70 novembre 2016 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 30 novembre 2016

Penser par soi-même a toujours été un exercice difficile


Je pratique peu les billets politiques, parce que les spécialistes sont extrêmement nombreux (les autres aussi). Je préfère en distiller au gré de mes articles culturels évoquant des sujets rarement traités, défendant des initiatives locales ou digressant au quotidien. Espérant faire la lumière sur mes positions actuelles, j'ai pensé utile (au moins à moi-même !) de répondre au flot d'attaques visant le seul candidat aux prochaines élections présidentielles qui se rapproche pour l'instant de mes idées.
Je suis autant gêné que d'autres par l'agressivité maladroite de Jean-Luc Mélenchon ou la vulgarité de ses affiches du type "qu'ils dégagent !". On l'attaque parce que c'est un tribun remarquable, mais les mêmes admirent probablement De Gaulle, sauf que le Général contre qui nous luttions en 1968 avait un sacré sens de l'humour et de l'absurde qui lui fait défaut.
On l'attaque parce qu'il n'a pas voulu participer à une primaire de gauche, mais de quels autres candidats de gauche parle-t-on ? Ne me dites pas que vous considérez encore le PS comme un parti socialiste et que Hollande, Valls, Montebourg, Macron sont des hommes de gauche, vous plaisantez à votre tour ! On l'attaque pour sa stratégie que d'aucun juge suicidaire, mais les suicides du PCF (depuis son adhésion au Programme Commun, sans parler de ses connexions naïves avec l'URSS avant cela), du PS (je suis en train de lire le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme montrant un Hollande consternant, sans parler des lois et pratiques liberticides et économiques honteuses dont ses gouvernements sont les auteurs), ni des petits partis trotskystes qui ressassent éternellement les mêmes slogans... Après une campagne présidentielle très forte, l'épisode Hénin-Beaumont était certes une vraie connerie, un coup de roulette russe qui lui a nui considérablement.
On l'attaque donc sur sa stratégie, comme les mêmes vont voter aux primaires de droite, en pensant bien faire en choisissant le moindre mal. Un jour on pourrait ainsi aller voter aux primaires du FN Marine Le Pen contre Marion Maréchal ! Les stratèges se trompent souvent. Les médias qui sont au mains de neuf milliardaires, marchands de canons et banquiers, évitent soigneusement de parler d'idéologie. Ils préfèrent publier les photos de Mélenchon grimaçant ou passer en boucle l'extrait vidéo où il envoie paître un journaliste qui lui marche sur les pieds...
On l'attaque (pas forcément les mêmes) parce qu'il imposerait seul son point de vue sans faire monter de jeunes autour de lui pour assurer la relève. Le programme élaboré par les Insoumis permettrait d'éviter ces travers. Encore faut-il changer de constitution ! Une sixième république permettrait d'élire (ou de tirer au sort, j'avoue que j'y croirais un peu plus) des personnes issues de la société civile plutôt que des politiciens très loin de la réalité vécue par l'ensemble de la population. "Je voudrais être le dernier président de la 5e République et rentrer chez moi sitôt qu’une Assemblée constituante, élue pour changer de fond en comble la Constitution, ait aboli la monarchie présidentielle et restauré le pouvoir de l’initiative populaire." Partage des richesses ? Son programme est clair, les propositions ne manquent pas et ce ne sera pas de tout repos s'il faut se battre contre la mafia internationale qui a pris le pouvoir ici et ailleurs, réduisant la plupart des gouvernements au statut de marionnettes. Jamais aucun candidat écologiste n'a été aussi loin dans les propositions pour sauver la planète, ses points de vue se rapprochant de ceux de Naomi Klein dans son dernier livre, Tout peut changer : Capitalisme et changement climatique. Il remet en question les traités européens et la dette inextinguible. Etc.
Il faut sortir de la manipulation d'opinion scandaleuse que sont les sondages et du story-telling honteux du Journal de 20 heures. La peur est mauvaise conseillère. Hélas un petit attentat à la veille des élections ou son déjouement inespéré suffisent à tout faire basculer. Il faut lire les programmes, regarder s'ils sont en accord avec nos idées ou pas. Ensuite on pourra décider de voter ou pas pour les candidats qui se seront effectivement présentés. On aura le choix entre ne pas y aller, voter blanc (vote soutenu dans le programme des Insoumis) ou bien croire en une démocratie qui n'en porte plus que le nom.
Le Capital a réussi à semer le doute dans nos esprits. Le seul moyen que nous ayons de les retrouver est de lire les programmes, en espérant que les futurs élus s'y tiennent, ou pas... Nous devons nous rappeler ce pourquoi nous vivons et pourquoi nous ne désarmons pas, l'espoir de virer toute cette mafia qui saigne la planète, et vivre en paix dans la solidarité de tous et toutes. Cela inclut le reste du monde. Je n'arrive pas à m'intéresser vraiment à la politique nationale quand 40000 enfants meurent chaque jour de malnutrition, que les guerres pour les métaux rares, les hydrocarbures ou le cacao font rage, nous permettant au passage de vendre les armes que notre pays fabrique, que les femmes restent opprimées même ici (les religions s'y sont toujours employées), et que nous fassions fi de toutes les autres espèces qui nous prennent pour des tribuns qui ne pensons qu'à notre gueule en protégeant nos sacro-saints acquis d'êtres humains qu'on appelle les Droits de l'Homme, sans assumer nos Devoirs...

mardi 29 novembre 2016

Robert Desnos en musique


Robert Desnos n'a jamais cessé d'inspirer les musiciens. Poulenc, Milhaud, Wiener, Kosma, Lutoslawski, Dutilleux, Reibel et bien d'autres n'y ont pas résisté. Sur le label GRRR l'accordéoniste Michèle Buirette en chante plusieurs dans l'album Le Panapé de Caméla, et du spectacle Comment ça va sur la Terre ?, ma préférée reste Le zèbre chantée par Elsa. J'ai moi-même accompagné à l'orgue et effets électroniques les comédiens Arlette Thomas et Pierre Peyrou disant du Desnos lors du spectacle d'inauguration du Théâtre Présent à La Villette en 1972 ! Desnos prête à jouer. Les amateurs de facéties trouvent facilement dans ses poèmes matière à interprétations et digressions. En 1983, avec Un Drame Musical Instantané, nous avions intégré dans notre création policière La peur du vide le rêve que Desnos avait lui-même mis en sons pour la radio en 1938 :


Le trompettiste Serge Adam, la guitariste Christelle Séry et la chanteuse Tania Pividori ont choisi d'adapter le recueil Corps et biens pour leur spectacle Journal d'une apparition. Les paysages sonores et les évocations inventives accompagnant les textes déclamés me convainquent plus que les chansons à trois voix pas toujours très justes, mais l'ensemble se tient, surtout lorsque l'électronique ou l'électricité viennent assumer l'intemporalité de la poésie de Desnos. Pistons, cordes et effets vocaux donnent aux poèmes des allures animales de dessin animé dont l'espièglerie ne cache jamais la gravité.


