70 septembre 2014 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 30 septembre 2014

Dumont, Jodorowsky, Wiseman...


Septembre se termine bien. Il fait beau. Et les films me sourient. J'en ai choisi trois, mais j'aurais pu en évoquer quelques autres comme le délicat Tryptique de Robert Lepage et Pedro Pires (2014) sorti seulement au Québec, le provoquant Daddy de Niki de Saint-Phalle et Peter Whitehead (1973) projeté dans le cadre de l'exposition actuelle mais non édité, les sixties filmées en musique par le même Whitehead (Benefit of The Doubt, The Fall, Tonite Let's All Make Love in London, 1965-1969) introuvables en France mais visibles sur le Net, l'intégrale Sidney Lumet vue à la maison (1957-2007), l'étonnant Wolfen de Michael Wadleigh (1981), la somptueuse remasterisation de Lord Jim de Richard Brooks (1963)... J'y reviendrai peut-être, mais les boîtiers s'amoncellent sur le lecteur sans que j'ai le temps de regarder tout ce que je voudrais, car dans le même temps le travail revient et je dois composer quantité de musiques pour l'image... Donc voici trois nouveautés...


J'ai enchaîné les quatre épisodes de la série de Bruno Dumont dans une saine hilarité à laquelle le cinéaste ne m'avait pas habitué. P'tit Quinquin est une comédie policière interprétée par des comédiens amateurs plus loufoques les uns que les autres. Une comparaison abusive pourrait rappeler le meilleur Mocky ou Twin Peaks, mais Dumont réussit à marier une fantaisie débridée à son goût pour les beaux cadrages, paysages féériques du nord de la France, et les échanges de regards à la fois énigmatiques et profonds, réalisant ainsi un long métrage de 3h20 des plus originaux et des plus drôles de ces dernières années. Il aurait d'ailleurs l'intention de continuer dans cette veine comique qui n'empêche jamais d'aborder des sujets critiques malgré l'apparente légèreté de ton. Ce film pourrait également redorer le blason de la comédie dans les festivals qui programment essentiellement des drames sociaux aux sujets bien pensants des plus conventionnels. P'tit Quinquin diffuse de plus une grande tendresse pour tous ces personnages de la "France profonde", laissés pour compte de la fiction traditionnelle, pourtant plus vrais que nature, quitte à froisser les Ch'tis caricaturés par Dany Boon qui n'auront pas compris que la fable n'a rien de local. (Arte TV / DVD & Blu-Ray Blaq out)


Autre film déjanté, La danza de la realidad est le dernier film d'Alejandro Jodorowsky, autobiographie romancée de sa jeunesse, farcie de références psychanalytiques plus surréalistes qu'analytiques, sorte de pont psychédélique entre Fellini et Buñuel. La symbolique mystique de ses films cultes El Topo ou La montagne sacrée laisse la place à une sérénité mordante où le cinéaste chilien octogénaire règle ses comptes avec sa brute stalinienne de père en offrant à ses trois fils de jouer la comédie. La danse de la réalité est une affaire de famille où le fils aîné incarne le père de l'artiste et dont le cadet compose la musique pendant que sa femme fabrique les costumes, le tout filmé dans son village natal. Là encore on s'amuse beaucoup des galipettes de l'illusionniste et des provocations d'un des fondateurs du groupe Panique. (DVD Pathé)


À l'opposé de Dumont et Jodorowky, Frederik Wiseman aborde avec le plus grand sérieux son enquête sur l'université publique de Berkeley, classée troisième au rang mondial pour la qualité de son enseignement, mais en butte à des réductions drastiques de budget opérées par l'État de Californie. Quatre heures documentaires sans commentaire, interview ni musique venue du ciel, c'est dense et intelligent. At Berkeley devrait intéresser tous les étudiants de France et de Navarre, histoire de comparer leur vécu avec les héritiers d'un campus historique qui a connu ses heures de gloire dans les années 60 au moment de la contestation étudiante. Les questions fondamentales sont posées sur l'accès au savoir et l'avenir de la planète aux mains de ses élites. (DVD Blaq out)

lundi 29 septembre 2014

L'étrange fruit des Rosenberg


La photo prise par Lawrence Beitler d'un lynchage à Marion dans l'Indiana le 7 août 1930 est souvent recadrée. Ce ne sont pourtant pas les corps d'Abram Smith et Thomas Shipp qui sont à voir, mais les regards de chaque personnage dans la foule, leurs mines réjouies ou les inquiétudes qui se lisent parfois malgré la grande messe raciste immortalisée par le photographe.

Le cliché inspirera à Abel Meeropol le poème Strange Fruit avant qu'il n'en compose la mélodie. Juif d'origine russe, communiste en butte à la Commission des Activités Anti-Américaines, il signa sous le pseudonyme Lewis Allan. Il écrira plus tard The House I Live In pour Frank Sinatra et Josh White, le livret de l'opéra Le brave soldat Schweik et, pour Peggy Lee, Apples, Peaches and Cherries que Sacha Distel adaptera en Scoubidou ! Strange Fruit est avant tout célèbre pour la sublime interprétation qu'en fit Billie Holiday dès 1939.


Les arbres du Sud portent un étrange fruit,
Du sang sur les feuilles et du sang aux racines,
Un corps noir se balance dans la brise du Sud,
Étrange fruit qui pend aux peupliers.

Scène pastorale du valeureux Sud,
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Doux et frais parfum du magnolia
Avant l'odeur soudaine de la chair qui brûle !

C'est un fruit que les corbeaux cueillent,
Que la pluie pousse, que le vent aspire,
Que le soleil pourrit, qui tombe des arbres,
Étrange et amère récolte.


Le pseudonyme de Lewis Allan vient des deux enfants morts-nés d'Anne et Abel Meeropol. Ils adopteront les deux fils d'Ethel et Julius Rosenberg après leur condamnation à mort et leur exécution pour "espionnage au profit de l'URSS" en 1953. Michael et Robert deviendront professeurs d'université aux États Unis et n'auront de cesse de chercher à prouver l'innocence de leurs géniteurs. Si leur père passa tout de même des renseignements de peu d'importance aux Soviétiques, leur mère n'y était probablement pour rien. Le lien entre l'auteur du magnifique pamphlet contre la brutalité du racisme et l'absurdité du maccarthisme éclaire la résistance que les communistes entretinrent en Europe et en Amérique contre l'injustice et les inégalités.

