70 février 2015 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 27 février 2015

À travail égal salaire égal


Pour le concert de résurrection d'Un Drame Musical Instantané le 12 décembre dernier au Théâtre Berthelot de Montreuil j'avais choisi la discographie du groupe comme colonne vertébrale, ma présentation orale de chaque disque devenant la partition de notre improvisation en sextet. Je racontai donc des petites histoires sur et autour de chacun, évoquant notre camarade Bernard Vitet à qui nous rendions hommage. Avec le temps, ce qui nous avait énervé à l'époque de notre collaboration quasi quotidienne nous fait rire aujourd'hui. Son esprit aiguisé, son lyrisme à la trompette, la qualité de son écriture et son amitié indéfectible nous manquent cruellement.
La première partie du spectacle se référait aux six vinyles du Drame tandis que la seconde trouvait prétexte dans six de nos CD. À travail égal salaire égal était notre troisième vinyle et le premier avec le grand orchestre, une quinzaine de solistes que nous avions réunis à l'origine pour un hommage à Béla Bartók. Le soir de la première, le vendredi 13 novembre 1981, dans ce même Théâtre Berthelot, Bernard avait décidé au dernier moment de diriger le Trio Impair avec des gants blancs. N'ayant pas répété ganté, lorsqu'il voulut tourner la première page de sa partition, tout autour de lui s'envolèrent les feuilles que j'essayai tant bien que mal de rassembler à quatre pattes. À la fin de Crimes Parfaits nous avions cherché à remplacer le scoop polar enregistré quai de la Rapée par une action live ; notre camarade avait donc choisi de tirer une salve de pistolet mitrailleur à la place. Tout est allé très vite. L'orchestre s'arrête, Bernard ouvre une grande valise à l'avant-scène, en sort l'arme qu'il braque sur le public, toutes les lumières s'éteignent, les flammes jaillissent dans l'obscurité. Quelques spectateurs ont évidemment très mal vécu l'expérience, même si ce soir-là fut le premier grand succès du Drame. L'enregistrement de La preuve par le grand huit en est issu.


À travail égal salaire égal de 2014 n'a pas grand chose à voir avec ce qui l'a inspiré. Seules les chansons du programme ont respecté les partitions originales. J'attaque ici au Tenori-on suivi par Francis Gorgé à l'iPad tandis que Hélène Sage joue d'un violon que je lui ai prêté, Hélène Bass est au violoncelle, Antonin-Tri Hoang au sax alto et à la clarinette basse, Francisco Cossavella aux percussions. Je termine avec une de mes premières flûtes acquise dans les années 60 !

jeudi 26 février 2015

Bird et l'oiseau


Croit-on encore que le petit oiseau va sortir quand Bird glisse son œil à la caméra ? C'est un plan fixe et muet, contrechamp et contretemps des seules secondes synchrones que l'on pensait avoir de Charlie Parker jouant à l'image. Il y a quelques années la technologie a permis de resynchroniser deux morceaux complets, enregistrés en studio et filmés sans le son dans le studio du photographe Gjon Mili. La photo prise par Paul Nodler fait partie des 54 inédites de 1950 réalisées lors de cette Mili's Session où Charlie Parker et Coleman Hawkins interprètent ensemble Ballade avec Hank Jones au piano, Ray Brown à la basse et Buddy Rich à la batterie, suivi de Celebrity avec seulement l'oiseau à l'alto où ses yeux laissent filtrer quantité d'expressions...


Sur le double DVD Improvisation présenté par Norman Granz, lors de cette Mili's Session on trouvera également Ad Lib par le trio sans les souffleurs, rejoints ensuite par Lester Young au ténor et Bill Harris au trombone sur Pennies From Heaven, remplacés enfin par Ella Fitzgerald, le trompettiste Harry "Sweets" Edison et le ténor Flip Phillips sur Blues For Greasy. Le reste des séances figurent Duke Ellington à la Fondation Maeght en 1966 pour un Blues For Juan Miró avec l'artiste catalan lui montrant ses sculptures, Count Basie au Festival de Montreux en 1977 ainsi que Oscar Peterson avec les trompettistes Dizzy Gillespie et Clark Terry, puis Joe Pass en 1979, Ella Fitzgerald la même année, un portrait de Norman Granz par Nat Hentoff, des rushes de la Mili's Session, des entretiens et Jammin The Blues, le premier film de Granz et Mili de 1944 avec Lester Young, Red Callender, Harry Edison, Barney Kessel, Jo Jones, Illinois Jacquet, Marie Bryant, etc. !


Une autre photo de Nodler m'a intrigué. Bird dort, couché sur une table, son corps tordu, posé comme un saxophone. Le rideau suggère un nouveau contrechamp, renvoyant à l'inconfort d'une époque où la ségrégation raciale était encore légalement en vigueur dans plus de la moitié des États-Unis.

mercredi 25 février 2015

La peur du vide


La peur du vide est la seconde création radiophonique commandée à Un Drame Musical Instantané par Didier Alluard et Monique Veaute pour France Musique. Didier Alluard avait d'abord remplacé Alain Durel à la direction de la création pour la musique au Ministère de la Culture où les choses se gâtèrent après son départ. Avec Françoise Degeorges, Monique Veaute était l'une des têtes chercheuses de l'antenne. Si USA le complot était illustré musicalement par essentiellement des musiques existantes, enregistrements de films et témoignages tout aussi rares, cette seconde émission diffusée le 1er juillet 1983 était clairement une création du Drame. Alain Nedelec avait soigné le son des deux émissions et Bernard Treton, qui nous assistait, nous regardait avec ses petits yeux plissés et amusés chaque fois que nous avions une idée saugrenue.
Pour cette Fréquence de nuit "Nuit noire" nous avions entre autres demandé le Bösendorfer Imperial, un tam tam et une grosse caisse symphoniques, des timbales, des cloches plaques et une flopée d'instruments percussifs ou bruitistes stockés au sous-sol de la Maison de Radio France, car à l'époque le Pool de Percussion était intelligemment dans les murs de la Maison de la Radio. Bernard Vitet avait choisi trompette, violon, percussion, piano, trompette à anche et double bombarde. Francis Gorgé oscillait entre guitare électrique, guitare basse, synthétiseur analogique, flûte, percussion et piano. Quant à moi, je m'éclatais aux synthétiseur PPG Wave 2.2, piano, trombone, trompette, trompette à anche, flûte, guimbarde et percussion.
Mais ce n'est pas tout, car nous avions profité de notre présence à la radio pour insérer Die eiserne Brigade d'Arnold Schönberg, Ionisation d'Edgar Varèse, Camille Saint-Saëns improvisant au piano Samson et Dalila, La damnation de Faust, Pandemonium et la Sérénade de Hector Berlioz, Joue-moi de l'électrophone de Charles Trenet, Monsieur William par les Frères Jacques, À bout de souffle de Claude Nougaro, Monsieur Bebert de Georgius, Anna la bonne de Cocteau par Marianne Oswald, La guêpe de Bernard Vitet, le rêve de Robert Desnos mis en ondes par lui-même, Légitime Défense, Guillaume Appolinaire, Michel Poniatowski, Jean-Paul Sartre. Une femme est une femme, Masculin Féminin, Tristana, Le testament du Dr Mabuse, Dial M for Murder, L'éclipse, Le parfum de la dame en noir, Underworld USA, Pick Up on South Street, Shock Corridor, Naked Kiss, Le trou, Le testament d'Oprhée. Et Un drame musical instantané avec M'enfin, plus Le malheur avec tout l'orchestre !