Publié par Desnos en mai 1930, après son éviction du groupe surréaliste par André Breton et la mort de son amour impossible, la chanteuse Yvonne George qu'il n'oubliera jamais, Corps et biens rassemble des poèmes écrits pendant les dix années précédentes, manière de passer à autre chose. Breton lui reproche son narcissisme, ce qui est plutôt cocasse venant de lui. Desnos refuse ses oukazes. Aragon en remet une couche : « Le langage de Desnos est au moins aussi scolaire que sa sentimentalité. Il vient si peu de la vie qu'il semble impossible que Desnos parle d'une fourrure sans que ce soit du vair, de l'eau sans nommer les ondes, d'une plaine qui ne soit une steppe, et tout à l'envi. Tout le stéréotype du bagage romantique s'adjoint ici au dictionnaire épuisé du dix-huitième siècle. […] Les lys lunaires, la marguerite du silence, la lune s'arrêtait pensive, le sonore minuit, on n'en finirait plus, et encore faudrait-il relever les questions idiotes (combien de trahisons dans les guerres civiles ? ) qui rivalisent avec les sphinx dont il est fait en passant une consommation angoissante. Le goût du mot « mâle », les allusions à l'histoire ancienne, du refrain dans le genre larirette, les interpellations adressées à l'inanimé, aux papillons, à des demi-dieux grecs, les myosotis un peu partout, les suppositions arbitraires et connes, un emploi du pluriel […] qui tient essentiellement du gargarisme, les images à la noix... »
Mais ce que ses anciens camarades lui reprochent, n'est-ce pas ce qui en fait tout le suc ?!

→ Robert Desnos, Journal d'une apparition, par Serge Adam, Tania Pividori, Christelle Séry, CD Quoi de neuf Docteur, dist. Muséa et Les Allumés du Jazz, sortie le 15 décembre 2016, puis plateformes iTunes, Qobuz, Deezer, Spotify dès le 13 janvier 2017...

lundi 28 novembre 2016

L'âge du capitaine


De temps en temps un ami, ou une amie, dont l'âge est très différent de celui de son conjoint ou de sa conjointe, se trouve confronté/e à des interrogations métaphysiques. Ce n'est pas tant le présent qui les inquiète, mais l'avenir, quand l'un des deux risquera d'être diminué. Ce genre de préoccupation est plus courant chez les hommes à la recherche d'une partenaire plus jeune, mais l'inverse n'est pas aussi rare que l'on pourrait le croire. À se regarder dans les yeux de l'autre on se sent évidemment plus fringuant. Le hiatus est d'autant plus flagrant à l'âge limite des femmes pour procréer, mais les quinquagénaires ou sexagénaires n'ont pas forcément envie de reproduire une situation paternelle dont ils connaissent les aléas ! Libre à chacune et chacun de faire ses choix en connaissance de cause...
Mais est-il bien raisonnable de se préoccuper de l'avenir relativement lointain à une époque où les liaisons sont plus éphémères que par le passé ? La question se pose d'ailleurs le plus souvent à des couples qui ont déjà connu la famille recomposée. De plus, les mystères de la vie rendent fragiles les spéculations sur la longévité des uns et des autres. Il sera bien temps de se préoccuper de la différence d'âge quand le moment sera venu. Il vaut mieux profiter de l'amour lorsqu'il se présente, quitte à apprendre à l'entretenir pour que chaque jour vous sourit. Et n'oubliez pas de continuer à honorer votre compagnon ou votre compagne des mille petites attentions qui l'avaient séduit/e à votre rencontre, sinon quelqu'un d'autre risque de s'en charger ! N'essayez pas non plus de le ou la changer, même si ce qui vous avait séduit/e vous énerve avec le temps. Le secret de la longévité des couples est d'apprendre à accepter l'autre, plutôt que d'espérer le ou la faire changer. Dans le premier cas c'est vous qui faites le boulot, dans le second vous exigerez vainement que l'autre le fasse !
Voilà pour aujourd'hui, c'étaient les conseils de Tonton Jean-Jacques. Quant à l'âge du capitaine, Gustave Flaubert en donnait une version en écrivant à sa sœur Caroline : « Puisque tu fais de la géométrie et de la trigonométrie, je vais te donner un problème : Un navire est en mer, il est parti de Boston chargé de coton, il jauge 200 tonneaux, il fait voile vers Le Havre, le grand mât est cassé, il y a un mousse sur le gaillard d'avant, les passagers sont au nombre de douze, le vent souffle Nord-Est-Est, l'horloge marque trois heures un quart d'après-midi, on est au mois de mai… On demande l'âge du capitaine ? » Il est bien avancé. Bien avancé d'avoir expérimenté quantité de cas de figures que l'amour sait dessiner !

vendredi 25 novembre 2016

Marc-Antoine Mathieu fait Sens en montrant la voie


Je ne vais pas être long parce que je dois y retourner dare-dare. Coincé pour la seconde fois à la fin du chapitre deux du labyrinthe qui en compte trois, mon iPad commence à me sortir par les trous de nez. Marc-Antoine Mathieu a adapté sa dernière bande dessinée, un roman graphique sans paroles, pour en faire une application interactive sur tablettes iOS ou Android. Qui plus est, S.E.N.S. VR peut être jouée en 3D avec les casques de réalité virtuelle Samsung Gear VR et Oculus Rift, ainsi que sur les casques type Cardboard sur iOS et Android, mais impossible pour moi de tester le relief en l'absence de ces matériels ! Je me contente de tourner, tourner sur mon fauteuil de bureau pour jouir des 360° du vertigineux décor jusqu'à faire apparaître le petit rond qui m'indique la marche à suivre, en accord avec le personnage énigmatique de cette œuvre philosophique dont le sens titille surtout l'émotion : un personnage est à la recherche de la bonne page pour terminer l’histoire tandis que nous devons assumer les conséquences de la disparition du point de fuite...


Fan des bandes dessinées de Marc-Antoine Mathieu depuis le début, j'avais été scotché par 3". Sa version papier, S.E.N.S., qui ne portait qu'une flèche pour tout titre, m'avait malgré tout laissé sur ma faim. Son adaptation produite par Arte et réalisée par les game-designers Charles Ayats et Armand Lemarchand de RedCorner me met la tête à l'envers. Le son donne astucieusement de précieuses indications. Dans cet univers qui se plie et se déplie, nous glissons dans les fentes, tombons de haut ou nous accrochons au papier virtuel de l'écran. Le premier tableau est gratuit, histoire de harponner l'utilisateur. Les deux suivants sont accessibles moyennant la somme modeste de 2,99€. Avec ses lignes épurées noir et blanc et ses ombres portées, S.E.N.S VR marquera certainement l'histoire des œuvres interactives !

P.S.: bonne nouvelle, j'ai terminé, je peux passer à autre chose, mais mon ombre, qu'indique-t-elle ?

jeudi 24 novembre 2016

Tino Sehgal, l'expérience humaine

...
Comment évoquer l'exposition-performance de Tino Sehgal au Palais de Tokyo sans déflorer son travail ? Raconter de quoi il s'agit, c'est pratiquer ce qu'au cinéma on appelle un spoiler. Or j'adorerais convaincre tous ceux et toutes celles qui me lisent d'y courir séance tenante. Résistant souvent à l'art conceptuel qui me fait préférer le catalogue à son exposition, j'avoue y être allé à reculons. Je me trompais. J'en suis sorti avec une pêche d'enfer et quantité de questions sur la vie. Dehors, le ciel crépusculaire hésitait entre l'orange et le rose. C'était magique.
L'émotion n'y est donc pas esthétique, mais conceptuelle, entendre qu'elle joue avec nos concepts philosophiques en interrogeant l'énigme comme jadis le Sphynx ou le progrès comme on essaie de nous le vendre. L'œuvre représentée sur les 13000 m² du Palais de Tokyo joue sur le sensible, ce lien ténu entre les êtres qui se fortifie dans la durée. L'accrochage y est brechtien, la scénographie chorégraphique, le son envoûtant, l'œuvre fondamentalement humaine. Bouleversante.
Le travail en amont avec les 400 participants qui se relaient pour nous accueillir a été intelligemment mené par Tino Sehgal. On sent le plaisir partagé des hôtes avec les visiteurs. Différence notoire, les uns sont rémunérés, les autres paient pour entrer. Pour le reste, comme nous avons commencé par le sous-sol, j'ai d'abord eu l'impression d'un cousinage avec Westworld où il est impossible de reconnaître qui sont les uns ou les autres. Les acteurs de ce théâtre documentaire n'ont pourtant rien des robots humanoïdes de la série américaine. Ils sont faits de chair et de souvenirs sincères. Passionné par la marche du temps, je me suis retrouvé dans un présent plus persistant que jamais. J'espère pouvoir y retourner avant que l'exposition ferme ses portes le 18 décembre prochain.