En cette période où les amalgames sont entretenus par le pouvoir il faut apprendre à se méfier des stigmatisations communautaires qui ne profitent qu'à ceux qui nous exploitent.

vendredi 26 septembre 2014

Scott Walker + Sunn 0))) = Soused


Scott Walker est un des rares artistes dont j'attends les albums avec la fébrilité qui m'animait adolescent. Plus de Zappa ni de Beefheart pour nous surprendre, la plupart des rockers tapent le carton en maison de retraite, les jazzmen ont troqué le mordant des années free pour un consensus bien comme il faut, on s'inquiète pour la santé des derniers chanteurs à texte, les politiques à court terme des majors ne permettent plus de révéler aucun courant véritablement nouveau... Côté élitaire la plupart des compositeurs contemporains ne livrent que des clônes bien policés ou de pâles reproductions des chefs d'œuvre passés. Le public se repaît d'un énième revival, manne providentielle du coffre au trésor de l'humanité. Heureusement de nouveaux musiciens s'interrogent et par ci par là se réveillent des talents inattendus, malgré le silence bruyant des médias. L'envie d'être étonné est si forte que l'on en arrive à ne plus rien écouter que le bruit de la ville ou de la nature. Alors lorsque l'on apprend que Scott Walker sort un album avec le groupe de drône métal Sunn 0))) on plonge direct sur l'ovni qui fera grincer les oreilles formatées par les radios privées, les compressions du mp3, le flux ininterrompu des baladeurs et les sacro-saintes habitudes.
Cinq pièces, cinquante minutes, Soused (qui sortira le 21 octobre sur 4AD) n'est pas aussi surprenant que le furent Tilt et The Drift en 1997 et 2006, renaissance expérimentale d'un chanteur de pop anglais passé par Brel et qui réussit à fondre un alliage métallique composé de crooning monotone, de magma électro-symphonique et d'enclumes rythmiques sur des textes intellos. Si en 2012 Bisch Bosch était électronique, les guitares de Sunn 0))) électrisent ce nouvel opus. Coups de fouet de Brando, cargo de Herod 2014, vrombissements de Bull, mécanique ferroviaire de Fetish, cliquetis régressifs de Lullaby, la plongée dans le rock est vivifiante. Les guitares des Américains Greg Anderson et Stephen O'Maley (tous deux également au Moog) et du Hollandais Tos Nieuwenhuizen (du groupe Beaver) soutiennent et ponctuent le chant de Walker venu avec l'orchestrateur Mark Warman et du producteur Peter Walsh qui étaient déjà de ses précédents voyages.


Stephen O'Malley a signé la pochette avec le photographe Gast Bouschet. Le superbe extrait vidéo illustre d'ailleurs parfaitement le métal fondu de la rencontre. Les deux entités sont peut-être trop évidemment compatibles. Ni le chanteur au romantisme exacerbé ni les guitaristes de doom dark n'entraînent les autres sur des terrains par eux inexplorés. La dialectique présente dans The Drift, chef d'œuvre absolu de Scott Walker, est noyée dans l'entente cordiale. Même si je plane à cent mètres sous terre, finalement en manque d'imprévu, je me tourne vers des collaborations de Walker moins évidentes avec Ute Lemper (Punishing Kiss et Lullaby By-By-By) et Leos Carax (B.O. du film Pola X) ou plus anciennes avec James Bond (Only MySelf To Blame pour le film The World is Not Enough), Nick Cave (cover de I Threw It All Away de Bob Dylan pour le film To Have and to Hold), Goran Bregovic (Man From Reno), toutes aussi remarquables.

jeudi 25 septembre 2014

Utile


Dans tout ce que je fabrique j'aime être utile. Utile aux projets dont je ne suis qu'un maillon, fut-il celui d'organisateur, contributeur essentiel ou cinquième roue du carrosse. Utile si mes amis me sollicitent comme j'apprécie qu'ils le fassent à mon égard. Utile même si les machines que je construis ne servent souvent à rien d'autre qu'à rendre la vie plus agréable ou d'y tendre. Utile comme la chanson qu'Étienne Roda-Gil avait écrite pour Julien Clerc.
Pas d'état d'âme lorsque je dois composer de la musique appliquée à un projet qui n'a rien à voir avec mes aspirations si je peux arranger les choses en apportant ma complémentarité. J'ai le même plaisir à créer des œuvres personnelles ou à faire la vaisselle pour de l'alimentaire. La résistance des matériaux et les complications humaines peuvent arriver de n'importe quel côté, sauf que les miennes sont moins prévisibles que les lubies de certains clients dont le goût est l'unique critère et son énoncé quasi abstrait. J'ai eu récemment à comprendre ce que signifiaient l'électronique botanique, le punchy sans basses ni batterie, la musique qui fait sourire et d'autres demandes que j'aurais préférées plus précises ! Il est compliqué d'expliquer à huit décideurs qu'ils ne pourront jamais faire l'unanimité sur une musique. On finit toujours par s'en sortir avec le risque qu'Étienne Auger avait formulé ainsi : "Au début on donne le meilleur de soi-même et au final on a le pire des autres."
Quel que soit le résultat je suis toujours heureux d'avoir trouvé la solution qui convienne, qu'elle soit appropriée au projet ou à la demande fantasmatique de mes interlocuteurs. Le participe passé est de rigueur, car l'on passe parfois par des moments de découragement qui vous laisseraient penser que l'on ne connaît rien à son affaire ! On est fragiles, n'est-ce pas ?

mercredi 24 septembre 2014

Shirley Clarke, réalisatrice majeure de l'avant-garde


La réalisatrice Shirley Clarke est une figure majeure du cinéma d'avant-garde américain. Deux de ses films principaux ressortent aujourd'hui en DVD, remasterisés par Milestone et publiés en France par Potemkine.
Unité de temps, unité de lieu, The Connection fut en 1959 le premier succès du Living Theater avant que Shirley Clarke s'empare de la pièce de Jack Gelber pour réaliser deux ans plus tard le faux documentaire d'un cinéaste imaginaire qui entre de temps en temps dans le cadre. Les comédiens s'adressent souvent à la caméra pour jouer leur rôle de junkies en manque attendant leur dealer. La mise en scène et leur jeu un peu théâtral, la plupart étaient présents dans la version originale, confèrent à ce concentré de vie new-yorkaise branchée et sordide la distance de la fiction. Quatre d'entre eux accompagnent l'action en jouant en direct des morceaux hard bop, le jazz étant à l'époque souvent associé à l'héroïne. Le compositeur Freddie Redd est au piano, Jackie McLean au sax alto, Michael Mattos à la basse et Larry Ritchie à la batterie. The Connection est probablement un des films les plus jazz de l'histoire du cinéma. Tourné sur vingt ans, le dernier film de Shirley Clarke sorti en 1985 sera d'ailleurs Ornette Coleman: Made in America.
Troisième d'une sorte de trilogie dont le second est The Cool World (musique originale composée par Mal Waldron et interprétée par le Dizzy Gillespie Quintet en 1963), Portrait of Jason doit beaucoup à la personnalité d'Aaron Payne dit Jason Holliday, artiste de cabaret noir et prostitué gay particulièrement extraverti. Filmé durant une nuit de décembre 1966 dans le salon de la suite du Chelsea Hotel de Shirley Clarke, le documentaire souligne cette fois encore la mécanique du tournage. La présence hors-champ de la réalisatrice et de Carl Lee (le dealer de The Connection) est explicite, contrariant le concept de cinéma-vérité auquel on l'associe abusivement et dont le sens est absurde car le cinématographe s'affranchit du réel dès que "ça tourne". Au montage la réalisatrice comprendra qu'elle doit conserver la présence de l'équipe et les aléas du tournage. Au travers du long monologue autobiographique qu'il met lui-même en scène Jason, ivre, raconte sa vie en faisant son numéro, opportuniste décidé à s'intégrer d'une manière ou d'une autre à la société blanche de son époque. L'essence-même de la fiction et du documentaire se révèlent à l'écran dans une confrontation de fantasmes et de mensonges où la réalité quotidienne émerge sous ses appâts les plus crus.
Les deux DVD sont accompagnés de divers bonus : photos de tournage, interview de Shirley Clarke de 1956 et trois courts métrages chorégraphiques : Bullfight (1955), Buttefly (1967), Trans (1978, sur une musique de Morton Subotnick).
On peut regretter que Rome is Burning, le Cinéastes de notre temps enregistré à Paris en janvier 1968 avec Shirley Clarke et réalisé par Noël Burch et André S. Labarthe n'ait pas été réédité alors qu'une VHS était sortie en 1996. Filmés avec la perche dans le champ (l'esprit était là !), figuraient autour d'elle Burch, Rivette, Jen-Jacques Lebel et Yoko Ono allongés dans des coussins profonds...

