Dans le Journal des Allumés du Jazz dont j’avais assuré la co-rédaction-en-chef avec Jean Rochard pendant dix ans et parallèlement à la rubrique Le Cours du Temps où nous nous entretenions longuement avec des musiciens de jazz ayant marqué la seconde moitié du XXe siècle, j’avais également initié celle de La Question. À chaque numéro j’interrogeais ainsi des personnalités musicales ou pas sur une question-clé qui me tarabustait.
Pour le n°4 William Banfil, Pierre Barouh, Steve Beresford, Michael Bland, Jean-André Fieschi, Sylvain Kassap, Guy Le Querrec, Alain Monvosin, Nicolas Oppenot, Noel Redding, André Ricros, Yves Robert, Sonny Thompson, Robert Wyatt avaient répondu à « Parlez-nous d’un disque méconnu ».
Dix-sept ans plus tard, j’acquiers presque tous les albums de cette précieuse liste alors introuvables. J'ai commencé avec le Kurt Weill par Mike Zwerin avec Dolphy, l'intégrale de Johnny Kidd and The Pirates, Donny Hathaway... On verra ça...

J’ajoute que ce n°4 du Journal des Allumés est le seul qui n’existe pas en PDF contrairement aux 35 autres téléchargeables gratuitement sur leur site.

J’appartiens à une génération qui a appris la musique à l’écoute des disques plus souvent qu’au concert. Mon appétit boulimique s’en trouvait plus tardivement rassasié. N’étant pas inféodé au phénomène de mode, je découvrais le passé et le présent dans un même mouvement et inventais librement man propre avenir. Ecouter la radio, fouiller dans les bacs des disquaires, compulser des catalogues, sont des jouissances d’explorateur. Un disque peut être méconnu, parce qu’il est passé au travers des mailles du filet mercantile, ou bien simplement parce qu’on a soi-même raté un épisode d’histoire ou de géographie. Cette fois «La Question» n’en est pas une, c’est une requête gourmande : partageons notre plaisir en révélant au grand jour des passions secrètes pour des objets de l’ombre.

William Banfil, ornithologue
Angola Prisoners Blues :
Robert Pete Williams, Matthew "Hogman" Maxy, Robert "Guitar" Welch, Roosevelt Charles, Clara Young et autres... enregistrés par le docteur Harry Oster (Arhoolie 419)
S'il ne devait rester qu'un disque, ce serait celui-là. Il est le lien le plus nécessaire entre l'homme qui trouve sa liberté au début de l'histoire et celui qui la cherche à la fin de l'histoire. Dans les années 50, le docteur Harry Oster a enregistré le blues des prisonniers d'Angola, une prison américaine réservée aux noirs, l'une des plus dures. Ici l'émotion est un fait loin de toute exhibition de Moi, de Surmoi ou de Sous-moi. Au son de guitares de fortune, aux rythmes des lessiveuses et des machines à coudre ou des cadences des travaux extérieurs, ils racontent leur quotidien avec l'énergie de la volonté et la puissance de l'esprit. Je passe ma vie à étudier les oiseaux et à chaque envol, je pense aux prisonniers d'Angola.

Pierre Barouh, chanteur, producteur pour les disques Saravah
Trio Ifriqya
En 1987, avec Oscar Castro et Aneta Vallejo nous étions invités à Hérouville-Saint-Clair pour monter le Kabaret de la dernière chance avec des amateurs de la région. Nous devions rester douze jours. Le maire me propose de profiter de ma présence pour projeter un de mes longs métrages et, pourquoi pas, faire un concert. D‘accord, mais le but de notre présence étant la rencontre avec des musiciens de la région, j'ai rencontré Martial Pardo et ses complices. Ils ont choisi eux-mêmes les chansons qui les inspiraient. J'ai découvert la passion et la rigueur de Martial Pardo, musicien de jazz pur et intransigeant. Nous avons prolongé la rencontre par un album enregistré à Caen, sur leur terrain. Cet album fut très apprécié au Japon, ce qui engendra plusieurs concerts à Tokyo avec Martial Pardo et Rénald Fleury, rejoints par Richard Galliano.
En 1989, ils ont enregistré, en public, un bel album, Ifriqya, qui n'a pas été vraiment diffusé, et dont le premier titre qui donne son nom à l’album est une pure merveille.
Chacun a repris sa route. J’ignore comment évolue le travail de Martial. Ce dont je suis certain c’est que jamais il n'a accepté (et n’acceptera) la moindre concession.
PS : Un ami peintre, Frédéric Brandon, vient de me faire parvenir un album "fait maison" de Léonard Le Cloarec. Il a seize ans, et des musiciens qui l’entourent, aucun n'a plus de dix-huit ans. Ils sont élevés à l’école des Petits Champs vers la Bastille qui, outre les études classiques, comprend également un atelier de théâtre et de musique. Léonard a également obtenu un Premier Prix de conservatoire de piano et, c’est flagrant à l’écoute, est imprégné de jazz.

