Pendant les jours où nous étions entourés d'un brouillard à couper au couteau l'ordinateur diffusait une sélection musicale et passait en mode cinéma quand l'obscurité fatiguait nos yeux usés par des lectures assidues.
Mélodies veloutées, Yael Naim (She Was a Boy et Older qui a ma préférence) et Robert Wyatt (la double compilation Different Every Time) remportèrent tous les suffrages. D'autres voix résonnèrent avec succès dans la grande pièce faisant face à ce qui reste de neiges éternelles : Cathy Berberian (chantant Walton, Monteverdi, Debussy, Stravinski, Cage, Gershwin, Purcell), Jeanne Moreau (double compilation Jacques Canetti) et Barbara (double en public), le Live in Dublin de Leonard Cohen, Ute Lemper (en particulier Punishing Kiss où elle chante Nick Cave, Tom Waits, Elvis Costello, Neil Hannon et surtout Scott Walker)… Pour du musclé, moins adapté à notre retraite, coupé d'Internet et du téléphone, je diffusai Kendrick Lamar (To Pimp A Butterfly) et Dr Dre (Compton), plus politiques que je ne m'y attendais, bonne surprise… Ou encore Omar Souleyman (tous les albums se valent plus ou moins et Bahdeni Nami n'échappe pa s à la règle), Myriam Makeba et une grande sélection d'extraits de films de Bollywood avec Asha Bhosle, Kishore Kuma, Lata Mangeshkar… Je n'avais pas écouté Annette Peacock depuis des années et je redécouvris avec plaisir les nordiques, dont la Suédoise Jeanette Lindström, la CanadienneKyrie Kristmanson, la Norvégienne Sidsel Endresen et surtout la violoniste belge Liesa Van der Aa
N'ayant emporté aucun CD je me cantonnai aux mp3 entassés sur un petit disque dur. La flopée du label Tzadik ne risquait pas de nous laisser en panne sur le bord de la route ! Je sélectionnai les trucs les plus lyriques comme les hommages collectifs à Sasha Argov, Burt Bacharach, Marc Bolan, Tom Cora et Gainsbourg, ou encore David Krakauer, Cyro Baptista...). Nous avions aussi des albums de Roland Kirk, Quincy Jones, Michael Mantler, Barney Wilen (je réécoute inlassablement Moshi) et l'excellent Sheik Yer Zappa de Stefano Bollani, adaptation jazz très personnelle enregistrée en public en 2011. Le pianiste milanais y est accompagné par Jason Adasiewicz au vibraphone, Josh Roseman au trombone, Larry Grenadier à la contrebasse et Jim Black à la batterie. L'esprit de Zappa est parfaitement rendu, mais les improvisations s'éloignent heureusement des versions trop révérencieuses habituelles.


Pour faire le pont avec des êtres chers en vacances en Bretagne, Lors Jouin et Annie Ebrel, l'Acoustic Quartet de Jacky Molard étaient tout indiqués. Côté tango j'avais emporté Horacio Salgán. Ne pouvant me passer difficilement de quatuors à cordes, j'avais tous les derniers enregistrements du Kronos Quartet. Je voulais aussi réécouter des compositions de Julia Wolfe qui a cofondé le groupe de musique contemporaine Bang On a Can.
J'écoute de tout, les assemblages paysagers de Chassol, les mix formidables de Den Sorte Skole, les impros au synthé de Charles Cohen qui me rappellent furieusement ma période ARP 2600, Donald Berman jouant du Ives, Dudamel à la tête du Los Angeles Philharmonic Orchestra (mais le mp3 sied mal au classique), le solo de piano préparé d'Ève Risser, les 52 reprises de Katerine avec Francis et ses Peintres, triple CD de reprises passé presque inaperçu alors qu'il révèle de pures joyaux passés à la moulinette féroce du chanteur critique, Une saison en enfer conté en anglais par Carl Prekopp avec la musique remarquablement en phase d'Elizabeth Purnell, mélange d'orchestre, de field recording, d'électronique et de poèmes chantés en français par Robert Wyatt pour la BBC en 2009…
En tapant cette chronique je suis tout à coup saisi par des acouphènes qui me paniquent. Je coupe les haut-parleurs dont le timbre est probablement trop agressif. Je sors sur la terrasse, entouré par les pics pyrénéens. Le sifflement diphonique est passé doucement en écoutant les rapaces tourner autour d'un animal mort, et puis le silence est revenu. Silence impossible, composé des bruits infimes de la nature.