L'intégralité de La peur du vide est en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org ! En fin d'émission nous avions cette fois choisi la version de Django Reinhardt et Stéphane Grapelli de La Marseillaise qui terminait les émissions la nuit à 1 heure du matin, laissant un vide qui aujourd'hui ferait peur à n'importe quel responsable.

mardi 24 février 2015

L'Algérie de Dirk Alvermann, un livre-molotov


La semaine dernière la librairie Le Monte-en-l'air avait invité Federico Rossin pour une lecture/projection croisée du livre L’Algérie de Dirk Alvermann et du coffret DVD Algérie en Flamme de René Vautier.
Le protest photo book de Dirk Alvermann est un petit livre de photos pleine page qui rappelle fondamentalement le montage cinématographique. Aucun texte, aucune légende, mais également aucune image de guerre proprement dite. En 1960, par le seul jeu des regards croisés et de la dialectique le jeune photographe ouest-allemand réussit à mettre en scène le colonialisme et la lutte pour l'indépendance du peuple algérien. "Hommes, femmes, personnes âgées et enfants sont les protagonistes d’une insurrection générale qui affecte l’ensemble de la société et ses classes". L'art et la manière sont si exemplaires que certains parlent de "livre-molotov".


L'Algérie est l'un des cinq ouvrages introuvables que Martin Parr rassemble en facsimilés en 2011 sous le titre The Protest Box. Le format de poche est celui que Alvermann avait choisi à son retour, publié à l'origine à 35 000 exemplaires en Allemagne de l'Est où il est parti vivre. Il avait vingt ans (comme Avoir vingt ans dans les Aurès, le film de Vautier de 1972 !) lorsqu'il avait rejoint l’Armée de libération algérienne "avec l’idée de documenter les événements en cours pour dynamiter une fois pour toutes le photo­journalisme européen asservi à la France colonialiste". Une note de l'éditeur et le rappel des faits préfacent le livre d'images découpé en six chapitres : 1. ... la colonisation n'apporte ni l'humanité ni la justice, ni la civilisation ni le progrès. / 2. Ils respectent le droit des peuples... / 3. Qui ont osé s'insurger... / 4. ... c'est une révolution organisée et non une révolte anarchique. / 5. La libération de l'Algérie sera l'œuvre de tous les Algériens... / 6. ... par le peuple et pour le peuple. Mais que l'on ne s'y trompe pas ! L'Algérie est une œuvre d'abord sensible, fondamentalement humaine, où les regards en disent plus que tous les discours. C'est une leçon de cinéma qui renvoie maint documentaire au rang de simple reportage. C'est un film où le temps est régi par le lecteur qui tourne les pages. C'est un hymne à la résistance, celle qui hante nos cœurs, à faire bouillir nos cerveaux et bouger nos bras et jambes. C'est la vie derrière les choses. Indispensable.

→ Dirk Alvermann, L’Algérie, livre, ed. Steidl, 18€
René Vautier en Algérie, 15 films en 4 DVD, Les Mutins de Pangée, 28€

lundi 23 février 2015

Valérie s'est éteinte


Sentiment de profonde injustice. La petite flamme des Allumés s'est éteinte cette nuit. Valérie Crinière avait un cœur d'or, il a cessé de battre. Se battre, elle en avait l'habitude, trop probablement et sur tous les fronts. C'était aussi sa force. La période de rémission de cinq ans était écoulée, mais le crabe n'a pas respecté le planning. Elle l'avait chassé, il est revenu par la fenêtre. C'est pourtant le sourire de Valérie que je préfère évoquer. Et les rires que nous piquions lorsque nous militions tous ensemble aux Allumés du Jazz. La photo a été prise lors d'un bouclage marathon du journal de l'association en 2007 avant que Val tombe malade. Elle tenait le secrétariat, mettait en page le Journal, s'occupait du site Internet, coordonnait les relations avec les labels, tenait le stand de disques dans les festivals avec Cécile... À cette époque je passais au moins une heure tous les matins à discuter des affaires courantes et à refaire le monde. Paris-Le Mans. Elle y avait sa famille, mais ses amis étaient partout. Nous sommes nombreux à qui elle va cruellement manquer. Ce n'est pas juste, c'est le cri que j'ai poussé lorsque j'ai appris son départ précipité pour l'hôpital la première fois. C'est le même qui m'étrangle aujourd'hui. Ce n'est pas juste. Mais on ne choisit pas. Il faudrait tout reprendre depuis le début. Mais on ne sait pas. On ne sait jamais rien.

Ugly de Anurag Kashyap


Dans le bonus du DVD de Ugly, le réalisateur Anurag Kashyap raconte que le film de genre, ici un thriller autour de l'enlèvement d'une fillette, le libère de devoir donner des réponses démonstratives sur la société indienne. Les questions que la fiction génère excitent la réflexion des spectateurs qui sortent de la projection dans le silence. Car Ugly est un film qui dérange comme tous ses précédents films, de Paanch à Gangs of Wasseypur, en passant par No Smoking, Gulaal et That Girl in Yellow Boots. Même Dev.D, remake du blockbuster Devdas, ne peut se réclamer de Bollywood, sa mise en scène critique de la société patriarcale indienne où le policier règne sur les citoyens comme le père sur la famille renvoyant le divertissement coloré à ses chimères vaudevillesques. L'abus d'autorité mène partout à la corruption et pulvérise la morale. L'obsession des Indiens pour le cinéma pousse Kashyap à équiper ses personnages des atours de ces fantasmes. Dans son pays les stars deviennent ministres, la puissance des images se muant en pouvoir politique. Ugly révèle les pires travers de chacun dans un portrait sans concession de la société indienne où les conflits de langues et de religions renforcent la hiérarchie sociale, engluée dans des coutumes sclérosantes et terriblement cruelles.


Anurag Kashyap s'appuie généralement sur des faits réels qu'il transforme et déforme en s'appuyant sur les ressources que le cinématographe lui offre, des rebondissements du scénario à une utilisation de la musique parfaitement intégrée à l'action. Trois faits divers l'ont ici inspiré, aidé par le chef des polices spéciales de Bombay pour que son inspiration ne s'encombre pas d'une fidélité démonstrative qui alourdit tant de films politiques.

Ugly, DVD Blaq out

vendredi 20 février 2015

Rideau !


Christian Taillemite a publié son reportage photo de la résurrection d'Un Drame Musical Instantané sur le site Citizen Jazz. C'est chouette de voir Hélène Sage à la flûte basse ou avec le frein qu'elle a fabriqué à partir d'un modèle de Bernard Vitet. Il ne manque qu'un instrument autour du cou d'Antonin-Tri Hoang pour qu'il me rappelle Roland Kirk. Sacré souvenir pour le jeune percussionniste Francisco Cossavella qui nous a rejoints de justesse sans nous connaître ! Accrochée à son archet, Hélène Bass est sérieuse comme une papesse tandis que Francis Gorgé transformé en guitar hero me lance des coups d'œil amusés pendant que je joue du Tenori-on, du hou-kin ou des sons bizarres que je génère via mon clavier.


Après une évocation du premier vinyle du Drame nous attaquons le second morceau par les chiffres du loto de M'enfin qui ouvrait notre Rideau ! Dix autres vidéos du concert sont visibles sur ma chaîne YouTube.