Steve Beresford, musicien
Milford Graves (batterie, percussions) et Don Pullen (piano) : Nommo
(Yale University 1967 — SRP LP 290)

Le regretté Don Pullen était un très grand et impressionnant pianiste de jazz qui jouait très bien de l’orgue et pouvait tenir tout autant sa place parmi les musiciens latins. Mais quand je me suis installé à Londres au début des années 70, je ne le connaissais seulement que comme partenaire de Milford Graves dans Nommo et le disque du même nom - impossible à trouver - enregistré à l’Université de Yale. Sur ce disque ils jouaient de l'improvisation libre, incroyablement bien. Même si on peut faire le rapprochement avec Cecil Taylor, Don Pullen était plus relax, un peu plus appuyé et moins obsessionnel sur l’accord. Et Milford Graves sonnait comme aucun autre batteur. Pour moi, ça a été un disque très inspirant qui a suscité des réflexes chez tous les musiciens européens qui l’ont entendu (il est intéressant de noter que Milford Graves animait le groupe révolutionnaire New York Art Quartet qui reçoit enfin aujourd'hui le respect qui lui est dû). Ces deux-là avaient trouvé de vastes et nouvelles contrées à explorer, spécialement dans la manière de se relier à l'autre. S’il vous plaît, que quelqu'un le réédite !

Michael Bland, musicien
Donny Hathaway : Donny Hathaway (Atlantic)

Donny Hathaway était un type qui jouait du piano dans les séances des Staple Singers ou d‘Aretha Franklin et qui a eu une fin tragique en 1979. On n’en parle jamais alors qu'il est essentiel. Il était tout jeune, un merveilleux chanteur de gospel, un copain de classe de Roberta Flack avec qui il a chanté en duo ensuite. Plus tard, il a arrangé des séances de Lena Horne, The Impressions ou Freddie King. Il travaillait pour Curtis Mayfield avant de faire lui-même ses propres disques, encouragé par Curtis. La manière dont il chante est stupéfiante et son approche musicale d’une grâce infinie. Il a influencé Stevie Wonder ou George Benson qui a repris beaucoup de ses chansons. C’était juste avant que Stevie Wonder ne bouleverse tout avec tous ses claviers. Stevie a éclipsé Donny qui appartenait à l‘école précédente. C’est injuste, malgré tout le grand talent évident de Stevie. Le deuxième disque s’intitule Donny Hathaway, c’est celui-ci qu’il faut écouter en priorité (le premier est Everything is Everything), il y a là-dedans une grande source d'inspiration. Je l’adore !

Jean-André Fieschi, cinéaste
André Malraux "Antimémoires", entretien avec Pierre de Boisdeffre
(Archives sonores de l’ORTF, LP Adès 13110)

