Le cinéaste Bill Morrison est devenu le maître du found footage en compilant des archives exhumées ici et là. Leur détérioration au fil du temps exhale une beauté incroyable, sublimant la mort couchée sur la pellicule. Rien d'étonnant à ce que son film Spark of Being soit une adaptation du Frankenstein de Mary Shelley. L'œuvre de Morrison, forte de cinq longs métrages et d'une quinzaine de courts, est une sorte de Golem cinématographique, "incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre, façonné afin d’assister ou défendre son créateur."


Pour ses films muets, Morrison commande des partitions originales à des compositeurs talentueux, souvent new-yorkais. Le trompettiste Dave Douglas a écrit celle de Spark of Being et le guitariste Bill Frisell est l'auteur de la bande-son du plus ancien présent dans le coffret, The Film of Her puis de The Great Flood et The Mesmerist. Michael Gordon, responsable de celle de son film le plus connu, Decasia, mais aussi de All Vows, Who by Water, Light is Calling et avec David Lang de The Highwater Trilogy, celui-ci signant seul celle de Back to the Soil ainsi que Julia Wolfe celle de Porch, sont les trois cofondateurs du collectif Bang on a Can. Morrison a utilisé également des partitions, originales ou empruntées, de John Adams, Maya Beiser, Gavin Bryars, Richard Einhorn, Erik Friedlander, Philip Glass, Henryk Górecki, Michael Harrison, Ted Hearne, Vijay Iyer, Jóhann Jóhannsson, David T. Little, Michael Montes, Harry Partch, Steve Reich, Todd Reynolds, Aleksandra Vrebalov et du Kronos Quartet. Bien que plus plastiques que dramatiques, les œuvres de Morrison font penser à A Movie de Bruce Conner qu'accompagne Les Pins de Rome de Respighi ou aux films de Artavazd Pelechian, et à Stan Brakhage aussi forcément.


Light is Calling (2004), monté à partir d'une copie détériorée de The Bells (1926) et suivant la musique de Gordon, est présentée comme une méditation sur les collisions aléatoires. Le site de Bill Morrison délivre quantité d'informations, sur les films, les compositeurs, les chefs d'orchestre et sur les conditions de projection. Car parfois ce sont de grosses installations comme Decasia live qui réclame trois écrans et un orchestre symphonique de 55 musiciens...


Bill Morrison se focalise sur le support (The Film of Her, 1996). L'instabilité du film flamme, du celluloïd, s'oppose à la fragilité du numérique. L'infiniment petit ou le cosmos sont autant d'effets de matière. La foule est confrontée aux désastres naturels comme à ceux des hommes, submergés par les flots (The Great Flood, 2013) ou la guerre (Beyond Zero: 1914-1918, 2014). Le sud des États Unis est un bon terreau pour évoquer les tensions. Le rythme de la musique renvoie à celui de la route et du rail (Outerborough, 2005), sur Terre comme sur mer, mais toujours avec le temps en perspective. Il crée l'hypnose (The Mesmerist, 2003). La société de Morrison s'appelle d'ailleurs Hypnotic Pictures. Il incarne le démiurge qui peut redonner la vie aux êtres et aux choses. Mais son rêve de faire revivre ceux qu'il a découverts et révélés est à l'image d'Oliver Sacks tentant de réveiller les léthargiques gelés dans la passé (Re:Awakenings, 2013). Ce n'est qu'une illusion. Cet ancien peintre et animateur rend ainsi un formidable hommage à Georges Méliès, "l'inventeur du spectacle cinématographique".

Bill Morrison: Selected Works 1996-2014, coffret 3 Blu-Ray, BFI, avec un beau livret de 56 pages, 44,08€