Fabuleuse surprise de découvrir Cybèle ou Les dimanches de Ville d'Avray plus de cinquante ans après sa sortie. J'en avais un vague souvenir ; peut-être parce qu'un extrait était passé un dimanche à l'émission La séquence du spectateur ? Je n'avais que dix ans et j'ai toujours cru que c'était un mélo pour faire pleurer dans les chaumières. Erreur, fatale erreur. Le premier long métrage de Serge Bourguignon est une merveille d'intelligence et de poésie. La profondeur de l'âme y est sondée avec les yeux de l'enfance et la révolte contre notre société pleine de préjugés est plus actuelle que jamais.
La transparence du verre, l'épaisseur de l'air, les jeux de miroirs nous plongent dans un conte magique et cruel comme les fées savent les inventer. Rejeté par les cinéastes de la Nouvelle Vague le film se rapproche pourtant des premiers d'Alain Resnais, images embrumées de Henri Decaë, décors envoûtants de Bernard Evein (condisciple à l'Idhec et partenaire éternel de Jacques Demy), évocations subtiles de l'inconscient, jeu moderne des acteurs. La petite Patricia Gozzi, abandonnée par sa famille à une institution catholique, endosse un rôle d'une maturité incroyable pour ses douze ans tandis que Hardy Krüger, pilote amnésique rescapé de l'enfer indochinois, retrouve une innocence difficile à préserver. Leur amour ne peut être que suspect, sauf à ceux qui savent que l'art et l'amour ne peuvent appartenir au monde formaté des adultes. Daniel Ivernel et Nicole Courcel incarnent cette tendresse bienveillante et attentive qui s'oppose à l'esprit mal tourné des puritains. Avec Bernard Eschasseriaux qui adapta son roman sans tenter de le reproduire, Serge Bourguignon recomposa les images, les sons, les dialogues pour faire œuvre de cinéma.
Les dimanches de Ville d'Avray (1962) ressort augmenté d'un magnifique prénom qui ne se dira qu'en échange d'une folie. Il se perdra aussitôt, lorsque les lèvres ne pourront plus le prononcer. Oscar du meilleur film étranger en 1963, le film reçut un immense accueil aux États-Unis. En France il fut étonnamment oublié. Bourguignon, qui avait déjà été primé à Cannes avec la Palme d'Or pour son court-métrage Le sourire, présent en bonus sur le DVD publié par Wild Side à côté d'un passionnant entretien, ne retrouva jamais un tel succès, mais je suis curieux de découvrir ses autres longs métrages de fiction. Son western contemporain La Récompense (The Reward) tourné aux USA (1965) étant introuvable et la Warner lui ayant retiré le final cut de The Picasso Summer (1969) écrit par Ray Bradbury, je regarde À cœur joie (1967) avec Brigitte Bardot, Laurent Terzieff et Jean Rochefort. Le film est tendre, mais il ne distille pas le vertige de Cybèle.

N.B. : sortie DVD/Blu-Ray restauré en HD (2K) le 22 octobre.