Mon père avait été l'agent littéraire d'un autre aventurier que lui. Georges Arnaud était né quelques mois avant lui en 1917, il mourut quelques mois avant lui en 1987. Papa avait vendu les droits du Salaire de la peur à Clouzot en 1951. Dans un exemplaire d'un roman écrit plus tôt, mais publié en second, j'ai retrouvé une étonnante feuille manuscrite. Passager clandestin sur le cargo qui l'emporte en Amérique du Sud, Georges Arnaud avait si peu de papier qu'il écrivit Le Voyage du Mauvais Larron d'une écriture minuscule que j'ai du mal à déchiffrer même avec un compte-fil. Le récit est quasi autobiographique. La réalité dépasse la fiction. Découvert par trois matelots, l'auteur leur doit sa nourriture. Lorsque le lieutenant et le capitaine sont mis au courant, il est logé à bord pour lui permettre d'écrire, sans être dénoncé. Le document recto verso va du chapitre 8 au chapitre 11.
Mon père me racontait qu'il avait une nuit eut l'une des peurs de sa vie. Alors qu'il dormait sur le divan du salon, il vit son ami s'approcher de lui avec un énorme couteau de boucher à la main. Or l'écrivain jouissait d'une drôle de réputation. Au cours de la nuit du 24 au 25 octobre 1941, son père, sa tante et une domestique sont assassinés à coups de serpe dans le château familial, dont toutes les issues sont fermées. Un mystère à la Rouletabille... Après dix-neuf mois d'incarcération, l'avocat Maurice Garçon le fait acquitter. Dans sa plaidoirie, il avance qu'avec une telle tête d'assassin ce ne peut être lui ! En fait, personne n'a jamais su la vérité, alors mon père n'en menait pas large, jusqu'à ce que Georges Arnaud, de son vrai nom Henri Girard, aille se couper quelques rondelles de saucisson à la cuisine !