Les nouvelles technologies nous désenclavent efficacement. J'appelle ma petite famille en Bretagne. Ils sont évidemment mieux au grand air, au bord de la mer, que confinés à Paris, surtout avec un enfant en bas âge. Certains autochtones prennent mal que les citadins leur apportent la peste, alors qu'ils étaient si bien entre eux. La consanguinité, réelle ou communautaire, a toujours produit des imbéciles. Pour ceux-là, délation sonne mieux que solidarité. Par exemple, lors de l'exode en mai-juin 1940, les Français étaient divisés entre ceux qui fichaient le camp, ceux qui les accueillaient et ceux qui les dénonceraient. Il est certain que les populations qui ne vivent que du tourisme l'ont généralement en horreur parce qu'elles en dépendent exclusivement. Heureusement tous ne partagent pas ces vues étriquées, préférant partager le vent et les embruns, quitte à se parler de loin. Il y a toujours des gens pour râler et d'autres pour se réjouir, ou du moins apprendre à profiter de la situation, fut-elle contrariante.
La commune où ils sont est déserte l'hiver, surpeuplée l'été. Même en juin ou septembre il n'y a pas d'autre chat que ceux qui vivent là, avec les mouettes et les goélands. La plage est immense et s'y promener ne risque pas de propager l'épidémie. Pourtant les pandores sont susceptibles de vous coller une contredanse à 135 euros au lieu de vous laisser vous livrer à la dérobée, l'an-dro, la ridée ou la gavotte bigoudène. On peut se rouler un palot à la maison, à ses risques et périls certes, mais sur le sable c'est interdit, même si le plus proche promeneur est à des centaines de mètres à la ronde. À croire que les verbalisateurs aient consigne de l'attraper ?! Les chanceux qui ont fui les villes, où le virus est susceptible de se propager plus vite qu'ailleurs, sont condamnés à faire semblant d'avoir "une activité physique individuelle" ou de promener leur animal de compagnie. Les couples se tiendront donc à vingt mètres de distance, des fois que la police assimile leur footing à "une pratique sportive collective". On pourra aussi arguer qu'un enfant de deux ans a besoin de se dépenser, qu'on ne peut pas le laisser tout seul à la maison pendant sa gymnastique matinale, que la condition physique (et, par delà, mentale) des humains renforce leur immunité contre les attaques virales ou autres, etc. Il est toujours difficile de se battre sur plusieurs fronts à la fois. C'est peut-être même la condition sine qua non pour tomber, ou pas, malade...


S'il faut empêcher les idiots de propager la maladie, il est indispensable de montrer un peu de jugeote au lieu de déclarer l'état de guerre, terme disproportionné en face de circonstances beaucoup plus graves. Je me souviens que l'école communale de ma fille avait simulé une attaque terroriste sans prévenir les gamins que c'était pour de faux, générant des crises traumatisantes. Le danger encouru ou engendré peut susciter une loi, mais pas d'appliquer stupidement un arrêté dont le flou n'a rien d'artistique. Cela me rappelle une histoire d'humour noir que les Sarajeviens m'avaient racontée pendant que je filmais le Siège en 1993. Alors que le couvre-feu est à 22 heures, un type passe à proximité de deux gars chargés de le faire respecter. Comme l'un d'eux abat le passant, l'autre s'insurge qu'il n'est que 21h50. Alors le tireur lui répond : "Peut-être, mais je sais où il habite. Il n'avait pas le temps de rentrer."
Franchement, si j'habitais au bord de la mer, j'en profiterais au lieu de rester à contempler l'horizon derrière la vitre. Mais je n'y suis pas, et plutôt que de jalouser celles et ceux qui ont eu la chance de pouvoir prendre la poudre d'escampette ou de vivre à la campagne, je préfère les laisser me faire rêver. Car le temps de taper ces mots, j'ai réussi à m'évader et à sentir l'odeur du large...