011

Il voit des dragons partout


En scrutant le ciel allongé sur la terrasse je comprends pourquoi mon ami Sun Sun voit des dragons partout. L'animal mythique se reconnaît plus facilement que toutes les autres bestioles qui hantent nos rêves d'enfants. Protéiforme il apparaît et se dissipe comme les nuages se font et se défont. En prenant une photo d'en bas je n'ai pas choisi l'évidence pour ne pas influer sur votre imaginaire, j'ai cliqué un peu n'importe quand. D'aucuns y verraient un vautour en cohérence avec la meute qui tournait hors-champ en mouvements circulaires au-dessus de la carcasse d'un veau mort. Le dragon a le mérite de renaître de ses cendres. Revenant tous les douze ans il est le préféré des Chinois parmi les figures de l'horoscope. Certains couples calculent leurs ébats pour accoucher d'un petit dragon. Né en 1952, j'en suis et l'an prochain marquera mon cinquième cycle. Mon incrédulité n'empêche pas mon inconscient de jouir de la légende.

vendredi 12 août 2011

Michael Mantler, For Two


Mon attachement à l'univers musical de Michael Mantler n'est plus un secret. Le principe de son nouvel album, For Two (ECM), ne pouvait que m'enchanter. En juin 2010 le pianiste danois Per Salo enregistre dix huit pièces au Studio de La Buissonne à Pernes-les-Fontaines. Deux mois plus tard à Copenhague, le guitariste suédois Bjarne Roupé improvise dessus en playback. Tous deux familiers de la musique du compositeur autrichien (Salo sur Hide and Seek ; Roupé sur Cerco Un Paese Innocente, The School of Understanding, Songs and One Symphony, Hide and Seek), le dialogue spatio-temporel, tissant chaîne et trame, rend hommage à l'écriture somptueusement monotone et lyrique de Mantler. L'exercice, tout en respirations, consiste en un jeu d'écoute où la concentration des interprètes se répercute sur l'auditeur dont le recueillement semble sciemment dirigé par le compositeur. For Two se réfère alors à la relation intime qu'il entretient avec son public. Écrit-on jamais pour soi ou pour lui ? Pour les deux, mon général.

jeudi 11 août 2011

Scotch se la coule douce


Nous nous inquiétions de voyager avec Scotch qui devra changer plusieurs fois de maison pendant l'été. Aussitôt avons-nous fait trois cents mètres en voiture que nous savons devoir faire une halte à la poubelle la plus proche pour nettoyer son plat. C'est plus commode qu'en train où son angoisse du départ produit les mêmes effets. Ensuite il se love sur un fauteuil ou se blottit dans l'endroit le plus exigu du coffre rendu accessible par l'amas de bagages que nous trimbalons d'étape en étape, au gré des saisons virtuelles.
Nous appréhendions surtout la promiscuité avec les animaux de nos amis. En montagne, Scotch avait fini par ne plus se préoccuper des vaches, taureaux, chevaux, etc., se concentrant sur sa collection de queues de lézards ou dégustant quelques campagnols à la nuit tombée. Sa seule véritable émotion lui fut infligée par le courant d'une clôture électrique qui le fit détaler comme un lapin jusqu'au dessous du lit du premier étage. La cavalcade valait le spectacle.
Après avoir trouvé un compromis avec Nanob, la chatte d'Olivia et Thierry, il imposa son statut de "mâle dominant" (dixit la vétérinaire de Bagnolet) à Diabolo, le chien foufou de Jean-Claude. Bien que son nom lui vienne de son côté collant, Scotch sait faire la différence entre un Jack Daniel et un Jack Russell ! À La Ciotat il attrapa plus d'aoutats que de ratons, nous obligeant à traiter notre félin parisien contre les minuscules insectes piquants. Les petits rats malins continuent à sortir tranquillement chaque soir vers 21h10 pour se délecter des graines du tilleul qui jouxte la maison.


