Par quel bout le prendre ? Un film, deux disques, vingt pages, trente centimètres sur trente, photos plein cadre, la réédition vinyle de Moshi de Barney Wilen est un véritable évènement discographique. Produit en 1972 par Pierre Barouh chez Saravah, ce fabuleux double album refait surface dans une édition luxueuse grâce à Caroline de Bendern et l'équipe du Souffle Continu. À sa sortie j'avais été fortement impressionné par son écoute au Pop Club sur France Inter comme le précédent Auto Jazz - Tragic Destiny Of Lorenzo Bandini, quatre ans plus tôt, qui mêlait jazz et musique concrète. Cette fois le saxophoniste traverse l'Afrique avec une bande de copains et trois Land-Rover remplies de matériel et d'instruments de musique. Mai 68 est passé par là. Caroline avait incarné malgré elle la nouvelle Marianne sur les épaules de Jean-Jacques Lebel. Il était grand temps de prendre la route...
Caroline et Barney sont ensemble. Il joue. Elle filme. C'est vite résumé tant les péripéties racontées dans le magnifique livret sont nombreuses. Sylvina Boissonas des productions Zanzibar finance l'expédition, qui s'éternise. Le sud marocain, l'Algérie, le Mali, le Niger. À Paris la musique des Pygmées les avait inspirés, ils rencontrent les Peuls Bororo. De déceptions en découvertes, ils avancent, mais le temps africain est plus lent qu'ils ne pensaient. Partis six mois, ils resteront deux ans, et l'argent finit par manquer. Au retour le mixage rassemble les enregistrements de terrain, les instruments achetés là-bas, balafons et percussions, des chansons composées par Barney sur des paroles de Caroline avec Babeth Lamy, Laurence Apithi, Marva Broome, et l'orchestre... Barney est au ténor, Michel Grailler au piano électrique, Pierre Chaze à la guitare, Simon Boissezon et Christian Tritsh à la basse, Didier Léon au luth, Micheline Pelzer à la batterie.


Ils repartent là-bas pour que Caroline termine son film qu'elle autoproduit, A l’intention de Mademoiselle Issoufou à Bilma, que l'on découvre enfin en DVD, glissé dans la pochette plastique... Barney signe encore la musique, avec Bernard Arcadio au synthétiseur et Denis Benaroche à la batterie. Filmé en amateur, le document est fabuleux. Je comprends mieux Gabrielle, une fille que je n'ai jamais revue et qui revenait de six mois chez les Peuls Bororo, à peu près à la même époque. La fascination qu'exerce leur beauté est renversante. C'est probablement à l'occasion de la Fête de la Geerewol durant six jours et six nuits que les images et les sons sont capturés. Fardés, drogués au bendore (décoction d'écorce noire de banohe, de gypse pilé et de lait), parés de colliers de perles et de cauris, d'amulettes et de plumes, ils dansent jusqu'à l'ivresse qui se termine en ébats amoureux dans une liberté qui s'est depuis évaporée. Même à Paris on faisait alors l'amour comme on disait bonjour.
Le moshi est un rite de transe pour évacuer le stress de Bororos traumatisés par un voyage en France où ils firent l’objet d’une étude ethnographique. Plus festives et joyeuses, les quatre faces noires de l'album Moshi content une aventure musicale qui préfigure la world music, mêlant les jazz et les musiques africaines, la pop psychédélique et les chœurs féminins, la voix du griot et les aboiements des chiens... Sur la platine le microsillon évoque un billet aller-retour pour un pays lointain d'une époque révolue, illusion miraculeuse que les artistes aiment créer pour la partager ensuite.

→ Barney Wilen, Moshi, gatefold sleeve avec artwork additionel, 2 LP son remasterisé en haute definition au studio Art & Son à Paris, livret 20 pages couleurs sur papier couché 200 gsm avec partitions, photos rares et inédites + DVD bonus du film de Caroline De Bendern "à l'intention de mlle Issoufou à Bilma", 45', jamais édité jusqu'à présent avec artwork exclusif, 1000 copies, 35€
P.S.: l'enveloppe de 5 cartes postales exclusives réservées aux cent premiers acheteurs à la boutique du Souffle Continu est déjà épuisée !