70 septembre 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 30 septembre 2013

Fantasia de l'ONJ à l'IMA

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Caravan(e), rencontre de l'Orchestre National de Jazz et de musiciens traditionnels marocains, me rappelle par son titre à la fois le thème de Juan Tizol et Duke Ellington, un de mes standards favoris, et l'exquis opéra-comique de Henri Rabaud, Mârouf, savetier du Caire ! Le magicien qui a permis de faire apparaître cette caravane sur la scène de l'Institut du Monde Arabe samedi soir doit être aux anges. Après une tournée triomphale à Fès, Rabat, Agadir, Marrakech et Tanger que dix mille spectateurs applaudirent elle atteignit Paris pour une dernière étape. Par petits groupes les musiciens de l'ONJ avaient été envoyés en résidence aux quatre coins du Maroc, libre à eux de s'inspirer comme ils le souhaitaient des rencontres tant avec des musiciens locaux qu'avec le pays, ses paysages ou l'air que l'on y respire. Et tous de se retrouver pour une véritable fantasia où les cuivres remplacent les moukhalas, longs fusils à poudre noire, et où les autres musiciens chevauchent cordes et percussions, entraînant l'audience dans une euphorie communicative qui se terminera dans la salle en joyeuse improvisation.

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Si la proposition de Hoang, Laffont et Perchaud me laissa perplexe, trop jazz et retenue à mon goût, la fusion de l'ONJ avec les musiciens marocains qui suivit m'emporta définitivement, transe des rythmes et chants maghrébins amplifiée par un orchestre puissant et coloré. De la confrérie soufie des Hamadcha de Fès inspirant Daniel et Metzger aux Gnaouas Zouhair Affaifal, Abderrahman El Khammal, Taoufik Chuikh qui galvanisèrent tout l'orchestre à la suite de Bardiau, Dumoulin et Serra, la salle fut emportée à son tour. Avec Risser au piano qui finira en dansant comme un cabri, Mienniel se distingua à la flûte et au ney, le seul des Français à avoir revêtu un costume traditionnel, tunique et sarouel, se livrant corps et âme à la magie d'une musique raffinée tandis que Abdelhakim Gagou dessinait des arabesques sur son oud et que le timide Abdellah Haddou s'amusait comme un fou en soufflant dans sa double trompe. Les images du vidéaste Jérôme Witz projetées derrière les musiciens renvoyaient à l'aventure qui avait réuni tout ce beau monde et distillaient des parfums d'épices que ma mémoire n'a jamais effacés.
Cette fête exubérante anticipait The Party, ultime représentation de l'Orchestre National de Jazz de Daniel Yvinec qui aura lieu le 21 décembre à La Ferme du Buisson à Noisiel puisqu'après six ans il laisse la place au nouvel ONJ dirigé par Olivier Benoit dont la distribution prestigieuse est cette fois encore du meilleur augure.

vendredi 27 septembre 2013

La presse, disparition ou mutation


Tous les acteurs d'Internet le savent. La presse papier est condamnée à disparaître si elle ne change pas ses méthodes. Mediapart regarde sans moufter les grands quotidiens s'enfoncer pour ne pas avoir compris à temps les enjeux de l'avenir. Pourtant, même ce fameux site web d'information et d'opinion dont la fréquentation ne fait que grandir (80 000 abonnés aujourd'hui) néglige les spécificités de son médium en calquant sa présentation sur celles des autres. Ceux qui le font devraient se souvenir que la forme et le fond sont intimement liés. Si le style convenu de la une peut se comprendre par ses enjeux politiques (et encore !), les pages culturelles ou le Club mériteraient un traitement plus approprié. Les sketches de La Parisienne Libérée ou Didier Porte ressemblent trop à ce que la télévision a coutume de nous offrir. Ils ont certes ici leur place, mais il serait nécessaire de montrer par ailleurs un peu plus d'ambition lorsqu'il s'agit par exemple de la page culture. Aurait-on oublié le fameux Journal d'En France de Raoul Sangla sur Antenne 2 en 1981-82 (une télévision qui se mêle de ceux qui la regardent) ou la proposition de Thomas Sankara de confier à Jean-Luc Godard la télévision burkinabé ? L'information n'est pas tout. Si l'on veut changer le monde il faut être capable de transformer les usages et prendre parfois le risque de désarçonner. Un site Web n'est ni un journal papier projeté sur un écran ni une radio. Sa forme reste à inventer.
Les mutations sont en cours. Je mettais récemment en cause les revues musicales. Aujourd'hui certains labels ont choisi de ne plus leur envoyer les disques qu'ils produisent, préférant cibler les blogueurs qui ne sont pas inféodés à la publicité. Les journalistes n'entendent pas la rupture avec ceux qui les alimentent, les artistes. Il est certain que ceux-ci évitent le sujet de peur d'être boycottés... Le temps d'un passage de pouvoir ! Les chroniqueurs ne comprennent pas que les jeunes qui ne demandent qu'à grandir ont besoin de leur soutien, et que leurs emplois dépendent d'eux fondamentalement. À traiter toujours les mêmes sujets leur prose se tarit. Il n'existe aucune histoire d'amour qui ne soit réciproque. À négliger les mouvements qui fleurissent, et en ces temps critiques la nécessité de s'organiser est de plus en plus urgente, la presse spécialisée est appelée à disparaître parce qu'elle ne réfléchit plus notre actualité, tant dans la forme que sur le fond. Plus que jamais nous devons inventer, et nous devons le faire ensemble, en unissant les forces de tous les corps de métier, toutes les passions, toutes les révoltes.

jeudi 26 septembre 2013

Brigitte Fontaine, reflets et crudité


Au moment où Brigitte Fontaine sort un nouvel album intitulé J'ai l'honneur d'être Thomas Bartel et Benoît Mouchart lui consacrent un documentaire tendre et poétique loin du portrait hurluberluesque qu'en dressent les ignares de la télévision. Si, comme le titrait l'un de ses premiers disques, Brigitte Fontaine est... folle !, sa peur viscérale du monde qui nous entoure l'oblige à transformer sa sensibilité exacerbée en art. Femme cultivée et révoltée, elle pèse chacun de ses mots, les agençant de manière kaléidoscopique pour les faire danser sur les musiques de son compagnon Areski Belkacem ou d'autres amis chers à son cœur. Dans le film de 55 minutes qui sort à Paris le 2 octobre au cinéma Le Nouvel Odéon (en DVD le 18 octobre, La Huit), Moustaki, Higelin, Rufus, Katerine, et bien entendu Areski, lui donnent la réplique. De beaux documents d'archives dessinent une perspective bouleversante à la petite Bretonne tandis que l'île Saint-Louis réfléchit le décor intime de notre poétesse. Elle s'est gentiment pliée au jeu et le film y gagne une fraîcheur que seule offre la liberté, ou du moins son fantôme.


Si Brigitte Fontaine était présente hier soir à La Gaîté Lyrique pour l'avant-première qu'avait organisée Benoît Hické dans le cadre du cycle Musiquepointdoc, elle repartit aussitôt, fidèle à elle-même, laissant le public découvrir une sincérité et une simplicité aussi touchantes que ses chansons provocantes. Car l'orage menaçait dehors et Brigitte le craint... En 1992, lors de l'enregistrement de Amore 529 pour le disque d'Un Drame Musical Instantané Opération Blow Up nous dûmes ajourner le premier rendez-vous à cause d'un très gros orage, Brigitte avait préféré aller se cacher à la cave. Nous n'étions pas au bout de nos surprises. La seconde fois, elle avait souhaité une grande voiture avec quelqu'un à l'arrière avec elle ; cela tombait bien, j'avais une Espace. Bernard Vitet s'est assis à côté d'elle pendant le voyage jusqu'au Père Lachaise où j'habitais alors. J'avais composé un truc tout en douceur pour conforter sa fragilité lorsque entrant dans le studio elle annonça de but en blanc n'être plus branchée que par le rock ! Catastrophe, cette fois c'est moi qui fut vraiment frappé par la foudre. Je dus composer un nouveau morceau en deux heures, programmer l'Atari, pendant que Bernard et Brigitte prenaient le thé à la cuisine. De son côté, elle avait rédigé, de manière fulgurante comme elle en a l'habitude, de superbes paroles, autographiées dans le livret du CD :
Moment de flamme et de vigueur
et amitié jour intérieur
Serait-ce le sillon où se grave la vierge
ou le microsillon poussiéreux des concierges ?
Bernard à la trompette, tout en live sur deux pistes directes. Je marchais sur un petit nuage. L'ayant raccompagnée et dînant à la brasserie en bas de chez elle, j'écoutais Brigitte nous conter ses angoisses avec la lucidité des vrais souffrants, de celles et ceux qui ne peuvent accepter le monde tel qu'il est et ont besoin d'en inventer de nouveaux. Brigitte Fontaine est une magicienne qui retourne le réel comme un gant, faisant apparaître sa doublure en fourrure, strass et peau d'un genre humain plus que nécessaire, vital.