→ Carte Blanche à Tino Sehgal, Palais de Tokyo, Paris, de midi à 20 h tous les jours sauf le mardi, 9,40€ et 12,50€

mercredi 23 novembre 2016

Ratage de Sorrentino sur The Young Pope


Quelle déception lorsque l'on a aimé Les conséquences de l'amour, Il Divo, This Must Be The Place, Youth ou son roman Ils ont tous raison ! Paolo Sorrentino rate son très-long-métrage, The Young Pope, en large et en travers. Après un début prometteur salué à Venise, la série HBO/Canal+ s'enlise dans une interrogation répétitive sur l'existence de Dieu, uniquement motivée par l'abandon de sa maman à un orphelinat, psychanalyse à 100 balles. L'homosexualité des prêtres et l'avortement sont abordés sans aucun intérêt. Jude Law a un masque contrit sur la figure, et malgré une belle collection de trognes on s'ennuie sec jusqu'à la fin du 10e épisode dont l'issue est hélas attendue. Sorrentino se serait-il laissé prendre par la durée comme nombreux talentueux auteurs de courts métrages d'animation passés au long métrage ?
Mieux vaut se tourner vers la génialissime Braindead, série méconnue à ne rater sous aucun prétexte !

mardi 22 novembre 2016

Se projeter dans Milieu


Aujourd'hui, à l'ère de l'anthropocène, quand menace la sixième extinction, quel que soit son âge, la question de l'avenir se pose à chacun et chacune, pas seulement celui de la planète ou de l'humanité, mais plus prosaïquement le sien. When I'm 64, si la tentation de la nature rivalise avec la sociabilité urbaine, on sait que la fusion se rapproche, éternité partagée avec tous les ingrédients de la biomasse. À se projeter, le vertige est le même, que ce soit dans un réalisme scientifique ou une allégorie mystique. Le ciel et la terre nous happent quand la catastrophe se profile...
Chaque année, Monsieur Nishida, un entomologiste, part chercher des papillons dans un des lieux les plus mystérieux du Japon, l'île de Yakushima... Sur cette île les arbres ont 3000 ans, et les hommes honorent les dieux et les déesses des forêts de la montagne... Un typhon est sur le point de s'abattre sur le pays des dieux... Au Japon les éléments naturels coexistent avec les humains et sont considérés comme des dieux... Après le typhon, pour apaiser leur colère, ils suffit de les cueillir sur les branches des arbres et de les écouter...
C'est le thème de Milieu, le film que Damien Faure a tourné, magnétisé par les paysages merveilleux de la planète.


En projetant le DVD sur le mur, je reconnais l'inspiration des films de Hayao Miyazaki, le monde des esprits du Voyage de Chihiro, sauf que la musique de Xavier Roux est autrement plus cohérente et appropriée que les niaiseries à l'eau de rose de Joe Hisaishi. Platon y retrouverait ses petits tant les projections sont nombreuses, depuis certains jardins secs de Kyoto constitués de sable et de pierre qui réfléchissent le paysage au transfert des vues de l'esprit. Dans Milieu le paysage est actif. Il imprègne tous les êtres qui s'y meuvent, et les éléments naturels y mettent leur grain de sel, comme le typhon qui s'approche et que nous attendons. L'osmose est totale.
Damien Faure a le bon goût de n'ajouter aucun commentaire en voix off comme il l'avait fait par contre dans ses trois films (West Papua, Sampari, La colonisation oubliée) sur la résistance du peuple papou contre la colonisation violente de l'Indonésie. Films nécessaires, mais de facture plus classique, plus proches du reportage que du documentaire. Xavier Roux, avec qui j'ai enregistré en duo l'album Court-circuit sous son pseudonyme de Ravi Shardja, a composé toutes les partitions des films de Faure depuis 16 ans, choisissant élégamment les sons musicaux pour qu'ils s'intègrent à ceux de la nature.
En bonus du DVD, les entretiens passionnants avec le spécialiste du paysage Yoshio Nakamura, et surtout le géographe philosophe Augustin Berque, complètent magistralement les magnifiques images de l'île de Yakushima qui nous submergent... J'écoute celui de Berque comme une sorte de mode d'emploi de ce que le film expose.

→ Damien Faure, Milieu, DVD, aaa productions, 14€
→ Damien Faure, West Papua, coffret DVD + CD de Ravi Shardja (Xavier Roux), aaa productions, 53€
→ Lien du film Milieu entier: vimeo.com/cedricjouan/milieu (mot de passe sur simple demande à cedricjouan@gmail.com)
→ Cinéconcert A Page of Madness de T. Kinugasa (Japon,1926) par le groupe GOL avec Ravi Shardja, Jean-Marcel Busson, Samon Takahashi, le 6 décembre 2016 au cinéma Le Méliès, Montreuil, Semaine du Bizarre

lundi 21 novembre 2016

Faut-il se réjouir de la fermeture d'un site comme What.cd ?


Jeudi dernier, la Gendarmerie Nationale, plus précisément les militaires du centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N), a saisi 12 serveurs du tracker torrent privé What.cd chez l'hébergeur de sites OVH à Lille et Gravelines, ainsi qu’une machine chez Free, sur plainte de la Sacem. En page d'accueil, What.cd annonce avoir fermé définitivement et ne jamais revenir sous sa forme initiale. Notez l'ambiguïté ! Le site nie pourtant que sa base de données ait été saisie, mais que l'intégralité a été effacée, y compris la liste des utilisateurs. Le site pirate comptabilisait plus de 2,6 millions de torrents regroupant 1 050 000 albums de 860 000 artistes. Sur sa page FaceBook, le producteur Jacques Oger se demande s'il faut se plaindre de cette fermeture ?