mardi 23 septembre 2014

Appelants vivants


"The present-day composer refuses to die." Sur nombre de ses premiers albums Frank Zappa recopiait la citation d'Edgard Varèse : le compositeur d'aujourd'hui refuse de mourir. Si le grand public est particulièrement en retard dans le domaine de la musique n'en est-il pas ainsi de tous les artistes extra-ordinaires, voire de tous les penseurs critiques que l'on taxe d'utopie ?
L'avant-garde a fait long feu pour ne pas avoir été suivie par le gros des troupes. Pire, elle fait figure d'arrière-garde, sorte de marginalité ringarde aux yeux des canons du marché. La récupération n'est plus d'ordre esthétique ou même politique, car elle n'obéit plus qu'aux règles du profit à court terme. Nous faisons alors du sur-place lorsque nous ne régressons pas.
Heureusement la vie obéit à des cycles, up and down, les oscillations alternent creux et bosses autour de l'axe des abscisses. Les mauvaises nouvelles suivent les bonnes et réciproquement. Tant que l'on ne casse pas irrémédiablement la machine, tous les espoirs sont permis. Dans la mesure de nos possibilités, question d'échelle, il suffit de réduire la durée des abysses au minimum et de transformer les pics en hauts plateaux ! Les nouvelles les plus alarmantes n'augurent pas forcément d'extinction, mais certainement de mutations.
Si dans le domaine de l'art on peut toujours promouvoir la persévérance, la confusion politique entretenue par les puissances financières risque d'accoucher d'évènements autrement plus douloureux. À la solidarité, seule réponse salvatrice de toute crise quelle qu'elle soit, s'oppose un chacun-pour-soi suicidaire qui pourrait aboutir à des choix criminels. Nous sommes hélas plus proches d'une guerre que d'une révolution. L'occident a appris à aller les faire ailleurs en ne faisant subir à ses populations que des effets de bords. De plus cela fait marcher l'industrie d'armement dont la France profite hypocritement tout en critiquant ceux qui y ont recours. Dans le cadre de nos frontières les partis se déchirent, l'arrivisme ayant évacué toute morale politique. Au delà de ces clivages nous sommes en face d'un véritable problème de société. Les mauvais exemples de nos dirigeants ne nous laissent comme échappatoire que les rapports de proximité et la nécessité de former des hommes nouveaux et des femmes enfin qui redonnent du sens à ce qui fut coutume d'appeler la démocratie. Ne faudrait-il pas remplacer celle que Roland Gori qualifie d'autoritaire par une démocratie directe ? L'électoralisme a eu raison du système représentatif avec une classe de professionnels coupés des réalités quotidiennes. Nombreux continuent de prôner le vote utile alors que cela fait quarante ans que je l'ai pratiqué pour en arriver où ? Une chute progressive qui ne propose plus qu'une alternative entre la droite et l'extrême-droite ? Le cynisme serait notre seule échappatoire ? Comme si la résistance était l'apanage des rêveurs !
Ce petit article ne souhaite entretenir aucune confusion en comparant le monde l'art et celui de la politique, même si les processus entropiques et les possibilités d'y échapper procèdent des mêmes intentions et des mêmes ressorts dramatiques et stratégiques ! Suivant cette logique, dans mes conférences j'ai l'habitude de comparer la cellule familiale au monde de l'entreprise. Les solutions ne peuvent être que franches. Remplissons de propositions aussi diverses qu'inventives les oreilles du public au lieu de lui farcir la tête avec des modèles formatés quasi identiques, interdisons la professionnalisation du politique en ayant recours au tirage au sort, instaurons le revenu de base, faisons le procès de la finance en abrogeant les intérêts de la dette, soutenons les nations en difficulté sans leur piquer pour autant leurs minerais, réduisons nos dépenses et nos appétits de vitesse, arrêtons de presser le citron de la planète avant qu'il n'y ait plus de jus, rendons aux femmes leur pouvoir, remettons de la poésie dans tous les secteurs, apprenons à vivre au lieu de nous résigner à mourir...

lundi 22 septembre 2014

Exclusivement vinyle par Franck Vigroux


À la boutique du Souffle Continu des gamins demandent si l'on y vend des vinyles de 185 grammes. La musique passe après le support. N'est-ce pas ce qui se passe avec le flux radiophonique ou la playlist d'iTunes ? Certains se connectent néanmoins sur le Net pour identifier ce qui leur a plu sur FIP ou une autre station. Ce marécage où nos oreilles s'embourbent en poussent d'autres à refuser cette logorrhée sonore et ne plus se vouer qu'au retour du vinyle. Le CD a fait long feu, mais le nouvel engouement pour les 30 cm a poussé les majors à s'en goinfrer jusqu'à saturer les rares usines de fabrication européennes. Les délais de plus en plus importants limitent à leur tour l'essor des galettes noires dont on peut craindre que le revival ne soit qu'un passage.
Ces considérations poussent le musicien-producteur Franck Vigroux à ne publier son dernier album que sous cette forme. Plus question d'être noyé dans le flux. Celles ou ceux qui ne possèdent pas de platine tourne-disques seront privés de galette. Chaque face dure une quinzaine de minutes. Il faudra quitter sa position avachie pour aller retourner l'objet. L'écoute redevient active.
La pochette de Ciment représente un chalet dans les bois. Au verso l'autre photographie de Umut Ungan est un parking qui ressemble à Rungis. Vigroux a ressorti sa première guitare électrique, un instrument rudimentaire de quelques dizaines d'euros qu'il a rebranché avant de mettre en route l'enregistrement paradoxalement numérique. Le silence avait un peu déserté son œuvre. Ici il prend son temps. La valeur de son temps. La noise croise le fer avec le blues. Les titres laissent imaginer des lambeaux de mémoire. Réminiscences d'un guitariste passé depuis au drône de synthèse. Une manière de se poser quand les amis vous rappellent que rien n'existe sans la respiration. Ce Ciment n'est pas la pâte dure des édifices, mais plutôt le lien, un trait d'union entre le passé et le futur qui redonne des couleurs au présent. (Dac Records)