Ça crépite et ça trace, ça pulse, zigzague et touche au mille à l'improviste,
à l’imprévu (l’imprévu nous retiendra toujours)
ça parle
si vite, cette vitesse de la pensée inscrite en vinyle ancien à mortifier rappeurs à dictionnaires de rimes
Coltrane ? Bird ?
ces réminiscences
traces, preuves (mais de quoi ?)
va si vite la pensée la parole le geste
(qu’on ne voit pas)
l‘Avant inscrit si vite comme futur (Ayler ?)
il y en a un qui pose des questions pourtant, doctes et mesurées, pertinentes extrêmement, trop même, il s’agirait d’anges et de gnostiques, avec un rien de nasillement aristo-professoral qui les rend suspectes un peu, ces questions, mais l’autre n’en n’a cure,
semble-t-il
parlerait à son mur à son ombre
dévide sa pelote
diminuendo in blue Paul Gonsalves ?
c'est un entretien pas une interviouve
crescendo in blue Paul Gonsalves ?
un monologue donc
(y a que des monologues, la preuve : Socrate)
la voix dit (j'écoutais plus, j’y reviens) la voix dit
maintenant: « Reprenez les Mémoires d’Outre-tombe
que vous connaissez certainement très bien »
On a comme un coup au cœur
comme qui vous dirait : « réécoutez le Lover Man du 29 juillet 1946 », c’est pas par hasard que je dis ça, dans les deux cas il y a du stupéfiant qui vacille et du péremptoire qui foudroie
Alors soudain cette parole file vraiment une fois encore à la vitesse de la pensée, vite comme la pensée file rarement, mais cette fois vraiment vite, on aurait peine à la noter en sténo, il y a des associations, des appels, des dissociations, rejets, retours, échos, trop vite à être entendus maintenant mais perçus tout de même, de chic, au débotté, à la va
comme je te pousse, pour ma part je retourne aussi sec à Chateaubriand que je connais moins qu’il semble le croire, l'homme qui parle, mais tout de même assez bien, il se trouve que c‘est l'écrivain français que je préfère, presque, celui que je relis le plus souvent, presque au hasard diriez-vous, l’ouvrant comme d‘autres le Livre, chacun le sien, pour voir si cette ouverture tombe à pic, il est rare qu'elle tombe à plat, par exemple maintenant j’ouvre – mais vous allez croire que je triche - j’ouvre et lis ceci :
« Ah ! si du moins j’avais l’insouciance d'un de ces vieux Arabes de rivage, que j’ai rencontrés en Afrique ? Assis les jambes croisées sur une petite natte de corde, la tête enveloppée dans leur burnous, ils perdent leurs dernières heures à suivre des yeux, parmi l'azur du ciel, le beau phénicoptère qui vole le long des ruines de Carthage ; bercés du murmure de la vague, ils entr'oublient leur existence et chantent à voix basse une chanson de la mer : ils vont mourir. »
Comme faire mieux que cet entr'oubli ?
Il a raison, l'homme qui parle.
Mais me voici largué, quoique consentant : Dostoïevski (si le monde supporte le sacrifice d'un enfant innocent par une brute, je rends mon billet), la Chine (Mao, la religion des morts, les aciéries de Yunan). l’Inde à présent...
J’ai dû rater une marche.
J’attrape au vol que la chronologie ne rend pas compte de ma vie, pourtant le destin est un silex, Joyce et Faulkner et Kafka et mon oncle Jérôme qui était illettré le savaient, on revient à Chateaubriand qu'on n’a pas quitté d’un pouce, certes il commence à Combourg et finit par : « Ouvrez-vous, portes éternelles ! », mais entre les deux il fait ce qu'il veut. II ne dit même pas que Pauline de Beaumont était sa maîtresse, quant à ce qui concerne Madame Récamier, c’est une liberté absolue.
Alors si vous me demandez, dit maintenant l’opiomane, pourquoi le livre s’intitule Antimémoires
Chateaubriand, Malraux, Albert Ayler : jazzies le plus pour moi, ce soir.
Ou comme disait Duke de Lady Mac : « we suspect there was a little ragtime in her soul ».
Such sweet thunder ? Oui.
À jamais.
Et Monk. Tout Monk. Thelonious Sphere Monk.
(it's too crazy, outside)
C’est tout pour ce soir.
André Malraux s'entretenait des Antimémoires avec Pierre de Boisdeffre, le disque est rayé mais je l’écoute encore souvent. Les autres aussi (Duke, Bird, Trane, Monk...) parfois, souvent.
Ce soir c’était le ministre Malraux le plus jazzy, out of the world, things have got to change, j‘éteins la chose maintenant mais elle brûlera demain pareille, régénérée même, Mingus Mingus Mingus, demain matin.