Le manque à gagner des producteurs n'est pas si évident.
1. D'abord parce que la plupart des jeunes sont abonnés à des plateformes comme Deezer ou Spotify qui leur offrent légalement un choix incroyable de disques qu'ils n'auraient pu acquérir avec leurs minces revenus, d'autres vont sur YouTube & Co qui ont passé des accords avec la Sacem qui ne profitent qu'aux majors et nullement aux artistes. Cela pose aussi la question du prix du disque. Par exemple, les intermédiaires trop gourmands sont en train de tuer le retour du vinyle.
2. Les sites illégaux comme What.cd sont des encyclopédies vivantes (pour What.cd c'est plutôt mort !) qui permettent de trouver des disques qui ont disparu de l'offre légale, dont les producteurs ou les distributeurs ont fait faillite, etc. Grâce à ces sites, certaines œuvres sont sauvées de l'oubli, réhabilitées... Ce sont des médiathèques incomparables pour un chercheur. Discogs, site marchand spéculatif, rassemble quantité d'informations, mais sans une note de musique.
3. Les disques que nous produisons, petits indépendants d'œuvres de niche, sont rarement piratés. C'est le mainstream des majors qui en souffre essentiellement, ceux-là-mêmes qui ont en douce assassiné le disque en favorisant la dématérialisation des supports parce que cela leur permettait des compressions de personnel et la suppression des stocks...
4. Si nous voulons vendre des supports matériels, fabriquons des objets incopiables en soignant le graphisme et tout ce qui n'est pas directement la musique, comme le font par exemple le label nato ou le Surnatural Orchestra. Le disque est un support, l'album est un objet, ce n'est pas la musique.

Le label GRRR que je dirige depuis 1975 a choisi d'offrir 138 heures d'inédits en écoute et téléchargement gratuits, multipliant ses auditeurs et élargissant son audience aux confins de la planète. Ce ne sont que des mp3, un format qui formate hélas gravement les oreilles des auditeurs. Les vinyles et CD sont toujours en vente sur le site, distribués en France par Orkhêstra et Les Allumés du Jazz, mais c'est à l'étranger, essentiellement aux USA et Japon, que nous en vendons. La plupart des musiciens écoulent efficacement leurs disques à la fin des concerts, mais les ventes ont considérablement chuté pour tout le monde. Je tiens à préciser que, perfectionniste, j'ai très rarement gagné de l'argent avec la production discographique. À de rares exceptions près, j'en aurai plutôt perdu. Aujourd'hui comme hier, hors show-biz le disque est avant tout un outil de communication.

Le système de la licence globale ayant été repoussé par les sociétés d'auteurs et l'État, des accords ont été passés avec de gros acteurs du marché comme Universal au détriment des artistes et des petits producteurs indépendants. Les auditeurs, qui ont toujours copié les disques, ont été criminalisés. Comme dans tous les secteurs de l'économie, l'État entretient un flou qui n'a rien d'artistique pour ne pas débattre honnêtement de ce qui est en jeu. D'un côté les majors voudraient se débarrasser des sociétés d'auteurs, privant les ayant-droits de leurs revenus ou les tenant à leur merci, et d'un autre côté ces sociétés privées continuent à privilégier les gros acteurs qui rapportent (la Sacem touche, par exemple, environ 18% en moyenne de ses perceptions), condamnant trop souvent les petits à réclamer leur dû s'ils en ont le courage et l'opiniâtreté. Le secrétaire général de la Sacem, David El Sayegh, évalue le préjudice causé par What.cd à plus de 40 millions d’euros pour les créateurs qu'elle représente, mais sa fermeture rapportera-t-elle le moindre kopek ? La fermeture de MegaUpload n'a rien changé au piratage. Le site What.cd était apparu après la fermeture de Oink. On peut prévoir que naîtra d'ici peu un nouveau site qui protégera ses serveurs dans quelque paradis informatique à l'instar des paradis fiscaux dont le Capital a le secret. L'État, ici sous pression des sociétés d'auteur, a trois métros de retard. On l'a vu avec Hadopi qui se polarise sur l'échange de fichiers PeerToPeer tandis que les internautes sont passés au streaming.
Nombreuses questions soulevées ici mériteraient un débat ouvert, car comme partout l'ignorance et le story-telling font les choux gras du Capital.

vendredi 18 novembre 2016

Bribes 4 ou la contradiction unanime


J'ai d'abord pensé que Bribes 4 était au baloche ce qu'Albert Ayler était à la musique militaire. C'est le presqu'ensemble qui m'a ensuite séduit, très loin des unanimités du rock progressif ! La batterie exubérante de Yann Joussein sert de papier millimétré au duo d'origine, le saxophoniste Geoffroy Gesser et le pianiste-claviériste Romain Clerc-Renaud jouant des syncopes comme les enfants qui font semblant de s'évanouir.


Les effets électroniques de Joussein font glisser le timbre de l'orchestre vers une électroacoustique moderne tandis que la voix délicate ou trafiquée de la Suédoise Isabel Sörling popise le free jazz des improvisateurs dont les compositions semblent autant inspirées par la chanson française que par le soft power américain. Ici ou là la réverbération souligne les perspectives en créant des espaces dramatiques. Sur scène ils travaillent autant la lumière que le son. Bribes 4 ne craignent jamais d'être à contre-courant, leurs voix contradictoires constituant une musique homogène aussi héroïque que révoltée.

→ Bribes 4, CD, Coax Records, 12€
N.B.: L'extrait vidéo est chouette, mais il ne réfléchit pas l'énergie protéiforme du quartet...

jeudi 17 novembre 2016

Leonard Cohen n'est que l'interprète de The Partisan


Ces jours-ci, j’ai lu ou entendu que Leonard Cohen était l’auteur de The Partisan. Il n’en est pourtant que le formidable interprète, se l'appropriant magistralement.
La Complainte du partisan est une chanson écrite à Londres en 1943 par Emmanuel d'Astier de La Vigerie, dit Bernard sous la Résistance, et Anna Marly en a composé la musique. L'adaptation anglaise est du New-Yorkais Hy Zaret.
Si vous souhaitez écouter une version proche de l’originale, jadis chantée par l'auteur, les Compagnons de la Chanson ou Mouloudji, le compositeur et pianiste anglais Tony Hymas l'a arrangée pour l’album Chroniques de résistance publié par le label nato. Sur le CD comme sur scène, ma fille Elsa la chante parmi sept autres chansons, accompagnée par Tony Hymas, François Corneloup, le Trio Journal Intime et Peter Hennig (les siffleurs sont Elsa Birgé, François Corneloup, Thierry Mazaud et Frédéric Pierrot).



Anna Marly (photo), née à Pétrograd en Russie en 1917 et décédée à Palmer en Alaska en 2006, à qui l’on doit aussi la musique du Chant des Partisans dont elle a écrit les paroles en russe et qu’ont adaptées Maurice Druon et Joseph Kessel, s’était engagée en 1941 comme cantinière au quartier général des Forces Françaises Libres du Carlton Garden à Londres. Dans le superbe livret nato de 152 pages, il est précisé qu’Emmanuel d'Astier de La Vigerie était alors journaliste, membre des Mouvements unis de la Résistance. La chanson, devenue populaire en 1950, figurait dans le recueil The People’s Songbook. C’est là que le jeune Leonard Cohen la découvrit alors qu’il participait à un camp de jeunesse. « Une idée curieuse s’est un jour formée en moi, je me suis dit que les nazis avaient été renversés par la musique ».

Au fur et à mesure que le temps passait, la voix de Leonard Cohen descendait dans le grave. Rien d'étonnant donc à ce qu'il touche le fond du timbre avec son dernier album, You Want It Darker, annonçant sa fin prochaine. La messe est dite, aussi je conseille à ceux qui n'en possèdent aucun More Best Of où son art est au firmament. The Partisan n'y figure pas, mais il rassemble Everybody Knows, I'm Your Man, Take This Waltz, Tower of Song, Anthem, Democracy, The Future, Closing Time, Dance Me To The End of Love, Suzanne, Hallelujah, Never Any Good, The Great Event.

