Le dossier de presse accompagnant les deux nouveaux disques de Stéphane Tsapis évoquent un piano oriental sans en préciser le fonctionnement. C'est pourtant ce qui m'intéresse au premier chef. J'ai, pour ma part, accès informatiquement à des pianos virtuels offrant quantité d'accords, dont celui des quarts de ton. Je connaissais les pièces de mon compositeur d'élection, l'Américain Charles Ives, mais ce sont deux pianos accordés séparément à distance d'un quart de ton. Idem pour celui à deux claviers d'August Förster. D'autres compositeurs ont écrit pour des instruments plus faciles à adapter aux gammes orientales. J'ai toujours autant de plaisir à jouer sur mon synthétiseur Ensoniq VFX-SD le programme que j'ai créé il y a 30 ans, soit une préparation de trois gammes simultanées : un clavier bien tempéré, une gamme d'octaves à neuf tons (dont l'idée m'avait été donnée par l'octave à 43 tons de Harry Partch) et la troisième composée de quarts de tons renversés (cela signifie que les graves sont à droite et les aigus à gauche). Tandis que j'écoute avec ravissement Le Tsapis volant et Le piano oriental, je trouve enfin sur le Net l'explication du piano sur lequel joue Stéphane Tsapis...


Une pédale permet de faire bouger tout le clavier de quelques millimètres. Les deux premières cordes de chaque note restent accordées selon le tempérament, mais la troisième est en quarts de ton ! Rappelons que les marteaux d'un piano frappent la plupart du temps trois cordes accordées de la même manière. Il existe aussi un piano avec une seule corde par note, l'Una Corda ! Celui qu'utilise Stéphane Tsapis a sa propre histoire...


Dans les années 50 Abdallah Chahine avait imaginé et réalisé un prototype, actuellement localisé à Beyrouth, permettant de jouer à la fois les musiques orientale et occidentale. Les usines Hoffman à Vienne avaient soutenu son projet. En 2015, son arrière-petite-fille, Zeina Abirached, publie chez Casterman une bande dessinée où elle en raconte l'épopée. L'année suivante elle l'adapte pour la scène et Tsapis y endosse le rôle de Chahine, puis en 2017, celui de Beyrouth étant trop compliqué à faire voyager, le facteur belge Luc-André Deplasse transforme un Yamaha quart de queue blanc en son frère jumeau.


Le CD du Piano oriental accompagnera ainsi l'édition de luxe de la BD, mais on pourra aussi le trouver séparément. Certaines pièces sonnent comme un piano préparé, d'autres sont plus jazz. D'une pièce à l'autre, ces extraits du spectacle font voyager les auditeurs, et, plus encore, celui que Stéphane Tsapis enregistre avec son trio et six chanteuses. Pour Le Tsapis volant, il est en effet accompagné par le contrebassiste Marc Buronfosse et le batteur Arnaud Biscay avec qui il avait déjà enregistré Border Lines, du percussionniste Neşet Kutas, du trio vocal formé par Lynn Adib, Cybèle Castoriadis, Gülay Hacer Toruk, ainsi que de trois autres chanteuses, Maki Nakano, Valentina et Juanita Añez. Le compositeur joue également du piano tempéré, d'un Fender Rhodes et d'un Philicorda électriques.


L'album est charmant. Il se réfère à un Orient magique, proche d'images d'Épinal. Le jeu de mots du titre n'est pas volé. Il me rappelle le film soviétique Starik Khottabych (Grand-père miracle, en anglais The Flying Carpet) que j'avais découvert enfant. La fumée est celle d'un narguilé. Les pâtisseries sont délicieusement sucrées au miel. C'est le genre de disque que l'on peut mettre sur sa platine lorsqu'on est fatigué et que l'on souhaite se détendre. Les mélodies s'insinuent, les rythmes vous massent, et l'écart de ton vous emporte...

→ Stéphane Tsapis Trio & Friends, Le Tsapis volant, CD, Cristal Records, 13€, sortie le 8 novembre 2019
→ Stéphane Tsapis, Le piano oriental, CD, Cristal Records, 7,99€, sortie le 8 novembre 2019 / Avec la BD chez Casterman, 39€, en librairie le 6 novembre