70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 5 avril 2017

Les derniers Maîtres


Ne plus regarder la télévision ressemble à une cure de détox. Depuis quinze ans nous avons remplacé le roman national professé par le quatrième corps d'armée par le butinage en réseaux sociaux. Cela n'évite pas les balivernes et il est toujours besoin de vérifier ses sources avant de partager, mais le contenu manipulatoire est moins répétitif. D'autre part nous avons ainsi accès à quantité d'informations inaccessibles autrement, comme par exemple les discours in extenso de Jean-Luc Mélenchon qui convaincraient nombre d'indécis s'ils prenaient la peine de les écouter. Un petit extrait pour celles et ceux à qui on a fait le coup de l'amitié avec Poutine :


Ayant dérogé à ma règle et suivi le débat entre les cinq principaux candidats à l'élection présidentielle, j'ai remis cela mardi soir avec les 11 candidats, sur BFMTV par dessus le marché. Les commentaires journalistiques des préparatifs, dit avant-débat, ressemblaient à ceux d'une retransmission sportive, société du spectacle au mieux de sa forme. Ce spectacle grand public, pour qui peut tenir quatre heures concentré sur les discours et les yeux des acteurs, m'inspira quelques réflexions.
D'abord le bilan final formulé par la sanction de l'audimat donna encore une fois Jean-Luc Mélenchon comme candidat nettement le plus convaincant. Les instituts de sondage, entreprises de manipulation aux mains de quelques milliardaires, qui avaient depuis le début de la campagne minimisé son impact sont obligés de reconnaître sa montée dans l'opinion. C'était habile lorsque l'on se souvient que les Français n'aiment pas voter pour un perdant. On avait donc droit au terme de "gauche radicale" contre "vote utile" incarné par le candidat supposé du PS, Benoît Hamon. La magouille du parti actuel au pouvoir démasquée, à savoir que son candidat réel, même officieux, a toujours été Emmanuel Macron et que Hamon n'est là que pour siphonner les voix de Mélenchon, les intentions de vote ne pouvaient que se ratatiner. À moins de trois semaines du scrutin et devant la progression éclair du candidat de la France Insoumise, les instituts de sondage ne peuvent donc continuer à le jouer à la baisse sans se ridiculiser en perdant toute crédibilité.
Dans tous les débats Macron, candidat des banques et des chaînes de télévision qu'elles tiennent en coupe serrée, apparaît étonnamment comme le plus flou, le plus confus. J'ai aussitôt pensé à George Bush Jr, un idiot de la famille dont les fils de marionnette finissent par se voir, la poudre aux yeux et la colère qui monte au nez ne faisant plus l'effet escompté dès lors qu'on en abuse ! Son paravent "ni de gauche ni de droite" est pourtant à relever, mais ce n'est pas lui qui l'incarnait au débat de mardi soir. En effet les candidats, dits petits par la taille de leur score supposé, comme Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau ou Jean Lassalle, a priori considérés comme à droite ou centristes, rejoignent les positions des Trotskystes Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud lorsqu'il s'agit de fustiger la corruption imposée par la dictature financière défendue exclusivement par Fillon et Macron. Je ne parle pas de Marine Le Pen dont le discours est un tissu de mensonges et de contradictions essentiellement accès sur la haine de "l'autre", histoire de gruger même quelques électeurs d'origine maghrébine ou africaine qui ne se rendent pas compte qu'ils tressent une corde pour se pendre. Poutou, que les commentateurs sportifs issus des beaux quartiers jugèrent impertinent dans son laisser aller popu, sut lui clouer le bec avec à propos. Pendant ce temps, Arthaud ramenait chacune de ses interventions au sempiternel "travailleuses, travailleurs" de jadis Arlette Laguiller. Asselineau citait les articles prouvant la catastrophe des traités européens, Cheminade exultait une saine colère, Dupont-Aignan défendait les petites entreprises, Lassalle lançait des clins d'œil complices à Mélenchon, seul candidat à embrasser la totalité des sujets évoqués par la campagne, mais si on a suivi ses discours où dans chaque ville il tient des heures sur un sujet différent on ne sera pas étonné par la clarté du petit résumé que la vingtaine de minutes, vouée à chacun des 11, lui octroyait.
L'autre candidat à stature présidentielle semblait Fillon, capable de rester stoïque, malgré le nombre grandissant des preuves de ses mensonges et cachoteries hypocrites dont certaines mériteraient tout de même un coming out, surtout lorsqu'on est soutenu par la Manif pour tous. Le seul candidat dont l'électorat est explicitement de droite (le FN attire aussi des déçus et malinformés, Macron des démocrates-sociaux à qui on a réussi à faire peur avec la montée fabriquée du FN) joue la victime et la dignité, sorte de chemin de croix qui continue à plaire aux cathos qui le soutiennent.
Il est à parier que Jean-Luc Mélenchon, si ses militants arrivent à convaincre les indécis et les abstentionnistes, pourrait très bien se retrouver au second tour, non contre toute attente mais contre toute intox. Car si les intentions de vote à son égard s'amplifient de jour en jour, c'est contre la fantastique levée de boucliers (lire Le mascaret) que lui opposent les médias qui l'ont caricaturé depuis des années (normal, ils appartiennent tous à des milliardaires marchands d'armes ou banquiers), les partis traditionnels y compris ce qui reste du Parti Communiste dont les positions sont honteuses face à l'extraordinaire travail que représente le programme de la France Insoumise, la classe politique (il n'est entouré presque que de jeunes qui n'ont jamais été élus), les attaques contre la personne pour étouffer le programme, etc. Mais la clarté de son discours convainc de plus en plus de monde, des jeunes qui voient mal ce qu'un autre avenir leur réserve, des citoyens épris de paix (le discours belliqueux de Hamon tranche là, malgré tout ce qu'il a pompé pour son simili-programme), des personnes qui veulent vivre autrement, dans le respect de la nature (c'est le seul candidat dont l'écologie est à la base du programme économique), des gens qui veulent que cela change et prêts à s'en donner les moyens. Je donne ici peu d'exemples, le programme L'avenir en commun fait 70 pages qui se lisent très facilement et il est accompagné de plus de 40 livrets thématiques qui raviront celles et ceux qui pensent que les jours heureux ne sont pas histoire du passé...