→ Tony Hymas, Chroniques de résistance, CD nato, dist. L'autre distribution, 15€
→ Leonard Cohen, More Best Of, Colombia, 10€

mercredi 16 novembre 2016

Moins incisif


Je déprime très rarement, mais parfois un réseau d'émotions me pousse à une tristesse qui m'envahit sans désir de la vaincre. Pour en arriver à cet état il faut que les attaques se portent sur plusieurs fronts, sans que j'en sois forcément la cible. Quantité d'évènements sont susceptibles de m'affecter, de la compassion individuelle jusqu'à l'état du monde. Les défenses immunitaires affaiblies, le risque est de tomber malade.
Moment mal choisi, car je dois subir une grosse opération dentaire en fin d'après-midi. Cette intervention qui s'étalera sur plusieurs mois n'est peut-être pas étrangère au blues qui m'envahit. La perte d'une incisive est certainement symbolique. Comment mordre sans ? Grrr ! Lorsque j'étais en neuvième, l'équivalent du CE2, trois garçons plus âgés m'avaient renversé accidentellement dans la cour de récréation. La dent cassée que le Docteur Lessault avait remplacée lorsque j'atteins 22 ans avait tenu une trentaine d'années, mais le dentiste suivant avait mal rebouché le conduit et une infection récurrente m'oblige à ajouter un nouvel implant au centre de ma mâchoire supérieure. L'opération est compliquée. La perspective de la greffe osseuse ne m'enchante guère, mais je n'ai pas le choix et je vais devoir porter un appareil en attendant la cicatrisation. J'ai la chance de posséder de magnifiques exostoses où la chirurgienne va pouvoir puiser la matière première.
Cela n'explique pas tout. Demain j'aurai probablement déjà évacué ma peine. Pessimiste gai, je brûle d'un soleil intérieur qu'il faut tout de même ranimer de temps en temps. J'ai ajouté cette phrase pour n'inquiéter personne, surtout après avoir choisi ce Saint Jérôme du Caravagge photographié Galerie Borghese pour illustrer mon article, icône d'ailleurs très positive...

mardi 15 novembre 2016

Peirani et Wollny en Tandem


Si l'accordéoniste Vincent Peirani et le pianiste Michael Wollny ont glissé progressivement vers le jazz, leur album en duo, Tandem, montre qu'ils sont tous deux, avant tout, des musiciens classiques. Le swing qu'ils ont apprivoisé, la chanson qu'ils ont accompagnée et leur ouverture d'esprit leur permettent de jouer l'Adagio pour cordes de Samuel Barber, Hunter de Björk, Vignette de Gary Peacock, Fourth of July de Sufjan Stevens, Travesuras de Tomás Gubitsch, Song Yet Untitled de leur collègue Andreas Schaerer, avec un naturel et une précision exceptionnelles, tout en s'appropriant chacune de ces icônes. Cet éclectisme auquel s'ajoutent leurs compositions personnelles développe autant de facettes d'un même engagement à livrer avec une extrême sincérité les univers variés qu'ils déploient. D'une plage à l'autre, le cristal réfléchit tristesse ou gaité, excitation ou retenue, avec une élégance occultant l'extrême virtuosité des deux jeunes musiciens. L'entente est telle que l'on en oublie l'origine de chaque pièce pour ne considérer que l'ensemble comme une suite qui coule de source, une suite lyrique où les deux instruments qu'on dit complets forment un orchestre de cordes, cuivres et percussion virtuels. Tandem est l'un de leurs plus beaux albums parce qu'il aborde l'éventail de leurs répertoires en assumant leurs amours de jeunesse comme origine de toutes leurs aventures. C'est ce que l'on appelle généralement la maturité.

→ Vincent Peirani & Michael Wollny, Tandem, The ACT Company, CD 17,50€

lundi 14 novembre 2016

Guillaume Perret, l'homme-orchestre à la sax machine


Le saxophoniste Guillaume Perret entend son nouvel album, Free, comme une musique de film tandis qu'il m'apparaît plutôt comme un dance-floor hirsute dans une jungle de synthèse. Armé de son ténor et d'un puzzle d'effets qu'il contrôle en temps réel, Perret joue des boucles pour constituer un orchestre à lui tout seul. Pour le disque il a enregistré de longues prises où les pistes s'empilent, quitte à les découper ensuite pour recomposer ses paysages imaginaires. C'est dans ce montage que la référence cinématographique s'impose, méthode que nous utilisions dans les années 70 avec Un Drame Musical Instantané lorsque nous improvisions des pièces qui faisaient rarement moins de trente minutes. Je m'efforçais ensuite de respecter la chronologie tout en pratiquant quelques ellipses. C'est ainsi que l'album des Poisons (d'une durée de 24 heures) fut réalisé ! Nous construisions à trois des récits dramatiques là où Perret échafaude seul des rythmes entraînants sur lesquels il hurle sa rage mélodique dans une spirale de derviche tourneur.


Si les références nord-américaines et caraïbiennes s'enchaînent, le jazz offre avant tout la liberté de l'improvisation ! Les loops poussent à la techno et à la transe, un jeu très mâle qui ne fait pas dans la dentelle, propre à exciter les deux sexes en butte à s'éclater. Les titres ne sont pas équivoques, c'est du hard ! Walk, Heavy Dance, Pilgrim, Cosmonaut, She's Got Rhythm montrent à la fois le besoin d'avancer et de découvrir... S'il marche sur le fil, Perret doit sans cesse retrouver l'équilibre sans écraser le blindage.


Les pédales d'effets donnent un son analogique aux transformations sonores que Perret fait subir à son ténor pour fabriquer nappes, chorus distordus, basses, percussions et jungle animale. Les boucles donnent la couleur raide des boîtes aux rythmes tandis que les couches de sax se répondent en se dandinant avec lyrisme. Je suis curieux d'entendre le processus à l'œuvre lors du concert de jeudi prochain 17 novembre au Café de la Danse, car sur le disque il attaque souvent les morceaux alors que le mille-feuilles est déjà précuit, travail de composition quasi symphonique dont l'électricité est le moteur.

→ Guillaume Perret, Free, Kakoum Records/Harmonia Mundi

vendredi 11 novembre 2016

Soulèvements, l'exposition nécessaire


En publiant hier mon article Envol, je ne pensais pas que j'irais le lendemain à l'exposition Soulèvements au Jeu de Paume. Dès la première salle il s'agit de s'envoyer en l'air en refusant l'état des choses, de léviter pour éviter la banalité, de se placer en état d'apesanteur pour supporter les lourdeurs que nos systèmes sociaux nous imposent. L'historien et philosophe Georges Didi-Huberman a imaginé un parcours thématique des plus salutaires en ces nouvelles années de plomb, parmi les plus violentes et sournoises que l'humanité a élaborées. Nous passons ainsi d'Éléments (déchaînés) à Par désirs (indestructibles) en traversant Par gestes (intenses), Par mots (exclamés) et Par conflits (embrasés), autant de stations incitant à la vigilance et la révolte, qu'elle soit artistique ou politique. Les textes de Didi-Huberman sont toujours aussi brillants, analytiques et poétiques, ses choix explicites et l'incitation claire, salvatrice, vitale.
Malgré l'accrochage intelligent et dynamique, je ne peux m'empêcher de penser que le catalogue me plairait plus que l'exposition. Quitte à lire les concepts où chaque mot est pesé, balancé, envoyé, n'est-il pas plus agréable de les lire allongé sur un divan qu'imprimés sur une cimaise ? Les très nombreuses photographies n'y perdraient pas grand chose. L'accrochage seul des œuvres plastiques est irremplaçable, et éventuellement certaines archives originales dont la présentation tient essentiellement d'une mystique de la représentation. Les vidéos, comme dans la plupart des expos, sont plutôt décevantes, leur mérite principal étant d'offrir à s'asseoir pour se reposer de tout ce que l'on a vu en piétinant dans les allées des musées. On me rétorquera que les visiteurs de Soulèvements n'auraient probablement pas lu ce qui est donné à voir et à entendre là et l'on aura raison. Mais cet indispensable rassemblement d'œuvres et d'objets rappelant l'urgence et la nécessité de se soulever tient surtout à la pensée qui l'anime.


