70 juin 2018 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 juin 2018

Mon frigo en double page


Il n'y a pas que le mien. De 1993 à récemment, Olivier Degorce a photographié quantité de réfrigérateurs dont le contenu en raconte long sur leurs propriétaires. Le livre Fridge Food Soul dresse également un portrait de l'époque et du temps qui passe au travers des emballages et de la variété de victuailles et de breuvages qui s'offrent à nous lorsqu'Olivier ouvre les portes du froid. Il ne fait en général qu'une seule photo, avec des appareils très différents, du plus simple au plus sophistiqué, et pas question de toucher à quoi que ce soit avant que ce soit dans la boîte ! On appréciera le lien avec la trentaine de livres de cuisine qu'il a illustrés pour sa compagne Amandine Geers...
En scrutant ce qu'il y avait ce jour-là dans mon Whirlpool qui n'était pas très rempli en comparaison des jours où je reviens des courses, je reconnais mon goût pour l'exotisme : une boisson pétillante et pimentée turque à base de betteraves à côté du vin blanc, des sauces orientales, mais aussi du Coca Cola et du cidre, un citron vert et un piment marocain, et les incontournables glaces de chez Berthillon. Comment interpréter cet inventaire ? J'aurais préféré éviter de montrer certains de mes choix d'alors, mais je laisse à chacun/e le soin de se faire sa petite idée...

→ Olivier Degorce, Fridge Food Soul, texte en anglais, 136 pages avec presqu'autant de photos, 18 × 26 cm, Ed. Patrick Frey (Zürich), 42€

jeudi 28 juin 2018

D'accord avec Didier Petit


Comment ne pas être D'accord avec Didier Petit ? Le musicien fait corps avec son violoncelle comme un être bionique du temps où l'électricité n'existait pas encore. Son instrument n'est nullement une prothèse en bois verni, mais la prolongation de sa pensée, tant leurs âmes se confondent. Le violoncelliste en joue comme s'il le découvrait pour la première fois et qu'il avait décidé d'en explorer sa surface et son volume dans leurs moindres détails. Il marche pieds nus et les cordes vocales s'ajoutent aux quatre métalliques. Il y a évidemment de la triche puisque le virtuose avait emprunté le Bach pour traverser les siècles il y a longtemps déjà. Et comme on a pris l'habitude d'associer Histoire et géographie, ce troisième volume en solo, après Déviation (sur La Nuit transfigurée en 2000) et Don't Explain (sur Buda en 2013), prend parfois les couleurs de Pékin où il fut enregistré récemment. Mais cela ne suffit pas à l'explorateur. Il aura fallu qu'il s'envole en impesanteur avec l'avion parabolique Zéro Gravité du CNES pour avoir la sensation d'avoir marché sur la Lune. L'illusion fut parfaite car Didier avait eu l'intelligence de ne pas regarder le doigt ! Ainsi au lieu de dévoiler la face cachée de notre satellite, il nous offre ici les 7ème, 8ème et dernière faces, couchées sur un disque plaqué d'argent. Dernière ? Qu'entend-il lorsqu'il annonce "clore 20 ans d'une pratique différente de l'instrument qu'il trimballe depuis bientôt 50 ans" ? Est-ce le solo qu'il évoque, la fusion instrumentale, le voyage sidéral, une retraite anticipée ou le désir d'aller voir plus loin ce qui se trame dans les autres dimensions ?

→ Didier Petit, D'accord, CD RogueArt, 15€

mercredi 27 juin 2018

Huitième indice


Voilà. C'est arrivé demain. On a passé la ligne. J'ai demandé à Amandine Casadamont de faire le voyage avec moi. D'habitude elle écrit des fictions et des documentaires qu'elle produit à Radio France. Pour notre duo Harpon, elle est platiniste. Entendre qu'elle mixe des vinyles sur trois platines tandis que j'improvise le plus souvent au clavier, bien qu'ici j'utilise exclusivement la Mascarade Machine que j'ai conçue avec Antoine Schmitt et qu'il a construite à base de code. Cet objet virtuel commandé comme un marionnettiste devant la webcam de mon ordinateur permet de transformer le flux radiophonique en mélodies, nappes, rythmes, timbres électroacoustiques... Après trois albums sur drame.org et quelques live, Harpon jouera un set de trois heures dans la nuit du 11 au 12 août au Festival Château Perché qui se tiendra cette année au Château d'Avrilly. 200 artistes sont attendus lors de cet évènement totalement délirant dans un lieu qui me fait penser à Peau d'Âne... J'allais oublier : la photo retravaillée par Étienne Mineur est d'Olivier Degorce qui m'avait photographié lors d'un concert à Londres. C'est beaucoup trop d'informations pour si peu de lignes !

mardi 26 juin 2018

Dites-le avec un disque


En 2012 Patrice Caillet avait rassemblé des pochettes de disques bricolées par des amateurs ayant perdu l'enveloppe originale, dans le livre Discographisme récréatif, magnifique recueil d'art brut. L'année suivante, avec Adam David et Mathieu Saladin, il avait publié, Sounds of Silence, un vinyle composé de 29 plages de silences sur le label Alga Marghen. Cinq ans plus tard Caillet, David et Elia David accouchent d'un nouveau concept avec le vinyle mono-face Dîtes-le avec un disque / 15 Auto Recordings. Ce sont quinze enregistrements réalisés dans les années 60 par des anonymes dans des cabines publiques d’enregistrement phonographique sur le modèle du Photomaton. On avait une minute trente secondes pour enregistrer un 45 tours que l'on pouvait ensuite envoyer ou offrir. Dans le film Masculin Féminin de Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Léaud enregistre ainsi une déclaration d'amour à Chantal Goya dans une de ces cabines automathones :


La mauvaise qualité technique importe peu. Ces morceaux de vie sont émouvants, qu'ils soient joyeux ou tristes, légers ou profonds. On n'y entend pas seulement les voix, mais aussi l'état psychologique des protagonistes et l'univers urbain autour, révélateur de l'époque. Sur la pochette blanche est collé un sachet hermétique avec la liste commentée des plages et le texte explicatif. Cette évocation me rappelle mon album Brut de répondeur où j'avais rassemblé 2h30 de messages que j'avais reçus entre 1981 et 1983. Je repense aussi à l'enregistrement du grand-père de Bernard Vitet, gravé dans la cire, que mon camarade espérait sortir sur la réédition de Mehr Licht ! que l'on attend toujours, bloquée par de sinistres et absurdes spéculations mercantiles.
Mais le concept actuel des trois larrons ne s'arrête pas là, car ils ont imaginé un réel geste artistique. Comme ils l'expliquent sur le site ditesleavecundisque.com où sont détaillés le contexte et le projet accompagnés des 15 auto-enregistrements, ce nouvel album n'est pas à vendre ! Il ne rentre à aucun moment dans une logique commerciale. Les exemplaires de ce disque ont été volontairement perdus dans des espaces publics, commerciaux, médiathèques, vide-greniers... S'ils ont commencé par en déposer un à la Médiathèque Musicale de Paris samedi dernier, ils en glissent subrepticement des exemplaires dans les bacs de la Fnac, chez Boulinier ou dans des lieux correspondant aux enregistrements initiaux. Qui donc alors trouvera celui intentionnellement oublié dans l'ascenseur de l'Empire State Building à New York ? Où en dégoter un exemplaire si sa diffusion est clandestine ? Les auteurs refusent de révéler même le nombre pressé, mais on peut supputer qu'il y en a pas mal tant ils doivent s'amuser à l'intégrer dans des endroits plausibles autant qu'improbables, chamboulant l'état de stocks où il n'est évidemment jamais répertorié. On imagine déjà les sueurs froides au passage en caisse. Libre donc à vous d'imaginer où ces joyeux farceurs ont pu laisser leur généreux forfait pour que vous en soyez les premiers acquéreurs !

lundi 25 juin 2018

Septième indice


C'est l'enchaînement des indices qui fait sens. Je ne peux aller plus loin sans déflorer le concept de mon nouvel album qui compte 11 pièces en tout, ou plutôt 10 + 1 ! Contretemps est une version studio de la chanson qui figure sur le CD Long Time No Sea. La chanteuse danoise Birgitte Lyregaard et Sacha Gattino qui joue ici du clavier échantillonneur et chante forment avec moi le trio El Strøm. Pas de clavier cette fois, mais le Theremin, le Tenori-on, la trompette à anche et la trompette. Si Birgitte n'était pas retournée vivre à Copenhague et si Sacha n'avait pas emporté armes et bagages à Rennes, nous aurions certainement continué cette aventure qui m'a enchanté.
Je n'avais pas ressenti autant de complicité depuis Un Drame Musical Instantané. Travailler avec mes meilleurs amis est un plaisir d'une richesse exceptionnelle. J'ai la chance de perpétuer ce miracle avec des camarades cinéastes, plasticiens, concepteurs, graphistes, musiciens, etc. Mais je n'ai plus les conversations quotidiennes, entre autres sur la musique, que j'ai partagées avec Bernard Vitet pendant plus de trente ans. Cette émulation permanente me manque terriblement, d'autant que Bernard avait un sens aigu de la contradiction systématique ! Il n'y a plus d'abonné au numéro demandé. Après une centaine d'albums, ce disque est le premier sous mon nom seul. Il fallait donc que le thème s'y prête (à suivre)...

N.B.: Indices 1 2 3 4 5 6

vendredi 22 juin 2018

CINÉ-ROMAND, happening cinématographique ce soir à Bagnolet


Dix ans après l'évènement qui avait donné lieu à un DVD, Françoise Romand reprend son happening cinématographique, CINÉ-ROMAND, cette fois autour du Cin'Hoche à Bagnolet et dans une dizaine d'appartements où les films de la cinéaste s'enchaînent. Les spectateurs accompagnés d'anges déambulent dans le centre de Bagnolet pour assister subrepticement aux projections des films en situation chez les voisins qui jouent là du théâtre documentaire… C'est un évènement rare, c'est gratuit et c'est plein de fantaisie.

La bande-annonce du DVD :


Jeu de piste avec la complicité des voisins, chez eux, entre fiction et réalité. Le spectateur se perd dans un labyrinthe de ruelles en passant par des appartements aux portes entrouvertes où il surprend des scènes de la vie quotidienne avec la télé diffusant en boucle les films de Françoise Romand. À partir de son travail de réalisatrice, l'artiste génère une création à la croisée du théâtre documentaire et du cinéma. L'ensemble réfléchit la fantaisie et la profondeur de son œuvre avec humour et générosité. Un long métrage de fiction est projeté au Cin'Hoche, un autre dans une maison en face de la médiathèque, des films documentaires, des petits sujets impertinents un peu partout...

