Anna m'a appelé hier soir pour me montrer l'autel qu'elle avait installé dans le restaurant du Triton. Elle se souvient de son premier Jour des Morts au Mexique en 1975 où l'on invite les défunts par des offrandes comme le mole, mélange de piments et de cacao. Grâce aux photos, toute la famille y passe. Anna y a rajouté des amis musiciens disparus comme Elton Dean et Hugh Hopper ou le danseur Pierre Doucin, tous habitués de la salle lilasienne. Cette fête animiste, au croisement des traditions aztèques et de la religion chrétienne imposée par les Espagnols, avait pour but d'apaiser les âmes errantes. À partir des années 20 les gouvernements nationalistes qui avaient eu raison de la révolution de 1910 la relancèrent pour unifier le pays comme avec les films, les chansons, les livres scolaires, etc. Les vieilles recettes pour éviter les débordements sociaux fonctionnent toujours aussi bien. On danse avec les petits squelettes et l'on chante avant de raccompagner les morts le lendemain jusqu'à leurs tombes où l'on déguste avec eux le mole. Et la transe de s'emparer des mangeurs de peyotl.
Cette tradition n'est pas si éloignée d'Halloween, fête celte transformée en opération commerciale, bénéfique aux confiseurs, magasins de costumes et aux dentistes. Comment goinfrer les gamins de bonbons alors qu'aujourd'hui j'en ai douloureusement payé les frais par une séance de torture sur le fauteuil d'un arracheur de dents ? La gourmandise de mes premières années me coûte cette fois deux implants et une couronne. Mon dentiste attentionné me raconte que j'aurais pu éviter toutes ces misères, aujourd'hui grâce à une brosse à dents électrique avec dentifrice fluoré (minimum 1450 ppm) sur tête de brosse ronde matin et soir après les repas, plus du fil dentaire fluoré le soir avant la brosse à dents. Je recracherais bien les trois quarts des saloperies en sucre dont je me suis gavé enfant. Ma mâchoire est encore trop endolorie pour que je sente le goût du mole. Quant à mes morts ils vivent dans mes rêves, l'amour de l'abstraction et la permanence du souvenir étant plus forts que tous les rituels.
À propos des festivités halloweenesques j'aime beaucoup l'article de Thomas Halter dans Investig'Action sur le soft power, "une arme parmi les plus efficaces de l'arsenal diplomatico-propagandiste des grandes puissances impérialistes", manière discrète de mettre le pied dans la porte en promouvant la culture pour imposer tout le reste.