Photo N&B : Christian Taillemite

jeudi 19 février 2015

Le distributeur automatique et le stade du miroir


Ce n'est qu'en agrandissant la photo que j'ai remarqué les graines en file indienne dans le bec du geai. Les oiseaux revenus en nombre depuis que nous leur avons disposé à béqueter boudent les boules de graisse et font une razzia sur les graines. Il suffit que je lève le nez de mon ordinateur, ils sont dans ma ligne de mire. À l'affût, j'ai posé mon appareil-photo à côté de moi. D'autant que je suis tout de même à six mètres de l'écuelle derrière la porte-fenêtre. Je pourrais passer des heures à regarder les mésanges et les merles dans le jardin...


Justement, en ce qui concerne la mésange qui voulait traverser le miroir je suis sidéré de constater qu'elle ne s'y cassait pas le bec, mais qu'elle se prêtait à un jeu incroyable ! Toutes les dix minutes elle revient s'amuser de son reflet et fait des sauts en élastique devant la glace posée au fond du jardin. Est-elle curieuse ou facétieuse ? L'un n'empêche pas l'autre. Aux dernières nouvelles, elle a ramené un copain ou une copine, et chacun chacune à son tour glisse sur la surface argentée...

mercredi 18 février 2015

USA le complot


L'énergie qui émane de USA le complot est incroyable. Nous n'y étions pas allés avec le dos de la cuillère. En 1983 Didier Alluard et Monique Veaute commandent une création radiophonique à Un Drame Musical Instantané. Cette période inaugurée par Louis Dandrel et Alain Durel est souvent appelée "L'âge d'or de France Musique". Le 17 juin, est diffusée cette émission de plus de deux heures signée Bernard Vitet, Francis Gorgé et moi-même. En voici la bande-annonce :


Pour cette Fréquence de nuit "made in USA" le programme annonce :
Mothers of Invention God Bless America. Musique des Indiens Navajos. Batteries d'ordonnance du Corps Expéditionnaire de Rochambeau. John Ford et Samuel Fuller. Chant Peyotl des Sioux Yankton. Revendications des tribus indiennes. Galant 7th de John Philip Sousa. Buffalo Bill avec Jean Négroni. Témoignages de Jean et Geneviève Birgé. Le jugement des flèches, musique de Victor Young. Chant de femmes du Burundi. Aretha Franklin Mary Don't You Weep. Steve Reich It's Gonna Rain. The Last Poets New York New York. Colette Magny Oink Oink. Ruben and The Jets Almost Grown. News On The March. Jimi Hendrix Star Spangled Banner. Charles Ives chante They Are There. Rocker par Charlie Parker en soutien au Parti Communiste Américain. Thelonious Monk et Miles Davis Bag's Groove. Albert Ayler Spirits Rejoyce. Cathy Berberian Stripsody par Marie-Thérèse Foy. Le Journal de Wall Street sur la culture française. Bertolt Brecht devant la Commission des Activités Anti-Américaines. Johnny Guitar, Vera Cruz, Un roi à New York, Tex Avery, Underworld USA. Humphrey Bogart, James Cagney. Johnny Hallyday La bagarre, Serge Gainsbourg Comic Strip, Michel Jonasz Big Boss, Karen Cherryl La marche des machos, Adriano Celentano 24000 baisers, Nina Hagen, Los Bravos Black is Black, Pyramis, YMO, Ryo Kawasaki and The Golden Dragon. Miles Davis Solea. Harry Partch chante The Letter. Spike Jones Hawaïan War Chant. Terry Riley et John Cale Church of Anthrax. Laurie Anderson From The Air. Charles Ives Variations on America… Mais le mieux est d'écouter l'intégralité de ces deux heures en écoute et téléchargement gratuits sur drame.org !


À cette époque, la fin des émissions était systématiquement signifiée par La Marseillaise, c'était de circonstance en l'occurrence ! Nous avions choisi la version de Berlioz pour ce soir et celle de Django Reinhardt et Stéphane Grapelli pour la seconde création qui sera diffusée deux semaines plus tard, un polar intitulé La peur du vide, mais ça c'est une autre histoire. Quant à l'illustration, je l'ai honteusement découpée dans une œuvre du streetartist Nils Westergard.

mardi 17 février 2015

P comme Papa


De temps en temps on me demande qui était mon père et chaque fois je ne sais plus où j'ai rangé le texte que j'avais écrit en 1994 pour la revue ABC comme. Déjà 20 ans et 27 après sa mort. Il en aurait 97 aujourd'hui et je me demande souvent comment il réagirait à tel ou tel évènement. Dès que je pense à lui je le sens voleter au-dessus de mon épaule, près de mon oreille droite, comme une sorte de Jiminy le criquet garant de ma bonne conduite. Voici le texte.