Mon T-shirt l'atteste, j'ai choisi mon camp, coiffé du chapeau des pêcheurs cambodgiens, parfaitement adapté à nos parties de pêche qui, cette fois, n'eut rien de miraculeuse. Les rusquiers lancés par Serge depuis son zodiac n'accrochèrent que quelques blades et un bogue, de quoi tout de même faire un bon dîner.

mercredi 10 août 2011

Ma tante a son site


À 86 ans, créer son site pour une artiste n'est pas une mince affaire. Ma tante Arlette Martin est peintre et marquetiste. Elle est aussi trésorière de la Maison des Artistes où elle est responsable de l'aide sociale, après avoir été en 1986 la première femme présidente de la S.A.D. (Société des Artistes Décorateurs), première association en loi 1901 jamais créée, et secrétaire générale du Syndicat National Professionnel des Plasticiens Créateurs d’Art Mural et Modèle et du Syndicat National des Sculpteurs et Plasticiens. Elle peut enfin présenter son travail, meubles, tableaux, murs, marqueteries, éventails et le faire connaître world widely waouh ! Il y a quatre ans j'ai écrit un texte intitulé Ma tante touche du bois repris en préface d'un livre qui lui est consacré. Mais je suis heureux de découvrir aujourd'hui une partie de son œuvre qui inspira inconsciemment mes jeunes années.

mardi 9 août 2011

Donkey Monkey bande à part


C'est plutôt CD à part que font cette fois chacune de leur côté la pianiste Ève Risser et la percussionniste Yuko Oshima. On connaissait le duo féminin Donkey Monkey entre autres pour leurs CD Ouature et Hanakana. Voici deux "nouveautés" comme s'expriment les vendeurs.
Début juillet elles accompagnaient ensemble le mano a mano des agences photo VII et Tendance Floue dans le cadre magnifique du Théâtre Antique d'Arles. À la fois complices et soulignant ou ponctuant chacune les propos des photographes américains pour Oshima et français pour Risser, elles surent donner la touche spectaculaire et lyrique à l'échange de points de vue.
Ève Risser au piano préparé et Joris Rühl à la clarinette interprètent la musique du compositeur Karl Naegelen sur l'album Fenêtre Ovale paru sur le label suédois Umlaut. Il s'agit plutôt de la collaboration entre un compositeur et deux improvisateurs partageant leurs recherches. L'écriture originale préserve la spontanéité du duo habitué à se fréquenter pour créer à trois une œuvre vivante qui ne ressemble à aucune autre. Comme John Cage utilise gommes et vis ou Benoît Delbecq des bouts de bois joliment taillés coincés dans les cordes, les préparations du piano de Risser intègrent toute une panoplie d'objets incongrus offrant une variété de timbres inouïs et surtout des modes de jeu uniques : des aimants, un vibromasseur, une brosse, du velours, une perle accrochée à une ficelle, du fil de cuivre et bien d'autres outils. Bien que le livret n'annonce pas la flûte de Risser ou l'orgue à bouche de Rühl, le duo offre un matériau exceptionnel à Naegelen préoccupé de trouver une notation qui servira ensuite aux instrumentistes. La musique possède la beauté et la sérénité des Sonates et Interludes de Cage ou des pièces pour shakuhachi japonaises en renouvelant le genre. Délicate et profonde, riche et sobre à la fois, elle réussit à faire oublier le geste instrumental, pourtant radicalement présent, pour ne faire ressortir que le temps musical avec ses pleins et ses déliés, ses couleurs et ses silences.
De son côté Yuko Oshima produit un double CD composé de Kéfukéfu et Signs sur le label portugais Creative Sources. L'une et l'autre pièce partent de l'improvisation, la première pour se conformer à un concept compositionnel en quatre parties ininterrompues, la seconde pour constituer une suite de onze courtes pièces aux titres graphiques. Même maîtrise que sa comparse, même soin, même calme, fût-il acéré comme une lame, percutant comme un taiko ou inédit, produit par l'échantillonneur, complément de la batterie de percussions. La voix chante une berceuse, les aigus informatiques cliquètent dans l'azur, les graves renvoient au drame nucléaire des îles qui se rapprochent, autant de signes que nos oreilles sont appelées à déchiffrer sous les peaux et les cymbales dont la rigueur rappelle quelque rituel du soleil levant. La dialectique est au service de la musique quand se confrontent "délicatesse et brutalité, abstrait et concret, espace et densité, tout ce qui caractérise le Japon".

lundi 8 août 2011

Hémisphère Sud


L'autolag de la montagne à la plaine nous colla un coup de soleil comme si nous étions victimes d'un jetlag entre l'hiver et l'été. En quatre heures la chaleur et la couleur du ciel nous donnèrent l'impression d'avoir changé d'hémisphère. Nous plongeons nus dans la piscine. L'eau légèrement salée par le système d'assainissement glisse sur la peau comme une délicieuse caresse. C'est bon. Tout simplement. À l'annonce du soir les hirondelles entament une chorégraphie bruyante à vous coller le vertige. Un gras hérisson vient nous saluer tandis que les chats de faïence font connaissance. La propriétaire qui règne sur les lieux trouve un accord avec notre matou deux fois plus lourd qu'elle. Nos amis nous reçoivent comme des rois, mais dans la douceur du soir, rêvant d'un monde meilleur à partager, nous convenons une fois de plus que tout le monde n'a pas la chance d'avoir eu des parents communistes. Les nouvelles générations auront beaucoup plus de mal à vivre dans le confort et la sécurité, de ce qui autorise à envoyer tout balader ! Lorsque l'on part de rien, l'accès à la propriété est devenu inaccessible. Nous consommons notre bonheur égoïste, sachant comme nous avons eu chaud. Cette halte à Montpellier jouera le rôle d'un sas de décompression avant de reprendre la route vers La Ciotat.