mercredi 25 septembre 2013

Lindsay Cooper, compositrice et bassoniste


Lindsay Cooper s'est éteinte le 18 septembre. Je l'avais découverte au Théâtre des Champs Élysées en 1975 avec Henry Cow et Robert Wyatt. Corinne Léonet me l'avait présentée en 1994 lorsque nous avons réalisé le disque Sarajevo Suite. Lors des séances à Londres, Lindsay semblait fragile. Elle n'avait pas encore révélé la sclérose en plaques qui allait l'affecter terriblement. Elle avait choisi Nightmare comme poème d'Abdulah Sidran à mettre en musique et demandé à Phil Minton de le chanter avec Dean Brodrick aux claviers et Brian Abrahams à la batterie. Il lui manquait un percussionniste au marimba et surtout un joueur d'ondes Martenot. Je lui avais proposé Gérard Siracusa et Thomas Bloch. Nous avons enregistré ce cauchemar au studio The Premises. Lindsay jouait évidemment du basson, elle interprétait également le rôle de la mère et tenait le synthétiseur. Elle avait enregistré la voix d'Ademir Kenovic sur son répondeur. Cette pièce magnifique fut rééditée sur son dernier album, A View From The Bridge, et sur un disque de Thomas, et lorsqu'elle fut créée au Cargo à Grenoble le 30 novembre 1994 dans le spectacle que j'avais mis en scène pour les 38e Rugissants, l'orchestre la développa merveilleusement en improvisant. Gérard était cette fois à la batterie et Thomas avait apporté en plus son cristal Baschet.


Son quintet succédait à la projection du Sniper et clôturait en beauté cette longue soirée. Je garde un souvenir ému de notre collaboration. Nous la savions malade. Les nouvelles alarmantes nous étaient parvenues plus d'une fois. Lindsay était une musicienne exigeante et tendre à la fois, elle pratiquait un instrument rare et contribua à donner au basson des perspectives contemporaines qui ouvriront la voie à de nouvelles expériences.

mardi 24 septembre 2013

Les Affranchis, ensemble et toujours plus nombreux


Il y a quelques temps la nouvelle génération de musiciens français ou vivant en France m'inspirait deux articles. Dans le premier je tentais de les rassembler sous le nom des Affranchis pour exprimer leur affranchissement des modèles américains et des catégories musicales que leur imposent les marchands. Pas question de rejeter l'apport extraordinaire du jazz, du rock ou des minimalistes, mais ces jeunes filles et garçons revalorisent leurs propres terroirs, de la musique classique à la chanson française, des musiques traditionnelles aux plus contemporaines. Ils se moquent des étiquettes et mélangent les influences pour trouver leurs voies personnelles, composant ou improvisant une variété inouïe de nouveaux mondes. Nombreux se reconnurent et m'indiquèrent le nom de celles et ceux de leurs camarades que j'ignorais, et il me faudra encore du temps pour tous les découvrir. Dans le second j'attaquais Jazz magazine sur la place des musiciens étatsuniens par rapport aux Français ou aux Européens. Cette revue est loin d'être la pire et j'aurais pu aussi bien m'en prendre aux rubriques culturelles des grands quotidiens et, pourquoi pas, à la majorité de la presse hexagonale. Je soulignais que l'industrie culturelle américaine, même ses marges les plus rebelles, sert l'impérialisme économique des USA en mettant le pied dans la porte partout dans le monde : faire croire que ses artistes sont les meilleurs, par exemple en musique ou au cinéma, leur permet de faire avaler du Coca Cola ou des MacDo comme vendre des ordinateurs ou des avions, des armes ou des conseils. Aucune agressivité de ma part vers les artistes d'outre-atlantique, nos frères de galère, mais une colère contre les collabos qui, pour la plupart inconsciemment, font le lit de l'occupant.
La France est malade. Elle est malade de son inertie, de son assujettissement économique et aujourd'hui culturel au grand capitalisme qui ne s'intéresse qu'au profit à court terme et à la pérennisation de ce système. En cette période de crise, crise sciemment fabriquée par une caste cynique plus avide et arrogante que jamais, beaucoup se tirent dans les pattes au lieu de se serrer les coudes, et dans les hautes sphères de pouvoir les manipulateurs s'en donnent à cœur joie en laissant les plus faibles sur le carreau. Or plus les choses vont mal, plus la résistance s'organise.
La semaine dernière j'ai participé à deux évènements collectifs encourageants par la solidarité qui s'y est exprimée et la joie d'être ensemble en partageant d'émouvants instants avec tous les présents, musiciens, journalistes, programmateurs, spectateurs, etc. Je coorganisai le concert-hommage à Bernard Vitet à La Java, remarquablement évoqué par Francis Marmande dans Le Monde et Philippe Carles sur le blog de Jazz Magazine (!) et jouai avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang pour fêter l'inauguration de la seconde salle du Triton aux Lilas. À ces deux occasions on put noter le mélange des générations tant sur scène que dans les salles. Il faut dire que l'entrée était gratuite dans les deux cas, un prix trop élevé dissuadant les plus jeunes de s'y montrer. Il y avait longtemps que je n'avais ressenti une atmosphère aussi sereine et heureuse de franche camaraderie. Les barrières de style sautaient, la concurrence laissait place à l'échange, la musique s'en trouvait grandie et la manière de la pratiquer carrément saine. Entendre par là qu'elle retrouvait sa raison d'être, ensemble. Être ensemble. Il restera toujours quelques irréductibles mégalomanes à penser qu'ils sont le sel de la terre, oubliant qu'ils la nourriront bientôt. Leurs jeunes collègues se tourneront de préférence vers les plus généreux qui auront compris que l'on n'emporte jamais rien au paradis puisqu'il s'agit de le construire ici-bas. Ces deux évènements pleins de promesses laissent entrevoir que les temps vont changer et que se préparent, il faut l'espérer et pour ce s'y atteler, de nouveaux lendemains qui chantent.

lundi 23 septembre 2013

Schnock c'est rock'n roll


Je suis dans mon bain. J'ai toujours pris des bains. Dans un entretien avec Jazz Magazine de janvier 1978 nous écrivions "le quotidien, stade ultime de la jouissance, comme dans un bain très chaud" et nous avions demandé que le maquettiste barre très à la main et le remplace par trop. "Comme dans un bain trop chaud." J'ai pris le numéro 8 de la revue Schnock que son rédacteur en chef, Laurence Rémila, m'a donné. J'adore lire dans le bain. Cela m'oblige à y mariner au lieu de sortir tout de suite, pas à cause de la chaleur, mais parce que je m'y ennuie de ne pouvoir bouger. J'ai beau aimer l'eau ce n'est tout de même pas comme la mer ou l'océan. Alors là je lis Schnock. Au bout d'un moment mes lunettes sont couvertes de buée, mais je continue à lire. Et puis le bain refroidit, mais je lis toujours Schnock. Lorsqu'il est devenu froid j'ai failli glisser parce que je n'avais pas lâché la revue des yeux. J'ai enfilé un peignoir, je me suis allongé sur le divan et j'ai fini Schnock. C'est comme les cons, pour être un vieux schnock il faut commencer jeune.
J'ai donc dévoré "la revue des Vieux de 27 à 87 ans" qui ne s'embarrasse d'aucun préjugé pour sonder le passé avec les yeux de jeunes journalistes relatant une époque qu'ils auraient manquée. Il y a donc du sexe, de la drogue et du rock'n roll, ou plus exactement il y en a aussi, et de la pomme ! Le long des 176 pages de cet épais bookzine petit format les entretiens ne mégotent pas sur la longueur, et quel que soit le sujet je suis surpris de m'y intéresser parce que lorsque l'on prend le temps d'interroger des personnalités que les autres revues ne nous rabâchent pas à longueur d'année on voit le monde d'un autre œil. Le comédien Pierre Richard revient sur ses films, le dessinateur Philippe Druillet parle à Charles Berberian, François Jouffa et Geneviève Leroy évoquent la revue de charme lancée par Claude François, on a le droit aux confessions d'Auguste Le Breton, aux vies du compositeur Mort Shuman, de l'homme de radio Georges Lang et l'écrivain Gore Vidal, mais quand le producteur Eric Van Beuren raconte Téléchat qu'il avait créé avec Henri Xhonneux et Topor je n'ai plus qu'une idée, me replonger au plus vite dans cette série délirante de marionnettes où le chat Groucha dialogue avec son micro Mikmak, Lola l'autruche avec le fer à repasser Duramou, et le Gluon avec la fourchette Raymonde et la cuillère Sophie. Et puis nos journalistes ont envie de savoir, une soif inextinguible de ce qui s'est passé avant et peut-être histoire de comprendre comment on en est arrivé là ? Ce sont des fouineurs et ils aiment le soufre, un disque hot de 1976 de Nanette Workman, le film-culte anglais Withnail and I que m'avait conseillé Gary May, les nouvelles de Rachilde et Homem Christo Au seil de l'enfer, le Bissell (!) et une photo de Jean-Pierre Léaud époque de La chinoise. Les précédents numéros avaient en couve Jean-Pierre Marielle, Amanda Lear, Jean Yanne, Daniel Prévost, Gainsbourg, Miou-Miou...
Pour son premier numéro Rémila était venu m'interviewer sur ma collaboration avec Michel Houellebecq, mais, ayant perdu l'iPhone sur lequel il avait enregistré, l'article n'est jamais paru. Alors un grand merci au flûtiste Jocelyn Mienniel, fan total de Schnock, c'est de son âge, qui m'a rappelé l'existence de cette revue au succès imprévisible.

vendredi 20 septembre 2013

Dimanche 78 musiciens au Triton (entrée libre)


Pour fêter l'inauguration de la seconde salle du Triton qui est une petite merveille, nous serons 78 à nous relayer sur les deux scènes. Pour ma part je jouerai dans la salle historique de 21h à 21h20 avec le violoncelliste Vincent Segal et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang ! Les salles seront vidées toutes les heures et demie pour permettre au public de se renouveler si, comme c'est probable, il y a foule dimanche, d'autant que le programme est fameux et l'entrée gratuite....