Il y a là de quoi se souvenir et s'émouvoir. Il y a là de quoi réfléchir et partager. Il y a là de quoi se lever et s'envoler. Il y a là de quoi se révolter et s'engager. Didi-Huberman fait un tour du monde des mouvements qui, depuis la Commune de Paris en 1871, ont fait bouger les lignes. Il évoque le meilleur et le pire, l'insurrection et la répression, le courage et l'absurdité, la puissance du nombre et la responsabilité de chacun... Dressant un pont entre esthétique et politique, il touche à ce que nous avons de plus précieux, quand les mots nous manquent ou lorsque nous les retrouvons.
Le site Internet qui lui est consacré livre quantité de pistes et reproduit maints exemples de ce que l'on peut y voir : le parcours au travers de quelques œuvres et une recherche cartographique astucieuse, des ressources sociales en amont et en aval de l'expo, les résistances numériques relevées par Marie Lechner, etc.

Soulèvements, Jeu de Paume, jusqu'au 15 janvier 2017, entrée 7,50 et 10€

jeudi 10 novembre 2016

Envol


Prendre de la hauteur. Changer d'angle. Renverser les apparences. Nous en avons bien besoin lorsque le monde marche sur la tête. Je me souviens de mon baptême de l'air, j'étais enfant, toute la famille était montée dans un petit coucou, à l'époque les voyages en avion étaient rares. Plus tard j'ai fait la même chose en parapente, mais cette fois je suis parti en duo avec un pilote.


Départ à skis ! La pente semblait si raide qu'elle était presque abrupte. Extrêmement impressionnant. Après avoir décollé, tout file, ça plane, la peur se dissipe, c'est merveilleux, la neige ne fond pas plus que mes ailes, Icare est vengé... En écoutant le son de ce que j'ai filmé, j'ai beau répéter que tout va bien, je ne trouve pas le ton de ma voix très rassuré. L'atterrissage se fera les pieds en l'air, sans douleur. Je n'ai jamais essayé le parachute ni le saut à l'élastique, mais j'ai ingurgité et fumé des trucs bizarres qui m'ont envoyé dans les airs. J'aime les voyages parce qu'ils pulvérisent souvent mes idées préconçues, des idées reçues. Certains n'étaient pas toujours agréables, loin s'en faut, surtout dans les zones de guerre, mais j'ai toujours appris du déplacement. Il ne faut jamais craindre ce que l'on ignore. Ces temps-ci nous ne serons certainement pas au bout de nos surprises !

mercredi 9 novembre 2016

Braindead, la science-fiction cache une satire politique d'une brûlante actualité : une explication plausible de la victoire de Trump ?


Anne-Gaëlle nous a chaudement recommandé Braindead, série américaine dont la première et unique saison produite par CBS ne semble pas avoir été distribuée en France et ne sera pas reconduite. On peut se demander si, sous couvert de science-fiction, la satire politique ne dérange pas les hautes sphères du pouvoir, car tous les sujets critiques actuels y sont habilement suggérés au fil de 13 épisodes hilarants. Ainsi les manipulations médiatiques tous azimuts, les guerres d'Irak et Syrie justifiées par le mensonge, les lanceurs d'alerte Edward Snowden et Wikileaks, les écoutes téléphoniques, la torture de la CIA, le scandale du gaz de schiste, la démocratie participative et les élections présidentielles sont évoquées dans cette incroyable histoire d'insectes de l'espace dévorant le cerveau des membres du Sénat américain. "Le diable est dans les détails" répètent les héros, semant ici et là les indices d'une résistance interne aux États Unis.


Braindead, écrit par Robert et Michelle King, auteurs de la série The Good Wife, souligne la fausse opposition des Républicains et des Démocrates et la corruption du système. Le récit saignant de science-fiction (il est amusant de noter que ces nouveaux aliens ont Ridley Scott comme producteur exécutif !) est un thriller rondement mené avec des personnages féminins qui ont de l'étoffe. C'est une comédie tordante offrant une explication après tout assez plausible de l'absurdité des décisions de nos dirigeants !
Ce n'est pas aussi déjanté que Preacher, une autre série conseillée par nos amis, inspirée par un comics où un jeune pasteur cherche Dieu, mais à laquelle nous n'avons pas accroché, probablement pour vices de forme : les scènes d'action aussi gore qu'excitées alternent avec de longs dialogues ennuyeux qui plombent les épisodes. Peut-être n'apprécions-nous pas l'humour potache de Seth Rogen et Evan Goldberg ? Nous sortions de Braindead, ce qui nous avait rendus très exigeants !

P.S. : saison 2 (déprogrammée), les insectes venus de l'espace auraient gagné la partie et fait élire Donald Trump !

mardi 8 novembre 2016

Retour de Rome


Pourquoi cette rue me rappelle-t-elle Bucarest tandis que Françoise pense à Prague ? Les capitales abattent leurs cartes. Je me suis si longtemps entraîné devant la glace à faire de faux-mélanges que je n'aimais plus jouer à force de tricher. J'avais quinze ou seize ans lorsque j'ai arrêté les tours de magie proprement dits pour ne plus jouer que de la musique, éventail d'illusions tellement plus riches et inventives. Les cloches auraient pu m'inspirer, mais de Rome je n'ai enregistré aucune ambiance. Comme les magasins qui vendent presque tous la même chose sur la planète, le son des villes se banalise.


Au fur et à mesure du voyage à Rome nous nous éloignons du centre. Nous avons traversé plusieurs fois le Tibre via Trastervere. Les rues sont plus calmes, sans presque aucun touriste. Je me souviens de l'école populaire de musique où Giovanna Marini enseignait dans le quartier du Testaccio et des histoires que Jean-André me racontait de Pasolini et Ninetto...


Comme il pleut nous nous réfugions dans les catacombes de Domitilla. J'espérais un peu pouvoir marcher le long des 17 kilomètres de galeries, mais nous n'arpentons qu'un tout petit segment de ces longs couloirs étroits où étaient enterrés les morts sur cinq niveaux. Nous n'avons hélas rien vu de ce que montre Wikipédia. Cela sent un peu l'arnaque. On les avait presque toutes évitées jusqu'ici ! En rentrant en bus, nous avons un aperçu de Rome by night... Mais comme, dans toutes les villes du monde, nous aurons accumulé des kilomètres de marche à pied... C'est agréable de s'envoler !

lundi 7 novembre 2016

La turista romana


Les touristes français semblent toujours fuir les touristes, quelle que soit leur nationalité. Il y a même des pays où ils seraient prêts à faire semblant de parler moldave pour passer inaperçus ! Cela ne nous empêche évidemment pas de faire comme tout le monde, mais sans trop nous attarder ! La qualité principale du tourisme de masse est qu'ils ont tendance à s'agglutiner tous au même endroit. Il suffit souvent de faire un petit pas de côté pour que l'atmosphère redevienne respirable. À Angkor plus l'on s'éloignait des trois temples magistraux, plus la magie s'installait jusqu'à faire sortir des serpents du chapeau. Question foule, Rome est moins pire que Paris, sauf peut-être pour le Pape Place Saint-Pierre, mais qu'irions-nous faire là, je ne vous le demande pas. Passé les "incontournables", nous profitons des heures creuses et des chemins parallèles pour nous émerveiller...
Une fin d'après-midi j'ai retourné mon appareil pour découvrir plus tard celles et ceux que j'avais photographiés. Devant la Fontaine de Trevi j'imagine des phylactères pour les couples qui se rejoignent ou se séparent. Certains le savaient, d'autres en doutent ou l'ignoreront toujours. Je pourrais rester des heures à accumuler des preuves d'amour ou d'indifférence, des regards désarmants ou des yeux vides. Regardez, juste un exemple parmi d'autres !


