Niki de Saint Phalle représente tout ce qui manque à notre société : la révolte, la fantaisie, l'art, le rêve, la couleur, le pouvoir des femmes... En revendiquant le matriarcat, se battant pour les droits civiques, s'engageant dans la lutte contre le sida, l'artiste autodidacte inscrit son œuvre dans les combats féministes et politiques de son époque. Elle utilise les médias pour toucher le grand public, finançant elle-même son extraordinaire Jardin des Tarots à Capalbio en Toscane avec les produits dérivés (parfum, mobilier, bijoux, estampes, etc.). Sous la houlette de la conservatrice Camille Morineau l'exposition du Grand Palais (jusqu'au 2 février 2015, reprise ensuite au Gugenheim de Bilbao) présente de nombreuses facettes de cette Nana hors du commun, ici près de 200 œuvres : peintures, assemblages, sculptures, films, maquettes, performances, etc. dans une agréable mise en espace dûe à l'Atelier Maciej Fiszer avec un effort particulier sur les diffusions audiovisuelles, voire purement sonores !


Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle avait un nom prédisposé. De la faille au phallus ils sont bien présents dans nombreuses de ses sculptures monumentales. L'inceste n'est pas une prérogative des pauvres. Celui que son père, un banquier de 35 ans, lui fera subir à onze ans et son éducation catholique auront raison de la sienne. Niki qui fait tôt le choix de devenir une héroïne réglera son compte à la brutalité machiste et à la complicité de sa mère. Elle peint la violence en broyant les objets du quotidien et en les intégrant à ses tableaux, leur tire dessus à la carabine en faisant exploser les couleurs, décide de tomber amoureuse du point d'interrogation, de conquérir le monde. Niki veut rendre leur pouvoir aux femmes, qu'elles soient mariées, accouchant, mères dévorantes, sorcières ou putains. La Nana Power revendique le pouvoir des hommes en préservant la féminité. Certaines féministes orthodoxes y perdent leur latin. Paraphrasant Engels (la femme est le prolétaire de l'homme) elle clame que "une femme dans la civilisation des hommes c'est comme un nègre dans la civilisation des blancs. Elle a droit au refus, à la révolte. L'étendard sanglant est levé." Si elle brandit Lysistrata autant le faire en dansant, sexy, séduisante...


Rêves et cauchemars hantent l'artiste. Elle s'en repaît comme dans Le rêve de Diane. Son film expérimental Daddy, psychodrame à moitié autobiographique coréalisé avec Peter Whitehead, qui dénonce la domination des mâles et s'attaque à la figure du père est étrangement absent de la boutique où s'étalent pourtant quantité d'objets dérivés enchantant les visiteurs de l'expo (aucune édition DVD en perspective, mais visible sur le Net contrairement à son second long métrage, Un rêve plus long que la nuit, encore plus difficile à trouver !). Le catalogue est d'ailleurs somptueux avec accès à 22 films d'archives et interviews si l'on est muni d'un smartphone ou d'une tablette et que ça marche mieux que lorsque j'ai essayé.


Au fil de la visite, si l'on connaît la productive association avec son second mari Jean Tinguely et le Nouveau Réalisme, se révèlent les artistes qui ont influencé Niki de Saint Phalle, de l'architecte catalan Gaudi et son Parc Güell à Dubuffet et Pollock. Le Pop Art est son cousin. Mais rien ne vaudra jamais à ses yeux autant que les œuvres monumentales et immersives, grottes, fontaines et jardins qui font référence à l'enfance, période magique où règne l'amour du jeu.


Dès 1968, Niki de Saint Phalle souffre de problèmes pulmonaires avec des difficultés respiratoires liées à l'inhalation des vapeurs et poussières du polyester constituant ses sculptures. Elle en mourra en 2002, espérant que la mort soit une transformation, un prolongement de la vie. Son œuvre est pour l'instant la seule preuve de cette éternité.