À la réécoute, dès les premières secondes de chaque morceau, Alexandra Grimal a l'idée d'un titre à lui donner. Elle a tout de suite choisi celui de l'album, Transformation. Je ne lui ai pas demandé pourquoi. Alchimie d'une démarche qui lui est propre, rencontre musicale dont les conséquences nous échappent, mouvement fugace et vectoriel sous-tendant ce samedi après-midi au studio, essai réussi à la manière d'une équipe de rugby ? La mutation du papillon s'est imposée toute seule lorsque j'ai imaginé la pochette. L'animal épinglé sur le ciel donne à l'image l'impression du relief. C'était l'heure du déjeuner à Kho Phayam. La table exhalait des parfums de noix de coco et de piment costaud. Je ne perçois la 3D virtuelle qu'à la relecture comme je n'entends nos improvisations qu'à la mise en ligne le lendemain. Les sept pièces sont accessibles en écoute et téléchargement gratuits comme les 36 précédents albums numériques que Radio Drame débite aléatoirement sur la page d'accueil du site drame.org. Si l'on préfère n'écouter que ce nouvel album, une page est dédiée à Avant que la cité..., Depuis les arbres, Bienvenue derrière le miroir, Les éléphants rencontrent les girafes, Assimilation culturelle, Désirs lucides, En éponge.
Sur toutes, Alexandra joue du saxophone soprano tandis que les synthés développent leurs variations de timbres. Avant de jouer, je lui raconte l'histoire qui me relie à son instrument, mes premières notes sur les genoux de Sidney Bechet, les tentatives empesées avant que je ne passe à l'alto, mes rencontres avec Steve Lacy ou Lol Coxhill... On attaque direct. À peine le temps de réécouter quelques secondes de chaque morceau qu'Alexandra doit filer. Comme cela m'arrive de plus en plus souvent avec les jeunes musiciens elle avait eu l'initiative de la session, suggérant que nous improvisions ensemble. Il y a quelque temps d'autres m'avaient avoué chercher à jouer avec des vieux. Comment le prendre ? Forcément bien. L'expérience n'a rien à voir avec l'âge du capitaine. Ce n'est pas non plus un gage de qualité. Aujourd'hui j'apprends plus avec eux qu'avec ceux de ma génération et ou de celles qui m'ont précédé. Mes pairs ont plutôt eu du mal à comprendre où j'allais. Ils se sont trop souvent figés dans des formules confortables. Les jeunes me retrouvent au tas de sable. Le risque évite pelles et râteaux. Échange de bons procédés. Quand les grains sont tous tombés on retourne le sablier.
Alexandra tient son jeu du lépidoptère. Elle étale ses ailes pour exposer ses desseins colorés et ses six pattes tracent une écriture en bâtons qui siéent si bien au soprano. Sa chrysalide se transforme parfois en ténor quand le souffle en caresse le bec. Mais c'est par la trompe que passe le nectar. Quelles que soient ses rencontres elle cherche la métamorphose.
Elle enregistre Owls Talk (dialogue de chouettes) en leader avec Lee Konitz, Gary Peacock, Paul Motian, Dragons (ils renaissent de leurs cendres, une autre métamorphose !), avec Nelson Veras, Jozef Dumoulin, Dré Pallemaerts, Andromeda (qui dirige les hommes) avec Todd Neufeld, Thomas Morgan, Tyshawn Sorey... Je l'avais entendue butiner la première fois sur Blue Anemone de Birgitte Lyregaard avec Alain Jean-Marie au piano, sobriété et opportunité du jeu. J'aime bien Shape (une autre forme !) avec Antonin Rayon et Emmanuel Scarpa, Ghibli (vent chaud du désert) avec Giovanni di Domenico auxquels se joignent Manolo Cabras et Joa Lobo pour Seminare Vento (qui sème le vent), et ces drôles de 45 tours bleu marine où le trio You Had Me At Hello composés avec Adrian Myhr et Chistian Skjødt rencontrent Ab Maars, Michael Moore, Oliver Lake... Ouverte à toutes les musiques on l'attend avec impatience dans des contextes moins jazz comme lorsqu'elle est invitée par le violoniste Frédéric Norel au sien des Dreamseekers (chercheurs de rêves) avec Jean-Marc Foltz, Benjamin Moussay, Arnault Cuisinier, ou pour une prochaine Transformation puisque c'est sur ces mots que nous nous sommes quittés, mais Alexandra sera cette fois au ténor...