La bande-annonce d'un précédent Ciné-Romand :



L'entretien de lundi dernier sur Radio Aligre avec Géraldine Cance

→ Dernières inscriptions sur alibifilms@gmail.com
→ Rendez-vous au Cin'Hoche de Bagnolet ce vendredi 22 juin 2018 à partir de 18h30
Site de Françoise Romand
→ Articles sur les précédents Ciné-Romand :
en 2007 : Façon Gala 1 /Façon Gala 2 (qui reconnaîtrez-vous sur mes photos riquiqui ?)
en 2008 : à la Bellevilloise / Une traversée du miroir / Le film (illustrés des magnifiques photos d'Aldo Sperber comme celle d'en haut)
en 2009 : Le DVD (design graphique de Claire et Étienne Mineur) / Le site (design graphique de Caroline Capelle) / Sur Univers-Ciné

jeudi 21 juin 2018

Sixième indice


La qualité de la pièce A New Century doit beaucoup à la complicité des musiciens que j'avais engagés pour la musique du film 1+1, une histoire naturelle du sexe de Pierre Morize. Comme nous n'avions que trois semaines avant le mixage, j'avais choisi des improvisateurs capables de travailler selon des indications dramatiques. Avec le guitariste Philippe Deschepper, le trombone Yves Robert et le batteur Éric Échampard, nous formions un quartet idéal. Au synthé et à la flûte enregistrés en 2000, j'ajoutai récemment les paroles murmurées d'une valse intime :

Comme je suis toqué
Étourdi par la danse
Je ne sens plus mes pieds
Je n’ai même plus pied
Et j’oppose au paquet
De la vie qui s’avance
Les amours libérés
De la maturité

Comme je suis coquet
Tous les mots ont un sens
Pas besoin de verre à pied
Mais des vers à six pieds
Pour ensemble trinquer
À cette renaissance
Repoussant le guêpier
D’un sous terre à six pieds

Étienne Mineur a découpé un morceau d'un selfie que j'avais pris dans l'armoire à glaces de la salle de bains. Comme pour chacun des treize quadruples feuillets il a choisi de nouvelles couleurs en suivant ce que lui inspiraient la musique et l'époque.

mercredi 20 juin 2018

À travail égal salaire égal, par je et on


La chronique de Franpi Sunship m'avait échappé. Moi qui lui disais n'avoir rien vu à Hiroshima, c'est d'la bombe !
Franpi dit que sa photo du port du Havre n'a rien à voir. Bien au contraire. Son chantier naval rime avec On tourne, le premier morceau du disque À travail égal salaire égal, de la noise industrielle avant la lettre, et avec le travail à la chaîne que raconte Bernard Vitet dans Crimes parfaits en renversant sa voix retournée pour la remettre à l'endroit.
En réponse à ce que Franpi évoque de montage radiophonique, je lui confierais bien que ce montage a inspiré une partie du style de Radio Nova comme me l'avait expliqué Fadia Dimerdji pendant notre séjour à Tunis. D'ailleurs une autre pièce du Drame faisait partie de la boucle qui tournait la nuit pour occuper leur fréquence. Pas de ciseaux, pas de collage, juste le bouton de pause d'un radiocassette pour cette radiophonie en direct que certains appelleront plus tard plunderphonics. Trois mois à tenter d'attraper des bouts de son au vol, on m'entend raconter cela pendant la pièce-même ! Quand cela ne me plaisait pas je n'avais plus qu'à revenir en arrière... J'ai des histoires en pagaille à raconter à propos de ces montages cut commencés dès 1973... Celui-ci date de 1981. C'est donc la réédition du vinyle que l'Autrichien Klang Galerie vient de publier que chronique Franpi...

Un Drame Musical Instantané - A Travail égal salaire égal (Sun Ship, 11 juin 2018)

Le disque qui passe actuellement sur ma platine est un petit moment d'histoire. Pas seulement parce que c'est un disque qui comme d'autres de l'orchestre que Jean-Jacques Birgé continue de faire exister au delà du collectif d'origine, Un Drame Musical Instantané, est réédité (d'autres le seront prochainement). A travail égal salaire égal est aussi, outre un mot d'ordre indispensable et moderne qui était déjà ainsi en 1981 lorsqu'il fut enregistré, une pièce de musée.
Pas de celle qui prennent la poussière, plutôt de celles qui s'admirent et inspirent.
Prenons le "je". C'est rare quand je prends le je dans une chronique parce que "je" déteste ça, mais il faut s'y résoudre : ce disque, s'adresse à moi sans le savoir. Et avant de le découvrir, assez ébahi de fait, il y a quelques semaines, je n'en avais absolument pas conscience...
Comme j'aime bien les wagons qui se raccrochent inconsciemment, c'est peu de dire que la découverte fut grande et importante. J'écoute, depuis une semaine, "Crimes Parfaits" en boucle, à chercher tous les chevauchements, toutes les références, tout le travail de découpages, les heures passées sur la bande et le travail de timbre des cordes... Avec, ne vous en déplaise, Kent Carter et Didier Petit au violoncelle, Geneviève Cabanes à la contrebasse et bien sûr Francis Gorgé à la guitare qui offre au fantastique travail collectif quelques échappées zappaïennes, période Lumpy Gravy, celle qui compte peut-être le plus pour Birgé ; notamment avec Jouk Minor au sax baryton qui zèbre et déchire la masse orchestrale, bien plus soudée que ne pourrait laisser penser la sensation première d'un musique qui saute d'un univers à l'autre, comme on se balladait jadis sur la bande FM (ou encore mieux AM) à la recherche d'horizons inconnus et qu'on en trouvait, loin de la collusion miaoumix qui jonchent les ondes actuelles.
Et c'est là que vient le je, encore plus fort que les lignes précédentes. Un jour qu'on causait ensemble, Jean-Jacques Birgé m'avait dit que les meilleures chroniques venaient des moments que l'on avait vécu. Certes, j'étais à peine à l'orée de mon CE1 quand le disque est paru et je devais davantage écouter le générique de La Panthère Rose, mais j'étais déjà fasciné par la radio et aimait me ballader à la recherche des sons. Sur un vieux radiocassette Marantz, chez ma grand-mère, je m'amusais à coller des sons, des voix, des bruits d'usage quotidien... Plus tard, à la radio, je me souviens d'heures passées à tenter des montages, à jouer avec les nagras et à tâter de la souris...
En creux, et en moins bien, tout découlait de ce disque -et de nombreuses esthétiques de la musique concrète- sans que nous ne le sachions vraiment. Il y a dans ce disque, une force, une modernité et une intelligence qui force l'admiration. "La preuve par le grand huit", dernier morceau où l'ensemble de l'orchestre intervient est le bouquet final d'un disque indispensable.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir (Port-du-Havre).

Et comme les bonnes nouvelles se succèdent, les deux font la paire avec un article de Grégoire Bressac dans Revue et Corrigée de ce mois-ci :

UN DRAME MUSICAL INSTANTANÉ - À TRAVAIL ÉGAL SALAIRE ÉGAL (KLANGGALERIE, CD, KG244 – 2018)

(...) On a moins d’envie de thé glacé à l’écoute du début d’A travail égal salaire égal, la courte piste « On Tourne », accueillis qu’on est dans le fracas des métaux enregistrés par les compères en usine, avec juste quelques gongs ajoutés pour arrondir un peu les angles. Rappelons vite fait que le trio Birgé/Vitet/Gourgé vient du free jazz, de la musique composée et du rock, et se pose déjà, dans les années 80, les questions des limites de l’improvisation non idiomatique, des possibilités d’un mélange composition/improvisation, et de la différence entre enregistrement figé et spectacle vivant*. Le disque original est fait de collages, avec un orchestre, mais aussi d’une longue pièce jouée en concert. Dans le premier gros bestiau du disque, créé en studio, « Crimes Parfaits », une cohabitation pas très pacifique se fait entre les orchestres de radio crachant de la variète et de l’intellectuel, la bande de Jean-Jacques Birgé et les musiciens : on y croise même le Tour de France, et ce dans un flux constant, ce qui est à la fois stimulant et parfois dur à suivre. La Cinquième de Beethoven est invoquée subrepticement par l’orchestre, et l’Habanera du Carmen de Bizet massacrée comme il faut, le tout dans une science du sbeul, un métier du merdier – et on termine sur un enregistrement de rue, où Bernard Vitet et sa compagne réagissent à un coup de feu dans une poursuite de voitures. « Pourquoi la Nuit », interlude court, montre le trio échanger leurs instruments respectifs (synthé/trompette/guitare), dans un collage particulièrement fluide. La quatrième piste, « La Preuve par le grand huit », est aussi remarquable par l’homogénéité du son de l’ensemble, l’accord dans le refus du décor, notamment le synthé de Birgé qui fait des trous comme il faut mais ne fait pas s’écrouler le gruyère, mention spéciale aux ingé-son qui ont dû s’arracher quelques cheveux sur le mixage. Les cavalcades de glissandi d’orchestres, stridentes et grotesques, mènent à un climax qui gueule, avant un duo trompette/piano (Vitet et Birgé) qui s’étend, avant que l’orchestre ne chante une conclusion presque grandiloquente. La piste bonus de cette réédition est une autre version de cette pièce, jouée aussi en concert mais un an plus tard, avec quelques changements de musiciens déjà présents : quelques instruments s’invitent, avec les cloches tubulaires, l’harmonica et les guimbardes de Birgé, et une conclusion plus orchestrale, après un duo piano/trompette plus aérien et jazz. L’écoute successive des deux, si dure soit-elle, permet tout de même de se rendre compte du travail de brutes du Drame musical instantané sur la composition et les arrangements pour la scène. * L’ARFI ira dans cette direction au même moment à Lyon, et je ne vous parle pas de l’AACM à Chicago…

mardi 19 juin 2018

Cinquième indice


Le graphiste Étienne Mineur a inversé l'image pour qu'elle colle à sa mise en page. Ainsi mon œil le plus faible est passé de gauche à droite. Si je cligne, de deux choses lune, l'autre c'est le soleil. Pas seulement. Ce nouveau disque porte un concept farceur et très sérieux à la fois. D'où la divulgation des indices sans dévoiler le pot aux roses, d'autant que je suis plutôt sans fleurs ni couronnes. Mais si ce n'est pas trop demander, je préfère les vers de terre à la fumée. Pompes et circonstances.
Après que nous ayons réalisé l'identité audiovisuelle d'EuroPrix '98 à Vienne en Autriche pour l'agence Nofrontiere, Étienne m'avait commandé une composition musicale pour accompagner une réinterprétation de ses superbes animations graphiques. Je la lui avais livrée, mais mon camarade ne termina jamais son projet et cette suite électro retourna dans mon tiroir. Je l'ai un peu raccourcie pour des questions d'équilibre par rapport au reste du disque. Je venais d'acquérir un nouveau synthétiseur allemand, le Waldorf MicroWave XT qui me rappelait un peu mon PPG Wave également conçu par Siegfried Palm. J'avais aussi utilisé l'Ensoniq VFX-SD qui m'accompagne encore. C'est du charabia pour les néophytes. Pardon !
Il est très rare que je joue seul. Je préfère toujours être sollicité par d'autres camarades, comme j'adore les cahiers des charges qui cadrent mon imagination. Je regrette seulement que l'on ne m'invite pas plus souvent à partager la scène ou les studios. C'est le lot des entrepreneurs. Seuls les mercenaires enchaînent les boulots les uns après les autres. J'ai produit ce nouvel album pendant les périodes où je n'avais pas de commandes. Le besoin de me rendre utile me taraude. Pour une fois je me suis regardé dans la glace. Cocteau disait y voir "la mort au travail comme les abeilles dans une ruche de verre..." Je m'interroge maintenant sur l'effet que cette aventure aura sur moi. J'ai hâte d'être après.

lundi 18 juin 2018

L'envol ou le rêve de voler


Comme beaucoup d'enfants j'ai rêvé que je volais, à tel point que longtemps je me suis demandé si je ne l'avais pas fait en crise somnambulique. Je me souviens en effet parfaitement de la technique employée. Comme beaucoup de choses que l'on maîtrise à force d'efforts et de concentration, j'arrivais à léviter et à m'envoler à la verticale comme si j'avais des fusées à réaction sur le dos. C'est une sensation troublante. Était-ce préjuger de mes forces comme de croire que je pourrais nager jusqu'aux îles des Glénans ? Il m'a fallu essayer plus d'une fois de reproduire cet envol pour me convaincre que j'avais rêvé. Mais la nuit suivante le doute se réinstallait ! De Freud à Jung les interprétations varient, bien qu'il s'agisse toujours d'évasion. Dès mon premier voyage en avion en 1963, les plus lourds que l'air m'ont fait réfléchir et il aura fallu un baptême en deltaplane avec départ à skis pour que je réalise le fantasme partagé par tant d'entre nous, et dont certains sont exposés à La Maison Rouge jusqu'au 28 octobre. Ainsi, devant le vélo-hélicoptère de Gustav Mesmer, j'ai demandé à Antoine de Galbert, qui fermera définitivement son lieu à cette date, de mimer lui-même son rêve d'envol...


Avec les trois autres commissaires, Barbara Safarova, Aline Vidal et Bruno Decharme, il a rassemblé plus de 150 œuvres du XXe siècle jusqu'à nos jours, art moderne et contemporain, brut et ethnographique, pour illustrer le thème de cette ultime exposition à La Maison Rouge, histoire peut-être de prendre son envol vers de nouvelles aventures. On croisera ainsi aussi bien une aile et un Nijinski de Rodin que des masques africains, Bird of Quevada de Peter Witkin et Der Friedens Habich de Friedrich Schröder Sonnensterne (photo ci-dessus), des extraits cinématographiques de La Dolce Vita de Fellini, du Voyage dans la lune de Méliès et de la danse serpentine de Loïe Fuller, des planches de Windsor McKay et Moebius, l'Opus incertum de Didier Faustino qui invite le visiteur à retrouver la position exacte du Saut dans le vide d'Yves Klein, un Spoutnik russe CCCP 2800 km à l'heure d'André Robillard et plusieurs Rebecca Horn, etc.