Papa

Un peu de poussière dans un ciboire, Elsa a voulu garder le caveau, les autres s'en foutaient, dans notre famille nous n'avons pas le culte des morts, il est en face, tout en bas des marches du columbarium, j'ai fait renouveler la concession pour dix ans, il y fait froid ou frais selon les saisons, Elsa aime bien y aller, c'est mignon.
Il a changé de vie à quarante ans, il est retourné à l'école, il est devenu représentant, et puis il a monté sa boîte, a remboursé ses dettes jusque trois ans avant sa mort, il était devenu président-directeur-général.
Il a changé de vie à trente quatre ans, quand il s'est marié. Il aimait bien les filles. Surtout les femmes de trente ans. Depuis l'âge de treize ans. A la fin c'était plus difficile. C'est probablement pour cela qu'il en a eu marre. Il ne supportait pas l'idée d'être diminué. Il avait toujours dit que ce jour-là il préférerait se flinguer. Il n'a pas eu à le faire. La veille, maman lui a fait remarquer qu'il avait du mal à grimper les huit marches, il a répondu qu'il y en avait neuf. Le lendemain matin, il a dû l'appeler pour s'extirper de la baignoire, il n'y arrivait plus tout seul. En début d'après-midi, Elsa et moi, nous lui avons apporté un concerto de Brahms qui lui faisait envie. Quand nous sommes partis il a mis le casque sur ses oreilles. Maman l'a retrouvé par terre en revenant des courses, c'était un samedi. À la fin, il écoutait la Callas comme ça et les larmes lui coulaient le long des joues, il s'offrait du caviar de chez Petrossian, il ne voulait pas savoir ce qu'il avait vraiment, nous ne disions pas le mot. Son cœur était fragile, cela lui a permis d'éviter le pire.
Il avait toujours raconté qu'il était sursitaire, que toute sa vie était du supplément. Condamné plusieurs fois à mort, la première à dix sept ans, il était toujours là à soixante dix. Il avait eu des rhumatismes articulaires aigus, et puis les poches d'eau s'étaient résorbées en une nuit, la veille de l'opération. Cela l'avait empêché de partir en Espagne avec les Brigades. Aucun de ses copains n'en est revenu. Il avait décidé que nous n'irions pas dans ce pays tant que Franco serait vivant. Il avait toujours milité. Il s'était battu à la canne contre les Camelots du Roi, avait été exclu du parti socialiste pour trotskisme-léninisme (!), parlait d'insurrection armée quand il était énervé, sinon il était au parti socialiste (était-ce le même ?) et il allait tous les jeudis soirs au Grand Orient. Pas toujours en fait, c'était souvent son alibi pour aller voir une copine.
Surtout il y avait eu la guerre. Je devrais dire le nazisme. Il a passé toutes ses vacances de 1933 à 1939 à Bielefeld en Allemagne. Son meilleur ami était le fils du commissaire de police. Les deux jeunes hommes piquaient la voiture officielle pour aller se balader, avec la sirène évidemment. Dans un cinéma ils furent les deux seuls à ne pas se lever aux images du Führer. Les Jeunes Hitlériens les poursuivirent dans la rue. Un autre jour, un vieil homme se fait abattre sur le trottoir par les chemises brunes. La foule s'amasse : " Es ist ein Jude (C'est un Juif) " dit l'un d'eux. Les badauds se dispersent. Le pote de papa est mort noyé dans un sous-marin. Gaston, celui du boulevard angevin, le papa de papa, croyait Pétain qui avait promis de protéger tous les enfants de France (P.S. : l'avenir montrera que mon grand-père était en fait dans la résistance, Papa est mort sans savoir que son père partageait secrètement la même conscience et était même probablement intervenu à un niveau supérieur). Un employé de son usine, il était directeur de l'usine d'électricité d'Angers, l'a dénoncé à la Gestapo. Il fut déporté à Auschwitz et gazé à Büchenwald. Mon père était à Paris, il était suffisamment politisé pour ne pas avoir été réclamer son étoile jaune. Décidé à retrouver son père, il s'engage dans un service allemand et prend contact avec Londres. Il est chargé d'envoyer des maisons préfabriquées en Allemagne. Malheureusement un jour il tombe malade et la femme qui le remplace s'aperçoit qu'aucun convoi n'est jamais arrivé à bon port, il est arrêté. Dix sept jours sans manger, il pèse trente quatre kilos, la moitié de son poids, lorsqu'il est à son tour déporté. Août 44. Sous les bandages qui entourent ses bras il a glissé des fourchettes et des cuillères qu'il a aiguisées. Dans le wagon à bestiaux qui l'emmène il est obligé de se battre contre ceux qui ont peur des représailles et contre ceux qui veulent sauter les premiers. Avec les fourchettes il arrache les barbelés de la minuscule fenêtre en hauteur. Il saute le septième. Le neuvième est coupé en deux par les balles des mitraillettes, cette image me hantera longtemps. Banlieue de Paris. Il sonne à la première maison. Un officier allemand, accompagné de son chien, vient lui ouvrir. Il court. Il se cache sous des clapiers. Il a plus peur que les lapins, le leur murmure doucement. Des cheminots le sauveront, mais il reste paralysé pendant six mois, entre la vie et la mort. Il dit devoir son salut aux deux litres de sang frais qu'il va boire chaque matin aux abattoirs, et à Suzon, une cousine de Sermaize qui l'y transporte dans une brouette. Il gardera le goût du beefteak bleu. À la Libération il est arrêté le temps que l'on vérifie ses connexions auprès de son chef à Londres. Il travaillait au Majestic ! Ces trois mois à Fresnes sont une partie de plaisir. Rien à voir avec les geôles allemandes. Le médecin-chef cherche un quatrième au bridge, mon père prétend avoir fait deux ans de médecine, il bluffe, il a l'habitude de frimer. Le premier jour il fait trois cents piqûres. Il devient chirurgien en l'absence des titulaires et il opère. Et il sauve Laval qui vient de s'empoisonner pour qu'on puisse le fusiller. Il se lie avec de vrais truands qu'il continuera de fréquenter quand il sera devenu journaliste. Ainsi il rencontrera Rirette MaitreJean, la seule femme de la Bande à Bonnot, et d'autres rigolos. Je me souviens d'une époque où il faisait sauter ses contraventions à la Préfecture.
Espion, médecin, il fut aussi piqueteur pour lignes à haute tension, coiffeur pour dames, barman au Ritz, pêcheur sur un chalutier à La Rochelle, correcteur au Bottin, videur de boîte de nuit, acteur de cinéma, critique à l'ORTF, modiste, marin sur un pétrolier en route pour le Mexique mais sans passeport il ne peut débarquer... Journaliste à France Soir, il interviewe Churchill et Paulette Goddard alors mariée à Chaplin. Il est correspondant du Daily Mirror pendant quatre ans, il parle anglais avec l'accent d'Oxford, il fonde et dirige la Collection Métal (romans d'anticipation) avec Jacques Bergier*. Contrebandier, il passe des médicaments en Espagne et des livres pornos en Belgique ; son coéquipier est Eric Losfeld. Agent littéraire, il lance Frédéric Dard (San Antonio) et Robert Hossein, il a les droits du Salaire de la Peur et de Fifi Brindacier, il est l'agent de Michel Audiard, de Marcel Duhamel et de sa Série noire, de Francis Carco dont il produit les pièces, il fait tourner Pierre Dac avec qui il s'amuse beaucoup mais c'est le bide absolu, il fait faillite en produisant la comédie musicale Nouvelle Orléans avec Sidney Bechet, Mathy Peters, Pasquali et Jacques Higelin dont c'est le premier rôle au théâtre (il me terrorisait lorsqu'il rentrait sur scène déguisé en indien et hurlant). C'est là qu'il change de vie parce qu'il a deux enfants à charge et plus un rond, il est décidé à payer ses dettes. Il aura fait tous les métiers sauf ceux qui requièrent un uniforme. Il a fait de la boxe et de l'escrime. Secrétaire de rédaction à Cinévie, il est l'amant de France Roche. Quand il est au Hot Club de France Louis Armstrong vient tous les soirs jouer dans sa chambre, c'est la plus grande de l'hôtel. Vendeur de voitures d'occasion, chef de publicité, rédacteur en chef d'une revue d'électroménager, administrateur des Ballets de Janine Charrat, expert auprès des Tribunaux pour l'Opéra de Paris, directeur commercial d'une société d'adhésifs, il est le Visiteur du Soir dans une émission de Pierre Laforêt sur Europe 1, auteur d'un feuilleton policier pour la radio, candidat bidon pour lancer L'Homme du XX°Siècle avec Pierre Sabbagh à la Télévision Française, il aide Bruno Coquatrix à ouvrir l'Olympia en faisant de la cavalerie*, il est vendeur de bougies automobiles, il traduit mes versions latines sans dictionnaire, il fait des contresens, il est diplômé de l'École Supérieure de Commerce de Paris et de l'École Technique de Publicité, il est directeur de l'annuaire "Qui Représente Qui", et il regrettera toujours d'avoir abandonné le monde du spectacle.
Lorsqu'il rencontre ma mère, elle est vendeuse en librairie. Ils se sont rencontrés au Royal Lieu, un dancing des grands boulevards, où ni l'un ni l'autre n'avaient jamais mis les pieds.
C'était un marrant, un frimeur, un naïf qui se faisait arnaquer avec une facilité déconcertante. Une des rares autographes qu'il a conservées est une reconnaissance de dettes de Jules Berry. C'était un passionné pour tout ce qu'il faisait, il m'a appris à toujours faire les choses correctement, quoi qu'on fasse, sinon l'on s'emmerde. Il était fier de son fils qui faisait ce qu'il aurait aimé. J'étais sa revanche. C'est comme ça que je le prends. J'adorais partir en vacances avec lui, il nous arrivait toujours des aventures extraordinaires. Au Maroc il a fait un saut dans le vide au-dessus d'un pont cassé avec la voiture de location. En Sardaigne nous avons partagé les repas des bandits d'Orgosolo. En Sicile nous avons gravi l'Etna en éruption. Il n'était plus du tout sportif. Il était plutôt gros. Il adorait bouffer. Chaque été il se plantait des épines d'oursins dans les pieds.
Mes copains l'aimaient bien. On buvait du Coca en fumant des joints. Il goûtait et disait préférer son cigare. Cela détendait l'atmosphère. On s'est acheté ensemble un électrophone pour écouter Beethoven, il m'a refilé son vieux transistor, je m'en sers toujours, à sa mort j'ai récupéré le gros poste de radio à lampes qui était déjà à son père et sur lequel j'écoutais les sons et les voix du monde entier, et ce que j'ai pu rêver ! Lorsque j'avais treize ans il m'a interdit de toucher aux livres du rayon du haut, je n'en aurais jamais eu l'idée sans lui, c'était son Enfer. Sympa de sa part. Je ne comprenais pas bien ce que lui pouvait y trouver. À mes concerts il parlait fort pour que l'on sache qu'il était mon père, et ensuite il ronflait. Il avait un nombre invraisemblable d'expressions populaires à son vocabulaire, il faisait chabrot, il prétendait que la crème Chantilly ne faisait pas grossir, il se saoulait quand il avait une rage de dents, cela nous faisait hurler de rire. Je me souviens du soir où ma mère, ma sœur et moi n'avons jamais réussi à le relever ; il était coincé par terre entre le radiateur et l'armoire : " Un baby, juste un baby whisky ". Il riait facilement. Aux larmes. Il pleurait aussi lorsqu'il était ému. S'il pétait à table il me disait : " Si t'es gêné t'as qu'à dire que c'est moi ". Il se servait toujours plus que les autres et faisait remarquer à ma mère qu'il avait pris la plus petite part. Elle et lui s'engueulaient tout le temps. Ils s'aimaient.
Cela fait déjà un bout de temps qu'il est parti. À la fin il était moins marrant, lui qui avait toujours eu l'air si jeune avait vieilli d'un coup. J'aime bien penser à lui. Je fais ce que je peux pour me dire qu'il aurait été fier de son fiston. Il me disait : " Comment vas-tu, fils, tulle à l'anus ? ", je n'ai compris que très tard ; cela le faisait hurler de rire. J'ai aussi appris très tard qu'un poulet avait un croupion parce qu'il se le bouffait en douce en le découpant. J'anticipe sur les histoires de Q. Maman faisait la cuisine, mais lui était le roi de la mayonnaise et des sauces. Il m'a aussi appris à faire des cocktails. Par exemple il avait baptisé La Chose de Papa, 1/3 whisky, 1/3 gin, 1/3 vermouth extra dry, grenadine au goût. Demandez donc à notre rédac' chef ce qu'il en pense, il a crié à l'hérésie, mais c'était déjà trop tard !
Maintenant papa c'est moi.
Je n'ai pourtant pas quitté le Pays Imaginaire.

