J'écris 48 ans plus tard, alors que le somptueux coffret de 27 disques du Pink Floyd s'appelle The Early Years 1965-1972, commençant donc quatre ans plus tôt si je sais encore compter. Il est certain que le calcul mental se perd chez les nouvelles générations ! Donc en 1965 je n'en étais encore qu'aux Beatles et aux Rolling Stones, achetant leurs 45 tours lors de mes séjours britanniques, envoyé par mon père qui pensait à juste titre que les voyages forment la jeunesse*. C'est seulement en 1969 avec More, la B.O. du film de Barbet Schroeder, puis Ummagumma, que je deviens fan du Floyd en même temps que de Soft Machine. Ils font alors figure de groupe expérimental, psychédélique et planant. De plus Rick Wright joue comme moi sur orgue Farfisa, alors que Mike Ratledge (Soft Machine) possède un Lowrey avec une distorsion qui me renverse et Keith Emerson (Nice) un Hammond plus classique qu'il renverse. J'ai lâché très vite, le groupe perdant progressivement sa légèreté et l'inventivité de ses débuts au profit d'un son plus banalement rock. Si je m'interdis d'acheter le coffret à près de 500 euros, il n'empêche que leur première période est la seule qui m'ait vraiment passionné, que ce soit avec Syd Barrett sur les deux premiers albums ou sans lui pour les deux suivants.
Mais dès l'été 1968 mon idole est Frank Zappa. Il incarne le déclic qui me fera faire de la musique et devenir compositeur. J'ai raconté mon voyage au Festival d'Amougies où je l'y enregistre avec le minuscule magnétophone portable de ma petite sœur et comment mes bandes feront le tour de la planète en toute illégalité. J'avais eu la chance de voir à Paris le long métrage de 3h30 réalisé à cette occasion par Jérôme Laperrousaz et Jean-Noël Roy, produit par Jacques Zajdermann, le père de Paule. Il n'était resté qu'une semaine à l'affiche, interdit par Pink Floyd, le producteur du festival et des disques Byg, Jean Georgakarakos, n'ayant jamais obtenu les autorisations nécessaires, d'autant qu'il n'avait pas payé les musiciens ! En lisant que la jam session de Interstellar Overdrive avec le Floyd et Zappa figure sur le troisième DVD du nouveau coffret je suis excité comme une puce, car je n'ai jamais revu autre chose que quelques clichés photographiques de la rencontre. Roger Waters et Nick Mason auront donc enfin cédé à je ne sais quelles sirènes !
Si les films m'intéressent plus que les CD dans cette extraordinaire rétrospective, je suis à la fois ému et déçu par l'extrait d'Amougies. J'aurai attendu 48 ans pour revoir ces images prises sous le chapiteau où nous assistions aux concerts les plus merveilleux, enfouis dans nos sacs de couchage. Mais, contrairement à nombreuses autres séquences, le son est à peine meilleur que mon enregistrement bien que ce soit Antoine Bonfanti qui s'en soit chargé, et, plus grave, l'extrait ne présente que la première moitié de l'improvisation alors que c'est dans la seconde que le morceau prend son envol. Je réalise seulement aujourd'hui que Zappa n'a que 28 ans lorsque je saute les barrières pour le rencontrer. J'avais assisté au concert des Mothers of Invention à l'Olympia un an plus tôt dans une salle clairsemée. Il m'apparaît alors comme un adulte, car je n'ai que 16 ans quand je l'abreuve de questions, sympathie qui me permettra de lui donner un petit coup de main les deux années suivantes.
S'ils sont d'un intérêt inégal, répétant parfois les mêmes morceaux, leur exhaustivité rappelle ou dévoile une époque où la télévision montrait une ouverture d'esprit beaucoup large qu'aujourd'hui. Je me rends surtout compte que c'est plus pop que je ne pensais, et que l'improvisation libre de Interstellar Overdrive aura considérablement influencé mon jeu de clavier. De même, Set The Control For The Heart of The Sun orientera mon goût pour les mailloches et la transe. J'ai passé plusieurs jours à regarder les films d'un œil distrait, mais attentif. Je n'arrive pas à assister religieusement aux captations de concerts ni aux passages télé comme si c'était des films de fiction ou des documentaires de création, mais la musique déroule son flux ininterrompu pendant que je tape ces lignes...

→ Pink Floyd, coffret édition limitée The Early Years 1965-1972, 27 disques CD/DVD/Blu-Ray/vinyles/documents, 25 heures, Pink Floyd Records, à partir de 426,45€

* Jean-Jacques Birgé, USA 1968 deux enfants, roman augmenté sur iPad, Les inéditeurs, 2,99€