Si tous les journalistes pouvaient être aussi consciencieux que Franpi Barriaux dans Citizen Jazz, mes matins ressembleraient à ce 1er mai (il est paru hier). Il fête un travail commencé dans les années 70 du siècle dernier, un travail quotidien, sans dimanche ni jour férié puisque tous ont le goût des vacances quand passion rime avec profession. On me dit que nous partagerions ce privilège avec seulement 5% de la population. Raison de plus pour désirer changer le monde et s'y employer, sans peur et sans reproche...


Avec Rideau !, c’est un sacré morceau d’histoire de la musique électronique francophone et de ses cousines improvisées (terme auquel Jean-Jacques Birgé, l’un des auteurs préférera celui de composition instantanée) qui voit le jour pour la première fois en CD. Paru en vinyle à l’orée des années 80, le second disque d’Un Drame Musical Instantané (UDMI) étonne par son témoignage sur la frénésie créative de cette décennie dans les expressions de marge et sa grande modernité. On pourra le constater notamment avec la vidéo en pied d’article : quelques mois après la mort du trompettiste et poly-instrumentiste Bernard Vitet, Birgé et son vieux compagnon Francis Gorgé reprenaient ce spectacle entourés de jeunes musiciens avec une impression de bonification, propre aux grands crus.
Le disque n’est pas que la photo d’une époque. Un morceau comme « Tunnel sous la Manche », théâtral sans être emphatique, révèle un propos très intemporel, marqué par la musique contemporaine et les racines zappaïennes de Birgé dans la plupart de ses prises de parole. Et pourtant… Le trio a toujours eu une démarche très proche de l’image, si ce n’est directement intégrée à celle-ci. Et dès les prémices de l’album, on plonge dans une ambiance de documentaire, voire dans un cinéma du réel qui marque sa sécularité sans s’y enfermer. Ainsi, dans « M’enfin », les sons captés dans le bar du coin où des travailleurs immigrés jouent au loto ponctuent une œuvre complexe et vivante. Elle est percluse de sons issus de nombreux claviers que l’on qualifierait aujourd’hui de vintage, de jeux étendus de guitare, de multiples cuivres et d’autres lutheries extravagantes. Cela donne l’impression d’un long travelling avant dans un monde regardé avec beaucoup de chaleur et d’empathie, émaillé de dialogues impulsifs et en un sens, romanesques.
UDMI s’appuie sur des musiciens iconoclastes et très complémentaires. Bernard Vitet brille dans « Rideau ! », où chacune de ses interventions est fougueuse et précise. Ce morceau, véritable happening enregistré live en juin 1980 au Forum des Halles, permet de ressentir le rôle explosif de la relation Birgé/Gorgé, encore vivace de nos jours. C’est un moteur à entropie, qui déborde d’idées sans partir dans toutes les directions et marque un album qui fait date. On retrouve par ailleurs ces duettistes dans le bien nommé Avant Toute paru en vinyle sur le label du Souffle Continu. Il met sur un magnifique support des archives qui datent de 74 et constitue autant une genèse des folies de l’UDMI qu’un incontestable jalon posé dans l’histoire de l’électronique hexagonale. Deux pièces indispensables aux discothèques honorables.

→ Un Drame Musical Instantané, Rideau !, avec Jean-Jacques Birgé (claviers, électronique, effets), Francis Gorgé (guitares), Bernard Vitet (trompettes), CD label Klang Galerie
→ Birgé Gorgé, Avant Toute, avec Jean-Jacques Birgé (synthétiseur ARP 2600), Francis Gorgé (guitares), vinyle label Souffle Continu