lundi 16 février 2015

Trop d'adrénaline nuit


Résurrection inattendue d'Un drame musical instantané. Après 32 ans j'avais dissous le groupe faute de combattants. Francis Gorgé l'avait quitté en 1992, Bernard Vitet avait cessé de souffler en 2004, ses dernières compositions datant de 2007. Seul rescapé de notre collectif, j'avais finalement décidé de me produire sous mon nom en 2008. À la mort de Bernard en 2013, chacun avait joué avec son groupe tandis que Hélène Sage était bloquée à Toulouse, aussi avions-nous décidé de remonter le Drame pour un soir lorsque l'occasion se présenterait. L'invitation de Patrice Caillet à la Semaine du Bizarre tomba à propos. Pour ce concert exceptionnel nous étions accompagnés du saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang, du percussionniste Francisco Cossavella et de la violoncelliste Hélène Bass. Je n'avais pas joué avec Francis depuis son départ, avec la grande Hélène depuis 1997, avec la petite Hélène depuis 1983 et le jeune argentin remplaçant au pied levé Edward Perraud, souffrant, n'a même pas eu le temps de faire une balance ! Le seul avec qui je joue régulièrement est Antonin. L'aventure était risquée, car si le spectacle suivait la chronologie discographique du groupe tous les morceaux, hormis les chansons préparées par Hélène Sage et Francis, étaient improvisés. Entre chacun j'illustrai notre histoire de petites anecdotes amusantes. Avec le recul même les drames nous font rire.


C'est dans ce même Théâtre Berthelot à Montreuil que nous avons joué maints ciné-concerts dans les années 70 et créé le grand orchestre du Drame en 1981. Alain Longuet, Françoise Romand, Armagan Uslu ont filmé depuis la salle avec leurs petites caméras, me permettant de monter des séquences pour une fois dans leur intégralité. Mieux que l'audio seule, la vidéo aide à percevoir les mouvements musicaux. Il est néanmoins préférable de brancher le son sur des enceintes plutôt que de se contenter des enceintes criardes de l'ordinateur.

vendredi 13 février 2015

Geronimo et Les combattants, le pouvoir des filles


Deux films récents abordent le désarroi des jeunes face à l'avenir qu'il ne leur est pas proposé. Dans Geronimo de Tony Gatlif comme dans Les combattants de Thomas Cailley l'héroïne est une fille qui semble comprendre les enjeux ou du moins elle sait ce qu'elle veut, alors que les garçons sont paumés, suivistes formatés ou rebelles à tout, même à eux-mêmes. Dans le premier ce sont des jeunes qui n'ont rien, même plus de rêves, laissés pour compte d'une société démissionnaire et criminelle, qui ont le machisme pour référence ; dans le second l'Armée de terre recrute ceux qui pensent y trouver une formation vers un futur métier sans envisager de s'engager au delà. La bagarre est un sport de mecs qui cherchent à se prouver qu'ils sont des hommes alors que ce n'est que la démonstration de leur immaturité. Dans tous les cas on les trouvera pitoyables ou l'on sera touché par leur fragilité camouflée en vantardise.


Le film de Gatlif est une sorte de remake de Roméo et Juliette, un West Side Story à la française où s'affrontent deux communautés après qu'une jeune Turque ait fui un mariage arrangé pour rejoindre son amoureux rom. Le rythme du drame doit beaucoup à la musique et à la danse, formidables, que le réalisateur maîtrise mieux qu'aucun autre élément de son film. Le film de Cailley est une comédie où les hésitations sont autant de contretemps. Mais dans l'un comme dans l'autre le rôle principal est tenu par une comédienne hors pair. Gatlif avait écrit le rôle de l'éducateur qui s'interpose entre les deux bandes rivales pour un homme. Il ne pensait plus réaliser le film avant d'avoir rencontrer Céline Sallette, extraordinaire comédienne à qui l'on souhaite une longue carrière comme à Adèle Haenel qui tient le rôle principal des Combattants, des filles qui n'ont pas froid aux yeux et font tomber les masques des petits machos auxquels leurs mères ne semblent pas avoir appris grand chose...