On peut admirer au plafond les chorégraphies de Heli Meklin, Angelin Preljocaj, Julie Nioche ou la compagnie Non Nova, allongés sur un matelas incliné, ou déambuler dans la scénographie de Zette Cazalas qui a évité autant que possible de cloisonner l'espace. Il y a des transparences, des miroirs et des trous dans les murs. Si le catalogue classe les œuvres selon les thématiques Utopies, Ascensions, Machines, Esprits, Chimères, Extases, Danses, Exploits, Science-Fiction, O.V.N.I., Topographies, Accidents, Élévations, Animisme, tout est habilement mélangé dans l'exposition...


Derrière les récents Hometown Sky Ladder de Cai Guo-Qiang, poudre à canon sur papier, et la capsule en bois Walden to Space - Chapter 11 / The Hut de Stéphane Thidet se cache Luna de Fabio Mauri où nos pieds s'enfoncent dans les billes de polystyrène comme si nous marchions sur la Lune...


Le son est présent, avec, par exemple aussi, un extrait d'Envol de Pierre Henry diffusé par deux casques en haut de quelques marches où est posé un coussin noir. J'ai évidemment pensé à notre spectacle Jeune fille qui tombe... tombe d'après Dino Buzzati qu'Un Drame Musical instantané enregistra pour le label in situ avec Daniel Laloux, ainsi qu'à la pochette du CD Sous les mers ! J'ai un petit faible pour celles et ceux qui se jettent dans le vide. Là encore je me souviens de mes sauts du haut d'un plongeoir de 11 mètres en Allemagne ou d'un peu moins haut dans le Lake Powell. Il m'a toujours fallu du temps pour me lancer. La chute, pourtant très courte, semble assez longue pour lire deux pages du Monde.


J'adore les mélanges de styles et d'origines dont La Maison Rouge s'était faite pratiquement une règle, à l'instar des exploits de Jean-Hubert Martin, où Henry Darger et Prophet Royal Robertson croisent la route de Jules-Étienne Marey et Philippe Ramette. Mon goût pour le cinéma me pousse également vers les installations qui ont sur moi un pouvoir dramatique immersif comme les délires extraterrestres de Chucho ou How To Make Yourself Better d'Ilya et Emilia Kabakov. Mais j'ai raté la vidéo instantané#partitura-sparizione de Fantazio qui, de plus, est exceptionnellement absente du catalogue publié par Flammarion dans lequel Jérôme Alexandre, Marie Darrieussecq, Bruno Decharme, Anaïd Demir, Bertrand Méheust, Philippe Morel, Antoine Perpère, Corinne Rondeau, Barbara Safarova, Olivier Schefer, Didier Semin, Béatrice Steiner, Aline Vidal étalent leurs plumes.


Il fallait bien une chute. Si le vol d'Icare est devenu une réalité banale avec les débuts de l'aviation, beaucoup continuent de s'y casser le nez. Comme nos jeunes filles qui tombent, comme les 56 Klein Helikopter de Roman Signer dont le crash me rappelle un de nos projets de l'année prochaine, La sorcière de Pierre Joseph s'est écrasée tout au fond de La Maison Rouge, l'encre noire se transmuant en sang. L'histoire se termine ainsi. Pour qu'une autre puisse commencer.

L'envol ou le rêve de voler, exposition, La Maison Rouge, jusqu'au 28 octobre 2018

vendredi 15 juin 2018

La Pop Music en images


Lorsque le graphiste et affichiste Michel Bouvet, commissaire de l'exposition Pop Music 1967-2017 à la Cité Internationale des Arts avec Blanche Alméras, était adolescent, en France nous appelions pop music ce que l'on nomme aujourd'hui le rock. Étymologiquement, pop signifie populaire, et pour un Américain, la pop music c'est plutôt les variétés. Les traductions sont souvent des trahisons, mais c'est ainsi. Ici nous étions pop.
Comme le jazz après la Première Guerre Mondiale, le rock'n roll allait envahir le monde après la seconde, et la pop s'installerait définitivement comme le courant populaire majeur du XXe siècle avec l'engouement pour les britanniques Beatles et Rolling Stones, puis outre-Atlantique avec le Summer of Love de 1967 sur la côte ouest des États Unis, le long du Pacifique. Peace and Love allaient devenir nos nouveaux mots d'ordre après ceux, plus mordants, du mois de mai à Paris. L'été ensoleillé était donc au Flower Power, et les graines que j'avais rapportées de San Francisco donnèrent naissance sur mon balcon à des plantes qui font rire. J'ai raconté ce voyage initiatique dans mon roman augmenté USA 1968 deux enfants. J'avais 15 ans et ma petite sœur 13, et pendant trois mois nous avons fait seuls le tour des États Unis, une aventure incroyable. J'avais ainsi assisté aux concerts du Grateful Dead, Kaleidoscope et It's A Beautiful Day au Fillmore West, et les affiches collectées sur place avaient longtemps orné les murs de ma chambre, éclairées la nuit à la lumière noire.


Mon cousin Michel (nos grand-pères étaient frères) a gardé ses cheveux longs alors que j'ai coupé les miens en 1981. Jusqu'à cette année-là je n'avais rencontré pratiquement personne à Paris qui portait comme moi le catogan touffu. Je suis passé par les mocassins indiens, les bottes de cow-boy, les sabots et les sandales, les pattes d'ef et les tuniques à fleurs, les colliers avec signe de la paix ou le A d'anarchie, des pantalons de clown et des sarouels, et parfumé au santal mystique (santal+citron). Mes experiences suivaient l'adage de Henri Michaux "Nous ne sommes pas un siècle à paradis, mais un siècle à savoir" et je n'ai jamais renié mes idées libertaires et collectivistes. Michel est passé de la musique au graphisme et moi du cinéma à la musique. Je me suis toujours intéressé au rôle de la musique face aux images tandis que mon cousin s'interrogeait sans cesse sur le pouvoir des images sur la musique. Destin croisé de deux outsiders dans une famille de littéraires qui se retrouvèrent aux Rencontres d'Arles de la Photographie, lui en charge de toute l'identité visuelle et moi comme directeur musical des Soirées ! Je suis allé à son exposition, produite par le Centre du graphisme d'Échirolles, vêtu de mille couleurs ; il était tout en blanc, tranchant avec le noir de rigueur des graphistes et des architectes. Autour de lui étaient accrochées 1300 pochettes de disques, quantité de photographies et d'affiches plus pop les unes que les autres.


Chacun, chacune ne peut s'empêcher de reconnaître sa discothèque, et découvrir les disques qui nous avaient échappé. J'admire celles du Dead de Gary Houston et au dernier étage j'écoute la version inédite de vingt minutes de Light My Fire par les Doors qu'Elliott Landy a accompagnée d'improvisations vidéo filées sur les toiles du Musée d'Orsay. Son portrait de Bob Dylan orne la couverture du célèbre album Nashville Skyline de 1969. Dans le catalogue de l'exposition publié par les Éditions du Limonaire on retrouve les textes des cartels qui rappellent l'historique de chaque artiste, comme un petit dictionnaire de 50 ans de musique plutôt électrique. Petit dictionnaire de tout de même 400 pages, un pavé où sont reproduites également les photographies de Renaud Montfourny et Mathieu Foucher ainsi que les travaux graphiques de Form Studio, Jean-Paul Goude, LSD STU DI O Laurence Stevens, Malcolm Garrett, StormStudios, Stylorouge, Vaughan Oliver, Big Active, INTRO Julian House, Laurent Fétis, M/M (Paris), Andersen M Studio, Matthew Cooper, The DESIGNERS REPUBLIC, Hingston Studio, Zip Design... N'allez pas croire non plus que la pop s'est arrêtée aux USA, à la Grande-Bretagne et à la France ; l'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Australie, la Belgique, le Canada, la Colombie, le Danemark, la Grèce, l'Irlande, l'Islande, la Suède, la Turquie sont représentés. Rien d'étonnant dans cette Cité Internationale des Arts qui rassemble une centaine de nationalités parmi ses 288 résidents... L'exposition se termine d'ailleurs en s'ouvrant aux travaux des étudiants de Penninghen où Michel Bouvet enseigne, variations sur le titre "Pop Music".


Il est évident que certaines des pochettes exposées sont de véritables œuvres d'art, fussent-elles devenues objets manufacturés par la magie de la reproduction mécanique. Les artistes n'ont pas toujours conscience de l'importance de l'image qui accompagne leur musique, mais nombreux ont cherché l'adéquation ou du moins l'accroche graphique qui donne envie d'écouter ce que l'on ne connaît pas encore. Je me souviens avoir acheté à leur sortie le premier Silver Apples, In-A-Gadda-Da-Vida d'Iron Butterfly, Strictly Personal de Captain Beefheart, Electric Storm de White Noise, le Moondog chez CBS, The Academy In Peril de John Cale, uniquement sur leur pochette. Comme souvent lorsque les expositions sont très denses j'y replonge par le biais du catalogue, confortablement allongé sur mon divan...

Pop Music, 1967-2017, Graphisme et musique, exposition à la Cité Internationale des Arts, 18 rue de l'Hôtel-de-Ville, 75004 Paris, du mardi au dimanche (14h-19h) jusqu'au 13 juillet 2018, entrée gratuite
→ catalogue de l'exposition, Ed. du Limonaire, 29€

jeudi 14 juin 2018

Patienter sans effort


Zébulon de structure, workaholic monté sur ressorts, je ne suis pas d'un naturel contemplatif. J'en ai pourtant besoin comme tout le monde. Nous allons donc bientôt migrer vers les hauteurs où ni Internet ni le téléphone ne peuvent nous atteindre. Le blog prendra aussi des vacances pour ne reprendre sa parution quotidienne qu'au début du mois de septembre. Le panorama des cimes où n'est perceptible aucune présence humaine aura enfin raison de mon hyperactivité et plonger dans la lecture deviendra un de mes sports favoris. Le reste de l'année je dois faire des pieds et des mains pour m'arrêter. Paradoxalement, convoquer mes pieds et mes mains n'est pas de bonne augure pour respirer en toute zénitude ! Ainsi, pour m'empêcher de bouger j'ai recours à ma paire d'oreilles qu'habituellement je ne sais pas faire remuer comme certains s'y entendent...
Que ce soit pendant ma séance matinale de suée saunatérienne ou dans les embouteillages, je me suis rendu compte que la voix des conteurs me transformait en patient beaucoup mieux que n'importe quelle programmation musicale. Suivre les voix de Louis Aragon, Blaise Cendrars, Louis-Ferdinand Céline, Marcel Duchamp, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Alain Resnais, Eric Rohmer, etc. me fait oublier le temps qui passe. Les créations radiophoniques fonctionnent aussi bien, ainsi je suis resté scotché devant L'attentat en direct et Régression de Claude Ollier ou les pièces de Cocteau... Écouter André Malraux parler d'art ou de la Révolution Chinoise, Saint-Exupéry raconter Terre des Hommes à Jean Renoir qui à son tour nous fait voyager de New York à Hollywood, participer au tournage du Testament d'Orphée, revivre le mouvement de la Nouvelle Vague, se délecter de la poésie circonlocutoire de Jacques Lacan, se souvenir de l'intelligence prémonitoire d'Edgard Varèse ou jouir des Couleurs du Temps avec Olivier Messiaen me ravit à tel point que je rallonge ma séance de sauna au delà du raisonnable et que je regrette d'être déjà arrivé après avoir fait du sur place sur le périphérique !

