Voilà le genre d'objet qui me ravit ! D'abord parce qu'il s'inspire de la musique et du roman du plus grand compositeur de jazz à mes yeux et mes oreilles, Charles Mingus, ensuite parce qu'il allie un recueil de textes et un CD, l'un renvoyant à l'autre par un jeu de directs, de crochets et d'uppercuts. Pour les directs j'ai noté quelques samples d'époque. Les crochets sont des déviations musicales qu'empruntent un paquet de musiciens formidables qui ont participé à l'enregistrement de la musique originale composée par Étienne Gauthier. On doit les uppercuts aux textes de Noël Balen à la tête de cette entreprise qui rappelle furieusement le style littéraire de Moins qu'un chien (Beneath The Underdog), le roman autobiographique de Mingus qu'Un Drame Musical Instantané avait largement cité en 1992 dans notre spectacle Let My Children Hear Music. Mais ici tout est nouveau, textes et musique, excepté Goodbye Pork Pie Hat. Les bruitages s'y mêlent dans un hommage brillant qui convoque, en plus des comédiens et des solistes, le Fame's Macedonian Symphonic Orchestra dirigé par Philippe Jakko, avec un ensemble à cordes orchestré par Gauthier et une section de cuivres par le saxophoniste Julien Cavard.
La distribution exceptionnelle rassemble les chanteurs Liz McComb, Michel Jonasz, David Linx, les rappeurs Passi, Kohndo, Mike Ladd, les comédiens Dominique Pinon, Irène Jacob, Jean-Luc Debattice, Victor Lazlo, Thomas de Pourquery, Arthur Ribo qui jouent les textes de Noël Balen dans l'urgence qu'ils réclament. Lui-même tient la contrebasse et la machine à écrire, mais il est savamment épaulé par Philip Catherine (guitares), Ricky Ford (sax ténor), Steve Potts (sax soprano), Géraldine Laurent (sax alto), Michel Portal (clarinette basse), Stéphane Belmondo et David Enhco (trompette), Glenn Ferris (trombone), Bojan Z et Thomas Enhco (piano), Jacky Terrasson (Fender Rhodes), Emmanuel Bex (orgue), Marius Etherton (guitare funky), Danny Kendrick (batterie additionnelle), tandis qu'Étienne Gauthier empile claviers, piano, batterie, percussions et programmations. Ajoutons les battements de cœur in utero de Gabrielle Balen sur À fleur de cuir et vous en aurez assez pour vous mettre l'eau à la bouche.
Le recueil de textes poétiques de Noël Balen pourrait fait figure de livret luxueux s'il n'était le nerf du projet. La moitié des textes du livre n'ont pas été enregistrés, aussi pouvons-nous en jouir indépendamment ou simultanément. L'auteur s'est si bien inspiré de son idole qu'ils semblent avoir été écrits par Mingus lui-même, et l'interprétation est de la trempe de la meilleure jazz poetry à l'instar de LeRoi Jones ou Jayne Cortez, des écrivains William Burrouhgs, Allen Ginsberg, Bob Holman, ou Sidney Poitier disant Platon sur une musique de Fred Katz. Toute proportion gardée, l'ensemble rappelle un peu l'ambitieux Back On The Block de Quincy Jones. Une histoire du jazz. Les poèmes de Balen rendent la modernité de Mingus, intemporel, rythmique, furieux. Une histoire noire américaine.

→ Noël Balen, Mingus Erectus, 128 pages + CD exclusif offert avec le livre rempli de photos des participants, Le Castor Astral, 15€