Les combattants, déjà sorti en DVD et Blu-Ray chez France Télévisions avec le court métrage Paris-Shanghaï de Thomas Caillez
Geronimo, sortie le 3 mars en DVD chez Potemkine avec de longs entretiens de Tony Gatlif et Céline Sallette

jeudi 12 février 2015

Fréquences sublimes


Filmés "roots" comme par des amateurs appliqués et passionnés, évitant souvent les commentaires pour laisser parler les images et les sons, ces field recordings ont plus de charme que bien des documentaires peaufinés et formatés. Axés sur la musique traditionnelle des pays visités, ces récits de voyage s'attardent sur le contre-champ de la vie quotidienne, révélant le paysage sonore et social contemporain où surnage la tradition. The Stirring of Thousand Bells de Matt Dunning oppose ainsi le gamelan javanais à la fête populaire du Festival Sekaten, un cours de danse dans le Palais Mangkunegaran se superpose à la vie nocturne de Solo.


Small Path Music est un voyage de Laurent Jeanneau filmé par David Harris sur les plateaux du Sud-Est asiatique à la frontière entre la Chine et le Laos. De rituels shamaniques en chansons d'amour le collecteur de sons commente sa démarche et ses rencontres. Le road movie s'axe sur les musiques rarement entendues des minorités ethniques qui risquent de disparaître rapidement.


Le film de Hisham Mayet, Vodoun Gods on the Slave Coast, dévoile diverses cérémonies vaudous du Bénin (ex Dahomey). On y découvre le culte Sakpata, dieu de la terre, de la variole et de la guérison, les Egoun-gouns, revenants du Royaume des Morts pour conseiller les vivants ou la police secrète des Zangbeto se déplaçant la nuit déguisés en meules de foin...
Ces trois DVD appartiennent au label de Seatle, Sublime Frequencies, dirigé par Alan Bishop des Sun City Girls, qui a déjà publié une centaine d’enregistrements en cd, vinyles et dvd en provenance d’Asie du sud-est, du Moyen Orient, du Maghreb et de l’Afrique. Une partie (dont ces DVD) est distribuée en France par Orkhêstra. Ils n'en révèlent pas seulement les musiques traditionnelles ou actuelles, mais aussi la vie quotidienne, "les curiosités, les petits riens « en voie de disparition », ceux-là même que les reportages s’échinent à gommer si scrupuleusement".


Les enregistrements de rue sont évidemment passionnants, mais ce sont les programmes radio qui me font le plus rêver. Certains sont des plunderphonics, zapping de séquences plus ou moins longues comme j'en réalise depuis les années 70, suite de mon enfance où je cherchais les bruits du monde sur les ondes courtes du gros Telefunken de mon grand-père. Radio Java, Radio Morocco (on y est transporté mieux qu'avec n'importe quel disque), Radio Palestine (cosmopolite à fond), Radio India, Radio Phnom Penh, Radio Sumatra, Radio Pyongyang (sous-titré Commie Funk and Agit Pop from the Hermit Kingdom !), Radio Thailand, Radio Algeria, Radio Myanmar, Radio Niger, Radio Vietnam... Au catalogue on trouve aussi des albums trépidents du Syrien Omar Souleymane ou du Turc Erkin Koray, des groupes Inerane, Doueh, Bombino et des kitcheries délicieuses de la compilation birmane Princess Nicotine, la merveilleuse Bollywood Steel Guitar, le Choubi Choubi irakien, le guitariste égyptien Omar Khorshid, le Pop Yeh Yeh malais, 1970's Algerian Proto-Rai Underground et tant d'autres. Il existe d'ailleurs un DVD mp3 réunissant les 51 premières références dont beaucoup sont aujourd'hui introuvables car le label sort souvent en tirage limité. "Vivantes mais également vibrantes, humoristiques, souvent low-tech (parce qu’à l’exacte fréquence des pays traversés), plus proches de l’art audio que des projections « Connaissance du Monde » telles sont les productions Sublime Frequencies".

mercredi 11 février 2015

37 secondes de 4 minutes 34


Ce matin une mésange a tenté en vain de traverser le miroir collé au fond du jardin. Devant cette fenêtre illusoire le petit oiseau retombait sans cesse comme une puce sur un trampoling. Au trentième essai la mésange s'est retrouvée face au mur et là elle s'est envolée. La vie est ainsi faite de faux-semblants où il suffit de contourner l'obstacle au lieu de s'y casser le nez. Les passe-muraille sont incapables de passer par la fenêtre. Mes camarades du collectif 4 minutes 34 font pousser des poissons sur les branches. Mikael Cixous a dessiné la lune plongeant dans les vagues pour nager parmi les étoiles et le poisson volant brise les mailles du filet.


Pour leur premier anniversaire Sonia Cruchon a calé un extrait du concert que j'ai donné avec Médéric Collignon et Julien Desprez au Triton. Magie du synchronisme accidentel et preuve par 9, le morceau s'appelle La répétition est une forme du changement, clin d'œil à l'équipe qui formait le collectif Sur le toit.

mardi 10 février 2015

Antarctica en DVD / Blu-Ray


À sa sortie en salles en 1983 ma fille n'était pas née et j'étais encore trop grand. Malgré un indéniable succès planétaire je n'en avais jamais entendu parler jusqu'à sa récente publication en Blu-Ray et DVD, version intégrale superbement restaurée, chez Carlotta. Le film de Koreyoshi Kurahara, Antarctica, m'a emporté jusqu'au Pôle Sud, paysages saisissants habités par des bestioles épatantes, à commencer par l'équipe d'explorateurs japonais sommés de rentrer au bercail en laissant derrière eux leurs huskies sur la banquise. Adaptée d'une histoire vraie qui secoua le Japon en 1958, l'épopée tragique des quinze chiens de traineau est bouleversante. Il aura fallu trois ans et parcourir des centaines de milliers de kilomètres pour réaliser cette incroyable aventure. La musique de Vangelis n'écrabouille pas trop le spectacle, même si on peut toujours rêver mieux que les kitcheries illustratives auxquelles le cinématographe voudrait nous habituer. Goro, Kuma, Pesu, Moku, Aka, Kuro, Pochi, Riki, Anko, Shiro, Jack, Deri, Taro et Jiro, tous chiens de Sakhaline, avaient été prêtés par leurs maîtres aux explorateurs. La honte est un sentiment puissant au Pays du Soleil Levant. C'est une histoire terrible et fabuleuse qui met en scène la relation étonnante qu'entretiennent certaines espèces. Les amis des bêtes, les amoureux des chiens ou des grands espaces ne doivent manquer ce film sous aucun prétexte.

lundi 9 février 2015

Zéphyr, un nouveau type de jeu pour les jeunes enfants


Les quatre petits jeux que je viens de terminer de sonoriser pour Les Éditions Volumiques sont enfin en ligne. La collection Zéphyr est constituée de quatre petits livres basés sur un nouveau type de jeu utilisant à la fois un livre illustré et une tablette (iOS et Android). On peut aussi télécharger gratuitement les applications seules, mais le Ballon, le Safari en ballon, la Fusée et la Soucoupe volante prennent vraiment de la hauteur lorsque l'on pose les objets découpés au centre de l'écran. On a alors l'impression de s'envoler au-dessus des nuages ou dans la stratosphère.
Pour chaque jeu j'ai choisi une ambiance radicalement différente : céleste pour le Ballon (c'est la même application que Balloon, composée avec mon camarade Sacha Gattino, il faut atterrir sur les cibles, ce n'est pas si facile), africaine pour le Safari (prendre des photos des animaux dont les cris sont tous authentiques), électro pour la Fusée (chaque population extraterrestre a sa propre identité sonore) et inquiétante pour la Soucoupe (elle aspire tout ce qu'elle survole). Au dessus des illustrations de Julia Spiers & Étienne Mineur, les ambiances sont différentes selon la hauteur on l'on vole. Pour les enfants à partir de 4 ans (4,99€ par livre). Les livres sont disponibles en librairie et sur le eShop des Volumiques.
Entre temps j'enregistre, pour les plus grands, musiques et bruitages du Monde de Yo-Ho, un jeu de plateau où chaque téléphone est un navire à fond de verre, pour une aventure dans un univers de piraterie teinté de fantaisie...

