Trois albums de Frank Zappa sortent en juillet. N'en jetez plus ! La famille Zappa, qui s'entredéchire depuis la mort de Gail, sa veuve, ressort périodiquement des inédits, concerts et bandes de studio. Voilà de quoi alimenter le mange-disques sur la route des vacances ! Mais tous n'ont pas le même intérêt à mes oreilles nées un autre été sur une autre route, celui de 1968 de Cincinnati à San Francisco. Jazz Magazine avait publié en 2004 le récit de mon lien personnel à Frank Zappa, que je considère comme l'un de mes pères, chronologiquement après Papa, mais avant Jean-André Fieschi et Bernard Vitet.
J'ai commencé par Frank Zappa For President, compilation sur un thème peu connu en France de la part du compositeur, le terrain politique. Il ne s'agissait pas seulement de chansons satiriques, mais d'une implication citoyenne dans la vie de son pays qui le mènera à témoigner devant le Sénat ou à imaginer se présenter à l'élection présidentielle de 1992. Il poussera les jeunes à s'inscrire sur les listes électorales, conseillera Vaclav Havel à son arrivée au pouvoir en Tchécoslovaquie, etc. Guy Darol a très bien raconté cette histoire dans son livre Frank Zappa, l'Amérique en déshabillé ou Christophe Delbrouck aux mêmes éditions du Castor Astral. L'album inclut trois solos pour Synclavier dont une magnifique longue pièce tardive de 1993, Overture to “Uncle Sam”, un remix de Brown Shows Don’t Make It enregistré en 1969 et des versions en concert de When The Lie’s So Big et America The Beautiful en 1988.
Ce disque est un peu fourre-tout, mais il est plus surprenant que The Crux of the Biscuit, miroir live de la période Apostrophe enregistré en 1972-73, tricotage rock assez bavard qui n'apporte pas grand chose à l'édifice zappien. Totalement fan de ses débuts, je ne raccrocherai véritablement qu'à la fin de sa vie, lorsque Zappa pourra enfin réaliser son rêve de jeunesse en composant de la musique pour orchestre classique. De 1966 à 1972 chaque album était une révélation, radicalement différent du précédent. Le succès arrive ensuite et Zappa cherche à toucher un public plus large. Cela ne m'empêchera pas de continuer à acheter tout ce qu'il produit, mais il faudra que j'attende The Yellow Shark et quelques albums posthumes pour retrouver l'enthousiasme de mon adolescence.


Road Tapes, Venue #3, la troisième parution estivale, comble mes vœux, pas qu'elle soit révolutionnaire par rapport à ce que nous connaissons, mais parce qu'elle comble un vide discographique dans la saga des Mothers of Invention, entre le premier groupe, le plus loufoque, et le second, plus virtuose, mais sur le répertoire du précédent. Ian Underwood, au clavier et au sax alto, est le seul survivant de l'ancienne formule. Les chanteurs Howard Kaylan et Mark Volman, le claviériste George Duke, le bassiste Jeff Simmons, le batteur Aynsley Dunbar l'ont rejoint sous la baguette du maître pour deux concerts au Tyrone Guthrie Theater de Minneapolis en juillet 1970. C'est la formation du concert auquel j'assistai au premier rang du Gaumont Palace le 15 décembre 1970 avec en invité spécial le violoniste Jean-Luc Ponty. Ce fut aussi ma dernière rencontre avec Zappa, telle que je le racontai dans le chapitre 23 de mon roman USA 1968 deux enfants. Excellent chroniqueur à qui je dois le signalement de cet album, Franpi Barriaux conseille particulièrement la "suite" que constitue A Piece of Contemporary Music, The Return of The Unchback Duke et Cruising For Burgers, mais ce double CD embrasse des chansons de tous les premiers albums, de Freak Out à Chunga's Revenge, avec le guitariste au meilleur de sa forme, les deux chanteurs des Turtles, la rythmique de Dunbar découvert l'année précédente au Festival d'Amougies et le jazz qui pointe son nez avec George Duke. L'humour régressif est encore très présent, mais l'on sent poindre les ambitions nouvelles annonçant 200 Motels et la suite, plus virtuose que jamais.