Voilà, La Voix est libre. Quinzième anniversaire d'un festival hors normes portant le chœur de toutes les résistances contre la barbarie et la stupidité des êtres humains. Des artistes, scientifiques, philosophes du monde entier y participent dans une atmosphère de fête et de liesse partagée. Son directeur, Blaise Merlin, revendique cette "zone de libre-étrange" où les rencontres sont souvent surprenantes. La proximité des élections présidentielles avaient suscité ces deux jours de Veillées élect'orales avant les Rencontres du 3e tour de cette semaine. Sur le parvis du Cirque Électrique la Grande Tombola offre de tirer au lepenball, dégager le système au chamboule-tout, poser au maton, enregistrer un discours d'une minute, se faire tatouer un logo antifa, crier un slogan tiré au sort, karahoqueter un chant révolutionnaire. Après la harangue de Fantazio pour apprivoiser la mort, Médéric Collignon et Élise Caron balbutient le leurre puisque les jeux de mots sont de rigueur toute la soirée...


Les deux jours précédents, des poètes et musiciens syriens exilés rencontrèrent les âmes-sœurs de l'Occident. On me dit que l'émotion était à son comble à l'Église Saint-Merry et à la Maison de la Poésie. Au pupitre Jacques Bonnafé nous invite à pénétrer sous le chapiteau pour entendre les programmes des "candidats déclarés" accompagnés par trois "scrutateurs agoraphones", Élise Caron dont les talents de meneuse de revue impertinente ne sont plus à démontrer, Médéric Collignon dont la folie maîtrisée est communicative, Denis Charolles dont la batterie recale les bégaiements des orateurs...


Voilà, la voie est libre, nous allons enfin pouvoir recommencer à réfléchir. Probablement que ceux qui nous dirigent continueront à agiter le spectre du fascisme pour nous faire avaler quantité de mesures anti-sociales. Le feront-ils à grand renfort d'ordonnances et de 49.3 sous prétexte d'aller vite ? La vitesse a bon dos. Mais la démocratie dont ils se gargarisent en prend un sacré coup. On accélérera les procédures de licenciement pour que les riches s'en mettent toujours plus plein les poches. La loi El Khomeri semblera une mesurette en regard de ce qui se prépare. Macron signera-t-il le TAFTA ? J'ai parié une bouteille de Champagne avec mon voisin, macroniste convaincu. C'est stupide, je n'aime les bulles qu'en bande dessinée. Par contre on avalera des OGM américaines sans piper. Faites chauffer la colle ! Espérons que nos centrales nucléaires tiendront la distance sans se fissurer parce que c'est reparti de plus belle... Pourvu que Trump ne déclare pas la guerre à la Russie, parce qu'adhérant à l'OTAN on serait forcés d'y aller comme un seul homme. Il faut comprendre les États Unis, affaiblir l'Europe est tout bénef pour eux et puis la reconstruction est un marché juteux dont ils ont autant l'habitude que de mettre de l'huile sur le feu. Mais je médis peut-être et m'égare de triage.
Nous étions là vendredi soir pour rigoler un bon coup avant la mascarade des urnes. Pour pallier la défection énigmatique d'Achille Mbembe, Blaise Merlin lut un texte interminable du philosophe camerounais, tunnel plombant avant un enregistrement d'Édouard Glissant et la prestation inopinée de Christiane Taubira, venue, dit-elle, en spectatrice. Si ce n'est sa parfaite connaissance de l'œuvre d'Aimé Césaire et sa culture rare parmi ses collègues, elle incarnait néanmoins tout ce que les artistes présents raillèrent toute la soirée. Après un long monologue qui rappelait insidieusement son soutien plus ou moins contraint à Macron, profitant de l'obscurité elle quitta discrètement aussitôt le chapiteau !


Cette soirée de veillée élect'orale accueille d'abord Jacques Rebotier qui improvise d'après ses notes. Complice de longue date d'Élise Caron, il est accompagné par le trio qui magnifie ses pointes anti-macroniques, caractéristique de tous les intervenants dont aucun n'est dupe de la manipulation d'opinion dont sont victimes les citoyens. Rebotier joue sur les mots pour évoquer la casse sociale, là où d'autres se moquent de la langue de bois des politiciens de métier.


C'est le cas du candidat Fantazio dont le bon sens fait ressortir l'absurde d'un système rôdé pour nous enfumer. Collignon se dandine en jouant d'un synthétiseur de poche, pirouette et s'étale, ou jazzifie de son cornet à freetes. Charolles trombone et force de frappe. Caron flûte et minaude mieux que les présentatrices patentées de la télé... J'ai tellement ri à la méchanceté du clown Ludor Citrik que j'en ai oublié de faire des photos !


Comme il sait si bien le faire, Franck Lepage démonte le discours vide de sens des spécialistes du genre en choisissant les mots utilisés par Emmanuel Macron dans ses prestations publiques. Tirant aléatoirement dix-sept concepts fumeux, il improvise une logorrhée hallucinante, fidèle à son modèle, puis démasque la supercherie des termes positifs du nouveau président de la République qui a remplacé ceux qui pourraient fâcher. Lepage termine sur la nécessité d'une révolution (oh, le mot qui fait encore plus peur que les autres!) si nous voulons sortir du marasme dans lequel les cyniques exploiteurs nous ont entraînés.


En clôture, Jacques Bonnafé explose de mots valises en sauts de cabri. Le comédien, aussi drôle que corrosif, danse autour de la piste, serre les mains de ses électeurs potentiels, hip-hopant dans son costume gris souris, embouchant sa trompette de cavalerie, pour un finale haut en couleurs de sa cravate à fleurs.


Les soirées de La Voix Est Libre sont souvent trop longues, mais toujours réussies. La générosité des artistes n'a pas de limite, nous faisant oublier la dureté des bancs en bois du Cirque Électrique et l'absurdité de notre aliénation. J'ai raté le spectacle de samedi avec D' de Kabal, Denis Lavant, Dieudonné Niangouna, Papanosh, André Minvielle, etc. Mais cette semaine la fête continue au même endroit Porte des Lilas, puis à La Marbrerie, à la Piscine Oberkampf et au nouveau Fgo-Barbara. Le programme est fameux. Vous m'en direz des nouvelles !