SALLE HISTORIQUE DU TRITON
14h30-15h : Benjamin Moussay / Claudia Solal
15h-15h20 : Denis Chouillet
15h30-16h : Christophe Monniot « Station Mir »
16h30-17h : Archimusic
17h-17h20 : Sophia Domancich / Simon Goubert
17h40-18h : Joëlle Léandre / Denis Charolles / Yves Robert
18h-18h20 : Himiko Paganotti « Slug »
18h20-18h40 : Hadouk duo
18h40-19h : Sylvain Luc / Didier Malherbe
19h30-20h : Big Dez
20h30-21h : Sophia Domancich « Snakes & ladders »
21h-21h20: Jean-Jacques Birgé / Antonin-Tri Hoang / Vincent Segal
21h20-21h40 : Élise Caron / Edward Perraud
21h40-22h : Louis Sclavis / Edward Perraud / Julien Desprez
22h30-23h : Médéric Collignon « Jus de Bocse » invite Guillaume Perret
23h-23h30 : Franck Vaillant « Raising Benzine »
23h30-00h : Franck Vaillant / Thomas de Pourquery « The Origins »

DEUXIEME SALLE DU TRITON
14h-14h20 : Nima Sarkechik solo
14h20-14h50 : Las Malenas
14h50-15h10 : Joëlle Léandre / Sophia Domancich
15h10-15h30 : Claudia Solal / Benoit Delbecq / ...
16h-16h20 : Michel Portal / Yvan Robilliard
16h20-16h50 : Michel Portal / Daniel Humair / Bruno Chevillon
16h50-17h10 : Daniel Humair / Antonin Rayon
17h10-17h30 : Andy Emler / Yvan Robilliard
18h-18h30 : Andy Emler / Médéric Collignon / Thomas de Pourquery / Claude Tchamitchian / Edward Perraud
18h30-19h : Louis Sclavis / Benjamin Moussay
19h-19h30 : John Greaves « Verlaine Les Airs »
20h-20h30 : Jeanne Added « Yes is a pleasant country »
20h30-21h : Christophe Monniot / Franck Vaillant / Bruno Chevillon
21h-21h30 : Yves Robert / Franck Vaillant / Bruno Chevillon
22h-22h30 : Aldo Romano / Emmanuel Bex / Sylvain Luc / Christophe Monniot
22h30-22h50 : Aldo Romano / Bruno Ruder / Vincent Lê Quang
22h50-23h10 : Vincent Courtois / Vincent Segal
23h10-23h30 : Vincent Courtois « Mediums »

jeudi 19 septembre 2013

Au chevet de l'Europe


Prenez votre courage à deux mains, un marathon nous attend. Une amie octogénaire devait se faire opérer à l'Hôpital Ambroise Paré de Marseille, mais jumelé avec l'Hôpital Paul-Desbief, les deux sont remplacés par l'Hôpital Européen, un établissement privé qui serait en voie de cotation boursière. Avis donc aux spéculateurs de tout poil !

Notre amie appelle pour prendre rendez-vous, tapez 1, musique, tapez 1, sique, tapez 3, etc. , le standard est saturé, impossible de joindre le nouvel hôpital. Bien qu'elle soit handicapée avec son pacemaker, elle se résout à traverser la ville pour qu'en définitive on lui remette un simple questionnaire médical. Rentrée chez elle, elle épluche la page 1, la 2, la 3, tiens ça saute directement à la page 5 ! Il manque une page. Le lendemain elle reprend le chemin du métro. On lui donne un nouveau questionnaire avec, cette fois, le fascicule de conseils, ça peut toujours servir !

Convoquée un dimanche entre 15h20 et 15h30 en vue d'une opération sévère, c'est qu'elle est anxieuse et cardiaque, l'un peut expliquer l'autre, elle monte à l'accueil situé au quatrième étage. En l'absence de ticket d'arrivée numéroté, c'est la foire d'empoigne : il n'y a qu'une seule personne au guichet pour deux salles d'attente bondées et une quarantaine de personnes débordant dans le hall. Le personnel est dévoué, mais pas assez nombreux. Une infirmière explique qu'elle fait 8h-20h, soit douze heures d'affilée sans aucune pause ! Arrivée en avance, anxieuse de la précision de la convocation, notre amie est enfin reçue à 17h. Comme c'est le bordel intégral elle se fait engueuler par des patients qui pensent qu'elle grille la queue. La tension est extrême.

On lui explique que l'hôpital étant non conventionné sa mutuelle couvrira néanmoins le complément pour une chambre simple. Comme les chambres ont deux lits on lui facture donc le double puisqu'elle y sera seule ! 80 euros, mais pour ce prix-là vous n'avez pas vue sur la mer. Les prix sont variables selon les prestations. Pas de téléphone branché et le portable ne passe pas, c'est pratique. Sa feuille de soins précise qu'elle ne doit manger ni crudités ni laitage, on lui sert donc une quiche aux poireaux, du fromage blanc et une salade verte ! On lui explique que l'anesthésiste qui la réveillera ne sera pas le même que celui qu'elle a rencontré...

Son opération est prévue le lendemain à 8h au bloc. On vient la chercher à 10h. Le temps passe. Vers 14h, direction la salle de réveil. Cela ne veut pas dire que ce soit terminé, pas du tout, ils vont pouvoir commencer. Il est prévu qu'elle soit sortie d'opération à 17h30, ses amis attendent le chirurgien qui se pointe à 19h30. Comme il était prévu qu'elle soit opérée tôt le matin, qu'elle ne répond pas au téléphone et qu'ils n'ont pu avoir aucune information ils sont persuadés que cela a mal tourné et qu'elle est morte à cette heure-là ! Mais non, tout s'est bien passé. Je dois être mauvaise langue. On peut pourtant s'attendre à tout. Une amie médecin avait trouvé plus prudent d'écrire directement au feutre sur sa peau "Ceci n'est pas la hanche à opérer" et sur l'autre "C'est la hanche à opérer". On ne sait jamais.

Enfin, ce n'est pas terminé. Un ami qui l'attend décide de retourner à sa voiture. Les couloirs semblent longs de 200 mètres. Il faut descendre au rez-de-chaussée. Il appuie sur le 0 de l'ascenseur, les portes se ferment, la cabine ne bouge pas. Il insiste. Une information s'allume : "appel désactivé". Il tente d'appuyer sur 2e étage ! Rien. Il ne reste plus que l'alarme, mais ça la fiche mal dans un hôpital. Appuyons sans forcer. Rien. Personne. Il insiste de plus en plus. Vraiment personne ? Bloqué, il tente le 1, le 2, le 3, le 4. "Appel désactivé" s'affiche chaque fois. Enfin quelqu'un répond pour lui poser des questions préalables d'une urgence extrême : votre nom ? Votre numéro de portable ? À 81 ans cela n'a rien d'extraordinaire de ne pas s'en souvenir. Il attend patiemment le technicien. Tout à coup les lumières s'éteignent. Dans l'obscurité totale il finit par s'asseoir par terre. Au bout de 45 minutes la porte s'ouvre enfin. C'est le neveu de notre amie qui vient d'appeler l'ascenseur : "Mais tu es encore là ?" Explications rapides... Ils prennent évidemment un autre ascenseur et appuient sur le 0 : "appel désactivé". Notre ami exténué a le temps de crier : "Sors vite !" Les voilà tous les deux dans l'escalier de service. Labyrinthe de couloirs et de salles désertes. Ils croisent enfin quelqu'un. C'est un très vieux monsieur qui s'est perdu. Plus loin des membres de l'hôpital : le personnel ne sait pas où est la sortie !? Nos deux héros finiront tout de même par la trouver. Il ne faudrait pas que j'abuse de votre patience, ça commence à être long !