→ Collection INA-Radio France (chaque fois double CD)

mercredi 13 juin 2018

Quatrième indice


J'ai ajouté ma voix à une pièce composée à l’origine en quadriphonie pour le Futuroscope à Poitiers que m'avait commandée Michel Kouklia pour l'Antichambre de l'attraction Je danse avec les robots. J'y transforme aussi celle de la chanteuse Pascale Labbé avec mon Eventide H3000 qui ne me quitte jamais et dont j'ai programmé les effets il y a près de trente ans ! Elsa m'a suggéré de demander à Nicolas Chedmail de refaire la partie de cor qui sonnait trop corny dans l'enregistrement original de l'orchestre symphonique. Pour chaque chanson j'emprunte un style différent, j'étais plus rock dans la précédente, là c'est une sorte de faux lyrique qui convient à la solennité du propos. J'ai laissé ma voix disparaître dans les pièces suivantes. Il y aura bien une chanson portée par Birgitte Lyregaard, mais il m'a semblé que le montage radiophonique de la pièce précédente produirait un effet de rémanence nous accompagnant jusqu'à la fin, et même au delà. D'ailleurs les instrumentaux qui suivront finiront par s'effacer ! Je ne sais toujours pas s'il faut s'en moquer, s'en émouvoir, le craindre ou s'en réjouir...
Etienne Mineur qui a réalisé un travail magnifique sur la pochette a choisi une photo où je m'étais coupé les cheveux et la barbe depuis peu. C'était probablement en 1981 lors d'un direct à Radio G avec Bernard Vitet, qui a appuyé sur le bouton de l'appareil, et Marcel Trillat qui nous avait invités.
Grâce à Marwan Danoun qui a masterisé l'ensemble, les onze pièces forment un petit opéra plus homogène que je ne l'avais imaginé. Je me demande encore si la vie est une course d'obstacles où il faut enjamber l'un pour affronter le suivant, ou bien les tranches d'un gâteau comme aimait le penser Jean Renoir. Tout est parti à l'imprimerie aujourd'hui, mais j'ai l'impression que je soufflerai seulement lorsque nous aurons été livrés.

N.B.: Indices 1 2 3

mardi 12 juin 2018

De Palma et Rissient se racontent en coffret

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Chroniquer les DVD plutôt que les sorties en salles permet d'une part de donner une nouvelle chance aux films, d'autre part de suggérer des chefs d'œuvre en marge de l'actualité. De plus, les compléments de programme qui les accompagnent apportent souvent des informations dont, jeune cinéphile, j'aurais pu rêver. Si j'apprécie donc depuis vingt ans la qualité inestimable des bonus, j'ignorais ce que sont les memorabilia. Comme Monsieur Jourdain, je ne savais pas que j'en possédais déjà, tel l'extraordinaire coffret CD du saxophoniste Albert Ayler qui trône à côté de mes disques. Les memorabilia sont des bonus physiques, cartes postales, affiches, fac-similés, petits objets fétiches contenus dans les coffrets aux côtés des disques argentés. Ainsi, en marge de ses sorties de films en salles et de versions simplement DVD, l'éditeur Carlotta lance une nouvelle collection prestige à tirage limitée sous la forme de coffrets contenant à la fois un DVD et un Blu-Ray au contenu identique, mais augmentés de petits objets précieux qui raviront les collectionneurs.
Le coffret de Cinq et la peau de Pierre Rissient contient ainsi les fac-similés de l'Avant-Scène de ce mois-ci, du dossier dédié au film dans Positif en mai 1982, des courriers de Rissient et Bertrand Tavernier, cinq cartes postales et l'affiche, tandis que le film de Noah Baumbach et Jake Paltrow consacré à Brian De Palma contient les fac-similés des dossiers de presse de Furie et Blow Out, cinq cartes postales et l'affiche. N'étant pas particulièrement fétichiste, ce n'est quant à moi pas ce qui m'intéresse le plus dans ces éditions, mais, encore une fois, les bonus du film de Rissient et le documentaire lui-même sur De Palma, l'un et l'autre figurant des témoignages passionnants sur le cinéma.
C'est d'autant plus vrai pour Cinq et la peau, fiction expérimentale tournée à Manille en voix off avec Feodor Atkine et Eiko Matsuda, tentative intéressante de réalisation de la part de cet homme de cinéma qui fut attaché de presse, conseiller artistique et découvreur de grands cinéastes qu'il fit venir en France, en particulier au Festival de Cannes. Malgré un regard personnel, le machisme misogyne de Rissient m'horripile et qu'on aille pas me raconter, comme nombreux mâles célèbres s'en émeuvent dans le film de 111 minutes que Todd McCarthy lui consacre, que cet homme aimait les femmes, etc., etc. Certes ce cinéphile curieux de tout fit connaître les réalisatrices Ida Lupino, Jane Campion ou Shu Shuen, comme il promut Jerry Schatzberg, King Hu ou Lino Brocka, mais son érotomanie me semble d'un autre âge. Par contre, son témoignage sur tous les grands cinéastes qu'il a rencontré/e/s est passionnant, en particulier dans Gentleman Rissient de Benoît Jacquot, Pascal Mérigeau et Guy Seligman, 80 minutes d'anecdotes savoureuses. Les extraits de films que Rissient, récemment disparu, a choisis donnent évidemment envie de voir ou revoir tous ces chefs d'œuvre. Le troisième bonus réalisé avec Nicolas Pariser revient sur la fabrication de Cinq et la peau, un film, pour certains objet d'art quasi mythique, qu'il était difficile de voir depuis des années.
Le deuxième opus de cette nouvelle collection est donc l'entretien réalisé par Baumbach et Paltrow et intitulé simplement De Palma. Le réalisateur américain s'y livre dans la plus grande sincérité, souvent avec humour, et le montage des extraits est particulièrement intelligent, me donnant foncièrement envie de programmer un nouveau festival de ses films sur mon grand écran perso. Nous avions ainsi regardé dans ces conditions Greetings, Hi Mom!, Sisters, Phantom of the Paradise, Obsession, Carrie, The Fury, Home Movies, Dressed To Kill (Pulsions), Blow Out, Body Double, Raising Cain, Snake Eyes, Mission Impossible, Femme fatale, The Black Dahlia, Redacted, Passion, alors cette fois j'ai prévu Scarface, Wise Guys (qui semble être une grosse daube à l'humour bien lourd), The Untouchables, Casualties of War (vu ce soir, pas mal), The Bonfire of the Vanities, Carlito's Way... De Palma revient évidemment sur son admiration pour Hitchcock dont il s'estime un des rares disciples. La fin de l'entretien laisse penser que le réalisateur n'a plus l'énergie de continuer, mais à 77 ans Domino est annoncé pour cette année !

→ Pierre Rissient, Cinq et la peau, ed. Carlotta, DVD 20,06€, édition prestige Blu-Ray+DVD+Memorabilia 28,08€
→ Noah Baumbach et Jake Paltrow, De Palma, ed. Carlotta, DVD 20,06€, édition prestige Blu-Ray+DVD+Memorabilia 28,08€

lundi 11 juin 2018

Troisième indice


À la demande de Meidad Zaharia, nous avions enregistré avec le trompettiste Bernard Vitet et le violoncelliste Didier Petit plusieurs pièces qui devaient servir de playback au pianiste Vyacheslav Ganelin, à Gershon Wayserfirer à l'oud et Meidad aux percussions. Trio vs. Trio. Celui de Ganelin devait à son tour nous envoyer une bande sur laquelle nous serions intervenus. Je ne me souviens plus pourquoi le disque Overprinting ne s'est pas fait, probablement entre autres raisons parce que Mio Records, qui avait publié la version CD de Défense de avec le DVD de La nuit du phoque, a cessé ses activités. J'ai repris le principe du playback en ajoutant un orchestre symphonique à notre trio où je jouais déjà du synthétiseur. Ce sont en outre les seules paroles en anglais de tout l'album, mais comme chaque fois dans ce projet, la chanson marque juste un passage dans une pièce instrumentale. J'aime bien le mélange du free et du symphonique. Skies of France !
Étienne Mineur a utilisé le panneau de mon ARP 2600 pour le décor de sa double page, mais dans cette pièce j'étais déjà passé au numérique. Je ne me souviens plus qui a pris la photo, probablement Henry Colomer. C'était en 1971 lors du concours de l'Idhec à Marly-le-Roi. Nous partions en binôme, chaque candidat tiré au sort devant réaliser un reportage photographique sur l'autre pour une des épreuves obligatoires. Mon compagnon était Henry, Tony Meyer ou Jacques Leclerc. Pas moyen de me rappeler. J'ai conservé la vingtaine de portraits de ma pomme où je portais une tunique bariolée sous un caban de marin, un pattes d'eph à grosses rayures, des lunettes de soleil rectangulaires, un collier de santal et des mocassins indiens et, en plus, je jouais de la flûte en bambou. Rien d'étonnant à ce que la plupart de mes congénères ne me prennent pas au sérieux pendant les trois années d'études qui suivirent. Il aura fallu attendre le succès de La nuit du phoque, mais c'était trop tard. J'avais seulement vingt ans et j'étais déjà dans la vie active. Mais ça c'est une autre histoire.

vendredi 8 juin 2018

Storytelling


Storytelling est ma contribution au numéro 14 de La Revue du Cube dont le thème est cette fois Récit(s). L'édito de Nils Aziosmanoff a également suscité les réponses d'Anne-Sophie Novel, Étienne-Armand Amato, Franck Ancel, Isabelle Andreani, Philippe Boisnard, Emmanuel Ferrand, Nathalie Frascaria-Lacoste, Sylvie Gendreau, Étienne Krieger, Hervé Pérard, Franck Renaud, Zona Zaric, Marie-Anne Mariot, Atau Tanaka, Anne Rumin et les (presque) fictions de Norbert Czarny, Karen Guillorel, Technoprog, Janique Laudouar, Yann Leroux, Jacques Lombard, Yann Minh, Olivia Verger-Lisicki, plus les entretiens avec Dominique Bourg, Lorenzo Soccavo et Mathieu Baudin. J'aime illustrer mes articles, autant que possible de manière dialectique, or ma photo a pour une fois malencontreusement disparu de la publication de la Revue.

Storytelling

Pour comprendre le monde où je vis et qui ne s’est jamais accordé à mes rêves il m’a toujours semblé devoir changer d’angle. J’aurais pu monter sur la table comme le jeune héros du Cercle des poètes disparus, mais j’ai souvent préféré évoquer la Terre vue de la Lune. Nous regarder vivre et mourir n’est pas différent du travail de l’entomologiste. Que représentons-nous face à la taille de l’univers et de sa durée ? Sur les cimes pyrénéennes je peux rester des heures dans le noir absolu, allongé sous une couverture, à admirer la voûte étoilée en attendant les filantes qui se consument en rentrant dans l’atmosphère. C’est à ce moment seulement que les interrogations métaphysiques m’envahissent et que j’interroge la vanité des hommes à vouloir aller toujours plus vite. Plus vite vers où, vers quoi ? Vers la mort, pardi ! L’entropie est inévitable.
Pour comprendre le monde j’ai longtemps revendiqué de lire des mensuels comme Le Monde Diplomatique plutôt que les quotidiens, et, avant cela, regarder des magazines plutôt que les actualités de 20 heures. Il me semblait nécessaire de prendre le recul par rapport à l’information immédiate qui ne prend pas le temps de vérifier ses sources ou d’analyser l’origine du mal. Je rejetais l’actualité au profit de l’Histoire, pensant éviter ainsi le storytelling dont les pouvoirs se nourrissent, pouvoir de ceux qui nous gouvernent avec l’information comme auxiliaire sur le terrain. Ma naïveté fut balayée par la lecture de Crépuscule de l’Histoire de Shlomo Sand. De tous temps l’information avait été aux mains des puissants et nous n’avions appris en classe que l’histoire de la classe dirigeante au détriment de celle du peuple dont nous ignorons absolument tout. La réalité avait été bidonnée par les prêtres, par ceux qui savaient lire et écrire, et nous ne connaissions de nos aïeux que les lignées royales, les champs de bataille ou ce qu’ils avaient bien voulu nous transmettre. La manipulation de l’opinion est un sport national depuis la nuit des temps, puisque dans chaque pays elle obéit aux intérêts de la nation, à savoir de ceux qui la dirigent. Il n’y a qu’à voir comment est perçu un personnage comme Napoléon selon qu’on est français, anglais ou allemand.
Pour comprendre le monde je n’avais donc d’autre choix que d’écouter le roman national de chacun. La question syrienne, par exemple, ne peut s’appréhender qu’en écoutant les informations françaises qui sont toutes aux mains de banquiers et de marchands d’armes, mais aussi RT (Russian Today), la qatarienne Al Jazeera, l’iranienne IRIB ou Fox News, qui ne sont que les équivalents de ce que l’on nous sert ici à la messe de 20 heures. L’information est devenue une religion à laquelle il faut croire sans réserve. Émettre le moindre doute vous fait passer pour un complotiste, nouvelle forme de l’hérésie. Tant d’exemples marquent l’Histoire, à commencer par les dogmes religieux. Une vierge aurait accouché d’un enfant, etc.
Pour comprendre le monde, plus les sources sont nombreuses, plus on a de chances de se faire soi-même son opinion. Or pour être capable de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie il faut une certaine culture. Cela s’apprend, ou plutôt, cela peut s’apprendre. Le matérialisme historique est une méthode d’analyse intéressante. D’autres préféreront l’adage « à qui profite le crime ? ». Aujourd’hui le gouvernement veut légiférer sur les fake news alors qu’il en est le principal ordonnateur. Les lanceurs d’alerte sont sur la sellette. Il n’y a pas plus de fake news sur les réseaux sociaux que dans les grands organes d’information contrôlés.
Lorsque l’on est correctement connecté au World Wide Web, en choisissant bien ses sources, donc aussi en les multipliant, on apprend souvent ce qui se passe au bout du monde ou près de chez soi avant que les professionnels vous en informent. Avant que la récupération s’exerce, nous la prenons de vitesse. Si je me réfère à ce que je racontais plus haut, cette vitesse est bien relative, mais elle permet au moins d’échanger avant les filtres étatiques qu’imposent les profiteurs du système. Ceux-là ne manquent pas d’exploiter à leur tour ce que nous émettons, mais la profusion les empêche heureusement d’être véritablement efficaces. Il en découle un paradoxe, car c’est en nous unissant d’un commun accord que nous pourrons renverser ce monde inique et cynique que je ne comprends toujours pas.

