Quelle meilleure manière de faire grandir les enfants que de les inciter à poser mille questions ? Le pourquoi à tiroirs si horripilant à la longue est la question essentielle que nous ne devrions jamais oublier. La cassure se produit à l'entrée au cours préparatoire lorsque les réponses anticipent les questions. Plus tard les informations entérineront la catastrophe en évacuant le sujet sous le flot des faits divers. Il n'y aura même plus de réponse imposée, juste un épais brouillard. Que surtout l'on ne se pose plus aucune question, et la loi deviendra la vérité ! "C'est comme ça... Que voulez-vous qu'on y fasse ?... C'est trop compliqué..." sont devenues les phrases récurrentes de la plupart. Et quand j'entends "Y a pas de souci !" à tout bout de champ je m'en fais beaucoup au contraire. D'autant que l'inconscient, justement, les ignore, ces contraires.
Le racisme fait partie de ces a priori basés sur rien d'autre qu'une absence de pensée. La haine de l'autre en soi se reporte sur la différence. Le bouc émissaire est le bouquet de misères dont l'odeur vous colle à la peau et vous empêche de vous fondre dans la masse anonyme, cette population "normale" qui finit pas ériger des murs dans ses replis communautaires. Gallimard Jeunesse publie deux livres pour les enfants qui abordent ce fléau sous l'angle de la musique, portraits de deux chanteurs noirs américains qui se sont révoltés contre l'injustice.
Nina de Alice Brière-Haquet et Bruno Liance raconte en images l'enfance de Nina Simone, courte berceuse aux délicates touches noires et blanches qui demande un accompagnement parental pour que les questions ne restent pas sans réponse. Il n'est jamais trop tôt pour se révolter !
Plus consistant, le petit volume consacré à Ray Charles dans la série Découverte des musiciens est comme chaque fois aussi musical que pédagogique. Après Louis Armstrong, Django Reinhardt, Charles Trenet, Ella Fitzgerald, Elvis Presley, la biographie écrite par Stéphane Ollivier et dessinée par Rémi Courgeon comporte un CD audio qui reprend le texte, cette fois dit par Daniel Lobé, avec quantité d'extraits et de chansons complètes. Il y a aussi, en marge du récit, plein de petits jeux qui poussent à la réflexion et à la rêverie...
Là où Nina se lève pour protéger sa maman, Ray doit faire face à la perte de ses parents et de son petit frère, et à la cécité qui intervient lorsqu'il est âgé de sept ans. Les deux enfants sortiront vainqueurs de l'adversité grâce à la musique que leurs voix porteront tout autour du monde. Sans devenir des stars internationales, tous les musiciens savent ce qu'ils doivent à leur art, une passion qui leur a souvent permis de s'échapper de la voie tracée par ceux qui n'œuvrent qu'à noyer les questions. Car la musique est incapable d'être péremptoire. Comme la poésie elle tourne autour du pot, son abstraction ne l'empêche pas de raconter des histoires ou d'exprimer des émotions, souvent sans paroles. Pour Nina et Ray les chansons portent leurs voix. La voix dresse un pont entre le corps et l'esprit, un mystère que l'on n'en finit pas d'apprivoiser. En tout cas c'est une bonne question !

Nina, texte de Alice Brière-Haquet, illustrations de Bruno Liance, Gallimard Jeunesse Giboulées, 6-10 ans (j'aurais pensé beaucoup moins), liens Deezer sur des titres de Nina Simone et de sa fille Lisa, 14,90€
Ray Charles par Stéphane Ollivier, illustrations de Rémi Courgeon, avec la voix de Daniel Lobé, Gallimard Jeunesse Musique, 6-10 ans, 16,50€