Découverte de la revue Hors Cadre(s), observatoire de l'album et des littératures graphiques, qui en est déjà à son seizième numéro, consacré à La création et le numérique. Mise en page aérée, articles de fond sous des angles d'approche variés, enquêtes sérieuses, la publication destinée à la littérature jeunesse, rare lieu où la création littéraire et graphique s'épanouit encore, donne envie de retourner voir les précédents numéros. Sur le site Internet chacun reproduit son sommaire et les 48 pages que l'on peut feuilleter au format swf, mais la lecture de l'objet original reste indispensable à moins d'être radin au point de se crever les yeux et d'attraper la migraine en tentant de décrypter ce généreux avant-goût (L'Atelier du Poisson Soluble, 11€ le n° ou abonnement).


Ce n'est pas un hasard si je suis tombé sur cette belle revue, mais tout simplement parce que j'y suis cité plusieurs fois ainsi que certaines œuvres auxquelles j'ai participé. Ainsi Séverine Lebrun (Ceci n'est pas un livre - À la découverte des acteurs d'un nouveau monde) m'interroge sur le design sonore en s'appuyant sur Boum, roman graphique et sonore conçu avec l'illustrateur Mikaël Cixous et à paraître début mai chez Les Inéditeurs, et Marianne Berissi (On peut faire défiler le texte ?) évoque mon roman augmenté USA 1968 deux enfants réalisé avec la même équipe qui comprend également Sonia Cruchon et Mathias Franck. Et Yann Fastier de rappeler les antécédents du CD-Rom Alphabet créé avec Murielle Lefèvre et Frédéric Durieu à partir des illustrations de Květa Pacovská ; car ce fut bien l'âge d'or de la création numérique, avec des budgets considérables en regard de ce qui se pratique aujourd'hui et donc la possibilité de se plonger dans une recherche inventive encore inégalée, même par les superbes œuvres que l'équipe de Hors Cadre(s) recadre au fil des pages.


Dans son édito Sophie Van der Linden s'étonne que les créateurs insistent systématiquement que "l'ordinateur n'est qu'un outil". À chaque nouvelle révolution technologique il a pourtant fallu rappeler que les nouveaux instruments ne chassent pas forcément les anciens, mais qu'ils les complètent, offrant de réaliser des créations jusqu'ici seulement rêvées. À chaque support correspond des œuvres particulières et chaque œuvre doit trouver le support qui lui est le mieux adapté. Il aura ainsi fallu l'invention de la peinture en tube pour que les impressionnistes puissent glisser les couleurs dans leur poche et aillent peindre sur nature. De même la création numérique offre les ressources de l'interactivité, du partage entre lecteurs, des lumières inédites, des animations ou, en ce qui me concerne, la joie d'utiliser le son de mille manières inventives et complémentaires, loin des illustrations redondantes que tant de médias audiovisuels ont banalisé à force de rentabilisation, de marketing "ciblé", d'inculture et de perte de mémoire. Associer par exemple du son "hors cadre" aux images élargit l'espace en laissant deviner ce que l'on ne voit pas, et ses évocations laissent vagabonder l'imagination comme aucun autre artifice.