vendredi 5 août 2011

Le quai de Ouistreham et Retour à Reims


Les deux livres parus en 2010 que Françoise m'a conseillés se réfèrent chacun au monde du travail dans une province cruelle où la différence de classes s'exprime sans fard. Dans Le quai de Ouistreham (Ed. de L'Olivier) la journaliste Florence Aubenas décide de se faire passer pour une femme de ménage jusqu'à trouver un emploi en CDI. Avec Retour à Reims (Ed. Fayard) Didier Eribon assume ses origines prolétariennes alors que son coming out n'avait jamais concerné que son homosexualité. La première choisit Caen, le second retourne dans sa ville natale. Si Aubenas s'immerge dans la noirceur de la misère et découvre un monde tu par les médias, Eribon fait surface en cherchant à comprendre la mutation subie par les électeurs communistes tentés par l'extrême-droite. Introspections d'une sincérité absolue, les deux romans sont des pamphlets politiques remarquablement écrits qui en disent plus long sur notre époque que la lecture des journaux au quotidien. Passionnants, teintés d'humour et de mordant, il se lisent comme les meilleures enquêtes policières, parce que la vie est pour beaucoup un simple crime.

jeudi 4 août 2011

Deep End, je pourrais mourir ce soir


Jusqu'au coup de théâtre final, Deep End est un film de faux-semblants où les apparences rivalisent d'ambiguïté. La comédie initiatique révèlera un drame de l'adolescence et les personnages dévoileront une cruauté inattendue. Si Jane Asher et John Moulder-Brown sont à croquer ils finiront dévorés par un monde sans scrupules qui tranche avec les représentations de l'époque. Tourné en 1970 par Jerzy Skolimowski, cinéaste rare à la filmographie toujours surprenante (Le départ, Travail au noir, Essential Killing…), Deep End explose de couleurs vives et franches comme chez Demy, s'accompagnant des musiques composées par le chanteur pop Cat Stevens et le groupe expérimental Can, références extrêmes à un Swinging London qui restera à jamais hors-champ. Pourtant le film n'a pas d'âge, comme les plus belles réussites de son auteur. Les émois du jeune éphèbe sont filmés avec humour et sensibilité sans sombrer dans les poncifs, le désir et la frustration de l'âge ingrat mariant le sexe et la mort en un ballet nautique suffocant. La chanson de Cat Stevens qui accompagne le générique à la peinture saignante du début s'appelle But I Might Die Tonight (Je pourrais mourir ce soir). Nous ne pensions pas atteindre 30 ans. On oublie facilement que les contes de fées sont souvent cruels et tragiques.
Ressorti récemment au cinéma, le film sera publié fin novembre en DVD, accompagné d'un documentaire inédit comme Carlotta en a le secret.

mercredi 3 août 2011

Dans les nuages


Nous avons passé la seconde semaine dans les nuages. On n'y voyait pas à dix mètres. Sur une île l'horizon laisse espérer l'apparition d'un navire, le ciel celle d'un engin volant. Ici, rien. Seulement le bruit de l'eau, pluie incessante au premier plan, torrents de montagne qui gonflent plus bas et quelques cris d'oiseaux que je suis incapable de reconnaître. Le brouillard nous confina dans l'ancienne grange, enveloppés d'un coton humide qui suintait de partout à la fois. Des idées en germeraient peut-être. Nous passions le temps dans la lecture ou les films, Françoise dans Balzac, de mon côté Seul le silence de R.J.Ellory et les trois saisons d'In Treatment (En analyse). Le soir, la brume était si épaisse que l'on pouvait y projeter nos ombres chinoises en ouvrant les fenêtres ! La température oscillait de 4° à 12°.
Encore heureux qu'on va vers l'été, me suis-je dit en référence aux œuvres complètes de Christiane Rochefort embarquées dans mon volumineux bagage et en pensant au sud vers lequel nous allions nous diriger à la fin du mois. J'avais bouclé une valise pour l'hiver montagnard et une autre pour les chaleurs estivales qui nous accompagneraient de Montpellier à Nîmes en passant par La Ciotat, itinéraire en dents de scie sans autre logique ambulatoire que le plaisir de partager quelques journées avec nos amis.

