Devrais-je arrêter d'acheter des Nems pour ne pas penser à Bernard ? Il partageait ce goût pour les boulettes de porc fermenté à tel point que c'était la seule chose qui lui faisait plaisir que je lui apporte à l'hôpital. Continuer à en manger me rend triste depuis qu'il est parti. Je lui coupai en petits morceaux pour qu'il puisse les avaler alors que je n'en fais goulument qu'une bouchée. Il les accompagnait de gorgées de Coca, un drôle de médicament dont la teneur en sucre équivaudrait à du poison si consommé à haute dose. J'en bois parfois pour me réveiller ou faire passer une nausée. En France on appelle erronément Nems les pâtés impériaux alors que ce sont des Chả giò (prononcé tiaï ho), peut-être parce qu'au Nord-Vietnam on les appelle Nem rán ? Le porc fermenté est haché avec de l'ail, du sucre, du sel, du piment... Il est ensuite enveloppé dans de l'aluminium et serré dans du papier avec un élastique, puis conditionné par dix dans un petit filet. Si la date de péremption est évidemment indiquée il n'est pas rare d'y lire une date avant laquelle il est déconseillé de le consommer. Les Nems me font aujourd'hui le même effet que les photographies de mon camarade. L'émotion est trop forte. Impossible de m'habituer à sa disparition. Je me le remémore tel qu'il avait la soixantaine, en pleine forme, plutôt que le vieux monsieur à la barbe blanche des derniers temps. D'autres boiraient à sa mémoire. Chaque bouchée me rappelle les merveilleuses années où nous avons œuvré ensemble et tant de fois refait le monde.