J'ai enfin terminé le livre de Martha Gellhorn à raison d'un ou deux chapitres par bain. Risquant parfois de m'y endormir j'évite de prendre ma liseuse qui craint l'eau plus qu'un bouquin que l'on peut toujours faire sécher ; ainsi ai-je choisi La guerre de face qu'Anny m'avait offert pour Noël. Et jamais je n'ai piqué du nez !
Chaque chapitre pourrait être le synopsis d'un long métrage, mais ce recueil d'articles publiés de 1936 à 1992 est avant tout remarquablement écrit, une leçon pour tout journaliste qui se respecte, mais refuse le formatage imposé en général par la rédaction. De la Guerre d'Espagne à celle du Panama en 1990, Martha Gellhorn arpente la planète partout où les hommes s'entretuent et où les populations en font les frais. La correspondante de guerre saisit l'essence-même de chaque conflit au travers de sa propre expérience, aventure qu'elle partage en s'engageant corps et âme. Le récit de ce qu'elle découvre réfléchit les enjeux des belligérants. Si elle est extrêmement critique avec la politique impérialiste de son pays au Vietnam ou en Amérique du Sud, elle s'enthousiasme aveuglément pour Israël, comme nombreux intellectuels américains d'origine juive. Mais à part ce chapitre où ses critiques sont justes mais unilatérales, elle choisit son camp parmi les opprimés et les agressés. Car si Martha Gellhorn raconte la guerre, elle la déteste au plus haut point.
Elle a commencé sa carrière à Madrid en 1937 aux côtés d'Ernest Hemingway dont elle est la troisième épouse de 1940 à 1945. Parmi ses nombreuses publications, La guerre de face raconte aussi la Finlande attaquée par les Russes de 1937 à 1939, le Front de Canton entre Chinois et Japonais en 1941, la Seconde Guerre Mondiale depuis la Grande-Bretagne, à travers l'Italie, la Hollande, la Belgique, le Débarquement et Dachau, témoignage bouleversant qui s'attache aux hommes plutôt qu'aux faits d'armes, et puis Java, le Vietnam, la Guerre des Six Jours et l'Amérique Centrale. Gellhorn divorcera pour préserver son indépendance, car Hemingway est un macho qui supporte mal que sa femme soit autre part qu'au foyer !
Elle s'enorgueillira d'en avoir créé dix neuf en quarante ans, la globe-trotter refusant d'être une note en bas de page du célèbre écrivain. Femme libre dans sa vie professionnelle, elle entendait le rester dans sa vie privée. Il nous reste un style superbe, un agencement structurel chaque fois renouvelé en fonction du sujet et un témoignage exceptionnel sur la folie des hommes.

→ Martha Gellhorn, La guerre de face, 500 pages, Ed. Les Belles Lettres / Mémoires de guerre, 23€