vendredi 19 septembre 2014

Le prête-nom de Martin Ritt


Sur la Liste noire du Maccarthysme : Martin Ritt, réalisateur de The Front (Le Prête-Nom), son scénariste Walter Bernstein, les comédiens Zero Mostel, Herschel Bernardi, Lloyd Gough... Comme Nicholas Ray, Elia Kazan et Joseph Losey ils furent interdits de travailler pendant les années 50 quand régnait sur Hollywood la Comission des Activités Anti-Américaines. Chaplin s'envola pour l'Europe et se vengea avec A King in New York, Kazan trahit en dénonçant ses camarades, nombreux continuèrent sous de fausses identités. C'est ce rôle qu'endosse Woody Allen en 1976, à la charnière de ses films à sketches et de sa carrière internationale. Caissier de bistro, son personnage rend service à un copain scénariste blacklisté en signant à sa place, mais il se retrouve coincé entre cette supercherie et la chasse aux sorcières contre les supposés communistes. Bien qu'elle soit hélas rarement en odeur de critique la comédie est une arme redoutable contre l'absurdité du monde. La légèreté de ton rend le pamphlet encore plus virulent. Woody Allen est étonnamment sobre, Zero Mostel génial en en faisant des tonnes. Le Prête-Nom est un film méconnu qui dresse un portrait d'une Amérique qui n'aura jamais cessé d'être paranoïaque. (DVD Wild Side)

jeudi 18 septembre 2014

Fargo, série policière plus folle que l'original


Quelle drôle d'idée nous a pris de revoir le film de Joel et Ethan Coen de 1996 après avoir regardé la série qui s'en inspire et dont les deux frères sont producteurs exécutifs ? L'adaptation en série réalisée par Noah Hawley est beaucoup plus excitante que l'original, poussant plus loin l'humour et le délire. Ici et là on reconnaît des points de concordance et les références abondent autant que les clins d'œil à maints autres films. Les paysages enneigés du Minnesota sont plus blancs et plus froids, le scénario plus déjanté, les surprises plus nombreuses d'autant que les dix épisodes constituent un très long métrage de neuf heures dont on comprend qu'il commence là ou se terminait celui des frères Coen. La seconde saison se passerait huit ans encore avant avec de nouveaux personnages sur le même principe que True Detective, l'autre série américaine dont la qualité aura marqué l'année.


Au début de chaque épisode le générique se déroule sur des images différentes, mais avec le même texte en transparence, le même que celui des frères Coen : "Ceci est une histoire vraie. Les évènements décrits eurent lieu au Minnesota en 2006. À la demande des survivants les noms ont été modifiés. Sans aucun respect pour les morts, le reste est raconté exactement comme cela s'est passé." Tous les artifices sont évidemment autorisés par la fiction, si abracadabrante que l'humour tinte l'hémoglobine d'une couleur inédite que l'on aura peine à décrire. Les personnages féminins sont beaucoup plus présents et intéressants que dans la version d'il y a dix huit ans avec la shérif interprétée par Allison Tolman aussi maline que les machos sont déconcertants d'idiotie. Le flegme énigmatique de Billy Bob Thornton répond à la fébrilité nerveuse et maladroite de Martin Freeman et tous les comédiens sont formidables. L'absurdité des situations nous rapproche parfois de Lynch, mais Noah Hawley réussit à trouver un ton personnel qui sied parfaitement à cette comédie noire.

mercredi 17 septembre 2014

Niki de Saint Phalle au Grand Palais (des Merveilles)


Niki de Saint Phalle représente tout ce qui manque à notre société : la révolte, la fantaisie, l'art, le rêve, la couleur, le pouvoir des femmes... En revendiquant le matriarcat, se battant pour les droits civiques, s'engageant dans la lutte contre le sida, l'artiste autodidacte inscrit son œuvre dans les combats féministes et politiques de son époque. Elle utilise les médias pour toucher le grand public, finançant elle-même son extraordinaire Jardin des Tarots à Capalbio en Toscane avec les produits dérivés (parfum, mobilier, bijoux, estampes, etc.). Sous la houlette de la conservatrice Camille Morineau l'exposition du Grand Palais (jusqu'au 2 février 2015, reprise ensuite au Gugenheim de Bilbao) présente de nombreuses facettes de cette Nana hors du commun, ici près de 200 œuvres : peintures, assemblages, sculptures, films, maquettes, performances, etc. dans une agréable mise en espace dûe à l'Atelier Maciej Fiszer avec un effort particulier sur les diffusions audiovisuelles, voire purement sonores !


Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle avait un nom prédisposé. De la faille au phallus ils sont bien présents dans nombreuses de ses sculptures monumentales. L'inceste n'est pas une prérogative des pauvres. Celui que son père, un banquier de 35 ans, lui fera subir à onze ans et son éducation catholique auront raison de la sienne. Niki qui fait tôt le choix de devenir une héroïne réglera son compte à la brutalité machiste et à la complicité de sa mère. Elle peint la violence en broyant les objets du quotidien et en les intégrant à ses tableaux, leur tire dessus à la carabine en faisant exploser les couleurs, décide de tomber amoureuse du point d'interrogation, de conquérir le monde. Niki veut rendre leur pouvoir aux femmes, qu'elles soient mariées, accouchant, mères dévorantes, sorcières ou putains. La Nana Power revendique le pouvoir des hommes en préservant la féminité. Certaines féministes orthodoxes y perdent leur latin. Paraphrasant Engels (la femme est le prolétaire de l'homme) elle clame que "une femme dans la civilisation des hommes c'est comme un nègre dans la civilisation des blancs. Elle a droit au refus, à la révolte. L'étendard sanglant est levé." Si elle brandit Lysistrata autant le faire en dansant, sexy, séduisante...


Rêves et cauchemars hantent l'artiste. Elle s'en repaît comme dans Le rêve de Diane. Son film expérimental Daddy, psychodrame à moitié autobiographique coréalisé avec Peter Whitehead, qui dénonce la domination des mâles et s'attaque à la figure du père est étrangement absent de la boutique où s'étalent pourtant quantité d'objets dérivés enchantant les visiteurs de l'expo (aucune édition DVD en perspective, mais visible sur le Net contrairement à son second long métrage, Un rêve plus long que la nuit, encore plus difficile à trouver !). Le catalogue est d'ailleurs somptueux avec accès à 22 films d'archives et interviews si l'on est muni d'un smartphone ou d'une tablette et que ça marche mieux que lorsque j'ai essayé.


Au fil de la visite, si l'on connaît la productive association avec son second mari Jean Tinguely et le Nouveau Réalisme, se révèlent les artistes qui ont influencé Niki de Saint Phalle, de l'architecte catalan Gaudi et son Parc Güell à Dubuffet et Pollock. Le Pop Art est son cousin. Mais rien ne vaudra jamais à ses yeux autant que les œuvres monumentales et immersives, grottes, fontaines et jardins qui font référence à l'enfance, période magique où règne l'amour du jeu.