Totale grippe


J'ai perdu mes pétales. La grippe me terrasse. Facile de comprendre que les vieux puissent y succomber. Heureusement que l'on sait qu'à mon âge cela passe. La fatigue est si plombante que je préfère ne pas bouger plutôt qu'attraper ma tasse citron-miel qui est à portée de main. Pas moyen de lire, a fortiori d'écrire. Je profite d'une petite rémission pour taper ces mots. Mes symptômes ressemblent à un sandwich tunisien, un nuage de rhume, une toux à déchirer la cage thoracique, la gorge au papier de verre, 39°C, saupoudrer de frissons, courbatures, aphtes, et même quelques hallucinations ! Je sais que cela va vraiment mal lorsque je n'ai pas faim.
Dimanche après-midi je suis passé voir ma mère à l'hôpital avant son transfert en maison de repos. J'étais déjà patraque. Ce n'est pas tant l'antichambre de la mort qui me rebute en milieu hospitalier que l'uniformité dépersonnalisée des lieux qui me terrifie. En 1979, après que l'Idhec ait déménagé à Bry-sur-Marne dans les locaux de l'INA, j'avais suggéré que l'on repeigne les couloirs, mais la direction m'avait aussitôt convoqué pour m'expliquer que nous n'étions que locataires ! Les bureaux, guichets, les portes aux couleurs maussades, me font le même effet. Qu'y a-t-il de plus déprimant qu'une banque ? Un hôpital, peut-être. J'ai besoin de m'approprier les lieux où je travaille, raison pour laquelle j'ai choisi de bosser chez moi. Le studio de musique est une pièce comme une autre et ses fenêtres donnent sur un jardin quasi tropical avec bambous et palmier. Les chats font vivre les lieux même en notre absence.
Maman s'est cassée la figure en allant chercher du papier hygiénique, dont elle n'avait pas besoin, sans son déambulateur. Ces dernières semaines elle s'est retrouvée plusieurs fois par terre sans pouvoir se relever. Rester seule chez elle semble de plus en plus compliqué. Elle perd aussi la mémoire, après avoir fait de multiples mini-AVC. Pour la tester, un médecin lui a posé quantité de questions où, paraît-il, elle a eu "tout bon", mais quand ma sœur lui a demandé lesquelles, elle a répondu qu'elle ne se souvenait plus, et elle a ri. Maman paie surtout le déficit des années antérieures. Elle n'a jamais aimé marcher. Mon père la déposait devant le restaurant avant d'aller se garer. Elle n'a plus jamais voulu évoquer le passé. Pas du genre à radoter, non, mais comme l'avenir est bouché et le présent en boucle, chaque jour ressemble au précédent sans qu'elle puisse y laisser de traces. Le temps zéro. Chez elle ou à l'hosto, elle "s'emmerde", laissant la télévision allumée toute la journée, de préférence les informations. S'il n'y a pas un tremblement de terre quelque part, elle dit qu'il ne se passe rien. Sinon elle irait bien. L'endroit où elle est maintenant est censé la remettre sur pieds, mais sa paresse légendaire risque de la rendre réfractaire à toute amélioration. Il y a ma mère d'avant, et celle d'après. Avant, elle m'a permis de devenir ce que je suis, très attentive pendant mon enfance et mon adolescence. Après la mort de mon père il y a trente ans, elle n'a fait que décliner, sa misanthropie agressive se transformant en égocentrisme amorphe. J'ai cherché vainement le secret de famille qui handicape les trois sœurs dont ma mère est la seconde. Dans "leur" famille, le passé semble tabou.