[Scotch en montagne]
Jamais Scotch n'aura autant profité de nous. Notre farniente de prisonniers météorologiques lui sied à merveille. Un soir, en face, nous avons aperçu les neiges éternelles. Il en est même tombé là-haut, vers les trois mille mètres. Cet été nous n'avons pas vu Christian, le berger de l'autre côté de la vallée, perché avec mille huit cents moutons. Les vaches qui nous ont joué leur concert de cloches depuis notre arrivée ont fini par quitter le flanc sud pour rejoindre l'autre versant où les infrastructures de sports d'hiver ressemblent à une ville fantôme. Et puis ce fut notre tour. Nous avons quitté ce splendide isolement pour l'autoroute des vacances avec ses bouchons et sur les nationales des accidents de motards...

mardi 2 août 2011

Projetés sur un drap blanc


Malgré quelques invraisemblances scénaristiques Code Source (2011) de Duncan Jones (fiston de David Bowie) avec Jack Gyllenhaal se laisse regarder. Dans un mois on l'aura oublié, mais le suspense de cet exercice de science fiction, cousin de Memento, nous aide déconnecter d'avec le monde réel et ses tracas.
Pour continuer dans l'ordre de programmation soir après soir, Gone Baby Gone de Ben Affleck (2007) est un polar social que les ultimes rebondissements rendent plus intéressant que le vulgum americanum filmum ; personnages attachants joués par Casey Affleck (le petit frère), Michelle Monaghan, Ed Harris, et climat torve à souhait, avec le mérite de nous poser une question quand les lumières se rallument.
L'espagnol Même la pluie de la réalisatrice Icíar Bollaín (2010) qui, par l'astuce du tournage d'un film en Bolivie, déroule en parallèle la résistance des Indiens à la conquête de Christophe Colomb et à une multinationale accapareuse de l'eau vitale est plein de bonnes intentions, mais la tension permanente et la musique hollywoodienne empêchent une pleine adhésion ; à force de vouloir éviter le manichéisme des personnages l'ultime volte-face en devient peu crédible.
Aucun d'entre nous n'avait jamais vu Gueule d'amour du sous-estimé Jean Grémillon. Tourné avec les remarquables Jean Gabin et Mireille Balin, ce film de 1937 est une énième démonstration du refoulement de l'homosexualité masculine sous couvert de jalousie, femme fatale et différence de classes ; copie rénovée aux noirs et blancs superbement contrastés.
À la sortie du coffret Pierre Etaix personne n'a semblé s'étonner de l'absence de L'âge de Monsieur est avancé tourné pour France 3 en 1987 dans le cadre de l'excellente collection Cinéma 16. Film bavard en hommage à Sacha Guitry, cette brillante comédie tranche avec le comique d'observation quasi muet des films sonores d'Etaix. Les longs plans séquences entrecoupés de contre-champs sur la salle du théâtre où est censée se passer l'action offrent au réalisateur accompagné de Nicole Calfan et Jean Carmet un formidable terrain de jeu où fusent les mots d'esprit sans oublier les artifices que permet le cinématographe. Certaines VHS enregistrées il y a fort longtemps, ici 1987, autorisent le tour de magie de découvrir quelque film aujourd'hui introuvable, en attendant la résurrection créée par les DVD.
Franche rigolade pour You Don't Mess with the Zohan (Rien que pour vos cheveux) de Dennis Dugan (2008) avec Adam Sandler et John Turturro, dans la lignée des films de Judd Apatow qui a cosigné le scénario avec Sandler et Robert Smigel. Ce comique potache est supportable lorsqu'il est équilibré par un scénario délirant qui pousse la situation dans ses extrémités. Le criminel conflit israélo-palestinien en devient absurde, l'humour ravageur apportant un message de paix salutaire.
Lorsqu'ensuite nous nous sommes retrouvés seuls au milieu de nulle part, la brume nous emprisonnant pendant sept autres jours, nous avons regardé plusieurs épisodes de Nurse Jackie (2010), David Golder (1930) de Julien Duvivier d'après Irène Némirovsky avec Harry Baur (critique cinglante de la bourgeoisie au moment du passage au parlant), Capitalism: a Love Story (2009) de Michael Moore (fouillis édifiant), un documentaire passionnant sur Boris Vian, le dramatique Funny People (2009) de Judd Apatow, et, seul, j'ai regardé les rushes inédits de Cinéastes de notre temps avec Capra, Mamoulian et Kazan, et me suis avalé la série In Treatment qui m'a fait plonger dans les méandres analytiques de mon enfance et dans celle de ma fille, suscitant des rêves qui m'empêchèrent de dormir en attendant que les étoiles refassent leur apparition.