jeudi 7 juin 2018

Jacques Thollot, l’art de la fugue


Entretien fleuve que Raymond Vurluz et moi avons réalisé fin 2002 avec Jacques Thollot pour le Cours du Temps du n°7 du Journal des Allumés du Jazz. Cet entretien figure également dans le magnifique double CD d'inédits Thollot In Extenso paru chez nato en 2017.

Héros du free jazz malgré lui, batteur chantant, compositeur la tête dans les étoiles, Jacques Thollot joue sur tous les temps, les marques et les démarques. Le dessinateur Siné disait de lui qu’il était le "poète des drums". Éclipses et résurgences s’enlacent, s’embrassent et s’embrouillent dans le parcours unique d’un musicien sans pareil. Il projette les mille éclats d’un chant en quête d’infini, une musique impressionniste qui cherche à voir, sentir, rêver, comprendre.

Rencontre avec Raymond Vurluz et Jean-Jacques Birgé.
Transcription de Nicolas Oppenot.

Raymond Vurluz – Comment choisis-tu de jouer de la batterie ?

Je faisais une sorte de bande dessinée sur des papiers comme des rouleaux à chiottes, mais c’était pour imprimer des comptes. Ça allait dans des machines. Je faisais des immenses histoires, des cirques interminables. Et dans les cirques, il y avait la fosse d’orchestre qui était en hauteur. Il y a toujours eu un rapport avec le rouge. Il y a beaucoup de rouge au cirque. C’était entre le cirque et les Indiens. Je dessinais beaucoup d’indiens avec des tambours et les fameux boum boum boum ! Tous ces trucs, ça fascinait. Ce qui m’a carrément illuminé, c’est les reflets à Tours où j’ai de la famille, par une lucarne de chez ma cousine couturière Alice, un 14 juillet. Les pompiers défilaient, avec les tambours au premier plan. Ça m’a achevé, si je peux dire… J’étais déjà dans un domaine où il y avait tout le temps une rythmique ou quelque chose de rythmique. J’ai suivi ce qui me plaisait le mieux et ça a abouti au premier tam-tam, avec des palmiers rouges sur fond jaune et un ou deux trucs verts, des couleurs qui vont pas du tout ensemble, et au pochoir, déjà. J’avais sept ans. C’était une époque où les gens s’invitaient encore beaucoup. À chaque fois qu’il y avait une soirée à Vaucresson, les gens dansaient et c’était l’occasion, comme la musique était un peu plus forte que d’habitude, de m’éclater à jouer derrière les disques.

Jean-Jacques Birgé – Tu passes directement du tam-tam à la batterie ?

Grâce au Père Noël, un ou deux ans après. J’ai vu une photo dans Marie-Claire où j’ai l’air assez rayonnant avec une cymbale entre les mains, près d’un sapin de Noël. Alors j’imagine que ça a dévié comme ça de la peau au métal. Mais bon, ça reste une attirance pour les peaux. Juste une cymbale, la batterie ça a été un peu plus tard. Vaucresson, petit pavillon, rue près de la gare, beaucoup de passants, beaucoup de bruits de percussions sortant de ma fenêtre toujours ouverte. Un jour, quelqu’un a sonné en proposant une batterie à vendre, parce qu’il a entendu. Un prix dérisoire, un instrument assez exécrable, mais pour moi super. Je dis exécrable, c’est même pas vrai, parce que c’était une grosse-caisse très haute avec des vraies peaux. Je n’en connaissais pas la valeur, je l’ai larguée dès que j’ai pu pour une plus sophistiquée, plus brillante.
Ma première batterie, on me l’a amenée comme qui dirait sur un plateau et maintenant que j’en parle, ça a dû influencer ou conditionner mon comportement pour ce qui est de vendre mon travail, ce qui est pour moi une sorte d’aberration. Moins maintenant, on parle de cette époque. Je trouve qu’avec le temps, la vie c’est à vie, le contrat avec quelque art que ce soit. Après Cugat, j’ai entendu les premiers enregistrements de jazz en 78T, pourtant je ne suis pas si croulant ! Vaucresson a aussi beaucoup compté. C’est une ville que j’aime beaucoup, qui se transforme, mais bon… Moi aussi, ça tombe bien ! Mais c’est pas les mêmes résultats.

JJB – Avec ta batterie, tu joues tout seul, à ce moment-là.

La première fois, c’est avec mon frère et quelques-uns uns de ses amis de son lycée de Saint-Cloud. Le trip orchestre de lycée, salle des fêtes, premier concert, Nouvelle-Orléans. Petit coup de pouce médiatique, on a créé un petit déplacement de photographes puisqu’on a joué à l’enterrement de Sidney Bechet à Garches, alors qu’on avait fait la demande et qu’ils nous l’avaient interdit. Ça s’est su alors on a remis le coup un jour après. On a fait le mur et on a été jouer sur sa tombe. Sidney, c’est Garches qui est à trois kilomètres de Vaucresson. J’étais relativement bien encadré par le hasard.

JJB – Que se passe-t-il après le groupe avec les potes de ton frère ?

Quelques répétitions, dont les premières avec un orchestre Nouvelle-Orléans. J’étais encore môme. Les premières répétitions à Paris, à bouger mon matériel. Faut connaître, faut être prévenu, avec la batterie… Je me rappellerai toute ma vie de l’erreur de dialectique chez le trompettiste qui habitait rue de la Fontaine aux Rois, pas très loin de République. Il tenait à l’époque un bazar, un marchand de couleurs qu’ils appelaient une droguerie. Alors comme on m’avait déjà fait des plans, on m’avait fait peur avec des fausses seringues, j’y voyais une fumerie d’opium – en plus c’était dans la cave les répétitions. J’y suis allé avec la peur et j’en suis sorti ravi. C’était effectivement une droguerie. Pas comme je l’entendais, quoi !

RV – Tu connaissais déjà le be-bop ?

Justement, c’est incroyable, c’est presque une chronologie de dictionnaire musical. À la fin des six mois, j’ai entendu le middle jazz. J’entends par entendre que je comprenais de quoi c’était composé. Le be-bop, je l’ai adoré très vite aussi parce que c’était moderne. Je crois que dans les premières choses be-bop que j’ai jouées, il y a un morceau de Cannonball Adderley, à trois temps, déjà (je suis très ternaire). L’orchestre avait changé de physionomie. Il y avait toujours mon frère, mais il y avait la fille des chapeaux Orcelles, Catherine Orcelles, qui jouait du piano. Jean-François Jenny-Clark, déjà, à seize ans. C’est incroyable. J’ai des photos du premier gig, un concours au Salon de l’Enfance et on a joué ce morceau quasi be-bop. C’était le pied !

RV – Y avait-il des musiciens professionnels à Vaucresson ?

Oui, Gérard Dave Pochonet, chez qui j’ai écouté les premiers 78T de jazz qui sortaient. C’était assez exceptionnel : Sarah Vaughan, avec des instrumentistes super. Vaucresson est dans une sorte de creux et il y a un plateau qui a toute sa dose de mystère. Je me rappelle qu’il voyait des Américains dans les arbres. Ça me donnait aussi un autre aperçu du jazz. Vraiment, il les voyait en train de plier leurs parachutes, avec moultes détails.

RV – Te souviens-tu de ton premier engagement professionnel ?

Oh ! Je n’avais jamais pensé à ça. Je me suis retrouvé dans une grande école vers la montagne Ste Geneviève, Polytechnique. C’était le premier contact avec beaucoup de gens, vraiment super… Le vrai gig, dans le sens plein (parce qu’un endroit approprié au jazz), c’est au Club St Germain.

RV – – Il y a une interview de toi à la télévision. Tu es petit. Tu cites même Max Roach. Ça se passe au Club St Germain. On voit à tes côtés Mac Kack, Bernard Vitet. Il y a aussi Bud Powell avec Kenny Clarke…

J’ai d’excellents souvenirs musicaux, mais moins de rapports humains. J’étais tellement content de jouer là que je m’en foutais. Mac Kack me traitait un peu bizarrement. Ça faisait rire qui voulait bien avoir ses grâces. Vu qu’il vivait avec la patronne du club, chaque fois qu’il me présentait il se foutait de ma gueule pour peut-être combler certains manques dans sa spécialité, une image gai luron de mec, " Qui n’a pas une histoire avec Mac Kack ? ", soit qu’il pisse sur un flic en discutant avec lui, toutes sortes de trucs comme ça… C’était pas vraiment méchant, c’était rien, mais bon, ça me faisait un peu de peine, quand même. Il y avait tellement d’autres satisfactions… Bernard Vitet, est un des premiers musiciens avec qui j’ai joué professionnellement. On apprend des choses fondamentales avec des musiciens comme ça. Une des premières remarques judicieuses sur mon jeu, c’est lui qui l’a faite. On jouait à l’époque Night in Tunisia tous les dimanches. Il y a un break en syncope et moi je le faisais sur le temps : Kalin KIN dingueDIN dingueDIN DIN ! ! En fait ça faisait TA PON. Babar m’a fait remarquer ça et c’était une vraie découverte, parce que j’étais mal à l’aise dans ce passage mais je ne savais pas pourquoi. Je n’anticipais pas le break. C’était super de me le dire parce que je ne pense pas avoir refait la même connerie. Je les ai entendues maintes et maintes fois, par contre !

JJB – Comment s’est faite la rencontre avec Kenny Clarke ?

Il s’est proposé… J’allais seul jouer dans les bœufs avec mon père qui m’emmenait, c’était avant mon premier gig, presque. Kenny passait souvent au Club St Germain. Un jour que j’y jouais, il est allé voir mon père. Par chance, parce que j’étais un timide redoutable. Kenny lui a dit que ce serait bien que j’aie quelques notions de base, parce que je n’en avais pas. C’était tout en autodidacte derrière les disques. Très bien d’ailleurs de jouer derrière les disques ! La moindre faute de tempo, ça casse la baraque ! Les pierres se décèlent, les termites voraces apparaissent et les éléments attendent qu’on leur ouvre la porte. Rendez-vous a été pris pour que je vienne prendre des cours avec Kenny au Blue Note, rue d’Artois. C’était l’endroit de Paris où il n’y avait que des Américains, des gens assez extraordinaires. Parmi eux j’ai rencontré Bud Powell, il m’a énormément impressionné.

JJB – Que t’a appris Kenny Clarke ?

