Je suis dans mon bain. J'ai toujours pris des bains. Dans un entretien avec Jazz Magazine de janvier 1978 nous écrivions "le quotidien, stade ultime de la jouissance, comme dans un bain très chaud" et nous avions demandé que le maquettiste barre très à la main et le remplace par trop. "Comme dans un bain trop chaud." J'ai pris le numéro 8 de la revue Schnock que son rédacteur en chef, Laurence Rémila, m'a donné. J'adore lire dans le bain. Cela m'oblige à y mariner au lieu de sortir tout de suite, pas à cause de la chaleur, mais parce que je m'y ennuie de ne pouvoir bouger. J'ai beau aimer l'eau ce n'est tout de même pas comme la mer ou l'océan. Alors là je lis Schnock. Au bout d'un moment mes lunettes sont couvertes de buée, mais je continue à lire. Et puis le bain refroidit, mais je lis toujours Schnock. Lorsqu'il est devenu froid j'ai failli glisser parce que je n'avais pas lâché la revue des yeux. J'ai enfilé un peignoir, je me suis allongé sur le divan et j'ai fini Schnock. C'est comme les cons, pour être un vieux schnock il faut commencer jeune.
J'ai donc dévoré "la revue des Vieux de 27 à 87 ans" qui ne s'embarrasse d'aucun préjugé pour sonder le passé avec les yeux de jeunes journalistes relatant une époque qu'ils auraient manquée. Il y a donc du sexe, de la drogue et du rock'n roll, ou plus exactement il y en a aussi, et de la pomme ! Le long des 176 pages de cet épais bookzine petit format les entretiens ne mégotent pas sur la longueur, et quel que soit le sujet je suis surpris de m'y intéresser parce que lorsque l'on prend le temps d'interroger des personnalités que les autres revues ne nous rabâchent pas à longueur d'année on voit le monde d'un autre œil. Le comédien Pierre Richard revient sur ses films, le dessinateur Philippe Druillet parle à Charles Berberian, François Jouffa et Geneviève Leroy évoquent la revue de charme lancée par Claude François, on a le droit aux confessions d'Auguste Le Breton, aux vies du compositeur Mort Shuman, de l'homme de radio Georges Lang et l'écrivain Gore Vidal, mais quand le producteur Eric Van Beuren raconte Téléchat qu'il avait créé avec Henri Xhonneux et Topor je n'ai plus qu'une idée, me replonger au plus vite dans cette série délirante de marionnettes où le chat Groucha dialogue avec son micro Mikmak, Lola l'autruche avec le fer à repasser Duramou, et le Gluon avec la fourchette Raymonde et la cuillère Sophie. Et puis nos journalistes ont envie de savoir, une soif inextinguible de ce qui s'est passé avant et peut-être histoire de comprendre comment on en est arrivé là ? Ce sont des fouineurs et ils aiment le soufre, un disque hot de 1976 de Nanette Workman, le film-culte anglais Withnail and I que m'avait conseillé Gary May, les nouvelles de Rachilde et Homem Christo Au seil de l'enfer, le Bissell (!) et une photo de Jean-Pierre Léaud époque de La chinoise. Les précédents numéros avaient en couve Jean-Pierre Marielle, Amanda Lear, Jean Yanne, Daniel Prévost, Gainsbourg, Miou-Miou...
Pour son premier numéro Rémila était venu m'interviewer sur ma collaboration avec Michel Houellebecq, mais, ayant perdu l'iPhone sur lequel il avait enregistré, l'article n'est jamais paru. Alors un grand merci au flûtiste Jocelyn Mienniel, fan total de Schnock, c'est de son âge, qui m'a rappelé l'existence de cette revue au succès imprévisible.