lundi 1 août 2011

Pyrénées (semaine 1)


Nous avons perdu l'habitude des jours de la semaine, mais chacun est marqué par un évènement déterminant. Le premier, nous évitons les bouchons sauf à la sortie de Paris ; l'autoroute qui descend vers Limoges est suffisamment agréable pour que nous ne sentions pas les heures qui défilent ; à la sortie de Toulouse une automobile en flammes nous oblige à quelques détours pour rejoindre Luchon ; l'arrivée à l'ancienne grange est épique, sous une pluie intense et un brouillard à couper au couteau je glisse sur une bouse de vache et fais un vol plané dans l'herbe trempée. Nous sommes encerclés par trois cent cinquante bovins dont une centaine de veaux et sept taureaux très impressionnants que l'on dirait préhistoriques.


Nous entamons nos vacances avec Anny, Adriana et la petite Alicia qui s'en vont le lendemain tandis que débarquent Marie-Laure et Sun Sun, accueillis par une météo à peine plus clémente. Le matin suivant, j'attrape un coup de soleil sur la nuque comme nous grimpons dans la montagne. Une dizaine de vautours tournent au-dessus de nos têtes, Françoise cueille quelques fleurs pour poser un bouquet devant la cheminée autour de laquelle nous nous réchauffons quand vient le soir.
Le samedi se rappelle à notre bon souvenir si nous ne voulons pas rater le marché. Comme le prochain est le mercredi nous faisons des provisions pour ne pas avoir besoin de redescendre dans la vallée. Dans les allées d'Étigny je trouve un hotspot pour récupérer mes mails en me tenant sur un pied tel un échassier des temps modernes, un peu ridicule. Nous garons les voitures au bout du chemin et Françoise fait la navette avec la Lada pour ne pas esquinter le bas de caisse.


Le quatrième jour est celui du déjeuner annuel de l'association des résidents de Lespone. C'est l'occasion de rencontrer nos voisins et de confronter des vécus on ne peut plus différents. Nous sommes vingt cinq à dévorer pâté, côtelettes, patates, bien arrosés, en particulier par un vieil Armagnac à qui nous jetons un sort.
La température oscille sans arrêt entre 8° et 25°. Un jour sur deux est ensoleillé tandis que l'autre ne nous permet même pas de voir à dix mètres. Comme en Bretagne devant l'océan le panorama change toutes les cinq minutes. Il suffit d'un petit coup de vent, d'un courant ascendant pour que les nuages changent de formes, disparaissent ou recouvrent le paysage d'un coton épais transformant la pente en île inaccessible.
Le matin du cinquième jour, Nicolas appelle pour prévenir que la nouvelle chaudière est en rade et qu'une forte odeur de fioul envahit l'escalier. Malgré les difficultés acrobatiques pour obtenir du réseau j'arrive à joindre le chauffagiste qui n'est pas encore parti en vacances. Je me détends en tapant ces lignes avec la musique du long métrage que nous avons enregistrée avec Vincent et Antonin et que je découvre finalement quinze jours plus tard comme si elle avait été composée par quelqu'un d'autre. J'en choisirai quelques prises à la rentrée pour mettre en ligne un nouvel album virtuel sur le site drame.org, mais le temps est à la rêverie et à la lecture. Je suis plongé dans le dernier roman d'Umberto Eco qui pour l'instant ressemble plutôt à un ouvrage encyclopédique où apprendre mille et un faits historiques...


Le lendemain, l'énigme du Cimetière de Prague commence à prendre corps. Le thermomètre descend à 4°C pendant la nuit. Nous assassinons des centaines de mouches venues avec les vaches, à coups de journaux lorsque les rouleaux de glu sont saturés. Je deviens copain avec les deux juments en liberté dans le pré. Alain nous explique que le Conseil Général rembourse les 400 euros de l'antenne Internet si nous nous abonnons. Cela nous permettrait aussi d'avoir un téléphone qui fonctionne plutôt que le système hertzien dont les parasites couvrent les conversations.
Le septième jour, la brume rétrécit l'espace à une bulle aveuglante qui flotte au-dessus de la vallée. Les cloches à vache s'arrêtent de tinter. On entend le silence.