Tout ce que je ne savais pas et il a confirmé certaines choses que je vivais. Le lycée s’est terminé de façon lamentable. J’y allais les mains dans les poches. Je n’avais même pas un crayon, pas de cahier, rien. Une des choses que m’a dite Kenny, c’est de vivre la musique. Je me rappelle qu’il m’a surtout appris à jouer de la caisse claire. Il y a des choses plus tard que j’ai regretté de ne pas lui avoir demandées. Je ne sais pas s’il a des fils, mais je sentais quelque chose d’un peu extra dans ses motivations de me filer des cours. Au bout de six mois, Kenny m’a pris comme remplaçant au sein du Blue Note. Il travaillait beaucoup, avec Francis Boland, des choses plus ou moins intéressantes, en Europe, aux US… Alors il travaillait à l’extérieur et moi je jouais. C’était en parallèle aux cours qu’il me donnait. Je pouvais les mettre sur le tapis le soir même. C’était vraiment dingue !

RV – C’était perturbant la fréquentation des clubs, pour un enfant ?

J’ai vite eu un abord des choses du sexe très direct. Je me suis retrouvé à Juan-les-Pins à accompagner des strip-teases. C’étaient quand même des petits gigs en passant. Je me rappelle que je devais jouer des mailloches pendant des scènes de matelas, qui me dépassaient un peu. Je voyais des bonnes femmes se gouinasser, des trucs avec les cris, les machins. Ça restait très mystérieux, mais je trouvais que les mailloches allaient bien avec la lumière rouge, l'ambiance feutrée. Un soir, tout l’orchestre de Count Basie est venu faire le bœuf. Ça a annihilé les effets un peu bizarres de mon approche des choses de l’amour. À Paris, j’allais me balader pendant une pause sur les Champs Elysées et quelques fois je me faisais ramener par des flics au Blue Note qui venaient demander si c’est vrai que j’étais musicien ! Comme j’étais plutôt mignon petit garçon, ils s’inquiétaient parce que je me faisais souvent accoster par des gens qui me demandaient " c’est combien ? ". Et moi je ne sentais pas ça. J’ai commencé à apprendre quelques injures à cette époque, pour être tranquille.

JJB – Tu as été confronté à l’alcool, à la drogue, du fait de vivre dans ce monde d’adultes…

Je suis tout de suite tombé dans des chiottes aux portes ouvertes où les gens se shootaient gaiement, voir plus d’ailleurs, des scènes incroyables. La boisson pour moi, c’était une sorte de tragédie vécue en la personne de Bud Powell… Il ne parlait presque pas, je ne parlais pas anglais, mais je comprenais et je pouvais baragouiner… Je le voyais tout le temps supplier, pleurer auprès du patron, Ben, pour avoir une mousse, un truc, un machin, et moi je ne me rendais pas vraiment compte des ravages de ces substances, sinon que Bud quelques fois s’endormait au piano. Il était comme ça, on ne savait pas si c’était une extase intérieure ou un mal-être ou les deux… Je voyais ce musicien extraordinaire, avec un sourire de contentement parce que j’avais fait un truc peut-être joli ou quoi. De Bud, c’est magique ! Je ne comprenais pas bien ce que venait foutre le patron qui lui interdisait de boire. Il allait boire ailleurs… Il y avait aussi un hôtel un peu mythique. C’était pas le Chelsea Hôtel, mais c’était en face du Caméléon, rue St André des Arts et tous les musiciens étaient logés là, tous ceux qui venaient à Paris par Marcel Romano. J’y ai croisé des gens comme Thelonious Monk, plein de gens incroyables et j’ai vu aussi des drames. Il y avait un bassiste américain, Oscar Petitford. Moi je venais le matin aux nouvelles parce que Romano qui faisait venir des Américains s’était intéressé aussi à une éventuelle façon de faire du pognon avec moi, avec l’âge et la musique que je faisais. J’ai vu presque mourir des gens en rapport direct avec la boisson. Ce bassiste, ça me frappait parce qu’à l’heure où tout le monde prend son petit-déjeuner, il avait un bol mais c’était du cognac, à raz bord. Il lui fallait ça pour simplement sortir du lit, sans doute. Ça ne m’a pas profondément choqué puisque j’ai été confronté à des passages difficiles aussi. Et du coup, la fumée… Les gens fumaient dans les portes cochères, en se planquant, avec presque une paranoïa cultivée. Contrairement à ce que je croyais, ils ne devenaient ni meilleurs ni marrants. C’était de la merde. Je me suis aperçu après que ce n’est pas évident de trouver des bonnes choses ! C’était plutôt tristesse, planque, paranoïa, alors qu’après, j’ai eu l’occasion de fumer ces substances tout à fait naturelles pour le moins. Quand je suis allé en Afrique, j’ai découvert le bangui à Bangui. On demandait aux garçons d’ascenseur un petit pétard et ils revenaient dans la seconde avec un sac en plastique rempli d’herbe, une des choses pour moi les meilleures au monde. Contrairement à l’idée que j’avais eue sur la fumée parisienne et paranoïaque, là j’ai découvert une explosion de rires, de bien-être… Il faut dire que c’était dans le contexte, au soleil… Le premier joint ça a été waou… J’en ai loupé un avion parce que j’étais écroulé de rire devant des fourmis sur la table de l’aéroport ! Les fous rires c’est rien, ça me coinçait partout. Les fourmis, je ne sais pas ce qu’elles faisaient mais c’était tout un scénario abracadabrant et bon, il est vrai que c’est un des seuls produits qu’il m’arrive de consommer si je veux bien mettre l’alcool du côté des accidents.

RV – Cette époque est aussi marquée par l’ambiance générale de la guerre d’Algérie ?

La guerre d’Algérie, il y avait plein de personnes qui étaient contre. C’était normal. J’ai vu mon frère y partir, quelques amis qui ne sont pas revenus, mais la véritable approche politique, la prise de position, ça a été un peu plus tard, juste avant l’indépendance où là je devenais presque actif dans mes convictions d’indépendance. Par le jazz, j’ai été amené à rencontrer Siné, qui à l’époque était menacé physiquement, et je me rappelle de choses assez folles. J’allais manifester, avec mes peu de moyens… Il était question que Salan débarque en avion avec les parachutes. Des soirs avec une tension pas possible, on ne savait pas si c’était du lard ou du cochon, tout le monde était mobilisé. Je jouais au Chat Qui Pêche, et là-bas il y avait une bouche d’aération, juste au-dessus de la batterie, qui donnait sur le trottoir. J’ai eu les jetons de voir une bombe valdinguer par ce truc-là. Il y en a qui bougent, que ça touche de près ou de loin et il y en a qui restent indifférents, qui s’occupent de leur propre devenir, comme s’ils étaient seuls au monde, au fond. Je n’ai eu que très rarement de discussions politiques ou d’opinion avec des musiciens français, hormis François Tusques. Les premières choses que j’ai faites avec lui, c’est à Nantes. Là-bas je voyais des choses que je ne voyais pas à Paris, des réunions après des concerts où il était question justement des problèmes soulevés par les confettis de l’empire, comme disait je ne sais plus qui. Je trouve intéressantes ces discussions dans un milieu qui a priori n’a pas grand-chose à voir, sinon que c’est un moyen d’expression qui peut être communicatif, c’est une responsabilité, même pas… Une conscience.

RV – Te souviens-tu du premier contact avec le free jazz ?

Ça n’a pas été un coup de massue. Comme on avance dans la vie et qu’on suit ses instincts et son début d’éthique, ce sont des personnes qui pensent un peu les mêmes choses qui se rencontrent. Les rencontres, elles se font aussi comme ça, pas seulement parce qu’on entend quelqu’un qui joue bien… Parmi les quelques disques auxquels j’ai participé, je tiens assez à celui qu’on a fait à Rome avec Steve Lacy, “Moon”. Steve croit qu’il n’y a que dans cette séance que je joue comme ça, je sais qu’il aimait bien. Faut dire que Rome c’est inspirant. Après ça j’ai fait des expériences, des chansonnettes, il m’a dit " quand tu finiras de faire de la merde ", d’une façon pas indélicate. Je tentais quelque chose, c’était pas du tout évident et son jugement ne m’a pas été du tout inutile. On ne fait pas de la chansonnette comme ça… Faut être né sans le reste pour en faire… Disons que ce qu’on appelle le free jazz, pour moi c’est un peu comme en peinture, une reconnaissance d’un bagage énorme de choses de qualité, dans un style donné. Des choses tellement énormes à réunir pour qu’un individu maintenant fasse, dans ce style, quelque chose d’extrêmement intéressant. Dans mon abord du free jazz, il n’y a pas seulement les Eldridge Cleaver, les Black Panthers… Ben il y a tout ce qu’il y a, de Charlie Parker aux plus récents, des choses tellement magnifiques que je me vois mal repasser dans leurs sillons et amener quelque chose d’encore mieux que ce qui a été fait, dans cette esthétique-là. À l’époque, c’était effectivement free, un truc de liberté, repousser les barrières qui d’habitude sont plutôt salutaires pour les expressions. Je ne ressens pas le free jazz comme un mouvement définitif. Je trouve qu’il est très bien, sa durée, tout ça…

RV – Le passage avec Eric Dolphy, c’est un moment important pour toi …

Je me rappelle surtout de Donald Byrd parce qu’il m’a appris une chose essentielle à la batterie. Je trouve ça super d’ailleurs, parce qu’il me voyait vraiment souffrir à jouer des tempos extrêmement rapides. Parce que le " chabada " je le jouais en entier… Tin ti gui ding ti gui ding ti gui ding… Ce qui est pratiquement impossible à faire si c’est sur un tempo des plus rapides. En plein concert il voit que j’ai vraiment du mal à tenir, alors il prend une baguette et tchac, il fait comme ça, comme un petit secret : " regarde ! ". Il laisse rebondir la baguette sur la cymbale… De cette seconde-là, je joue exactement pareil les tempos hyper rapides, c’est-à-dire que je ne marque pas le dernier, je marque sur la main gauche… Je donne bien le coup pour en faire trois ! C’est un détail qu’on aurait pu m’apprendre dans des milieux plus avisés que la trompette, mais enfin… C’est fou les progrès que j’ai faits juste en laissant rebondir la baguette ! Donald Byrd, un type adorable. Au début, en rigolant, il me disait " mais ça va venir " parce que je voulais garder le tempo et il me montrait son petit doigt et je comprenais pas trop. J’ai vite compris qu’il voulait parler de " il faut en avoir pour garder le tempo ". Du jour au lendemain, avec les défilés qu’il y avait, il a vu qu’il n’y avait aucun problème, j’avais un tempo correct.

JJB – Dolphy ne t’aurait-il pas influencé sur ta manière d’écrire ?

Dolphy a été un des rares, à part des gens plus techniques de l’époque, à jouer des écarts qu’on trouvait surtout dans la musique de douze sons… Dès que je l’ai entendu jouer, j’ai été frappé par cette voie très personnelle, ces intervalles de quarte augmentée, de septième, sans arrêt, des trucs… Et cependant des phrases extrêmement belles et tout à fait dans les accords. Il confirmait cette idée que j’ai aussi de la mélodie qui peut très bien sortir des écarts ou des choses qu’on disait faux. Comme quand, môme, j’ai fait un bref passage aux Beaux-Arts, on interdisait de mettre du bleu et du vert à côté, ou du rouge et du jaune à côté. C’est les plus beaux trucs de la peinture.

RV – Comment as-tu rencontré Don Cherry ?

Parmi les lions. Pas les mi-lions mais les lions bien entiers. Je crois me rappeler que c’est une histoire de cravate aussi. C’est une époque où j’achetais mes cravates aux Puces, avec d’autres trucs marrants qu’on trouvait là-bas et qu’on trouvait pas ailleurs. Toute sa vie il m’a parlé de la première fois où il m’a vu avec une cravate qu’il trouvait insensée. Ça me semble absolument naturel parce que j’ai vu après qu’on avait beaucoup de similitude dans ce qu’on aimait, pictural ou esthétique. C’est fou ça. Il manque encore plus qu’il n’a apporté. C’est vraiment un cas… Don ça me fait vraiment autre chose, même une photo…

RV – Est-ce qu’à Heidelberg, avec tous ces gens, tu avais l’idée de démarrer quelque chose qui te serait plus personnel, un orchestre par exemple ?

Je faisais des rêves d’orchestration, hors batterie. C’est encore Don qui m’a conseillé de faire ma musique. C’est lui qui m’a dirigé.

