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Eisler Explosion, le nouvel album de Das Kapital, est à l'image du Feestlokaal Vooruit (Palais des Fêtes Vooruit), construit en 1913 par la coopérative socialiste à Gand en Belgique. Énorme pièce montée entre Art nouveau et Art déco, édifiée pour le plaisir et la gloire de la classe ouvrière, elle abrite plusieurs salles de spectacle. Pour fêter son 100e anniversaire, le producteur Wim Wabbles a passé commande à quatre compositeurs pour le Royal Symphonic Wind Orchestra Voorhuit d'après les œuvres d'Hanns Eisler et en aménageant des plages pour Das Kapital. Le trio guitare-sax-batterie a déjà à son actif deux formidables CD, Ballads & Barricades et Conflicts & Conclusions, où ils adaptent avec brio la musique du compositeur autrichien. Mélanger un trio amplifié avec un orchestre essentiellement d'harmonie n'est pas chose facile, mais l'ingénieur du son Michael Seminatore remporte une fois de plus son pari. Les moments où l'orchestre est absent produisent malgré tout une sorte de manque auquel palliait probablement son image et la présence du public médusé lors des deux concerts gantois. En 1989, avec Un Drame Musical Instantané, nous avions fait le même constat, mais dans le cadre du J'accuse de Zola nous avions martyrisé la Marseillaise (Contrefaçons, index 5) alors que le concert de cette Eisler Explosion se termina en fanfare par L'Internationale, hélas absente de l'album. Son compositeur, Pierre De Geyter, est lui-même natif de Gand, mais surtout la couleur aylerienne du saxophone de Daniel Erdmann se prête parfaitement aux hymnes héroïques !


La rencontre est donc ici forcément grandiose. Le batteur Edward Perraud souligne la dynamique de l'ensemble tandis que quatre percussionnistes enfoncent le clou quand ils ne font pas des pointes légères. Les envolées de Hasse Poulsen à la guitare figurent la contemporanéité de l'entreprise, seul timbre inhabituel de cet orchestre avec la contrebasse que l'on n'entendrait pas sans micro au milieu de la puissance de feu des 80 cuivres. Amateurs et professionnels s'y côtoient, dignes héritiers des fanfares socialistes, mettant tout leur cœur à honorer Hanns Eisler ainsi que les quatre compositeurs qui s'en inspirent. Erik Desimpelaere, Tim Garland, Stéphane Leach, Peter Vermeersch qui se succèdent tout au long des neuf pièces sont peut-être trop révérencieux face à Eisler tandis que le trio assume sa liberté même si elle est ici très surveillée. La modernité d'Eisler, mélange d'inventivité et de références populaires, apparaît ainsi moins évidente que dans les précédents albums de Das Kapital. Mais cela n'occulte nullement le feu d'artifice.

→ Das Kapital & Royal Symphonic Wind Orchestra Vooruit, Eisler Explosion, Das Kapital Records, dist. L'autre distribution, sortie le 23 septembre.