Comme j'ai l'habitude de vérifier mes sources je googlise l'Hôpital Européen, ce complexe de 600 lits, pour avoir la surprise de trouver aucun site web sous les liens indiqués. C'est incroyable, mais leur site est en panne ou n'est pas terminé. Je vous laisse conclure.

mercredi 18 septembre 2013

Messages échoués sur une plage


Hier soir j'ai ramassé sur FaceBook d'anciens messages qui ne m'étaient jamais parvenus. Elsa m'a suggéré de cliquer sur Autre sous l'icône de l'onglet Messages et des dizaines sont apparus, simplement cachés parce qu'émanant d'utilisateurs non répertoriés comme Amis. Pour revenir à la liste habituelle j'ai cliqué à nouveau sur Boîte...


Le premier provenait d'une amie de Bernard Vitet qui avait appris sa mort et me demandait une adresse, le second de la jeune femme qui avait ramassé mon porte-feuilles dans l'escalier du métro et l'avait remis au guichetier. Je m'étais aperçu de ma maladresse dans le wagon, avais galopé jusqu'à l'entrée, cassé mes lunettes dans la précipitation, convaincu le guichetier de me rendre l'objet perdu, redescendu quatre à quatre l'escalier et rejoint Françoise qui m'attendait dans le train encore à quai. Quelle suée, et quelle joie ! Étonnante impression d'avoir découvert des bouteilles rejetées par la marée après des semaines à flotter sur la Toile. Elsa me raconte que je ne suis pas le seul à ignorer cette ressource. Peut-être devrais-je explorer les bords du cadre avant que le train ne soit déjà parti ou la mer retirée ?

mardi 17 septembre 2013

Simulation d'espaces par le son


Sonoriser des simulations 3D de bâtiments pour des concours d'architecture consiste à faire exactement le contraire de ce que j'ai l'habitude de faire dans mon travail de création. Au lieu de transposer la réalité poétiquement ou de m'en échapper franchement, je dois composer des ambiances ou des évènements réalistes à partir de bruitages à l'origine isolés. Si ces films urbanistiques donnent l'impression que les constructions existent déjà ou du moins permettent aux décideurs de s'en faire une idée, leurs images ressemblent tout de même à des films d'animation, même hypersophistiqués comme ceux pour lesquels je travaille. Le rôle du son est alors d'accentuer l'hyperréalisme en créant une partition sonore qui, elle, sonne absolument vraie.
Je commence toujours par chercher les ambiances adéquates. Les extérieurs dépendent du pays, du quartier, de la distance de la caméra, de l'angle choisi, panoramiques ou survols, etc. Les intérieurs sont plus complexes à traiter, car il faut parfois tricher avec la réverbération. Je peux aller piocher dans ma sonothèque ou partir en reportage pour trouver des ambiances proches de celles que l'architecte a imaginées. Il faut généralement ajouter des automobiles et caler les pas un par un en choisissant méticuleusement les sols foulés. Chaque bâtiment nécessite ensuite des sons particuliers, préfecture de police, palais de justice, médiathèque, ensemble en Guyane, etc. S'il est relativement facile d'agiter des bambous dans le vent ou de faire chanter un lipaugus vociferans dit piauhau hurleur, le traitement des voix est toujours un sujet épineux. On ne doit pas comprendre les mots sans pour autant faire du gromelot tatiesque. Pour les cas très spécifiques je suis parfois obligé de faire appel à des acteurs pour qui j'écris des dialogues de circonstance. Le ton des voix donne celui de la scène. C'est aussi un travail chirurgical. Dernière étape, le mixage joue des perspectives, des dimensions, des intentions des architectes... Ça doit filer sans accroc ! Si ce travail est contradictoire avec mes créations sonores personnelles il est excitant de faire vivre des ouvrages de Renzo Piano ou Jean-Michel Wilmotte qui n'existent pas encore ou n'existeront peut-être jamais.

lundi 16 septembre 2013

33 musiciens rendent hommage à Bernard Vitet ce soir à La Java


Bernard Vitet n'acceptait jamais les choses pour ce qu'elles semblaient être. Son esprit de contradiction poussait à l'analyse. Il nous empêchait ainsi de nous endormir en nous reposant sur les conventions. Ses critiques constructives élevaient systématiquement le débat. Il aurait évidemment adoré que l'hommage qui lui sera rendu ce soir à La Java soit une fête. Il n'aimait pas celles à date fixe, ni son anniversaire, ni le Jour de l'An, ni aucune autre de ce type, mais chaque création sur scène ou en studio nous enchantait. Il manquera évidemment cruellement à celle-ci, émouvante soirée donnée par ses amis musiciens et musiciennes. Leur nombre réduira leurs interventions de 3 à 20 minutes selon les formations, nous entraînant jusqu'à minuit passé. Mon article de vendredi donnait le détail de la distribution. Sa diversité devrait avoir valeur de manifeste. Plutôt que publier une nouvelle photo de notre camarade, j'ai choisi de montrer l'entrée de La Java. C'est celle que je lui aurais envoyée pour l'allécher et le mettre dans l'ambiance. Les lieux où nous jouions nous inspiraient. Celles et ceux qui connaissent cette salle savent de quoi je parle. Les autres découvriront ce lieu incroyable situé au fond de la galerie du 105 rue du Faubourg du Temple. Les portes ouvrent à 20h. L'entrée est gratuite.

dimanche 15 septembre 2013

Bernard Vitet, un drame musical instantané


Lors de l'hommage à Bernard Vitet qui aura lieu demain lundi à La Java, Francis Gorgé jouera avec son propre orchestre et moi avec les camarades avec lesquels je joue le plus souvent aujourd'hui. Tous les trois sommes restés proches jusqu'au bout, mais nous n'avons bêtement pas prévu de commémorer ensemble celui qui fut si longtemps notre meilleur ami, avec qui nous avons enregistré plus d'une quinzaine d'albums en trio ou grand orchestre, et des dizaines d'heures d'inédits que l'on peut trouver sur le site drame.org en écoute et téléchargement gratuits. Un Drame Musical Instantané avait l'habitude de réaliser un disque par an, pas plus, car nous le peaufinions amoureusement jusqu'à sa présentation graphique et les moyens de communiquer sur sa sortie. Le Drame était un collectif où nous partagions tout, les idées, les œuvres, les instruments, les salaires, les droits, l'amitié, etc. C'est probablement la raison pour laquelle la collaboration a duré si longtemps. Francis a quitté le groupe en 1992 pour se consacrer à d'autres activités, mais nous sommes restés en contact. Bernard et moi avons continué jusqu'en 2008 où, après 32 ans, j'ai fini par me résigner à dissoudre le Drame. Cela ne signifiait plus rien si je restais le seul actif du trio original. Selon les époques, certains, comme Tamia ou Françoise Achard, Hélène Sage ou Gérard Siracusa, Frank Royon Le Mée ou Philippe Descepper, et quelques deux cents autres musiciennes et musiciens, en particulier pour le grand orchestre ou les enregistrements d'Urgent Meeting, se sont joints à nous pour partager nos aventures pendant quelques mois, mais le Drame c'était d'abord nous trois. Les plus beaux souvenirs datent évidemment de nos débuts, nous étions jeunes, ambitieux, insatiables... Nous nous sommes vus pratiquement cinq jours sur sept pendant de nombreuses années et les coups de téléphone avec Bernard pouvaient durer plus de trois heures jusque tard dans la nuit. Nous avons sillonné la planète, beaucoup grâce aux ciné-concerts, élaboré des spectacles démesurés, rêvé de nouveaux mondes puisque nous refaisions régulièrement l'actuel dans la fumée de leurs cigarettes, brunes pour Bernard, blondes pour Francis, je ne tirais que sur les joints. Je les roulais avec une machine tandis que Bernard avait une technique unique bien à lui qui lui permettait d'en faire même en marchant en plein vent. Au lieu de souffler dans sa trompette, il vidait le contenu d'une de ses Bastos et aspirait le mélange dans le creux de sa main. J'interdisais la fumette avant les concerts, mais combien de fois ai-je retrouvé mes camarades dans les toilettes se cachant comme des collégiens ! Pour un petit film réalisé en 1987 par Didier Ranz pour l'AFAA nous avions écrit un petit scénario où chacun s'était mis en scène. Bernard avait choisi le toit de la rue Charles Weiss où il nourrissait des centaines de pigeons, avec des graines anti-contraceptives certes. Nous étions les trois meilleurs amis.