JJB – Quand tu joues, pas très longtemps après, Our Meanings and our Feelings, dans quel cas de figure es-tu ?

Comme un passager. J’ai gardé mes bagages. C’était le plaisir de faire quelque chose avec Portal.

RV – Tu fais un disque aussi avec Sonny Sharrock, en trio, un disque free…

Pour ma part, sans inspiration véritable. Pour Sonny Sharrock, je suis revenu de Munich en avion, juste pour une séance l’après-midi, et il se trouve qu’à Münich, il y avait une spécialité, à l’époque, qui s’appelait le LSD. J’ai fait ce disque, paraît-il, dans ces conditions. Je l’avais rencontré avec Herbie Mann. Moi j’étais avec Joachim et Eje Thelin. C’était puissant. Il se trouve que c’est un des soirs dont je me rappelle encore, un des soirs magiques où on joue le mieux qu’on n’a jamais joué et se demande si on rejouera jamais aussi bien un jour.

RV – Il y avait aussi des choses très expérimentales, par exemple ce duo avec Eddy Gaumont qui s’appelait…

… Intra Musique. Enfin, oui c’était pas le duo qui s’appelait comme ça, c’était carrément un mouvement. On voulait devancer les critiques pour donner un nom au mouvement. Il n’y a eu qu’un seul concert d’intra Musique, à la Faculté de Droit. C’était dans la continuité de l’idée que j’avais de la composition, de la forme, un certain classicisme. Eddy Gaumont aurait sûrement été le musicien du siècle. L’ambiance de l’époque et la façon de mener sa propre vie ont fait qu’il s’est supprimé. La pureté enfantine et la conscience d’un adulte. Ça n’a pas du tout marché. Le peu de tentatives qu’il a expérimentées, ça a été très mal reçu et il faut dire que lui-même était devenu très vite agressif. Pour pas en recevoir plein la gueule, il dégainait avant. C’est le cas de le dire, parce que pour une mauvaise parole, un jour en Belgique, il a sorti son rasoir qu’il avait tout le temps sur lui et il a balafré un musicien belge qui avait de belge une manie encore assez récente d’avoir des colonies…

RV – Peu de temps après, tu enregistres Quand le son devient aigu, jeter la girafe à la mer.

C’était le début et même la continuité du début, parce que dans La Girafe, il y a des motifs qui dataient de dix ans avant, que j’avais trouvés sur des bandes à moitié cramées. C’était hors temps, cette musique-là que je faisais parallèlement à toutes les expériences… Parce qu’il m’est arrivé de jouer free pour le cacheton, ce qui semble assez extraordinaire ! D’autres faisaient des séances d’enregistrement avec des chanteurs yéyé et moi j’avais le free jazz.

RV –Sur cette décennie-là, il y a quatre disques qui sortent, quand même : La Girafe, Watch Devil Go, Résurgence et Cinq Hops.

François Jeanneau vole dans ce disque. C’est fou. La chanteuse Elise Ross disait : " je donnerais toute ma vie pour pouvoir faire ce que vient de faire François ! ". Après La Girafe, c’est un creux de vague, Watch Devil Go. Il est question du diable, quelques rechutes assez longues dans le temps, des rechutes psychologiques, suivies de tas de choses contraires à la réalisation de la musique. Pour y arriver, je n’ai pas fait de surf. Parce que ça allait plutôt vers le grand large, que vers la côte ensoleillée ! Watch Devil Go, peut-être le coup de pied au fond de la piscine pour remonter à temps et pouvoir respirer.

RV –Il y a ce concert assez extravagant à Nîmes où Weather Report supprime sa première partie, tu te retrouves le lendemain en première partie de Stan Getz. Stan Getz ne vient pas et tu deviens LE gros succès du festival de Nîmes 1979.

Le son était très bon et c’est peut-être une des seules fois où j’ai pu entendre complètement ce qui se passait sur scène et en quelque sorte le maîtriser aussi.

RV – As-tu pensé que ce que tu cherchais à faire était difficile à atteindre avec les musiciens choisis ?

C’est comme les systèmes solaires, je suis sûr qu’il y en a d’autres, d’autres bons musiciens que nos chers défunts. Je crois qu’au point de vue feeling, ça intéressait justement les pianistes… Une technique d’écriture pas très conventionnelle, des doigtés qui sont adaptés au rythme.

JJB – Tu as vraiment eu l’impression d’avoir arrêté de jouer dans les années 80…

Je ne pouvais pas supporter de ne travailler que pour les oiseaux, bien qu’on s’entende très bien...

JJB – Il y a eu le disque de Berrocal.

C’était super. J’aimais bien ne pas être leader, ne pas avoir cette responsabilité. Parfois même, certaines personnes me disaient (et ça ne me faisait pas très plaisir) que je jouais mieux avec d’autres groupes qu’avec le mien, ce qui doit arriver immanquablement. Et puis il y a eu Winter’s Tale que j’ai ressenti comme un coup de main… Ça n’était pas évident. J’aime bien ce disque pour diverses raisons, dont la reprise de contact.

JJB – Qui en fait amène à Tenga Niña.

Il me redonne envie de jouer, je recrois un peu en ce que je fais et pourquoi je le fais. Ça a marqué, parce que s’il n’y avait pas Tenga Niña, je ne serais pas là maintenant, je n’aurais pas cherché, quoi.
Je ne sais plus ce qu’on raconte là… C’est comme du présent… On va bientôt se croiser, justement : " Hello ! Comment tu vas toi ? ". Je crois qu’à un moment de sa vie, on se croise.

PORTRAITS-SOUVENIRS

René Thomas
Je lui en ai tellement fait voir… J'ai par exemple brûlé une armoire d'hôtel dans sa baignoire, juste avant qu'il ne rentre dans sa chambre. Il a toujours eu besoin de certaines choses, René ; la même journée j'avais demandé à deux mecs sur le port de Palerme de faire comme si c'était des flics et d'aller se saisir de l'individu à grosses lunettes qui sortait de l'hôtel. Et les mecs y sont allés, en faisant semblant d'être de la police alors René a commencé à se rouler par terre… Je le croyais assez sérieux, les premiers jours où je l'ai connu chez Popol à Bruxelles. Il avait un air, comme ça, un peu extraordinaire, d'un autre monde. Je jouais avec René, avec beaucoup de plaisir. Au bar de chez Popol, d'un seul coup, il s'écroule par terre, comme si on avait débranché l'électricité, vraiment, une chute formidable. En fait, il y avait une fille qui était assise en amazone sur un siège de bar et de là où il était tombé, il voyait absolument tous les dessous de la fille… En fait, il a fait exprès de tomber pour mater la fille, comme ça. Des milliers de choses avec René Thomas… L'ambiance à 6 heures du soir dans une semi-brume belge où il jouait "Theme for Freddy ", comme ça, sans que l'on ait répété. J'avais les larmes aux yeux.

Karl Berger
C'est énorme. On a partagé le plaisir de faire des tournées avec Don Cherry et c'est un des orchestres où je me suis le plus éclaté de ma vie. C'est aussi, pour moi, une vie, Karl : Heidelberg, qui reste à ce jour la ville où j'ai vécu de façon la plus en symbiose avec tout ce que je pouvais espérer de la vie. Et Dieu sait si j'en attendais ! C'est fou ! De Heidelberg, je prenais des avions, juste pour ramener des petites Allemandes à Vaucresson, pour les voir d'un peu plus près pendant trois quatre jours ! Incroyable ! Et pour Karl, c'était la terreur, ça criait toutes les nuits dans sa maison, les gémissements… Oh j'ai refait le coup à Rome avec Steve Lacy. À la fin, je me suis fait virer de chez eux.

Aldo Romano
Des coups justes, un feeling très développé. Je crois que je n'ai jamais entendu Aldo ne pas bien jouer. Je n'étais peut-être pas là où il fallait ?!

Jean-François Jenny-Clark
Oh, La Corse ! Le souvenir de ces premières autres formes de gig qui consistait à jouer pour gagner un peu de pognon et passer des vacances. On jouait des saisons en Corse, dans des clubs genre Méditerranée. Ce sont des moments presque aussi sublimes que les autres. On était très proches avec JF, on se faisait trois kilomètres de plage pour aller bouffer une glace à Calvi. Et puis des séances photo, lui me poussant dans une poussette de bébé, sur une fenêtre d'une maison délabrée à Calvi. Tout ça, ce sont des noms qui en premier me font réagir avec bonheur. Tellement à dire…

Joachim Kühn
Le meilleur n'a pas été fixé sur disque et je le regrette parce qu'il y a eu des moments de live qui auraient mérité d'être fixés mille fois plus que certains disques qui justement étaient un peu prisonniers du free jazz, ce qui peut sembler paradoxal. Joachim avait envie de jouer des choses formelles. Ça sortait dès qu'il le pouvait… Une marche ou quelque chose pris avec dérision, une dérision pudique pour ne pas trahir le free jazz. On se retrouvait à simuler des choses formelles d'une façon un peu dérisoire.

Pharoah Sanders
Une frustration. N'avoir joué qu'une répétition, à Berlin, et un concert avec lui. Tellement saisi d'entendre ce que j'aimais écouter sur disque, des choses directes, différentes. Moi je pensais qu'il ferait le disque (Eternal Rhythm) aussi, donc je n'étais pas si triste et puis après, ça m'a fait vraiment chier qu'il n'y soit pas. Sentiment d'une belle intelligence.

Barney Wilen
Ça m'évoque tellement de choses, Barney. Je crois que c'est le musicien avec qui j'ai joué le plus longtemps et nos voies se rejoignaient, peut-être même sur des malentendus, ce qui peut soutenir quelque chose, parfois. C'était pas le cas pour tout, mais disons peut-être dans une différence de façon de vivre. Je vais merder, c'est trop… Un de ces soirs, après les sets, j'ai vu Barney prendre la forme de l'escalier qui descendait au Requin Chagrin, comme un Tex Avery, avec le cou, les marches… Il était tellement raide qu'on l'a porté jusqu'au premier étage, sur le lit, avec toujours la forme de l'escalier. Et voilà : "Barney, bonne nuit, à demain."

Bernard Vitet
Mes débuts dans le jazz, le Club St Germain, les professionnels. Sa femme était jalouse parce qu'il y avait des cheveux blonds dans son peigne. Il me logeait très souvent chez lui, quand je ne pouvais pas rentrer en banlieue par le train et ça faisait des histoires pas possibles, parce que j'avais des cheveux blonds et un peu longs. Ça n'était pas les cheveux d'une belle scandinave, ça n'était que moi ! Une certaine sécurité, aussi, c'est un des premiers un peu complice dans le monde du jazz adulte. Il me parlait plus que les autres et m'a même donné quelques conseils. Il me rappelle mes débuts. Je ne sais pas si c'est gentil ou pas gentil, mais comme je n'ai pas de notion du temps… Elle se fabrique, la mémoire. Elle s'auto-gère.

François Tusques
Son côté déjà un peu politisé ! C'est un peu aussi un des éléments de l'image que je me fais des premières rencontres avec François, d'entendre des musiciens parler politique, carrément. Qui plus est, avec des opinions particulières, qui correspondaient un peu aux miennes qui n'étaient pas néanmoins écrites en lettres de feu. Ce n'est pas sous le nom d'une idée qu'une musique va se faire, mais elle en tient forcément compte, elle en fait forcément partie.

Beb Guérin
Beb, c'est déjà cette assise musicale. C'est le bassiste avec qui j'ai pu oublier la notion du tempo, parce que très physiologique. Je pense aussi à l'amitié. J'ai des petites lumières… Par exemple, un jour je suis convoqué au Palais de Justice de Paris, j'avais un peu… Chambre 11, enfin correctionnelle, mais pour des faits tout à fait honorables, et Beb s'est tout de suite proposé de m'accompagner là à 8h du matin, tu vois, enfin des choses pour nous presque indécentes. Tout ça avec le naturel, le senti, sans que je lui demande rien. Un sens de l'amitié, comme s'il y avait un don pour certaines choses.