vendredi 6 février 2015

Le cinéma américain dans de beaux draps


Aujourd'hui c'est blockbuster. Si tant de cinéastes se répandent en niaiseries, propos indigestes, conventions maladroites, lourdeurs de style, la presse spécialisée porte une lourde responsabilité. Leur fascination pour le pouvoir les fait encenser Clint Eastwood ou Martin Scorsese dont les réussites sont très loin derrière eux. Ainsi le scénario de American Sniper, boursouflure patriotique va-t-en-guerre porte en étendard le meurtre de résistants à l'envahisseur yankie en Irak, avec une paresse répétitive. Dans sa lunette borgne Eastwood passe à côté de son sujet en cadrant son obsession sans visionner les raisons de l'adversaire ni entrevoir le paradoxe qu'il inscrit sur un carton en fin de film, la mort de son héros assassiné quelques années plus tard par un autre vétéran en pétage de plombs.


Il n'est pas étonnant que Whiplash ou encore Foxcatcher de Bennett Miller plaise aux machos bagarreurs ou à leurs admirateurs timorés, fascinés par le struggle for life, et les fantasmes du pouvoir. Ce film est d'ailleurs produit par Megan Ellison, fille de Larry Ellison et vice-présidente d'Oracle Corporation ! Megan, c'est True Grit, Lawless, The Master, Zero Dark Thirty , American Hustle, The Grandmaster, cherchez leur point commun ! Même Her s'y inscrit en creux lorsqu'on le rajoute à la liste. Quant au papa Ellison, c'est la cinquième plus grande fortune mondiale et Oracle tient son nom de ses connexions directes avec la CIA. Le film met en scène des lutteurs abrutis et un milliardaire pervers qui s'invente des jouets humains pour combler son ennui. Aucun recul ne permet d'imaginer un contre-champ idéologique à ces complaisances brutales.


Birdman, la dinguerie d'Alejandro González Iñárritu, est un miroir de cette gloire passée qui rend fou. Rayon nostalgie qui passe à côté de son sujet, ajoutez les biopics Get On Up de Tate Taylor et Jimi All Is By My Side de John Ridley, réciproquement sur James Brown et Jimi Hendrix, superbes numéros d'acteurs, mais révisionnisme politiquement correct à la clef.
Entretenant la peur, peur de l'autre évidemment, celui qui n'est pas comme nous, l'apocalypse nous est également servie à toutes les sauces de Dawn of The Planet of The Apes à These Final Hours en passant par The Machine, Automatica et Edge of Tomorrow qui ne sont pas ce qui s'est fait de pire dans le genre. Interstellar de Christopher Nolan (Memento) n'échappe pas au vide interstellaire : après un début lent et intrigant on sombre dans un trou noir où l'on n'apprend rien et où les liens père-fille encombrent le récit de la même manière que dans le ratage Gravity. Comme Radiguet se moquant d'une peinture de bataille (tout est en acier, excepté les cuirasses), on pourrait dire que tout est en acier, excepté le robot, qui mérite sérieusement un prix d'interprétation. Je vous épargne les thrillers John Wick, Cold in July, The Drop, etc., que l'on oublie aussi vite la lumière rallumée...


Heureusement J. C. Chandor réussit A Most Violent Year, polar très personnel, où l'hémoglobine est accessoire (il aurait pu même s'en dispenser complètement), et surtout d'où le cynisme insupportablement propre à notre époque est exclu.
De même, la grande randonnée pédestre d'une jeune femme qui cherche à se refaire une santé en remontant la côte ouest des États Unis dans Wild de Jean-Marc Vallée (Dallas Byer's Club) laisse entrevoir des perspectives que le cinéma américain cadenasse systématiquement, en noyant le poisson dans un sirop symphonique redondant, aussi gras qu'un double Mac Do (par contre, la bande-son de Wild mixe habilement des bribes de musique filtrées très bas, comme des réminiscences dans la tête de Reese Witherspoon).
Autre canadien passé de l'autre côté de la frontière, Philippe Falardeau présente The Good Lie, un film plein de bonnes intentions sur les réfugiés soudanais aux États-Unis, mais il perd progressivement l'originalité de ses premiers films (La moitié gauche du frigo, Congorama). Idem avec Selma de Ava DuVernay, sur un épisode du combat non-violent de Martin Luther King en Alabama, qui souffre des défauts habituels aux films démonstratifs à message politique explicite. Préférons Nightcrawler de Dan Gilroy, critique virulente du milieu morbide qui a engendré la télé-réalité. Jake Gyllenhaal y interprète un photographe prêt à tout pour se sortir de la misère et accéder au pouvoir, et là on n'échappe pas à la mise en scène du cynisme poussé à son paroxysme.


Fidèle à lui-même, pour Boyhood Richard Linklater installe un protocole de tournage qui colle à son sujet, ici la vie d'une famille filmée vraiment sur douze ans, les comédiens vieillissant en même temps que leurs rôles. Beau portrait de l'Amérique où les évènements glissent élégamment dans le réel recomposé. Autre film tendre à résonance familiale, Love is Strange de Ira Sachs met en scène un couple âgé de deux hommes en butte aux difficultés que pose leur homosexualité après l'âge de la retraite.
Sinon, on a toujours la ressource de regarder des films d'autres continents en espérant qu'ils ne calquent pas scénarios et traitements sur le modèle dominant, ce cinéma de divertissement conçu pour rendre nos cerveaux disponibles au storytelling et à la désinformation, jouant sur l'émotion au détriment de la réflexion, excitant nos pulsions consuméristes et patriotiques, amnésique aussi car il fait fi des histoire(s) du cinéma en n'offrant plus que des produits pré-mâchés. There is no business like show business.

jeudi 5 février 2015

Fête du Graphisme 2015


À la Cité Internationale des Arts à Paris les expositions Utopies et Réalités, We Love Books et Underground s'arrêtent dimanche 8 février, mais la Fête du Graphisme continue ailleurs jusqu'au 4 mars comme Célébrer la Terre à l'Hôtel de Ville. Quantité d'événements ont marqué cette seconde édition et un somptueux catalogue de plus de 500 pages a été édité aux Éditions du Limonaire. 1500 œuvres des cinq continents dessinent un panorama exceptionnel d'affiches, de livres et de créations numériques que l'on retrouve dans l'ouvrage, mais les formats y sont évidemment réduits par rapport aux originaux.