Bernard Vitet avait un son de trompette exceptionnel, un velouté unique, encore plus suave lorsqu'il jouait du bugle. Je peux le reconnaître au bout de la deuxième note. C'est évidemment un timbre proche de Miles Davis que Bernard adorait, mais les inflexions sont aussi différentes que la musique. Tous deux jouent de leur instrument comme ils parlent, avec leur propre articulation et les respirations. Lorsque nous faisions plusieurs prises d'un même morceau, nous devions nous arrêter pour Bernard qui redoutait "le pâté de lèvres". Les pauses conviennent à la trompette, elles convenaient aussi à cet être réfléchi qui pesait ses mots, développant les théories les plus surprenantes et les idées les plus abracadabrantes. Il revendiquait de n'avoir qu'une chance sur deux de se tromper et il avait raison. Souvent raison, sauf quand il s'agissait d'organisation ! Il arrivait toujours en retard, perdait tout, oubliait ses partitions, laissait ses instruments dans le coffre d'une voiture pour devoir ensuite les faire rapatrier par avion in extremis pour le concert du soir, disparaissait de scène pour aller chercher une sourdine dans les loges ou parce que le feu d'artifices risquait d'effrayer des pigeons. Mais quand il s'agissait d'accrocher ses mélodies sur la corde à linge que nous avions tendue il n'avait pas son pareil. Un enchantement. Je pourrais parler des heures de nos aventures musicales, de nos conversations à n'en plus finir, de nos éclats de rire, réécouter sa voix, sa trompette, les œuvres enregistrées ensemble ou avant que nous nous rencontrions, j'achète tout ce que je trouve avec lui, mais je ne pourrai plus jamais rien partager avec mon camarade. Le concert-hommage à La Java rassemblera nombreux de ses amis musiciens et musiciennes. Je me fais une joie de partager avec eux ma tendresse ou mon admiration, parce que ma peine ne regardera jamais que moi, comme chacun et chacune d'entre nous. Nous serons plus de trente à jouer pour lui.

Photo d'Un Drame Musical Instantané prise au jardin du Luxembourg le 30 janvier 1981 par Brigitte Dornès, grande amie également disparue cet été.

samedi 14 septembre 2013

Entretien avec Bernard Vitet sur les années 60


À l'occasion de l'hommage à Bernard Vitet que ses amis musiciens et musiciennes lui rendront lundi à La Java, Pierre Prouvèze met en ligne les rushes d'un entretien inédit de 50 minutes qu'il a réalisé le 2 juillet 2006 autour du film sur Colette Magny qu'il prépare depuis plusieurs années. Manière à lui de participer à la soirée du 16 septembre depuis Marseille... Il interroge donc Bernard sur les années 60.


Dans le jardin près de Notre-Dame, sur les bords de la Seine, Bernard Vitet évoque Colette Magny, François Tusques, Alan Silva, le free jazz, Georges Arvanitas, les communistes, Mezz Mezzrow, Pierre Nicolas, Paul Mattei, Jean Greffin, Jean-Claude Fohrenbach, Pierre Dac et Léo Campion...


Mai 68, François Tusques, les conditions financières d'alors, la retraite, Don Byas, les musiciens bretons… Au restaurant où se passe la scène il faut le voir saler et resaler sa saucisse purée, un trait symptomatique de notre camarade. Comme il mettait autant de sucre dans son café il restait à peine la place pour le liquide...


La liberté, Charles Saudrais, les mathématiques, Colette Magny, Françoise Lo (Sophie Makhno)... Le générique se termine sur quelques mesures de Free Jazz de François Tusques tandis que Bernard enfourche, radieux, sa Harley !

Photo © JJB 1979 - Studio GRRR, rue de l'Espérance à Paris

vendredi 13 septembre 2013

Concert-hommage à Bernard Vitet lundi à La Java


La salle de La Java aurait plu à Bernard. La java ! On y va..., comme récitait Marianne Oswald dans la sublime chanson parlée écrite par Jean Cocteau. Elle devait partir sur son yacht pour Java ! C'est dans ce sous-sol colonné que débuta Édith Piaf, qu'y jouèrent Django Reinhardt et Fréhel. Comment trouver lieu plus adapté pour évoquer la disparition de notre camarade qui nous a quittés le 3 juillet dernier ? La cohorte des fantômes donne une âme bouleversante à cet ancien bal recyclé en salle de concert. Si son entrée est gratuite ce soir le bar calmera les assoiffés.

La trentaine de participants de ce concert hommage à Bernard Vitet comptaient vraiment pour lui à moins qu'il n'ait compté pour eux. Souvent les deux. De ses camarades des années be-bop et free jazz aux plus jeunes qu'il aura marqués sans parfois l'avoir jamais rencontré, tous et toutes joueront avec émotion en pensant au grand trompettiste et compositeur. Certains sont absents, n'ayant pu se libérer. Plus nombreux les disparus avant lui. Car Bernard joua avec Django et Gus Viseur, comme avec Gainsbourg, Barbara, Montand ou Claude François. Plus connu pour sa collaboration avec les jazzmen, nombreux les frères et sœurs qui se sont tus, Don Cherry, Chet Baker, Roger Guérin, Jean-Paul Rondepierre, Lester Young, Eric Dolphy, Albert Ayler, Steve Lacy, Beb Guérin, JF Jenny-Clarke, Mac Kak, Eddie Gaumont, l'Art Ensemble de Chicago, tant d'autres... Heureusement il y aura aussi beaucoup d'amis bien vivants dans la salle pour lui rendre hommage.

Le pianiste François Tusques, auquel Bernard fut fidèle, de Free Jazz au début des années 60 jusqu'à son ultime concert en duo, dialoguera avec le batteur Noel McGhie qui était aussi présent sur la suite des Black Panthers de la regrettée Colette Magny, plus tango avec la chanteuse Isabel Juanpera. Autre figure essentielle du parcours de Bernard, des années variétés à la création du Unit, Michel Portal jouera en duo avec le violoncelliste Vincent Segal, probablement un air d'Ayler que Bernard adorait. Jean-Louis Chautemps, doyen de la soirée, retrouvera un de ses anciens élèves et voisin de Bernard rue Pelleport, Christophe Salinier, pour un duo "vite et fort" de saxophones ténor et baryton. Jac Berrocal, dont l'Opération Rhino me permit de faire la connaissance de Bernard, trompettera sur les rythmes de Gilbert Artman. Françoise Achard, autre compagne du début des années 70, chantera vajra avec la violoncelliste Hélène Bass, rejointes par la chanteuse Dominique Fonfrède, le saxophoniste Jouk Minor et l'accordéoniste Claude Parle. Également à l'accordéon, Michèle Buirette accompagnera Elsa Birgé pour deux chansons que nous composâmes avec Bernard pour Elsa lorsqu'elle avait 6 ans ! Écris-moi une chanson, Cause I've got time only for love ; Hervé Legeay y était déjà à la guitare tandis qu'Antonin-Tri Hoang remplacera au sax alto le chorus que notre ami aurait improvisé à la trompette. L'influence de Bernard sur les jeunes générations ne fera que grandir. Max Robin accompagnera à la guitare Michèle Buirette pour une chanson qu'elle chantera elle-même. Le pianiste Benoît Delbecq m'a promis que je ne serai pas le seul à apporter une trompette de poche, il sera le quatrième de la partie de bridge que j'interpréterai au clavier avec Vincent Segal au violoncelle et Antonin-Tri à la clarinette basse. Vincent aura prêté main forte à Francis Gorgé, mon camarade de lycée avec qui nous avions fondé le groupe Un Drame Musical Instantané avec Bernard en 1976, qui a réuni ce soir l'écrivain Dominique Meens, Denis Colin à la clarinette basse et Geneviève Cabannes à la contrebasse pour accompagner à la guitare plusieurs chansons dont L'invitation au voyage de Baudelaire-Duparc, Hélène Sage étant retenue à Toulouse. Jean-Brice Godet et Étienne Brunet feront duo de clarinettes basses, mais allez savoir quelles surprises recèle la soirée ! Notre troisième pianiste, Luc Saint-James, accompagnera la courte apparition de notre troisième accordéoniste, Norbert Aboudarham... Un troisième violoncelliste, Didier Petit, mais cette fois en trio avec Sylvain Kassap, cinquième clarinette basse de la soirée, et le batteur Gérard Siracusa, tous trois ayant fait leurs débuts auprès du disparu... Remarquons qu'accordéon, clarinette basse et violoncelle appartiennent plus à la tradition européenne qu'au jazz américain. J'adore le passage vidéo de Carton quasi brechtien où mon camarade raconte qu'à la Libération il adopta étourdiment la culture de l'occupant !

Dans le cadre de la programmation mensuelle de Jazz à La Java la soirée (lundi 16 septembre à 20h) est organisée à l'initiative du label Futura qui publia La guêpe, d'abord en vinyle puis le réédita en CD. J'ai évidemment soutenu Gérard Terronès dans l'aventure de ce soir qui, loin de reléguer notre camarade aux oubliettes, le propulse dans l'avenir, lui qui n'aimait le passé qu'en architecture, mais lorsqu'il s'agissait de musique préférait inventer plutôt que ressasser. Chaque note de cette soirée lui est dédiée, avec les silences qui les entourent de la plus immense tendresse, sans ne jamais négliger le potentiel révolutionnaire de son art qui est aussi le nôtre pour que nous le partagions avec tous. À cet instant Bernard aurait levé le poing, évidemment ganté comme les athlètes noirs des Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Vivan las utopias !