L'application iTunes que Jackie nous a suggérée est d'une grande aide pour choisir un restaurant à Rome sans tomber sur les arnaques pour touristes. Et voilà, on y revient ! Eat Italy est consultable hors ligne, ce qui est précieux lorsque l'on n'est pas abonné à un réseau local et qu'il n'y a pas de wi-fi accessible à proximité. Idem avec les CityMaps2Go ! Elizabeth Minchilli a arpenté plusieurs villes italiennes et ses commentaires sont précieux pour dégoter un endroit authentique. Si l'application est gratuite, il faut débourser 3,99€ pour avoir accès à la version romaine complète. Celles pour Florence, Venise, Milan, Turin ou l'Umbria sont moins chères, sommes ridicules en regard des additions ! Les suggestions sont moins nombreuses que Trip Advisor, mais plus justes, car celles des simples voyageurs ne sont pas toujours très fiables. Nous avons donc savouré les carciofi alla giudia, artichauts à la juive, dans un étroit restaurant du Ghetto à l'entrée discrète, le Sora Margherita où les pâtes fraîches étaient parmi les meilleures goûtées jusqu'ici. Le soir de mon anniversaire, nous sommes allés déguster des togliolini al tartufo, des pâtes aux truffes, à la Fiaschetteria Beltramme, via della Croce. Leur fumet nous fit tant tourner la tête que nous nous terminâmes au tiramisu à la pistache, une tuerie ! À deux pas, pas plus cher qu'ailleurs et si bon qu'on en a fait notre cantine. Donc raviolis aux cèpes sauce aux noix, panna cotta chocolat, etc.


Au bout de la Via Ripetta où nous avons élu domicile, nous apercevons la Piazza del Popolo avec son obélisque surmonté d'une croix, et, plus haut, les pins de la Villa Borghese. Plutôt que devant les innombrables églises et vestiges de l'Antiquité, nous nous pâmons devant les murs décrépits, ocres, terre de Sienne brûlée, jaune cireux, bleu délavé... Rome donne une impression d'éternité que Paris a perdu dans de nombreux quartiers, faute de savoir bâtir le neuf en respectant l'ancien. Comme si le souci d'urbanisme allait ici de paire avec l'architecture, assaisonnés du baroque que donnent toutes ces pièces montées, volontairement ou pas...

vendredi 4 novembre 2016

Villa Borghese


Pascal nous avait astucieusement conseillés de réserver très tôt à l'avance pour la Galerie Borghese, le musée ne recevant qu'un nombre limité de visiteurs. Même si le style du XVIIe siècle n'est pas notre capuccino, le spectacle est extraordinaire. Fresques, sculptures, peintures se bousculent dans des salles immenses aux plafonds remplis de trompe-l'œil qui obligent Françoise à s'allonger pour les admirer...


Il n'y a pas que les trompe-œil, il y en a aussi de faux. Des sculptures et des bas-reliefs se mêlent aux peintures pour créer de fantastiques illusions d'optique. Nous foulons des marbres polychromes. Les mosaïques sont étonnantes, les tableaux magnifiques, en particulier ceux du Caravage. Sous ses pinceaux comme sous les burins de ses collègues, les garçons sont étonnamment féminins. Lors de mes voyages je prends systématiquement des photographies des musiciens représentés en pensant qu'elles pourraient un jour illustrer certains de mes articles, mais j'oublie ces clichés la plupart du temps. Tant de nus exposés laissent penser que certaines époques furent tellement moins prudes que la nôtre. La moindre image de chair est, par exemple, immédiatement censurée par FaceBook. Il est certain que les protestants sont toujours boutonnés jusqu'au cou, mais l'Italie d'aujourd'hui est encore très coincée, avec son catholicisme et l'incroyable puissance du Vatican. Les femmes appartiennent à un monde dont les hommes sont exclus, conséquence logique du machisme méditerranéen. Françoise est épatée par la chair de Perséphone qui s'enfonce sous les doigts du dieu Hadès, sculptée par Le Bernin.


La volière est hélas privée de ses oiseaux, mais cela ne les empêche pas de zébrer le ciel en poussant des cris que je suis dans l'incapacité d'identifier. En traversant les jardins de la Villa Borghese, gigantesque parc municipal de 80 hectares en plein centre de Rome où s'élève, entre autres, la Villa Médicis, nous regardons en l'air pour admirer les hautes frondaisons des pins. J'entends ceux de Respighi qui accompagnent A Movie de Bruce Conner, et ses Fontaines. Nous n'attrapons pas de torticolis, mais ces contorsions finissent par être fatigantes !


Ces jardins sont dessinés sur le mode anglais, plus vivant que la raideur à la française. Ce sont deux façons de concevoir la nature et de la domestiquer. C'est la même histoire avec la ville. Les Italiens savent merveilleusement marier le passé et le présent. Chaque coin de rue, et j'entends coin par détail et non par intersection, réserve des surprises, vestiges des temps anciens préservés malgré les besoins du futur. Au jeu des revivals, l'Antiquité et les siècles qui l'ont suivie y figurent des strates de modernité. L'étymologie veut que les modes passent et repassent.


Après être descendus jusqu'au Panthéon et la fontaine de Trevi, sous prétexte d'un sublime espresso au Caffè Sant'Eustachio sur les conseils de Laure, nous regagnons notre appartement situé exactement en face de l'École des Beaux-Arts. Une petite pause ne fait pas de mal avant de nous rendre au Teatro Olimpico pour la première de Carmen par l'Orchestra di Piazza Vittorio où Elsa incarne "la pure, amoureuse, courageuse, déterminée Micaëla"...

jeudi 3 novembre 2016

Vol pour Rome


Vision inattendue après avoir décollé de Charles De Gaulle... J'ai d'abord photographié la Place de l'Étoile avant de survoler la rive gauche... Je pense chaque fois aux quatre cuvettes dans laquelle la Tour trempe ses pieds...


Un petit nuage coiffait le Mont Blanc. En voyant les montagnes qui se succèdent, arides et saillantes, j'imagine Hannibal franchissant les Alpes, sauf que cette fois nous sommes sur le dos de l'éléphant, avec Sun Ra et son Arkhestra jouant la Parade synchronisée avec la séquence rêvée par Salvador Dali... Délire d'altitude ?