Sylvain Kassap, musicien
Jimmy Giuffre : Clarinet

Je me souviens d’un disque de Jimmy Giuffre qui s’appelait Clarinet.
Je me souviens que dans ce disque, Jimmy Giuffre ne jouait que de la clarinette en si bémol, mais dans sept ou huit formules différentes.
Je me souviens que le premier morceau était un solo, juste accompagné par son pied marquant le tempo.
Je me souviens qu’à un moment le tempo flottait un petit peu.
Je me souviens d’un trio clarinette/cor de basset/clarinette basse.
Je me souviens de l’air incrédule et émerveillé de Bruno Chevillon écoutant ce disque chez moi.
Je me souviens d’un morceau en duo où Shelly Manne jouait sur les toms avec les mains.
Je me souviens d’avoir cherché à reproduire le son de Giuffre sur ma clarinette.
Je me souviens de ma rencontre bien plus tard avec Jimmy Giuffre, et d'avoir parlé de ce disque avec lui.
Je ne me souviens pas de ce que j’ai bien pu faire de ce disque.

Guy Le Querrec, photographe
Sam & Dave (n’importe quel disque)

Rencontré dans un ascenseur
J’ai pas trop le temps. Ah si ! Mettez Sam & Dave, n'importe quel disque. C’était quelque chose. Ouaaahh !!!

Alain Monvoisin, écrivain
Neuro(n)man Quintet : Heteronymus Minna Nivoo (voix / synthé), Silas Nivoo (trombone), Osin Minov (violons), AI Minan (oud), Sovioni (sample)

Minna et Silas Nivoo auraient pu obtenir leur diplôme du Conservatoire Supérieur d’Helsinki avant même de sortir du ventre de leur mère, la fille avant le frère, ce qui pourrait expliquer que Minna donna de la voix le temps que Silas put façonner son trombone suivant les tessitures de sa sœur. Ça devait déjà ressembler à l'accéléré d’un enregistrement de tempête dans les bois de bouleaux. Jumeaux spirituels et hyperoxygénés d’Arvö Part et de l’avorton Johnny Rotten, ils possèdent du premier la rigoureuse imagination et du second la brutalité monotonale et hagarde ; pourtant il ne faut pas voir dans cette violence une éructation décérébrée mais plutôt une sorte de transposition savante, quasi webernienne, des diphonies mongoles et des litanies juives... Se produisant peu, dans les lieux les plus inattendus et toujours selon un calendrier ésotérique, entretenant avec tous ceux qui les approchent des relations caractérielles, ils n’ont, à ma connaissance, que trois CD à leur actif, et proprement introuvables. Ainsi j’ai pu les entendre par le plus grand des hasards dans un bastringue tchuvara des environs de Budapest.
Le disque commence par des chuchotements et des bruits de pas dans la neige, puis Minna parle du nez et Silas massacre une Gymnopédie de Satie, la plus connue. Une plage de silence gratté d‘un vieux vinyle sans doute et lorsque se termine l’intro de Beuys as a baby dans laquelle la voix de Minna, le trombone de Silas et le violon d’Osin Minov se tressent comme en une suite de mouvements de taï-chi nordique, minéral et tendu, l’on assiste à une sorte de logorrhée chamanique qui semble pixéliser un paysage de steppe et psychopomper des âmes enfouies, incestueuses.
Avec Kaurismaki Reverse le mouvement prend une allure autrement gémellaire : tandis que Minna reprend à toute vitesse l’intégralité des dialogues d’un film ( ...goes to Leningrad) du cinéaste italien Sovioni, dont on se rappelle la magnifique prestation électronique sur des poèmes de Pasolini à Turin en 1998, nous en fait entendre l’enregistrement inversé et distordu, tantôt ralenti, tantôt accéléré mais durant, au bout du compte, le même temps. Ponctué de gimmicks enfantins et grinçants au trombone de Silas et accompagné de l’oud mélancolique du syrien Al Minan, Kaurismaki Reverse échappe à la performance pure pour atteindre des sources profondes.
Tressage encore, dans le Back to Dada créé et enregistré à Moscou à l’occasion de l’anniversaire de l’exposition Bulldozer (au cours de laquelle les œuvres d’artistes soviétiques dissidents, exposées dans un square, avaient été dispersées par la police à coups, justement, de bulldozers), dans lequel la radicalité des jumeaux Nivoo, voix atonale de Minna et souffle continu de Silas, distants de trois octaves, se heurte à la fureur du tigre de papier de Sovioni, monstre de froissement, de déchiquètement, samplés et fortement amplifiés (nous sommes loin des murmures soyeux du Han Bennink de l’lnstant Composers Pool des années 75 !), d’une pile de journaux : « Il n’y a que la Pravda qui produise un tel son ! », dixit Silas.
Entre ces pièces relativement longues, la ponctuation des Never More Songs (I, lI, III, et V) joue comme en creux. Créées à Gibraltar, à Palerme et à Naxos lors d’une sinistre croisière effectuée au cours de l’hiver 1997, elles apparaissent comme des épaves douloureuses : Minna interprète d‘une voix blanche, cocaïnée, rappelant parfois celle de la Nico de Desertshore («Je suis un petit chevalier...»), d’anciens chants lapons, Osin Minov (assassiné en février 1998 par un légionnaire dans une rixe de bar à Addis Abeba où il était parti sur les traces des musiciens éthiopiens de la grande époque d’Alemayeshu Eshete et son Shebelle’s Band !) écorche sur un violon aux cordes détendues des mélodies tsiganes tandis que Silas s’essaie à imiter, en rires graves et spasmodiques, des bouts de Steve Turre ou d’Albert Mangelsdorff.
Une étrangeté totale, une rareté tirée à une centaine d‘exemplaires par un certain label Lazlo Ferien de Budapest (Fekete Hanut n°257), tous les morceaux, à l’exception des Never More Songs, enregistrés en concert au Paris-New-York, ex-Hungaria Hotel.