Photo © JJB 1992

jeudi 12 septembre 2013

Hamm et Radcliffe trinquent à Bulgakov


A Young Doctor's Notebook est une fantaisie cynique et saignante à l'humour noir anglais décapant, emprunte d'une forte monotonie dépressive typiquement russe. La saison 1 de cette courte série de 4 épisodes de 25 minutes est adaptée des histoires courtes et semi-autobiographiques de Mikhaïl Boulgakov, le célèbre auteur du Maître et Marguerite. Ses Carnets d'un jeune médecin, publiés en 1925-1926 sous forme d'articles et rassemblés ensuite sous le titre Morphine, s'inspirent de l'expérience personnelle de Bulgakov dans le petit village de Muryovo à l'aube de la Révolution soviétique de 1917. Le principal ressort dramatique consiste à faire dialoguer le Dr Vladimir Bomgar à deux âges différents par deux acteurs déjà culte, Daniel Radcliffe et Jon Hamm ! Le premier est Harry Potter, le second le héros de la série Mad Men.


Si Daniel Radcliffe s'emploie à casser l'image proprette de Harry Potter malgré ses problèmes réels d'intoxication à l'alcool et des céphalées monstrueuses, Jon Hamm a déjà prouvé qu'à la télévision il savait sombrer dans l'alcool et se mettre minable. Cette fois le couple a donc à l'écran fort à faire avec la seringue, entraînant évidemment de pénibles complications dans les scènes de 1934 comme celles de 1917. Fan de Boulgakov qui fut en effet morphinomane, Radcliffe choisit lui-même Hamm pour lui donner la réplique dans cette farce désabusée qui a déjà connu un beau succès en Grande-Bretagne. Les deux larrons se sont bien amusés, mais ils ont du mal à trouver un nouveau créneau dans leurs plannings hyperchargés pour tourner la seconde saison annoncée. Cette production Sky Arts sort en DVD le 1er octobre aux Éditions Montparnasse.

mercredi 11 septembre 2013

Éric Vernhes expose ses machines anthropoïdes


Le terme anthropoïde évite de sexuer les machines androïdes ou gynoïdes qu'Éric Vernhes assemble dans son laboratoire, même si le désir anime leur conception, puisant dans les profondeurs de l'inconscient ou les souvenirs les plus intimes. Pour matérialiser ses rêves et ses fantasmes l'artiste aura appris à maîtriser la matière, programmant les ordinateurs, assimilant l'électronique numérique comme l'analogique, filmant, soudant, sciant, collant, accumulant les techniques pour s'approcher de son modèle, au-delà de l'individu, le rapport humain, un entre-deux. La collection d'histoires qu'il a imaginées a pris corps à force de travail. Les machines tiennent leur esthétique seulement de leurs composants. De l'utilité Vernhes accouche d'une forme. Hériter du Villiers de L'Isle-Adam de L'Ève future ou de L'inhumaine de Marcel L'Herbier, Vernhes, qui partage avec Jules les visions critiques d'un futur imminent, fait danser les mains d'Orlac sur les claviers de L'interprète en se prêtant au jeu troublant de la musique. Dans l'accompagnement du film muet les deux interagissent, refusant qu'image ou son jouisse de quelque priorité.


Dans presque toutes ses œuvres, ce va-et-vient entre le spectateur et un miroir mécanique qui lui répond se rendent la politesse. Avec De notre nature, inspiré par Lucrèce, les mouvements des visiteurs projetés sur l'écran font bouger les billes d'acier dans une cymbale dont le son amplifié transforme à son tour les éclaboussures vectorielles de notre image décomposée, recomposée. Pour GPS1 ou GPS3 les voix synthétiques des GPS détournés jouent de la séduction des mots. C'est de l'impossible résolution que naissent le désir et la fascination.


Ayant déjà évoqué le travail d'Éric Vernhes dans cette colonne il ne me reste qu'à y projeter mon double, là, dans la nature des choses, spectre aux côtés du plasticien et de Jean-Jacques Palix, autre visiteur alter ego (arrêt sur image immortalisant la scène !)... Au rez-de-chaussée de la Galerie Charlot où sont exposées toutes ces œuvres jusqu'au 12 octobre, l'horloge de Ses nuits blanches donne aux films de famille d'étranges ondulations au rythme du balancier. Au sous-sol, les Témoins de Fukushima renvoient le son du vide qu'un transistor débranché transforme en bruit blanc. Enfants nous regardions les circuits imprimés comme des paysages, adultes nous survolons les villes en nous souvenant de nos enfantillages. Partout des cadres figent des instants d'images sur papier cotonné comme les traces abordables de machines qui prendront un jour la tangente, laissant leur créateur seul face à lui-même, Frankenstein dépassé par des créatures que s'approprie légitimement le public.

mardi 10 septembre 2013

Station Pain


Denrées de première nécessité. L'ancienne station-service a été transformée en dépôt de pain. À l'emplacement des pompes se dressent deux grandes armoires distributrices. Le boulanger est malin et il a de l'humour. On a toujours le choix, mais ce n'est plus du super ou du diesel. Baguette, ficelle ou chocolatine ? Le prix est payé en espèces et le pain chaud tombe comme une canette. Aux heures d'ouverture on peut aller directement à la boutique; sinon on s'arrête au drive-in : emballé, c'est pesé.
J'ai acheté une diesel, parce que que cela consomme moins et la pub disait que c'était moins polluant que l'essence. Il y avait du moins des sigles "éco" un peu partout. Aurais-je confondu économique et écologique ? L'année suivante je lis que le diesel est si polluant qu'il mérite d'être taxé. Comme si on ne pouvait pas intervenir en amont, auprès des constructeurs et des raffineurs. Comme si on ne pouvait pas inventer autre chose. Privilégier les transports en commun, construire des parkings aux portes des villes ou devant les gares. À Montpellier on paye un forfait parking + tramway. Il y a de la place. C'est simple et efficace. Les lobbys automobiles et pétroliers empêchent que l'on repense le système.
Comme les transports urbains, le pain devrait être gratuit, mais mon boulanger n'est pas d'accord. C'est pareil. Si l'on veut changer les choses on ne peut pas se contenter de réformettes. Il faut inventer, bousculer, recycler, prendre le risque de mécontenter. Il n'y a qu'à changer aussi le système électoral. Tout est coincé, sclérosé. Le pays est trop vieux. Les radoteurs sont à la solde des banques. La pente raide nous fait glisser vers le pire, l'illusion du changement. Les faits sont pourtant là, mais on préfère glisser son bulletin de vote pour se donner bonne conscience, pas pour que cela change. Ce sera chaque fois pire.
En attendant la catastrophe on fait le plein pendant que le gouvernement fait le vide.

lundi 9 septembre 2013

Culture des élites et culture des masses


Une fois n'est pas coutume. J'ai pris la liberté de recopier un extrait du premier chapitre du livre Le XXe siècle à l'écran (Ed. du Seuil) écrit en 2002 par Shlomo Sand sur les rapports du cinéma et de la politique. Si l'historien rapproche les sujets des films de ceux qui ont marqué le siècle, à savoir la formation des démocraties, la Première Guerre Mondiale, la naissance du communisme, l'avènement des crises économiques, le fascisme et le nazisme, la Guerre froide, le colonialisme et la décolonisation, j'ai plus été intéressé par son introduction et sa conclusion. Pour un cinéphile sa lecture des films n'apporte pas grand chose, mais son regard distancié d'historien est aussi passionnant que dans ses ouvrages plus récents comme en particulier Comment le peuple juif fut inventé. L'extrait aborde un sujet cher à tous les créateurs qui rêvent de rencontrer leur public en faisant tout pour le déstabiliser !

L'un des phénomènes les plus marquants liés à l'avènement de la démocratie pluraliste en Occident — où les élites politiques dépendent désormais du vote majoritaire — est l'émergence d'une large culture de masse. Le suffrage universel eut pour corollaire l'instruction obligatoire et la création d'institutions d'enseignement général, condition de la formation d'un citoyen conscient de son appartenance au nouvel État-nation. Par ailleurs, la deuxième révolution industrielle modifie radicalement les besoins culturels des foules. Lentement, mais de façon constante, cette révolution va changer le mode de vie des populations en Europe occidentale et en Amérique du Nord et permettre à la démocratie nouvelle de prendre racine.

La consommation de masse engendre la production accélérée et en grandes quantités. La technologie industrielle s'adapte à la distribution de produits uniformes, bon marché et rentables qui vont désormais dicter les modes de la nouvelle consommation. Des maisons, des rues, des chaussées, des véhicules privés et publics, des habits qui s'usent et se démo- dent, des journaux illustrés, des romans-feuilletons — autant de produits qui constituent désormais ce nouveau tissu matériel et culturel issu d'une activité industrialisée.