Dès 1968, Niki de Saint Phalle souffre de problèmes pulmonaires avec des difficultés respiratoires liées à l'inhalation des vapeurs et poussières du polyester constituant ses sculptures. Elle en mourra en 2002, espérant que la mort soit une transformation, un prolongement de la vie. Son œuvre est pour l'instant la seule preuve de cette éternité.

mardi 16 septembre 2014

Chaises à vendre


Après le vol de nos chaises de jardin cet été il fallait en retrouver qui nous plaisent à tous les deux. Pas question d'aller dans une grande surface nous acheter des trucs neufs, moches ou chers. Françoise voulait de l'antique, des fauteuils avec une âme, de ceux qui ont connu du monde, histoire de fesses, de jupes et de pantalons, du confortable à qui offrir une nouvelle vie. Nous trouvâmes notre bonheur chez un brocanteur spécialisé en mobilier de café sur le conseil de Raymond Sarti qui s'y fournit pour certains décors de théâtre. Du solide osier tressé de chez Drucker pour une bouchée de pain, les antiquités n'étant heureusement pas au prix du neuf ! Étroits, ils tiennent merveilleusement le dos avec des accoudoirs discrets pour reposer les bras. Comme on ne peut pas tout garder nous mettons nos autres chaises sur LeBonCoin.


Les six chaises pliantes en fer forgé n'ont pas toutes la même forme. Nous mettons en ligne trois photos comme il est stipulé sur le site.


Mais ce n'est pas tout, ce n'est pas tout. Nous en profitons pour exhumer du garage cinq fauteuils empilables. Encore du métal, mais or et argent, inox et je ne sais quoi, alors que les chaises avaient été peintes en noir.


LeBonCoin n'est pas seulement une manière de faire des affaires en achetant ou vendant du matériel d'occasion. Plutôt que jeter on recycle. Plutôt que dépenser des fortunes pour des objets éphémères on fait circuler des histoires. Sur une plage des messages s'échouent. Savons-nous ce que les souvenirs vont devenir ? Ces rencontres marchandes sont souvent charmantes. Toutes les parties sont contentes. On ne saura pourtant jamais ce que seront devenus ceux que l'on a aimés.

lundi 15 septembre 2014

Pop Arles de Michel Bouvet


Pour Pop Arles Azadeh Yousefi a rassemblé l'aventure des 12 ans d'affiches des Rencontres d'Arles Photographie imaginées et réalisées par le graphiste Michel Bouvet. Légumes et animaux ont beau se succéder, le petit livre aux coins ronds et à la couverture dorée n'a rien de répétitif. Après une mosaïque de photos in situ et l'entretien avec Bouvet et François Hébel, qui fut directeur des Rencontres de 2002 à cette année, des à-plat de couleur répondent aux affiches pleine page. L'apparente simplicité tranche avec les interprétations multiples qu'elles suscitent. Les pages qui suivent offrent une mise en espace et une analyse chronologique du processus de création : recherches iconographiques, esquisses avec crayons de couleur et feutres, dessins à la gouache noire (entre 30 et 50 essais différents après le choix définitif du motif avec les Rencontres), mise en couleur et composition typographique sur l'ordinateur du dessin retenu. On découvre ainsi toutes celles auxquelles on a échappé ! Et l'artiste chinois Liu Bolin de se fondre dans le chat rose de 2007. Après les évènements comme les Nuits de l'Année le livre se referme sur l'Arlésienne, police de caractère aubergine d'Odile Chambaut, avec un jeu de mots tel que les apprécie Bouvet et qui souvent lui donnent le fil à suivre dans le labyrinthe des possibles. Quelques objets dérivés plus loin on se laisse flotter au gré de cette fantaisie graphique qui douze ans durant avec le plus grand succès annonça paradoxalement ce festival incontournable de la photographie. (Ed. du Limonaire)

vendredi 12 septembre 2014

Perraud invitait Mienniel, Avice et Desprez


Beau concert d'Edward Perraud et ses invités dans le cadre des lundis "Jazz à La Java". Première partie. Plus convaincu par les sons incroyables de la flûte de Joce Mienniel que par son utilisation de son synthé Korg MS20. On donne souvent le nom des marques des instruments électroniques car chacun a sa spécificité. Un sax est un sax. Un synthé ne veut pas dire grand chose. L'utilisation des pédales d'effets pourrait aussi faire partie de la nomenclature, comme par exemple lorsque Mienniel utilisa une guimbarde vietnamienne en drone timbré particulièrement impressionnant. N'empêche que c'est le plus étonnant de tous les flûtistes en activité que je connais.
La deuxième partie, très homogène, m'inspire de multiples questions. Perraud frappe comme Vulcain sur ses toms tandis qu'Aymeric Avice embouche deux trompettes, en fait une trompette et un bugle, mais traités électroniquement de telle manière que leur nature importait peu. Julien Desprez faisait hurler sa guitare en mouvements brusques, découpage savant dont il a le secret.
Comme je dois faire un concert de techno au même endroit le 9 octobre avec Bass Clef dans un cadre clubbing puisque la soirée s'étalera de minuit à six heures du matin, je me demande pourquoi jouer si fort, devons-nous craindre le silence, sommes-nous capables d'assumer pleinement nos influences musicales ? À La Java le niveau sonore est très différent près de la scène et au bar, aussi faut-il jouer comme des sourds si l'on veut toucher les bavards du fond de la salle.
Je m'interroge sur la nécessité de porter des boules Quiès, les musiciens étant souvent les premiers à se protéger. Je comprends le violoncelliste Vincent Segal qui m'incite à jouer de mes instruments électroniques à puissance acoustique. Si l'on vise la transe la concentration sait mal s'accommoder de la douleur. Il me semble que l'afflux d'énergie électrise, mais anesthésie la critique.
Idem avec le silence. Lorsque nous improvisons le simple fait d'interpréter des morceaux courts plutôt qu'un continuum ininterrompu permet de remettre le compteur à zéro de notre inspiration. Le silence fait aussi partie de la musique, mais certaines ne justifient probablement pas les nuances qui vont du ppp ou fff. Quant aux références incontournables pourquoi ne pas les assumer pleinement ? Un soupçon de rock me donne envie de l'affirmer, d'autant que notre approche serait fondamentalement originale. Lundi on était parfois à deux doigts d'Ennio Morricone, mais on ne l'a pas laissé entrer, même par la fenêtre. Le pire danger de l'improvisation est d'en faire un genre, annulant toutes les surprises. Or c'est justement ce qui est recherché dans les concerts où rien n'est préalablement écrit ou convenu. Et lundi soir l'expérience des musiciens comme du public était irreproductible.