Nicolas Oppenot, exportateur aux ADJ
Shä-key, a head näddas journey to adidi skizm
(1994 - Imago Rec.)

En 1994, shä-key jaillit de Brooklyn et dépose sa voix aux plus hautes cimes des rythmes hip hop. Une voix qui "représente" fièrement le peuple des ghettos américains, à la manière d’un Lester Bowie, par exemple, qui deux ans plus tôt témoigna de son effroi, par rapport aux émeutes tragiques de Los Angeles (The fire this time - In & Out – à rapprocher du fameux essai de James Baldwin). Son discours va au-delà du cri et modèle une poésie du quotidien qui tente de transformer la pauvreté en paradis (cf Naughty by Nature), tout en se débattant entre ses racines les plus profondes (mais où sont-elles passées ?) et l’Amérique égoïste d’aujourd'hui. Pour porter la tourbillonnante musique de ses mots, une succession d’atmosphères puisées dans de vieux sillons, un homme, Rahzel, bruiteur rythmique époustouflant (cf The Roots) et quelques interventions instrumentales qui enflamment le tout (notamment dans les versions live).

Noel Redding, musicien
Johnny Kidd and the Pirates

Le premier truc qui me vient a l'esprit c’est Johnny Kidd and Pirates. Johnny Kidd est mort en 1966 dans un accident de voiture. Il chantait avec un trio (guitare, basse, batterie) pionnier du genre, vous voyez ce que je veux dire. Le guitariste, Mick Greene, est un type très important qui a été complètement sous-estimé. Ça a été une influence très forte pour moi quand j’étais guitariste. D'ailleurs Paul McCartney l’a invité dans son projet Russia il y a quelques années. Aujourd’hui il est agent d’assurances. Le genre de truc qui arrive, n’est-ce pas, qui arrive trop souvent. Ces types faisaient du rock'n‘roll anglais en même temps que les Beatles. Ce n’était pas le truc américain. Ils n'ont jamais réalisé de LP, juste des super singles comme Shakin' all over ou I'll never get over you. En fait il y a des Français qui ont fait une compilation sur un LP. J’ai trouvé ça dans un journal de vente par correspondance. C’est marrant, j'ai reçu par la poste un LP fait en France d’un groupe anglais qui n’en avait jamais fait.

