Quelle différence y a-t-il entre un film d'auteur (référence au 7ème Art) et un film de distraction (ce que les Américains appellent entertainment) ? Le premier se préoccupe essentiellement de traduire sa pensée pour réaliser une œuvre intègre, le second projette les attentes du public pour lui plaire. Entre ces deux extrêmes se déploient en éventail toutes les nuances, le cinéma étant un mode d'expression et une industrie extrêmement onéreuse. Un film comme Detetective Dee II, la légende du Dragon des mers ayant coûté un milliard à ses producteurs, comment imaginer ne pas rentrer dans ses fonds ? La question de l'argent est incontournable quel que soit le budget. Certains cinéastes ont choisi de tourner exclusivement avec des petits moyens pour rester libres sans trop de pressions économiques. Il n'empêche, ça coûte cher et plus ça coûte, plus les pressions sont fortes.

Il y a quarante ans cet enjeu m'a fait bifurquer vers la musique, mon indépendance me semblant alors la condition sine qua non pour que mes rêves prennent corps. Ma compagne cinéaste incarne ce que je voulais être lorsque je suis sorti de l'Idhec (reconditionnée en Femis par le pouvoir pour des raisons politiques et économiques !) et la raison pour laquelle je ne l'ai pas fait (elle tourne un long métrage tous les quatre ans, ce qui ne peut correspondre avec mes aspirations). Cet exemple est pour moi déterminant et j'y pense tous les matins en me levant avec entrain pour filer travailler. Même siffler sous la douche est jouer de la musique ! Mais au cinéma comme en architecture le plan n'est pas le territoire, et j'ai rencontré trop de réalisateurs malheureux, et non des moindres.

Ce n'est pas le cas de Tsui Hark qui a réussi à tourner une quarantaine de films répondant à l'attente d'un public avide de rêves et de sensations fortes. La série Il était une fois en Chine a remporté un succès considérable, et on lui doit aussi Shanghai Blues, Peking Opera Blues, Histoires de fantômes chinois, Le festin chinois et bien d'autres films où le cinéaste a toujours fait preuve d'invention et de virtuosité. Après une expérience aux États Unis qui ne lui a pas plu il est retourné à Hong Kong il y a quinze ans où il a réalisé Time and Tide... La suite explose sur l'écran avec à l'appui moult effets spéciaux et chorégraphies incroyables que seuls les Chinois savent maîtriser.


Détective Dee 2 : La Légende du Dragon des mers, son dernier opus, sorti en DVD/Blu-Ray/3D chez Wild Side, préquelle du précédent Détective Dee : Le Mystère de la flamme fantôme aussi flamboyant, est un conte taribiscoté, bourré d'intrigues, et dont le spectacle rivalise avec les meilleures attractions de foire. Car si le cinéma d'art et essai fait réfléchir celui de grand spectacle délasse et nous fait oublier les duretés du quotidien. En fonction des moments n'avons-nous pas besoin et de l'un et de l'autre ? La frontière n'est pas forcément si tranchée, mais il est intéressant de se souvenir que le cinéma est né dans les foires et qu'il est sain que parfois il y retourne. Un film comme celui-ci vaut toutes les montagnes russes, certes sans provoquer les mouvements intestinaux que recherchent les amateurs d'émotions fortes. Détective Dee 2 : La Légende du Dragon des mers nous renvoie à l'enfance où nous rêvions plaies et bosses, mais aussi romances à deux sous et énigmes policières. Calibré pour répondre à ces exigences délicieusement régressives, le film de Tsui Hark est un feu d'artifices où les monstres s'apprivoisent, un cheval galope sous la mer, les guerriers s'envolent, le tout avec une grâce de patineurs. Le cinéaste hong-kongais dessine et mime tous ses plans, imaginant de film en film de nouvelles figures. L'happy end est de rigueur, les gentils roturiers triomphant des vils revanchards, la noblesse restant épargnée malgré son cynisme calculateur et son pouvoir aveugle, car c'est tout de même bien l'argent qui règne ici en maître, sur l'écran et derrière.