jeudi 11 septembre 2014

Les anonymes de Pierre Schoeller en DVD


Les Anonymes – Un' pienghjite micca est le dernier film de Pierre Schoeller après L'exercice de l'État. Il met méticuleusement en scène les quatre-vingt-seize heures de garde à vue qui suivent l'assassinat du Préfet Claude Érignac à Ajaccio le 6 février 1998 après un an d'enquête. Diffusé sur Canal + en mars 2013, le téléfilm est ensuite passé en octobre-novembre le dimanche matin au cinéma du Panthéon. Le DVD lui offre une nouvelle sortie.
Après ces deux heures de huis-clos j'ai l'impression d'avoir été passé moi-même à tabac par les policiers de la Division nationale anti-terroriste (DNAT). Schoeller filme leurs méthodes musclées, les récupérations politiques des uns et des autres en restant toujours factuel. Les références historiques sont relativement maigres à part un subtil mélange d'archives et de reconstitution fictionnelle ne faisant que resituer l'action dans la chronologie. Seul du groupe des Anonymes, Alain Ferrandi interprété par Didier Ferrari finira par exprimer ses motivations contre l'État français. L'opacité qui accompagne depuis des décennies les actions des mouvements nationalistes corses ne sera pas dissipée. Schoeller soigne essentiellement le climat, laissant ses acteurs improviser les scènes d'interrogatoire devant la caméra, mélangeant la langue corse au français pour s'approcher d'une vérité qui n'est que celle de chacun, jouant du montage pour dynamiser les dialogues et donner à la fiction des allures de documentaire. Avec sa pâle imitation d'accent corse Mathieu Amalric est-il à côté de la plaque ou est-ce un effet de style pour jouer justement d'une distanciation insistant sur l'interprétation du réalisateur ? Car tous les autres comédiens sont remarquables, véritables Corses ou acteurs du continent. Les Anonymes – Un' pienghjite micca me rappelle L.627, le meilleur film de Bertrand Tavernier, pour son rapport au quotidien, fut-il ici strictement opérationnel. Plutôt qu'un thriller à rebondissements, Schoeller livre un film de situation comme la dernière fantaisie de Guillaume Nicloux, L'enlèvement de Michel Houellebecq passée récemment sur Arte. Sauf qu'ici le crime est sérieux, l'affaire toujours pas résolue (Yvan Colonna a saisi la Cour européenne des droits de l'homme, estimant qu'il n'a pas eu le droit à un procès équitable) sans parler du statut de la Corse toujours en but à des vendettas dont on ne sait si elles sont maffieuses ou indépendantistes.

mercredi 10 septembre 2014

Moondog par Rifflet & Irabagon


Mardi la pleine lune ressemblait à une pièce d'argent, de celles qu'on lance au musicien s'il nous enchante au coin de la rue, parfaitement ronde comme la galette que j'étais impatient de poser sur la platine, persuadé que c'était une première. Elle y tournera certainement plus d'une fois dans les semaines à venir. L'orchestre jouait hier à La Dynamo dans le cadre de Jazz à La Villette, on raconte que c'était fameux, mais j'étais sur une autre planète.
L'album Perpetual Motion, a Celebration of Moondog sort donc chez Jazz Village sous la forme d'un CD et d'un DVD. Enregistré majoritairement en public à Bobigny le 12 avril 2013 lors d'un concert qui m'avait alors conquis (lecture de l'article fortement recommandée !), le disque fait ressortir la modernité des compositions de Moondog et du traitement contemporain du clarinettiste Sylvain Rifflet (également au ténor, électronique et boîte à musique). Ses acolytes, Jon Irabagon (sax alto et ténor), Benjamin Flament (percussion et métaux traités), Phil Gordiani (guitares), Joce Mienniel (flûtes et MS20) et Ève Risser (piano et clavecin électrique) participent au plus bel hommage que je connaisse au compositeur aveugle qui marqua Charlie Parker, Allen Ginsberg, Terry Riley, Philip Glass et tant d'autres. La vision d'ensemble n'occulte jamais l'apport de chacun, leur virtuosité s'effaçant derrière la cohérence des morceaux. Les documents d'archives font traverser le temps tandis que les applaudissements enthousiastes du public rappellent l'actualité de la démarche.


Quant au documentaire réalisé par Arthur Rifflet pour La Huit, il mêle des vues de New York, entre autres avec Sylvain Rifflet à la clarinette basse et Jon Irabagon au sax alto, leurs entretiens ainsi que la voix de Moondog, des photos d'archives, les répétitions de l'orchestre et de la chorale d'enfants, le concert lui-même et des plans vidéo filmés par le troisième frangin, Maxence Rifflet, et rythmés par le montage dont la répétition rappelle les premiers pas de Steve Reich. Le souffle du clochard céleste est présent partout, dans les ambiances de la Sixième Avenue aux cours d'école, des commentaires passionnés à la scène de Seine-Saint-Denis. L'énergie de la musique rivalise avec la tendresse du propos et de nombreuses pièces sont livrées intégralement. Amaury Cornut, spécialiste de Moondog, a rédigé les notes de pochette de ce généreux album.

mardi 9 septembre 2014

Dreamscape, si la télépathie colonisait les rêves


Les individus sujets à des perceptions considérées comme paranormales ont tendance à rejeter leurs dons médiumniques, assimilant leur hypersensibilité à un handicap pour avancer sereinement dans la vie. Certains s'en accommodent en choisissant un métier leur permettant de canaliser ce sixième sens, sciences cognitives, psychologie, carrières artistiques, etc. Quelques uns monnayent cette aptitude à utiliser une partie du cerveau que l'on sait majoritairement inexploré pour aider leurs congénères. Le symptôme de ces manifestations tient de l'intuition, mais en travaillant son psychisme il est possible d'aller beaucoup plus loin dans les méandres de la perception.
L'armée s'est toujours intéressée à ces possibilités et le film réalisé par Joseph Ruben en 1984 s'en inspire pour créer une œuvre tenant à la fois du thriller politique et de la science-fiction qui influencera évidemment Inception de Christopher Nolan. Dans Dreamscape des télépathes pénètrent dans les rêves d'individus victimes de violents cauchemars afin de combattre leurs angoisses. Comme toutes les recherches scientifiques l'expérience intéresse énormément les services secrets qui fomentent un complot contre un Président des États Unis décidé à stopper la guerre des étoiles en signant un pacte de non-prolifération des armes nucléaires. L'aventure menée par Dennis Quaid avec Max von Sydow et Kate Capshaw contre Christopher Plummer est une fantaisie savamment structurée avec effets psychédéliques à la clef, allusions délicieusement freudiennes et une belle composition musicale de Maurice Jarre à base de synthétiseur. Étrangement méconnu, Dreamscape nous interroge sur notre rapport à nos rêves. (DVD, Blu-Ray et VOD Carlotta)