Bernard Lubat
Je ne me rappelle plus quand je l'ai vu la première fois, comme si je le connaissais un peu d'avant, en fait. J'étais assez admiratif envers Lubat, parce j'étais presque complètement autodidacte et je trouvais ça incroyable de pouvoir lire les partitions de batterie. Je savais que Bernard faisait des séances, il pouvait faire ça et il le faisait… Il gagnait du pognon d'une façon plutôt agréable, parce que c'est quand même l'instrument… Enfin, je sais pas, c'est pas si pénible que ça, quoi. Et je pense à Orgeval. C'est un endroit où j'ai vu Lubat hors contexte. C'est tout bonus. Je dirais même parfois que le contexte pourrait cacher des choses, qu'il ne révèle pas forcément tout, disons… Je ne le connais pas si bien comme batteur, Bernard, c'est fou ! Évidemment parce que… j'ai le souvenir qu'on a joué une fois en trio et ça s'est produit qu'une seule fois dans notre vie, où il jouait du piano avec Beb à la contrebasse. On a souvent joué dans les mêmes endroits, sans forcément s'entendre. Parfois on vient juste pour le jour où on joue… Je ne l'ai pas assez entendu, Lubat, je regrette.

Jacques Pelzer
Il a plus ou moins participé au fait que j'aille en Afrique. Je l'en remercie.

Jean-Luc Ponty
Je me rappelle d'un concert, à la Locomotive. Il se voulait assez Coltranien et moi ça avait suffi à me brancher sur une façon de jouer… J'aimais tellement Elvin Jones. Je me rappelle aussi d'une valse de Jef Gilson à une époque où il y avait Jean-Luc, qui s'appelait " Java for Raspail ". Un morceau que je trouve très bien. Écrit par Gilson et qui allait fort bien à Jean-Luc.

Michel Potage
Au début où je l'ai connu, il faisait partie de la grande déconnade. C'était un peu faire la foire… Pas qu'un peu, même. Après j'ai eu l'occasion de voir ce qu'il faisait, à part la foire. J'ai ressenti une écriture originale… C'est pas une question de droit d'exister, non c'est pas la permission : "est-ce que je peux exister ? Ô beautés universelles !". L'alcool le rend con, comme tous… Je suis le premier à être bien placé pour le savoir… J'aime bien ce que fait Potage.

Gato Barbieri
J'ai bien connu sa femme, adorable, mais j'ai peu eu l'occasion de parler avec lui… À chaque fois qu'on a joué c'était une super impression, un son original. Je regrette… Non, je ne regrette rien, mais j'aurais bien aimé le connaître un peu plus.

Joseph Dejean
J'espère qu'on se rappelle de lui à la hauteur de ce qu'il a pu donner avant de disparaître. Le souvenir d'un sentiment de conviction d'une direction existante, de quelque chose de vrai. C'était épatant. C'est carrément une autre approche de la guitare et pas des moindres.

Kent Carter
Un sens de la musique extraordinaire. Il faisait partie du New York Total Music Company de Don Cherry. On a fait beaucoup de pays ensemble… C'est complètement fou tout ce qu'il y a comme musique et esthétique dans sa tête. Je ne sais pas si la contrebasse est assez large pour exprimer tout ça. Il faisait des batteries avec tout ce qui lui tombait sous la main. Il y avait peut-être deux cents objets. Pendant des jours, il était là, il jouait… Je n'ai jamais vu ça de ma vie. Je crois qu'à n'importe quel moment de la journée, on pouvait rentrer, disparaître, revenir, et la qualité était toujours là, comme un acquis, comme respirer. C'est extraordinaire.

Peter Brötzmann
J'ai joué avec lui et j'ai fait ce que j'ai pu au début pour qu'il puisse venir en France. Personne n'en voulait. Je ne sais pas si ça veut dire quelque chose : intègre… Mais pendant les années où je l'ai entendu, il ne changeait pas de direction, donc il progressait… Quoique on peut progresser sur plusieurs parallèles, mais enfin, une seule direction, ça risque de concentrer le rapport à exprimer… Et lycée de Versailles !

Tony Hymas
On a eu des moments de communion, des moments extrêmes… Quelqu'un d'une grande richesse musicale… On a peut-être d'autres choses à partager que des premières fois.

Sam Rivers
Tout un feeling, une façon d'être, de bouger, d'être proche des fondations, des origines de la musique qu'on pratique. Là, on parle du niveau d'une créativité en rapport avec le jazz. J'aime la compagnie de personnes de couleur et de chaleur… Je n'aime pas trop le jazz trop blanc, par exemple, puisqu'on est amené à parler des contrastes, qui existent surtout sur le papier photo, d'ailleurs !

Marie Thollot
Ma Papuce
Ma Vouvoute
Mon Yéyan
Et mon Tilala

Discographie sélective

Indispensable : Quand le son devient aigu, jeter la girafe à la mer, Futura Ger 4
Non réédité en CD mais vaut mieux que le détour et la fouille insistante chez les marchands de 33tours : Watch Devil Go, Palm 17 Résurgence Musica 3021
Rééditions CD incontournables : Don Cherry Eternal rhythm, MPS 15204ST, POCJ-2520
Cinq Hops, Orkhêstra
Scandaleusement non réédité : Barney Wilen Zodiac, Vogue Clvlx

Disponible aux ADJ :
Jacques Thollot Tenga Niña, nato - 777 701
Jac Berrocal La nuit est au courant, in situ - IS040
et paru depuis, en 2017 (Jacques Thollot est décédé le 2 octobre 2014), Thollot In Extenso, double CD nato 5484

mercredi 6 juin 2018

Second indice


Étienne Mineur peaufine le livret de 52 pages de mon prochain album. J'avais forcément Hendrix en tête lorsque j'ai formé le power trio avec Hervé Legeay à la guitare, Vincent Segal à la basse et Cyril Atef à la batterie.
Hervé, qui était déjà sur Carton et accompagnait Elsa lors de notre ¡Vivan Las Utopias! dans le Durruti de nato, n'avait jamais joué avec le duo Bumcello. De mon côté j'avais seulement partagé la scène dansante du Triton avec eux deux pendant plus de trois heures du concert décapant d'Entrechats. Je leur ai envoyé à tous mon enregistrement électro-acoustique de 1965 pour qu'ils s'en inspirent. Vincent et Hervé avaient chacun de son côté une proposition épatante, alors on a fait se succéder les deux en improvisant ce que l'époque nous évoquait. Je n'ai chanté que sur la première. Après quelques sueurs froides, nos rocks sonnent vraiment "garage". Entre fleurs et pavés je danse d'un pied sur l'autre. Cinquante ans plus tard je fête mes quinze ans passés alors dans les rues de Paris à découvrir le sable et sur les autoroutes américaines lors du voyage initiatique que j'ai conté en textes, images et sons dans mon roman augmenté USA 1968 deux enfants. Au mixage j'ai recalé la bande de 65 sur nos élucubrations électriques...

mardi 5 juin 2018

La collection Métal de mon père


Dans mon article sur Le Météore du 21 décembre 2012 j'écrivais : "Publié par Stellarque, le nouveau numéro du fanzine de science-fiction [n°13] aborde la collection mythique Série 2000 des Éditions Métal qu'avait cofondées mon père, avec le coauteur du Matin des magiciens, l'écrivain Jacques Bergier. Quinze ans avant la célèbre collection argentée Ailleurs et Demain (Ed. Robert Laffont) [inspirée] par Paco Rabanne, mon père et Jacques Bergier avaient ensemble imaginé des livres métallisés, cuivre, or ou argent. Cela n'en rapporta probablement pas tant, vu que mon père changea ensuite une fois de plus de métier ! [Dans le Météore], Didier Reboussin met l'accent sur les écrivains phares de la collection, Charles et Nathalie Henneberg (la véritable plume du couple alors qu'il signait seul !), Ferdinand Lecoublet dit Jean Lec [peintre et graphiste], Robert Collard dit Lortac [pionnier du dessin animé en France], Pierre Versins [historien érudit et collectionneur], Albert et Jean Crémieux, Jean Rousselot dit Christian Russel, [le journaliste] Claude Yelnick [un des scénaristes de « Mickey à travers les siècles » !], Adrien Sobra [alias Marc Agapit], etc., dont il décrit les étonnants pédigrées."
Dans le n°14 de Nous les Martiens d'avril 1989, Jean-Luc Buard écrit qu'il y a aussi Yves Dermèze (Paul Béra au Fleuve Noir), Michel Lecler (alias Lebrun ou Cade, « pape du polar »), Francis Didelot, Keller-Brainin, Maurice Vernon (alias Gilles-Maurice Poulain alias Friedrich Soffker)... "De 1954 à 1956, c'est l'aventure des Éditions Métal, où Jean Birgé, comme directeur littéraire, donne une place prépondérante aux auteurs de Science-Fiction français. Il s'investit considérablement dans cette entreprise, avec son épouse, qui l'a toujours secondé dans tout ce qu'il faisait, mais malgré le lancement du Prix Rosny en 1954 (couronnant La naissance des dieux de Charles Henneberg) et un certain succès de la collection, il se retire de l'entreprise pour cause de différend avec l'éditeur, qui publie encore quelques volumes, non S-F."
C'étaient mon oncle Gilbert et ma tante Arlette Martin qui avaient dessiné toutes les couvertures sous le pseudonyme de GAM. Je suis donc ravi que cette collection fondée par mon père soit dorénavant entre les mains d'Étienne Mineur qui à l'heure actuelle termine le livret de 52 pages de mon prochain disque...

lundi 4 juin 2018

Sans chaînes...


Sur FaceBook, Tiger Hubert Gong m'envoie très gentiment ce message : "I've been nominated to do this by Laurent Perrier - Day 6 of 10 days. 10 all time favourite albums. What really made an impact and is still on your rotation list, even if only now and then. Post the cover, no need to explain, and nominate a person each day to do the same. I nominate Jean-Jacques Birgé". Je suis embarrassé, car je ne cède jamais à la pression des chaînes alors que le jeu est plutôt sympathique et que j'aurais très bien pu faire la liste des 10 disques qui m'ont marqué et que je continue à écouter, mais dans d'autres circonstances.
D'abord, passant déjà trois heures par jour à rédiger mes articles de blog, toute sollicitation supplémentaire empiète douloureusement sur mon travail. Or je dois répondre ces jours-ci à un appel d'offre pour une exposition passionnante, et ce en tant que concepteur et compositeur. Il y a aussi les finitions graphiques de mon prochain album et quelques autres broutilles chronophages.
Ensuite, si je me forçais à répondre, je ne me vois pas du tout solliciter à mon tour mes camarades qui ont souvent d'autres chats à fouetter que participer à ces jeux obsessionnels. D'autre part, ces chaînes encombrent le Net et finissent par me taper sur le système. Enfin et surtout je ne tiens pas à surcharger mon mur qui affiche déjà mes articles quotidiens auxquels je souhaite accorder le plus de lumière.
Ne m'en veux donc pas, cher Tiger Hubert Gong, de décliner ton offre, qui par ailleurs me touche puisque tu es le premier à avoir pensé à moi pour répondre à cette gymnastique intellectuelle et émotionnelle.

vendredi 1 juin 2018

J'ai tué un tigre


Bagnolet, 1er juin. Depuis qu'on en entend parler, je l'ai tout de suite reconnu. Aedes Albopictus est plus petit qu’une pièce d‘un centime, il a un vol assez lent et il est facile à écraser en vol. Il ne faisait aucun bruit. Pas un rugissement. Pas eu le temps non plus de piquer, du moins pas moi qui suis de la chair à moustique premier choix. J'ai déployé l'échelle au-dessus de l'évier, attrapé le torchon et sans même prononcer un mot d'allemand j'ai frappé. Dans tous les pays du monde les tigres se dressent en langue allemande, vous ne saviez pas ? C'est pour cela que Schnuckenack et Manon qu'Anna vient chercher de Cologne n'ont plus qu'à bien se tenir. Ruhe, Tiger! Comme je n'en croyais tout de même pas mes yeux, je l'ai photographié. Il bougeait encore, mais je ne voulais pas l'écraser. Les moustiques sont les seules bestioles que je peux occire sans hésiter, mais je ne suis pas encore certain de n'avoir aucun remords. Ensuite quitte à vider les soucoupes dans le jardin, je les ai supprimées. Quel besoin d'entretenir des eaux stagnantes pour dorloter ces monstres sanguinaires ? Enfin, je l'ai déclaré sur le site Vigilance-moustiques. Non, le chikungunya ne passera pas par moi... En tout cas pas cette fois !