La modernité culturelle qui accompagne la modernisation technologique est donc bien une culture de la copie par excellence, puisque le moyen le plus efficace de produire vite et bon marché est de copier. Ainsi, la majorité des produits offerts aux masses est forcément des produits d'imitation et de reproduction. La culture démocratique est fondamentale- ment une culture de représentations uniformes, de signes et de symboles semblables, bref, une culture de consommation uniforme, qui modifie aussi les perceptions visuelles et les goûts esthétiques. Cette culture de la copie a caractérisé le xx' siècle et a entièrement remodelé la sphère de vie des humains. Les changements furent si rapides qu'il n'est pas exagéré de dire que le monde a changé plus vite durant les cent dernières années que durant les deux mille ans qui les ont précédées.

La réaction d'une partie des élites culturelles — en particulier celles préposées à la production culturelle à l'intention des classes supérieures — fut fort intéressante et pourra aider à mieux comprendre par la suite la spécificité du cinéma. Face à cette culture moderne de la copie qui s'affirme et se propage, naît en fait une nouvelle culture élitiste. En art comme en littérature, apparaissent à la fin du xix' siècle des courants qui se voient bientôt qualifiés de culture « moderniste ». De l'impressionnisme et du symbolisme jusqu'au surréalisme et au roman du «monologue intérieur » en passant par l'expressionnisme et le futurisme, les artistes de l'avant-garde se mettent à produire une culture aux formes tout à fait étonnantes. Il est vrai que dans un premier temps les élites sociales et économiques ne furent pas enthousiasmées par ces innovations et continuèrent à «consommer » les œuvres prémodernistes, comme le bon vieux néoclassicisme ou le romantisme de la première moitié du xix' siècle. Bien vite, cependant, elles se nourrirent de ces nouvelles formes artistiques et devinrent les consommateurs avides de la révolte moderniste dont elles étaient, en fait, les cibles. On peut constater, non sans une certaine ironie, que l'hostilité des modernistes à l'égard de la bourgeoisie n'a pas empêché celle-ci de se les approprier.

Il est difficile de définir précisément le dénominateur commun de toutes ces formes de modernisme qui ont régné sur la « haute » culture des cent dernières années. Du point de vue des idées comme du style, il existe des différences fondamentales entre un tableau de Paul Cézanne et une peinture de Salvador Dali, entre un poème de Stéphane Mallarmé et un roman de James Joyce. Est-il possible d'ailleurs de comparer des formes d'expression aussi variées ? Et pourtant, à un haut niveau d'abstraction, il est permis d'avancer qu'une quête éperdue de l'originalité unit tous ces courants dits «modernistes». Le besoin d'unicité et d'originalité de l'artiste est au cœur même de cette nouvelle culture.

De ce point de vue, le modernisme culturel apparaît comme l'antithèse par excellence de la culture moderne de masse, c'est-à-dire comme un phénomène antimoderne par essence. Ce n'est pas un hasard si cette recherche du spécifique, du personnel et de l'extraordinaire qui caractérise le modernisme a lieu alors que débute une période où la plupart des produits sont des copies et des reproductions, et sans doute exprime-t-elle dès lors une nouvelle sensibilité. Sans doute aussi, cette aspiration à l'unicité a-t-elle permis à l'intellectuel élitiste et au bourgeois moderne de clarifier et d'approfondir leurs propres formes de conscience et d'autoperception. Toutefois, il n'est pas faux de voir dans le modernisme une réaction élitiste de classe, dont le but est de se singulariser vis-à-vis de la nouvelle culture de duplication destinée aux masses. Pour créer une anti- thèse à cette culture démocratique de la copie, l'original et l'unique deviennent désormais l'aune à laquelle on jugera le niveau, la qualité et même la beauté d'une œuvre.

vendredi 6 septembre 2013

Dev.D pulvérise les conventions bollywoodiennes


Excellente surprise à la projection de Dev.D, treizième adaptation à l'écran de Devdas, roman Bengali de Sarat Chandra Chattopadhyay, qui en a connu une quinzaine depuis 1927, la plus connue en France étant la version hindi de 2002 réalisée par Sanjay Leela Bhansali et sélectionnée alors au Festival de Cannes. Sept ans plus tard, Anurag Kashyap tourne ce nouveau remake en débordant largement les conventions auxquelles Bollywood nous a habitués. En 2012 il réalisera la saga Gangs of Wasseypur, brutale évocation d'une sanglante vendetta.


Si la descente aux enfers est un classique du cinéma indien les provocations à caractère sexuel sont surprenantes pour un genre qui tient plus des Bisounours. Malgré le côté noir du film l'happy end reste de rigueur et les couleurs magnifiques de la photo explosent en cauchemar psychédélique. Quant à la musique signée Amitabh Bhattacharya elle participe à une partition sonore inventive qui dynamise l'action. On est loin du sirop servi par le cinéma américain et ses suiveurs européens. Au son, Kashyap ne craint ni les coupes sèches ni un certain décalage humoristique. Mais ce qui fait le principal intérêt de Dev.D est son portrait sans concession du machisme qui ruine tous les rapports. Les hommes sont lâches, orgueilleux, menteurs, manipulateurs, autoritaires, violents, suicidaires face aux femmes qui tentent désespérément de s'en affranchir. Le film les montre courageuses, solidaires, tolérantes, éprises de justice, et d'une certaine manière révolutionnaires en comparaison de la société patriarcale qui les étouffe. C'est dire si les conventions bollywoodiennes sont bafouées, apportant un supplément d'âme ou de conscience sociale aux amateurs et amatrices du cinéma populaire indien.


Vous trouverez Dev.D en DVD pour une bouchée de naan.
De mon côté, dès les jours prochains je prévois de regarder l'intégrale Kashyap soit Paanch (2003), Black Friday (2004), No Smoking (2007), Return of Hanuman (2007), Gulaal (2009), qui semble prometteuse... Car entre temps j'ai vu That Girl in Yellow Boots (2010) qui m'a captivé, cette fille à la recherche de son père révèle une histoire insensée, plongée noire dans le monde de la prostitution déguisée où la fiction a d'étonnants relents documentaires...

jeudi 5 septembre 2013

Bouvard et Pécuchet à moi tout seul


Le mortier n'a rien à voir avec celui que mon grand-père évoquait régulièrement dès qu'on le branchait sur la guerre de 14. Dommage, car à force qu'il en rabâche la balistique raffinée peut-être aurais-je été plus apte à calculer la trajectoire d'un obus qu'à combler des trous dans mon jardin ? D'un autre côté, lors des trois jours du service militaire j'ai refusé de cocher les cases du questionnaire liées au bombardement et je me suis fait réformer. Rien à regretter. Quarante ans plus tard, je me faisais une montagne des creux au milieu du dallage qui mène à notre porte d'entrée quand un copain me suggéra d'acheter du mortier, mélange tout prêt de ciment, sable et je ne sais quoi à mouiller pour en faire une pâte applicable à la truelle. Le problème avec ce genre d'activité vient du fait que je ne suis pas bricoleur pour deux ronds. J'ai donc consciencieusement rassemblé le matériel sans être certain de m'y prendre ensuite correctement, y compris dans le maniement de la taloche. Il semble que la fonction de cet ustensile soit de lisser après que j'ai bouché les excavations provoquées par l'éclatement des dalles sensibles aux variations de température. Après pesage sur la balance de la cuisine des différents ingrédients, soit l'eau et la poudre, me voici à quatre pattes dès l'aube à gratter les mousses avec une brosse en métal. Je fais monter l'enduit en mayonnaise et j'éradique les pièges à talons aiguilles en y mettant souvent les doigts bien que le mode d'emploi stipule que c'est totalement déconseillé. J'ignore les méfaits du produit, mais j'ai l'impression que mes doigts sont devenus aussi lisses que les fesses d'un nourrisson, ce qui correspond bien à mon niveau dans l'échelle des compétences maçonniques.
Prudent, j'ai gardé pour demain la confection de la marche qui s'est désintégrée sous le seuil en métal, sachant que je devrais avoir recours à une planche pour presser l'enduit et l'empêcher de se répandre en glissant. Nouvelle épreuve en perspective. J'ai 24 heures pour constater la qualité de mon travail expérimental qui me rappelle fortement ma lecture de Bouvard et Pécuchet.
(...) Le lendemain, si le résultat me semble satisfaisant hormis l'esthétisme, je ne peux évidemment plus bouger. Je remplace l'Ixprim par un cocktail reine-des-prés/cassis/harpagophytum censé soulager mes douleurs lombaires sans risquer/profiter d'effets secondaires plus ou moins fantasmés. Le ciel gris menaçant, je repousse à plus tard mes génuflexions cimenteuses et m'immerge dans un bain bouillant, algué et moussant qui me fait oublier les tâches ménagères.
La seconde épreuve me conforte dans mon incompétence et m'encourage à réitérer. J'aurais dû démonter le seuil et fabriquer un coffre pour la marche. De toute manière je n'ai pas assez de mortier. Pourtant ça tient. Je suis partagé entre la satisfaction de m'y être collé et mon inappétence qui m'empêche de mener à bien une affaire pas si compliquée. Après avoir nettoyé les ustensiles je retrouve mon assurance et vogue vers de nouvelles aventures.

