Alors fan de Frank Zappa et Sun Ra, j'ai découvert Harry Partch en 1971 avec l'enregistrement de l'opéra Delusion of the Fury grâce à François qui tenait le magasin de disques Givaudan au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue de Luynes. J'ai depuis acquis la majorité de sa discographie et les deux DVD passionnants qui lui sont consacrés. Je suis également Heiner Goebbels depuis le Festival de Victoriaville au Québec où nous jouions tous les deux en 1987. C'est un des rares compositeurs du label ECM avec Michael Mantler qui attire encore ma curiosité. C'est dire si je suis impatient de découvrir cette re-création rendue possible par la fabrication de copies des instruments originaux, dans une mise en scène différente de celle de Partch, sous la responsabilité du compositeur allemand.


L'œuvre présentée samedi soir en création française à la Grande Halle de La Villette par l'Ensemble Musikfabrik porte en sous-titre A Ritual Of Dream And Delusion. Toute la musique de Partch semble un rituel pour conjurer ses déceptions. Avec cette farce il fustige l'injustice et le rejet dont il fut victime une grande partie de sa vie tout en se moquant de la colère humaine. Après la dépression de 1929, il partit sur les routes pendant une dizaine d'années, ou plutôt sur les rails puisqu'il partagea la vie des hobos, SDF vagabondant de ville en ville en empruntant les trains de marchandises qui sillonnaient les États Unis. Clochard céleste sans lien direct avec Kerouac et la Beat Generation, il n'est pas sans rappeler Moondog, un autre minimaliste américain ayant influencé quantité de compositeurs répétitifs à sa suite.


Mais la musique de Harry Partch (1901-1974) est unique, d'abord parce qu'il travaille la micro-tonalité selon l'octave à 43 tons inégaux d'après les harmoniques naturelles, ensuite parce qu'il dut inventer des instruments qui permettent de la jouer. Ses chromélodéons, chambres de nuages, pertes de guerre, boos, Marimba Eroica, Marimba Mazda, Zymo-Xyl, gongs en cône, etc. me faisaient rêver. Plus tard j'eus la chance de jouer aussi sur une lutherie originale grâce aux instruments inventés par Bernard Vitet et Nicolas Bras, ou programmés par Antoine Schmitt et Frédéric Durieu. Partch note les intonations des voix du quotidien sur les portées comme le firent nombreux compositeurs avant lui et que Steve Reich reprendra avec succès. Influencé lui-même par le théâtre grec, l'Afrique et le Japon il compose des œuvres où les claviers de percussion et les cordes tiennent une place prépondérante. Delusion of the Fury est sorti la même année que l'opéra de Carla Bley, Escalator Over the Hill, mais ce dernier était cantonné au disque, tandis qu'il existait des images de celui de Partch. Les danses, le décor et la lumière participent ainsi au spectacle vertigineux du rituel païen.

→ Samedi 18 juin 2016 à 20h30 à la Grande Halle de La Villette