lundi 8 septembre 2014

Dialogues avec des compositeurs et des cinéastes


Étant le plus souvent catastrophé par l'utilisation de la musique au cinéma j'ai pensé que ces dialogues coordonnés par N.T. Binh, José Moure et Frédéric Sojcher pourraient peut-être éclairer ma lanterne magique sur les raisons qui poussent les cinéastes à souligner pléonastiquement leurs effets avec des marqueurs fluos. Les orchestrations originales d'Ennio Morricone ne pouvaient qu'augurer ses réflexions passionnantes recueillies en 1979. Les autres entretiens datant tous de l'an passé nous apprennent comment travaillent les uns et les autres. Nombre d'entre eux insistent pour la complémentarité des images et des sons, fuyant la plate illustration à la manière holywoodienne en vigueur. Les compositeurs Vladimir Cosma, Carter Burwell, Alberto Iglesias évoquent les éternelles questions : faut-il composer en amont ou en aval du tournage ? L'utilisation de musiques préexistantes. Les thèmes récurrents. La nécessité ou non de musique. Sa justification dans le plan (exemple, in situ). La chanson sur toutes les lèvres. Le risque d'entendre conserver les maquettes temporaires. La gestion artistique du budget... La liberté octroyée par le réalisateur est également abordée par les duos compositeurs/cinéastes, ici Jean-Claude Petit et Jean-Paul Rappeneau, Bruno Coulais et Benoit Jacquot, Atom Egoyan et Mychael Danna. Certains ne craignent pas les pléonasmes ou ressassent des formules éculées, d'autres se renouvèlent sans cesse en fonction des émotions à susciter ou du sens à affiner. Claire Denis et Stephen Frears closent le débat sur des positions fortes, de contrôle pour l'une, de distance pour l'autre.
En lisant Cinéma et Musique : Accords Parfaits (ed. Les Impressions Nouvelles) au début de l'été j'avais noté avec intérêt les positions variées de chacun, mais deux mois plus tard je mélange tout et ne me souviens plus de rien. Chacun a sa manière de faire. Lorsque je compose la musique d'un film je laisse le monteur ou la monteuse libre de faire ce qu'ils veulent de mon travail. Si je trouve le résultat nul je ne retravaille plus avec le réalisateur ou la réalisatrice, un point c'est tout. Je gagne beaucoup de temps lorsque le décideur est dans le studio pendant l'enregistrement. Comme pour tout je prépare énormément, mais fabrique vite. La première prise est souvent la bonne. Je me méfie des musiques de placement, dites provisoires, comme de la peste. Je ne livre donc jamais de maquettes, mais du définitif provisoire. Entendre qu'il faut avoir la foi, être passionné pour bien travailler, mais comme je suis un bon gars il m'arrive tout de même de faire des corrections, voire tout reprendre si j'ai mal compris quelque chose. Je déteste aussi faire écouter la musique d'un autre projet pour convaincre, car cela n'a strictement rien à voir. Libre au réalisateur ou au producteur de juger de l'adéquation de mes travaux antécédents en rapports avec les films qu'ils accompagnent. Dans tous les cas je cherche à être utile, complémentaire plutôt qu'illustratif. Les idées d'instrumentation sont issues de l'ambiance générale, du découpage, de l'unité et de la confrontation. Les plus réussies ont été faites en confiance dans la plus grande liberté, surtout si les discussions avec le réalisateur ont été précoces, parfois au stade du scénario. Il m'est aussi arrivé de recycler des compositions anciennes pour retrouver un parfum d'antan, mais en général je préfère innover. Le plus intéressant est de considérer la musique comme partie intégrante de la partition sonore, de travailler les bruitages ou de composer en fonction de ceux-ci. Le choix des collaborateurs est aussi crucial.
Les compositeurs et réalisateurs interviewés ne livrent donc pas de recettes, mais leur expérience à chacun intéressera plus d'un jeune musicien ou cinéaste, leurs commentaires se complétant ou se contredisant astucieusement.

vendredi 5 septembre 2014

Luttes solidaires, vécues ou imaginées


Au début de l'été j'avais lu avec délectation le roman de Gérard Mordillat Rouge dans la brume (Livre de Poche). Au travers d'une lutte sociale il nous rappelle qu'en se battant on n'est pas sûr de gagner, mais qu'en baissant les bras on a déjà perdu. En regardant le documentaire La Saga des Conti réalisé par Jérôme Palteau (ed. Montparnasse) on comprend que Mordillat s'est inspiré des luttes de LIP, Chausson et, plus récemment, Continental, des histoires de solidarité qui donnent du courage pour se battre contre l'absurdité et le cynisme du capital allié au pouvoir de l'État.
Là où Mordillat entre avec truculence dans l'intimité de ses personnages, couples mal assortis que les circonstances vont révéler, mal de vivre, sacrifices que la crise va exacerber, Palteau s'appuie sur le charisme des militants, leur rapide apprentissage de la lutte ou la malice d'un vieux syndicaliste à la retraite. Les acteurs du réel sont si engagés que le suspense est comparable aux ressorts du roman, le combat qu'ils mènent les aidant à se construire. Le capital est sans pitié s'il s'agit de faire profiter ses actionnaires, l'État qu'il soit explicitement ou effectivement de droite tente de laisser pourrir la situation, les syndicats loin du terrain sont endormis, ainsi seuls les hommes et les femmes sur le terrain prennent leur sort entre leurs mains. Dans le monde cruel du travail la grève va générer des vocations et l'invention d'actions stratégiques à mener va permettre d'accoucher de modèles de lutte dont il faudra évidemment s'inspirer pour les luttes à venir.
Ce sont avant tout de belles histoires de solidarité où le doute, la colère et la détermination conduisent à des scènes inénarrables de comédie.

