Énorme succès à La Java mercredi soir pour mes premiers pas sous appellation techno. Plutôt que de répondre à chaque camarade qui m'interroge sur la soirée, écrire peut m'éviter de rabâcher la même histoire à l'infini. C'est que des copains j'en ai pas mal, même si aucun ne s'est déplacé pour assister à cette incroyable soirée ! Manque de curiosité, a priori sur le genre musical, coïncidences, planning chargé, oubli, enfants en bas âge, mieux à faire, information reçue trop tard ? Dommage pour eux, car nous nous sommes bien amusés devant le public enthousiaste. Le set expérimental de DJ Ron Morelli acheva de me décomplexer de ne pas savoir faire danser. Jorge Velez enchaîna avec un solo live plus rythmique auquel j'emboîtai le pas également en solo sans temps mort. J'ai l'impression d'avoir réalisé une sorte de plunderphonics live, techno maximaliste à base de sons électroniques et de rythmiques diaboliques, de voix, radiophonies et trompettes à anche. Le duo avec Velez (© Photo 1 Françoise Romand) était plus magmatique, pâte sonore d'une rare intensité où l'improvisation prolongea nos conversations à bâtons-rompus. Plus classique, Tuff Sherm aka Dro Carey eut le mérite de swinguer avec une efficacité redoutable. Nous en sommes tous sortis tardivement avec une pêche d'enfer, remerciant Xavier Ehretsmann pour son excellente et stimulante initiative de nous avoir réunis. Marier le beat électronique avec un jeu live sur des instruments éventuellement acoustiques était inéluctable. La techno et la musique électroacoustique retrouvent leurs intentions originelles qu'une actualisation nécessaire régénère pour contrer le formatage et le peu d'ambition des majors en matière artistique. Comme dans les milieux jazz et musiques improvisées les jeunes retrouvent leur désir d'étonnement et de découverte, recherchant dans le passé les épisodes qu'ils ont ratés. C'est tout bon pour les dinosaures de mon espèce !


La surprise vient évidemment du public club, la plupart jeunes trentenaires à la recherche de nouveauté. Filles et garçons me demandent depuis combien de temps je joue cette musique ? Force est de constater que voilà plus de quarante ans que je joue ainsi et que j'en vis, infiltrant le rock, le jazz ou la musique contemporaine, sans ne rien changer à ma manière de voir et de rêver. Une fille s'étonne que je n'ai d'autre travail que celui de compositeur, comme si l'underground rimait obligatoirement avec galère et pauvreté. Je m'éclate en improvisant en direct des rythmes tranchants au Tenori-on. Les leds s'éclairent sous les notes, devant des bouches ouvertes à s'en décrocher la mâchoire. Mes pieds dansent sur les pédales des claviers. Pendant mon solo aucun répit n'est possible, je jongle avec les potentiomètres, je fonds, je brise, j'accumule, je réduis. Le duo permet plus facilement de respirer.
Après le dernier set je suis étonné de partager les mêmes idéaux avec Morelli, Svengalisghost Lives et Velez (© Photo 2). Nous avons des méthodes différentes pour arriver à nos fins, mais nos démarches se ressemblent. À jouer d'instruments bizarres ou simplement électroniques je ne ressens ni l'incompréhension ni la ségrégation qu'ont perpétuées jusque récemment la plupart des jazzmen et libres-improvisateurs. Je rêve d'une mixité qui rassemble toutes ces énergies inventives sans préjugé ni pré carré. Tous les signes le montrent : c'est pour bientôt !