mercredi 4 septembre 2013

Công Binh, la longue nuit indochinoise


Je me souviens de la méticulosité exceptionnelle du jeune Lam Lê dans les années 70. Il avait composé son story-board comme une véritable bande dessinée. Exploitant son sens du découpage, le cinéaste reviendra chaque fois sur ses racines. Après avoir réalisé une trilogie indochinoise (Rencontre des nuages et du dragon, Poussière d’empire, 20 nuits et un jour de pluie) et signé un scénario adapté de la BD La Marque Jaune (sic), son quatrième film est un documentaire passionnant sur les 20 000 Vietnamiens enrôlés de force pour travailler dans les usines d'armement françaises à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Bloqués en France par la débâcle de 1940 ces travailleurs forcés vivront dans la misère, exploités par les patrons collabos, parqués la faim au ventre, pour qu'au retour dans leur pays d'origine ils soient considérés comme des traîtres pour avoir œuvré pour l'occupant, ici la France.


Công Binh est le nom donné à ces laissés pour compte du colonialisme le plus abject. Mêlant documents d'archives, scènes reconstituées, une mise en scène originale des célèbres marionnettes sur l'eau de Hanoï, la lecture des Damnés de la Terre de Frantz Fanon, des entretiens avec les survivants qui ont tous plus de 90 ans et dont cinq mourront pendant le tournage, Lam Lê construit un documentaire politique renversant en inventant une forme qui colle à son sujet. Sa mise en scène est loin des évocations paresseuses dont le genre fourmille souvent. De révélation en révélation, nous avançons dans la longue nuit indochinoise, aussi grave que les évènements qui ensanglantèrent l'Algérie au lendemain de la Libération. Les công binh s'organisèrent, tentés par un trotskisme qui ne frayait pas avec le stalinisme, ce qui n'arrangea pas leur relation à l'Oncle Hô. Au détour d'un plan je reconnais avec émotion le camarade Tri, père et grand-père de mes amis. Ces courageux Vietnamiens sont aussi à l'origine de la culture du riz comestible en Camargue. Bémol récurrent, la mélodie de piano, mélange niaiseux de classique et d'orient, banalise systématiquement la bande-son. Il n'empêche que le film, dont les bonus accompagnant le DVD publié par Blaq out sont aussi passionnants (exemple cet entretien de Lam Lê avec Pierre Crézé pour Univers-Ciné), est une merveille d'intelligence et de sensibilité. Il a de plus le mérite de nous offrir une leçon d'histoire époustouflante que la plupart d'entre nous ignorait, symptomatique de comment la France occulte ce qui la dérange, de la collaboration à la colonisation.

N.B.: long article de Pierre Daum sur Mediapart

mardi 3 septembre 2013

Le village du prisonnier


Pendant longtemps il y eut des vignes à perte de vue. Avant, qui sait ? Les promoteurs ont acheté la terre. Se seraient-ils mis à l'eau ? On peut en douter. La ville gagne partout sur la campagne. On bitume, on monte, on couvre. Ils ont construit une ville morte. Pourtant son kiosque abrite de temps en temps un concert. Depuis la maison autrefois isolée de notre amie, un soir on entendit celui de trois ténors. Nous avons cru que c'était le son d'une radio ou d'un auto-radio, mais le lendemain une affichette nous détrompait. Les commerces ressemblent au décor pomponné d'un luxueux train électrique. Depuis les roseaux on attend en vain âme qui vive. Rien ne bouge. Nulle Juliette ne se penche au balcon. Aucune jumelle ne cherche son marin. Ce village de comédie musicale rappelle le célèbre feuilleton anglais où le Numéro 6 revendiquait d'être un homme libre. Il ne manque que le rôdeur, énorme boule blanche et molle qui ramenait au bercail les fuyards. Ici on ne fuit pas. On rentre sagement au bercail après le travail en ville. Tout est parfait dans le meilleur des mondes.

lundi 2 septembre 2013

Puissance de feu américaine


Gérard Terronès m'ayant signalé un article de Jazz Magazine sur la mort de Bernard Vitet j'ai pédalé jusqu'au marchand de journaux pour acheter le numéro de septembre. Philippe Carles y évoque Un autre virtuose en le comparant à Miles Davis, son modèle, et Chet Baker avec qui il joua six mois à deux trompettes, certains affirmant que Chet modifia son style après cette collaboration. Les trois quarts de l'article font référence au premier quart de la carrière de mon camarade, chacun contant l'histoire selon la sienne propre, et Carles relate son siècle avec toujours autant de classe que de sincérité.

Comme j'ai plusieurs fois attaqué cette revue pour sa préférence à enfoncer les portes ouvertes par l'armée américaine plutôt qu'à défendre la jeune génération des artistes hexagonaux, je me suis plongé dans sa lecture studieuse et constaté qu'en effet les 10 pages consacrées aux Français font difficilement le poids contre les 60 des anglo-saxons. N'ayant pas tenu compte de la publicité je n'en ai pas moins fait le rapport avec le contenu rédactionnel, mais aucune publication ne peut résister aux pressions de ses annonceurs, d'où l'importance des médias qui s'en passent comme Médiapart, ou dans le secteur abordé aujourd'hui Le Journal des Allumés du Jazz.

Le dossier sur John Zorn qui fait la couverture et occupe à lui seul 32 pages est particulièrement bien fait. On sait la difficulté à convaincre le New Yorkais à se livrer en interview. Contournant l'obstacle, David Cristol interroge le guitariste Marc Ribot et quelques autres musiciens, tandis que Stéphane Ollivier recueille le témoignage du producteur Jean Rochard, l'un des premiers à avoir mis le pied à l'étrier au compositeur-saxophoniste ; il demande aussi au jeune Antonin-Tri Hoang de commenter le jeu du souffleur sur quatre disques choisis. Pascal Rozat qui supervise l'ensemble, secondé par ces deux-là plus Lionel Eskenazi, classe l'œuvre en dix sections regroupant les albums majeurs de l'imposante discographie : Impro (pas si) libre / Zornifications / Cinéma à la carte / Naked City : Peur sur la ville / Cris d'orfèvres / Radically Jewish / Easy Zorning / Initiations rituelles / Contemporain / Les inclassables. Il faudrait ajouter le concert de louanges qui accompagne ce dossier sans aucune distance critique, car si les chefs d'œuvre abondent, il y a tout de même un paquet de ratages et de roueries opportunistes.

L'équivalent européen de Zorn est inimaginable tant l'investissement financier est disproportionné. Entendre qu'il est difficile de lutter contre la force de frappe des banques et des fondations politiquement insidieuses qui soutiennent tant son travail de créateur que de producteur (Tzadik). Ici comme ailleurs, les institutions étatsuniennes savent que l'art est un pied dans la porte à l'exportation et que l'industrie culturelle est l'avant-garde de leur impérialisme. La promotion de la moindre de ses marges est un pion essentiel dans le jeu de go que livrent les États-Unis avec le reste du monde. Que les journalistes de notre pays ne tempèrent pas ce déséquilibre économique est de l'ordre de la collaboration. Raison pour laquelle je mettais récemment en valeur Les Affranchis, des dizaines de jeunes artistes locaux qui, pour certains à talent égal avec les meilleurs Américains, n'auront jamais les moyens de promouvoir leur travail et donc ceux de créer des œuvres à la mesure de leur ambition. Une œuvre comme celle de John Zorn est impensable en dehors des USA car pour s'épanouir elle nécessite d'une part des financements importants et d'autre part une communication cohérente, communication que leur offrent, le plus souvent gracieusement, les médias étrangers fascinés par le modèle d'outre-atlantique. Ceci est valable pour la musique, le cinéma, la littérature, les arts plastiques, etc. Sans la collaboration servile ou aveugle d'une partie d'entre nous cette inégalité des chances se perpétuera à moins que la résistance solidaire s'organise et remette les envahisseurs à leur place, soit un partage qui n'exclut personne, mais revalorise tous les terroirs sans exclusivité ni favoritisme exacerbé. Et que l'on ne s'y trompe pas, j'apprécie les artistes étatsuniens comme les autres.

Le reste de Jazz Magazine évoque, entre autres, la triste disparition de deux autres musiciens que j'ai beaucoup applaudis, George Duke et Alain Gibert, et la tournée de l'ONJ au Maroc (concert unique le 28 septembre à l'IMA). Il y a de belles photos, de grands écarts chronologiques dans les disques chroniqués et des annonces de concerts tels celui qui rendra hommage à Bernard Vitet le 16 septembre à La Java.