Les affiches épurées de Kazumasa Nagai (en haut d'article) répondent aux tarabiscotées de Henning Wagenbreth (ci-dessus), tous deux montrant que l'on peut construire une œuvre au travers des commandes. Tant l'abstraction que la narrativité nous permettent de rêver par leurs évocations d'évènements irreproductibles. Le Tokyoïte s'approprie un bestiaire incroyable tandis que le Berlinois intègre la typographie à ses illustrations explosives.
On aimerait feuilleter les 150 livres du monde entier dont les couvertures nous attirent, mais les expositions nous contraignent à les admirer derrière le verre et le plexi. Comme pour les autres expositions l'offre de We Love Books est généreuse, on en prend plein les yeux, la tête vous tourne, les idées fusent. Tant qu'il est inventif le papier a un bel avenir. La création numérique ne peut se substituer aux objets magnifiques. La complémentarité devient évidente, envoyant bouler la question de la dématérialisation dès lors que les créateurs donnent sa raison d'être à la matière.


Parmi la sélection mondiale de revues alternatives de 1960 à aujourd'hui je reconnais celles qui m'ont animé dès les premières années et dont j'ai conservé quelques exemplaires, It, Suck, Le Parapluie, Oz, Time Out, Actuel... Mais là encore la richesse et la variété de ces revues Underground est fabuleuse. Imprimées en photocopie, offset, rhiso, xérographie, sérigraphie, linogravure, tampons, elles réfléchissent le monde parallèle d'une résistance au pouvoir établi. Ça frotte, ça grince, écharpe, mais défend surtout d'autres modèles de vie que le "métro boulot dodo" que le capital perpétue en diluant nos rêves dans une incitation à la consommation des plus stériles. Si la nostalgie de l'époque où nous croyions changer le monde explose dans un psychédélisme hallucinatoire la rage des nouvelles utopies ne faiblit pas au cours des années et les styles se télescopent, revendiquant la liberté de penser par soi-même et de transformer joies et souffrances en insatiable créativité.

mercredi 4 février 2015

Frank, futur film-culte ?


Frank a tout pour devenir un film-culte. Inspiré par le personnage de Frank Sidebottom créé par le musicien Chris Sievey, l'artiste anonyme et brintzingue qui se cache sous le masque d'une tête énorme en papier mâché se réfère évidemment au chanteur Daniel Johnston dont la santé mentale déficiente renvoie aux fantasmes que génère l'art brut. Ajoutez que le film de Lenny Abrahamson fait résonner les mythes américains du rocker maudit et de la success story et vous avez tout ce qu'il faut pour promouvoir un drôle d'objet que l'on comparera aisément aux élucubrations naïves de Michel Gondry.


Le film baigne dans un climat fragile et déstabilisant où flottent les personnages joués par Michael Fassbender, Maggie Gyllenhaal, Domhnall Gleeson... Les fans d'expérimentation apprécieront les séquences improvisées sur des instruments de fortune tandis que les amateurs de la grande histoire du rock 'n roll retrouveront tous les ingrédients de sa mythologie destroy, bouges déserts, querelles d'égos, suicide prématuré, solitude des grands espaces, défonce et succès inespéré se dissipant aussi vite abordé.

Déjà en DVD et Blu-Ray aux États-Unis, Frank (site) sort en France dans les salles aujourd'hui.

mardi 3 février 2015

Musique et design sonore pour le futur Centre des Congrès de Rennes


Avec Sacha Gattino nous formons de temps en temps un amusant numéro de duettistes lorsqu'il s'agit d'honorer des commandes. Après des concerts en trio avec le plasticien Nicolas Clauss et la formation du groupe El Strøm avec la chanteuse Birgitte Lyregaard, nous avons en effet cosigné la musique d'un clip pour une montre Chanel, le design sonore de l'exposition Jeu Vidéo à La Cité des Sciences et de l'Industrie et celui de l'application iPad Balloon des Éditions Volumiques pour lesquelles je viens de terminer le son des trois nouvelles applications de la collection Zéphyr avant de m'atteler au Monde de Yo-Ho, jeu de plateau avec pirates et iPhones...
Entre temps nous avons composé une musique entraînante illustrant la construction du futur Palais des Congrès de Rennes Métropole par Jean Guervilly, Françoise Mauffret, David Cras, Alain Charles Perrot & Florent Richard. Si les morceaux "à la manière de" sont toujours intéressants à réaliser, ils nous permettent de penser différemment. L'exercice de style portait cette fois sur Game of Thrones, demande explicite de notre client. Le travail 3D de Platform Motion (pour qui j'ai réalisé, entre autres, les bandes-sons de la DRPJ Paris Batignolles par Wilmotte & Associés SA et du Pavillon France de l'Exposition Universelle Milan 2015 par X-TU/ALN/Studio Adeline Rispal) montrant les différentes étapes de construction pour présenter le couvent des Jacobins est excitant. À nous de rendre actuelle l'anticipation ! Nous dansons d'un pied sur l'autre entre un passé héroïque et une prouesse technique de notre temps.


Le second film réalisé cette fois par Artefacto consiste en une visite des espaces intérieurs du futur Palais des Congrès. La musique est répétitive et cristalline. Le fil conducteur léger et contemporain déroule son fil d'Ariane de salle en salle. Des évènements sonores et musicaux viennent s'y poser comme les petits oiseaux sur les fils télégraphiques ou le linge propre qui sèche sous le vent.


Sacha vivant actuellement à Rennes, nous travaillons le plus souvent à distance. Le téléphone et Internet font partie de notre panoplie instrumentale. Nous nous envoyons les pièces du puzzle au fur et à mesure, les redessinant chacun son tour, intégrant les jongleries l'un de l'autre et réciproquement !

lundi 2 février 2015

Broadchurch et Mr Selfridge, séries britanniques


Deux séries anglaises nous font passer l'hiver en attendant les nouvelles saisons américaines du printemps. La plus excitante est sans conteste Mr Selfridge où l'émancipation des femmes s'épanouit dans le décor d'un grand magasin de luxe londonien, l'équivalent du Bon Marché ou des Galeries Lafayette, dirigé par un américain paternaliste au début du XXe siècle. Les dialogues d'une grande finesse, le jeu des comédiens anglo-saxons qui travaillent leur rôle comme peu de Français en prennent la peine, la psychologie des personnages, la qualité des décors et costumes confèrent à cette "comédie" dramatique de 10 épisodes de 45 minutes élégance, sensualité, splendeur, éclat et prestige, résumés par le mot british, glamour.


La première saison se déroule en 1908-1909, la seconde entre mars et novembre 1914 et la troisième qui vient de débuter en 1919. Des suffragettes au remplacement des hommes partis se battre, les femmes y affirment leur pouvoir et assument leur indépendance, sans camoufler les différences de classe. Selfridge avait compris qu'il ne lui fallait pas seulement vendre des produits, mais des histoires où les clients, et surtout les clientes, se projetteraient. Mettant en scène la naissance de la société de consommation, Mr Selfridge, inspirée d'une histoire vraie, est une réponse féministe à Mad Men qui montrait comment notre monde avait été forgé par la publicité dans les années 60.


Simultanément, la chaîne ITV diffuse également la série policière Broadchurch, du nom d'un patelin imaginaire. Tournée dans le Dorset et le Somerset qui déroulent de magnifiques paysages de falaises au bord de la mer et de campagne anglaise, l'enquête policière cède souvent la place à une étude de caractères où la fragilité des personnages révèle la difficulté d'être de chacun et chacune face à la mort, ici celle d'un enfant. Là encore la qualité de l'interprétation profite à cette série limitée à deux saisons de 8 épisodes de 45 minutes chacune. La seconde est en cours de diffusion...