jeudi 4 septembre 2014

De la nécessité de repenser les musées


Attention, L'Art au large est un voyage au long cours. C'est de la dynamite, une porte vers la poésie pure, l'intelligence des synapses pour le plaisir de l'art.
Plus nous avançons dans la lecture du recueil de textes de Jean-Hubert Martin plus sa position se radicalise.
En 1989 avec l'exposition Magiciens de la terre le conservateur, mettant à égalité les artistes de tous les continents, donne un coup de pied dans la fourmilière. Le colonialisme qui règne dans les beaux-arts a fait long feu. Les termes d'art brut, primitif ou premier ne lui plaisent guère. Les artistes contemporains d'Afrique ou d'Océanie n'ont pas besoin d'avoir suivi les cours des écoles occidentales pour trouver leur voie. S'ils puisent leur inspiration dans leurs racines ancestrales ils ne devraient pas avoir besoin de patiner leurs œuvres pour les vendre. Leurs signatures apparaissent donc puisque c'est ce qui importe au marché de l'art : Chéri Samba, Esther Mahlangu, Liautaud, Bien Aimé, Kabakov, Boulatov, John Fundi, Cyprien Tokoudagba répondent à Byars, Abramovic, Paik, Oldenburg, Cragg, etc. Nombreux artistes du début du XXe siècle s'étaient inspirés de l'art nègre comme si c'était du passé. Erreur, grossière erreur emprunte d'un colonialisme persistant. Les savoureux Journaux de Voyage de Jean-Hubert Martin en Chine, en Afrique, au Népal ou en Papouasie-Nouvelle Guinée sont ceux d'un explorateur, il arpente la planète à la recherche des meilleurs, de ceux qui ont quelque chose de plus que la reproduction. N'est-ce pas en ces termes que l'on reconnaît les grands artistes ? Et voilà notre Philéas Fogg devenu expert en art kanak, se passionnant pour les mantras ou les peintures sur sable des Indiens d'Amérique... Il les ramènera même avec lui pour qu'ils s'exécutent en public.
Jean-Hubert Martin comprend que les a priori sur la religion n'ont pas leur place dans les domaines artistiques. Les voies du sacré sont impénétrables, mais leur poésie nous touche quelle que soit notre foi ou son absence. Pour exposer des objets il n'a pas besoin qu'ils soient d'art s'ils sont beaux et s'ils font sens, car le conservateur est un révolutionnaire qui cherche partout l'adéquation de la forme et du fond. Ces frottements sont la source de nos rêves. Ayant déjà fait exploser le regard d'Apollinaire, il s'inspire de l'Atelier d'André Breton pour développer l'idée d'un cabinet de curiosités où le temps et l'espace n'ont plus de frontières. Son travail au château d'Oiron lui servira de modèle. Malgré quelques déconvenues face aux gardiens du temple, suivront de nombreuses expositions : Autels, l'art de s'agenouiller à Düsseldorf en 2001, Africa Remix au Centre Pompidou en 2004, Une image peut en cacher une autre au Grand Palais en 2009, Dali à Pompidou en 2012 et Le Théâtre du Monde que nous avons pu admirer à La Maison Rouge l'an passé.
C'est à cette occasion que son discours se précise. Pourquoi la musique ou le théâtre s'adressent-ils au sensible quand les musées persistent à honorer la chronologie et, pire, la pédagogie ! Face au musée docile Jean-Hubert Martin prône le musée des charmes. Nous devons aller voir les œuvres d'art par pur plaisir sans forcément nous demander quelle connaissance y acquérir. Et chacun peut y trouver son bonheur, sans la hiérarchie imbécile des supposés savants et des visiteurs ignares à qui il faut tout expliquer. Chacun devient libre de son interprétation, avec ses propres repères. "Pour prendre du plaisir. C'est la tâche des conservateurs de présenter les œuvres de manière à provoquer des correspondances signifiantes et des associations qui mènent des œuvres à la pensée et aux idées (...) La spécialisation et la division des tâches ont été un atout majeur de notre civilisation, mais elles comportent leur revers. Elles risquent d'oblitérer le caractère éminemment humain de la culture matérielle et par conséquent son rôle de vecteur de communication entre les hommes. Certains professionnels des musées sont à ce point imprégnés de positivisme et du caractère scientifique de leur discipline qu'ils restent fixés sur la vérité intrinsèque et exclusive de l'œuvre telle qu'elle surgit dans le contexte de sa création. Et pourtant notre compréhension du passé est totalement limitée par l'interprétation que nous en faisons aujourd'hui."
Au diable les spécialistes, la chronologie, les expositions thématiques tirées par les cheveux du matérialisme mécaniste, au diable les cartels qui rompent la magie du spectacle... Le cabinet de curiosité porte bien son nom, ouvert à tous les possibles, et pour le mettre en valeur, Jean-Hubert Martin joue des effets de lumière, des associations et des contraires, des rimes poétiques qui renvoient au réel comme à l'imaginaire. (L'Art au large, ed. Flammarion)

Il y a vingt ans j'eus la chance de participer à plusieurs expositions-spectacles à commencer par Il était une fois la fête foraine à la Grande Halle de La Villette. Nous avions désacralisé la muséographie en immergeant les visiteurs dans un univers ludique. Avec le conservateur Zeev Gourarier et le scénographe Raymond Sarti nous avions réitéré l'exploit au Japon pour The Extraordinary Museum et à Monaco pour Jours de cirque. Ils m'avaient offert la liberté d'imaginer le son de ces gigantesques espaces où les œuvres reprenaient soudain vie, libérées du poids d'une pédagogie hautaine et de la poussière des cimaises formateuses pour donner à chacun le loisir de se les approprier en les interprétant à sa guise, seulement guidés par l'à propos des choix poétiques et plastiques.

mercredi 3 septembre 2014

Klondike


Le premier roman que mon aventurier de père me donna à lire fut L'or de Blaise Cendrars. Comme le Général Suter il ne fit jamais fortune, mais il me transmit le goût des voyages, de ceux qui forment la jeunesse. À la fin du XIXe siècle la ruée vers l'or du Klondike inspira Jules Verne pour Le Volcan d'Or, Charles Chaplin pour La Ruée vers l'or, l'oncle Picsou qui y commença sa fortune et Jack London qui y avait participé et que l'on retrouve dans la mini-série réalisée par Simon Cellan Jones d'après le roman Gold Diggers: Striking It Rich in the Klondike de Charlotte Gray pour Discovery Channel.
Dans de sublimes paysages de montagne canadienne à la frontière de l'Alaska les chercheurs d'or vivent d'espoir lorsqu'ils ne s'étripent pas. La fièvre de l'or rivalise avec celle du typhus si la glace ne vient pas geler les enthousiasmes. Western de 4h30 découpé en 6 épisodes, Klondike est une fresque somptueuse où Sam Sheppard joue un prêtre qui doit composer avec le réel et Tim Roth une crapule qui incarne le mal. Le moral et séduisant héros, puisqu'il en faut un dans ce genre d'épopée hollywoodienne dont Ridley Scott est le producteur exécutif, est interprété par Richard Madden, le Robb Stark de Game of Thrones. La plupart des personnages sont inspirés de ceux et celles qui ont véritablement vécu le Klondike Gold Rush comme Belinda Mulrooney, le superintendant Sam Steele, Father Judge, Soapy Smith ou London. Mais c'est la matière qui a le plus beau rôle, paysages à couper le souffle et l'or qui fait briller les yeux des orpailleurs et continue de fasciner les gredins d'aujourd'hui. (DVD/BluRay Wild Side)

mardi 2 septembre 2014

Ciel !


Loin des lumières de la ville, le ciel nous rappelle comme nous sommes infimes. Ajoutons le bon r et nous voilà infirmes devant tant de soleils perçant la noirceur de la nuit. Retenir sa respiration pendant soixante secondes de pause révèle l'invisible au milieu des picotements blancs. Ma photo des Pyrénées dévoile des tâches bleues et rouges que je ne sais pas identifier. Les étoiles filantes ne seraient que des particules minuscules, grains de poussière entrant en fusion au contact de l'atmosphère. À la soixante et unième seconde l'une d'elles déchire mon planétarium, poursuivie par une longue traînée orange. Je fais un vœu pour ensuite regretter son égoïsme. Les humains s'entretuent et détruisent leur terre en pure absurdité. Même la boutade darwinienne attribuée à Pierre Dac, découvrant que le chaînon manquant entre le singe et l'homme c'est nous, me semble déplacée. Aucun animal n'est aussi bête. Nous ne sommes pas grand chose, pour si peu de temps.

lundi 1 septembre 2014

Humour de convoyeurs


Qui n'a jamais rêvé de voir tomber un sac d'un fourgon de la Brink's ? Faisons abstraction du fait que les sacs sont traçables et que ce serait mal acquis… J'ai les mêmes mauvaises pensées lorsque j'entre dans une banque ou une église, l'impression d'être un intrus, que ce n'est pas ma place. Si les responsables de ces lieux de culte pouvaient lire ce qui se passe dans mon cerveau je serais arrêté sur le champ, expulsé. L'affiche collée sur la porte du fourgon blindé me fait rire, comme celle de jeudi dernier à la porte de l'église, hypocrisie placardée sans que les fidèles ne s'en offusquent. Pourquoi dit-on qu'ils n'y voient que du feu ?