Alors Rome dans tout cela ? La nuit est tombée. L'embouteillage de l'autoroute filmé par Fellini s'est résorbé depuis longtemps. Ni l'un ni l'autre n'étions retournés dans cette ville merveilleuse depuis plus de trente ans. Nous marchons jusqu'à un restaurant familial comme nous en avons souvent cherchés lors de notre voyage dans le sud en juin dernier. Pâtes al dente, accueil charmant... Le Tibre est à deux pas. Tout est d'ailleurs à deux pas de l'appartement que nous avons loué via Ripetta, près de la Piazza del Popolo...


La Tour Eiffel, le Mont Blanc, Walt Disney !... Afin d'être crédible je photographie Françoise Piazza di Spagna. Peu de touristes. Douceur de l'automne. Les automobiles sont interdites dans le centre. Les seules que nous croisons sont celles des carabiniers. En remontant le Corso nous remarquons le design inventif de certains magasins, mais les vêtements exposés sont d'une triste banalité. Des glaciers me font de l'œil à tous les coins de rue. Je craque.

mercredi 2 novembre 2016

Portraits sans fin de Nicolas Clauss au CentQuatre



Comment faut-il entendre le "sans fin" des Endless Portraits de Nicolas Clauss ? Si les boucles vidéographiques de quelques secondes glissent sans cesse selon une programmation générative produisant le même effet que n'importe quel tableau, à savoir qu'elles n'ont ni début ni fin, elles ne répondent non plus à aucune attente, que ce soit de la part de l'artiste ou de celle des visiteurs. Ils et elles sont pourtant là. Face à nous. Ils ou elles nous regardent. Sans ciller. Contrairement à nous. Ce ne sont pas des photos puisque ça bouge. Ce ne sont pas non plus des films, le temps semblant figé. Les 16 élus sont condamnés à revivre éternellement le court instant de pose malgré de légers glissements spatio-temporels qui paradoxalement ne se répètent jamais. La faille entre eux et nous serait-elle un avatar de L'invention de Morel ?


Comme pour tout portrait le décor tient sa place dans le cadre. Dans le fond, d'autres personnages entrent et sortent du champ. Des évènements se produisent derrière le modèle sans qu'il s'en aperçoive. Ils vont et viennent, avancent et reculent, selon un tendre bégaiement qui interroge l'univers social où évolue le "héros". Les portraits rejouant à l'infini la comédie de l'existence deviennent des miroirs dans lesquels nous nous projetons. C'est dans l'étude des petits riens que se dévoile l'univers.


Nicolas Clauss y est allé au flan, harponnant un badaud, fouinant pour trouver le contact d'un artiste qui fait sens pour lui. Il a commencé par Wayne à New York, Eva en Sicile, un mannequin ou une mère et son fils à Pékin, un astrologue à Bangalore, une fille à Hanoï, un enfant à Aix, et puis d'autres, moins anonymes, comme Philippe Katerine, Maguy Marin ou Denis Lavant... Ils et elles se sont tous prêtés au jeu. Avec ses portraits de jeunes des cités dans Terres arbitraires Clauss avait réussi à déjouer les idées reçues en faisant craquer le vernis pour montrer la tendresse de ces garçons. Pour Agora(s) il s'était intéressé au mouvement des foules en arpentant la planète. Avec Endless Portraits, il poursuit son objectif en rendant une fois de plus complices ceux qu'il filme image par image avec sa petite caméra en quête de qui nous sommes. Être ou ne pas être ? n'est pas une tarte à la crème. À l'époque où menace la sixième extinction, la question n'a jamais été aussi cruciale. Les réponses se lisent les yeux dans les yeux.

→ Nicolas Clauss, Endless Portraits, 2014-2016, Vidéographies aléatoires, 16 portraits en mouvement exposés sur écrans dans la Galerie Éphémère et la Nef du CentQuatre-Paris, du 3 novembre 2016 au 26 mars 2017, en accès libre

mardi 1 novembre 2016

Musique en chaleur


Il y a un temps pour tout, et en musique à chaque moment de la journée, en fonction du lieu, selon les conditions climatiques ou nos accompagnements correspond un style, et ce pour chacun. Ainsi le matin, dans la chaleur du sauna, je choisis soit des évocations radiophoniques, soit de la variété internationale. Encore qu'il me soit arrivé de réécouter des CD que j'avais déjà chroniqués comme le White Desert Orchestra d'Ève Risser, le We Free d'Alexandre Saada, le Velvet Revolution de Daniel Erdmann, le duo Nakano-Segal ou Ursus Minor.
Comme j'y sue une vingtaine de minutes je m'y reprends forcément en plusieurs fois pour écouter un disque. Cela tient du feuilleton lorsqu'il s'agit du coffret 10 ans d'essais radiophoniques, du studio au club d'essai de Pierre Schaeffer ou, à moindre durée, de l'ACR France Culture On Nagra : il enregistrera de Yann Paranthoën. Ici, l'histoire d'un magnétophone mythique, là les grandes heures de la radio 1942/1952, dans les deux cas les bases de la création sonore par ses acteurs et ses instruments... La voix y tient un rôle majeur, tant dans la fiction que le documentaire. Schaeffer a découpé sa démonstration en quatre parties (la mise en ondes, le texte et le micro, l'écran sonore, la radio et ses personnages), mais je préfère le titre de certaines sous-parties comme La part du rêve, Le décor sonore, L'homme et les machines, Psychanalyse des voix ou le reportage sur la Libération de Paris en 1944.
Quant à la variété internationale, je profite de mon inactivité pour écouter les albums récents de chanteurs pop/folk comme David Crosby, toujours aussi nostalgique, Leonard Cohen, plus sombre que jamais, Joe Henry, chouette sans jamais égaler son Scar, des trucs plutôt calmes en somme. La chaleur des convecteurs me dissuade d'emporter les livrets que je crains d'abîmer, bien que ce soit une vue de l'esprit, car les infrarouges se moquent du papier. Par contre je gis les yeux fermés, concentré sur ma respiration et sur ce que j'entends...
Ainsi je découvre Bon Iver que m'ont conseillé deux jeunes musiciens contemporains danois qui trouvent ce groupe révolutionnaire ; c'est très bien, comme Radiohead, mais cela n'a rien de "révolutionnaire" à mes oreilles, pas plus que les drones ou la noise. La Monte Young ou l'indus existaient déjà il y a 50 ans ! La nouvelle jeunesse n'a pas de point de comparaison, n'ayant simplement jamais vécu de période renversante telles qu'en produisirent le rock 'n roll, les Beatles, le Flower Power psychédélique, le free jazz du Black Power, les répétitifs américains, le reggae des îles, le rap du ghetto, la techno des raves, les musiques improvisées hors jazz, etc., tous mouvements qui dérangèrent fondamentalement nos habitudes musicales. Ajoutez le printemps 68 sur toute la planète, quand nous espérions sérieusement refaire le monde. L'idée de révolution semble pour eux un concept ancien auquel ils répondent généreusement, par exemple en adhérant à des collectifs DIY. Ils ne croient pas que l'on puisse un jour inventer quelque chose de radicalement différent de ce qui s'est fait jusqu'ici, alors que je rêve de trucs impossibles, préoccupé par mon projet spéculatif sur lequel je reviendrai certainement dans quelques mois ! Il existe des artistes indépendants qui sortent des sentiers battus, mais aucun mouvement nouveau n'a vu le jour depuis des lustres, phénomène lié à la désaffection des majors à prendre le moindre risque... Quoi qu'il en soit, je suis super content d'écouter les trois albums foisonnants de Bon Iver dont j'ignorais tout...