André Ricros, chanteur, producteur pour les disques Modal
Haut-Karabagh, Musiques du front, Arménie
(SiIex Mosaique Y 226 218)

- Comment faire pour être plus près de la musique d’un peuple ?
- Comment atteindre cette proximité qui touche à l’ultime trace, que celui - ou celle - qui interprète inscrit consciemment sur une bande de magnétophone, pour témoigner de son existence ?
En avril 1993, l'ingénieur du son Richard Hayon tente de rejoindre le Haut-Karabagh pour dénoncer à son retour, si retour il y a, l'assassinat des occupants de cet ilot arménien, dangereusement enclavé dans l’Azerbaïdjan.
Après avoir échappé aux tirs adressés en direction des hélicoptères qui franchissent le corridor de Latchine, seul couloir aérien censé être protégé, il ramène les voix d’hommes et de femmes qui, par leurs seuls chants et leurs seules musiques, peuvent ainsi s'adresser au monde et parler de ce conflit ou plutôt de ce massacre qui n’intéresse personne (pas de pétrole pour les pays riches, pas d'intérêt médiatique pour les soi-disant ambassadeurs de cette même communauté).
Si ce disque est difficile et douloureux, c’est qu'il est difficile et douloureux de mourir.
Si ce disque est déchirant et émouvant, c'est qu'il est à tout jamais chargé d’une vérité offerte par des artistes qui nous ont confié une part de leur vie. Des femmes qui pleurent, accompagnées par un violon, sur les tombes d’un cimetière rouvert après l’emprise du régime communiste, des hommes qui jouent de la clarinette, de l’accordéon, du doudouk, dans une tranchée avec au-dessus de leur tête, des balles de Kalachnikov rythmant leurs mélodies, une fillette qui chante sous le grondement des obus et les rafales de mitrailleuse... Autant de témoignages qui nous disent que la résistance de ce peuple abandonné est là, debout dans ce qui reste de plus cher à ceux qui savent qu’ils vont mourir : la dignité.
Un disque où l‘importance du temps est mesurée, car chaque seconde qui passe nourrit l’espoir insensé de cohabiter et de reconstruire.
Un disque où la musique nous apparait essentielle puisque vitale, puisque devenue le seul, ou le dernier, langage pour parler de soi et de sa différence.

Yves Robert, musicien
Robert Ashley : Improvement. 1992
(Elektra Nonesuch 7559-79289-2)

Voici ma référence en travail vocal parlé.
Un truc introuvable : Improvement. C'est un opéra, enfin pour moi c'est un coffret de deux disques avec un livret :
Sept personnages racontent une histoire, celle de Don et Linda, il se cavale alors qu'elle va pisser à une aire d'autoroute. Après elle raconte qu'elle est quelqu'un d'autre. Histoire étrange dont je me fous un peu. Moi ce qui me plaît, c'est ça : une science totale de la voix parlée monocorde, en unissons, en accords, rythmiques, variés, dialogues plus lointains, rapprochés, murmures, cris. La charnière idéale entre le chant et la parole.
Bref c'est particulier, inattendu et génial. On est très loin de la musique instrumentale. On est dans le récit, abreuvé de mots, embarqués par la musique des chants parlés. Moi qui veux travailler sur la parole, le récit intime, l‘aventure de soi. Désormais je vais étudier Improvement, débusquer les trucs, essorer la construction du bidule, analyser mon frisson, piller les recettes.
Avant de passer à un autre enregistrement de Robert Ashley que je commande sur le net.

Sonny Thompson, musicien
Donny Hathaway : Donny Hathaway (Atlantic)

Comme Michael a dit : Donny Hathaway. Je n’arrive pas à penser a autre chose. C’était un sacré type, Donny Hathaway !

Robert Wyatt, compositeur
Mack The Knife and other Berlin songs of Kurt Weill arrangé et dirigé par Mike Zwerin pour le Sextet of Orchestra USA, enregistré à New York en 2 sessions, 1964 et 1965
(RCA Victor - BMG France 74321591622)

Je placerais Kurt Weill entre George Gershwin et Leonard Bernstein, dans ce magnifique triumvirat d'auteurs de chansons inspirés par - et inspirant – les musiciens de jazz. Voilà qui garantit la qualité du matériel de base. Mais c’est pour moi un disque de Mike Zwerin, rempli d'idées harmoniques et rythmiques, rehaussé des solos de sa trompette basse. Il est joyeusement assis au milieu des autres musiciens, pas le moins du monde relégué dans l'ombre de gars comme Jerome Richardson, Thad Jones, Richard Davis et bien entendu l'éternel et électrique Eric Dolphy. Je ne me lasse jamais de ce disque et je suis surpris qu'il ne soit pas plus connu.