70 octobre 2020 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 30 octobre 2020

Constantine, dans la famille Ceccaldi


Constantine est une fresque grandiose, quasi cinématographique, à la manière des sagas familiales où l'on suit les aventures de plusieurs générations, leurs rêves et déconvenues. L'histoire du grand-père du violoniste Théo Ceccaldi et de son frère, le violoncelliste Valentin Ceccaldi, habitera leur père, Serge Ceccaldi, compositeur de musique de scène, essentiellement pour le théâtre. Les traces du départ précipité de Constantine pendant la guerre d'Algérie marque forcément les deux frères qui rendent un hommage bouleversant à leur père qui avait deux ans au moment de l'émigration. Avec le pianiste Roberto Negro et surtout le saxophoniste ténor Quentin Bardiau, ils arrangent les compositions de leur papa avec l'invention dont nous a habitués le Tricollectif. Font aussi partie du Grand Orchestre du Tricot l'auteur Robin Mercier, le saxophoniste-clarinettiste Gabriel Lemaire, le guitariste Guillaume Aknine, les batteurs-percussionnistes Florian Satche et Adrien Chennebault.
Mais pour que le Scope en Technicolor acquiert toute sa dimension, il leur fallait des têtes d'affiche "bankables" ! Ainsi les invités se succèdent au gré des plages : la trompettiste Airelle Besson, le clarinettiste Yom, le saxophoniste soprano Émile Parisien, le saxophoniste-chanteur Thomas de Pourquery, le bandonéoniste-clarinettiste basse Michel Portal, le performeur Fantazio, les chanteurs Abdullah Miniawy et Leïla Martial... Tous et toutes jouent le jeu, probablement émulé/e/s par la présence de cet all-stars à la française et l'émotion lyrique des deux fistons.
Écoutons Théo :
« Notre papa, ça toujours été le plus fort d’abord ! Pour résoudre des énigmes, pour construire des maisons, même en bois, pour se rebeller contre l’autorité, organiser des manifs, des spectacles à 300 sur scène, réparer des tracteurs ou des camping-cars, nous engueuler pour bosser notre violon et violoncelle, pour tout analyser, tout décrypter, composer des opérettes, diriger des chorales, observer les oiseaux. Une sorte de MacGyver qui jouerait du nickelharpa en quelque sorte…
Aujourd’hui tout pile, il a 60 ans et c’est un grand jour. C’est un grand jour car il n’y a pas loin de 12 ans, nous nous sommes mises en tête avec Valentin de lui faire une méga-surprise. Comme le bougre n’est pas le dernier pour imaginer des folies, il fallait frapper fort : arranger et enregistrer sa musique pour en faire un disque nous semblait être une belle entreprise.
De la musique, il y en avait plein les tiroirs, les étagères du grenier, les disques durs du vieil Atari, près de 600 œuvres qui dormaient dans la maison en bois, jamais déposées à la Sacem, jamais ou presque gravées sur disque. Après quelques mois de fouille discrète, de sélection, de récupération et décodage de vieux fichiers Cubase, nous nous sommes mis en quête de nous réapproprier cette matière si familière, inscrite à l’encre indélébile dans nos corps, qui a accompagné notre évolution d’humains et d’artistes. Petit à petit en creusant, en remontant la source de l’histoire familiale, s’est dessinée une sorte de fil rouge, un thème. L’Algérie, Constantine le berceau, puis l’exil, terre soleil fantasmée, nostalgie heureuse et horizons fantômes.
On y aborde des sujets à la fois très personnels et universels, qui parlent de peuples éloignés de leurs terres, de leurs repères, des peuples qui ne maîtrisent pas leur destin, qui subissent les décisions venues d’en haut. parle de vie de la conseil qui transforment la réalité au fur et à mesure des années. On y parle de vies oubliées, de la pensée qui transforme la réalité au fur et à mesure des années. On y parle de mémoire, de souvenirs impalpables et vaporeux, que l’on cherche à ressaisir en vain. Ce disque c’est à lui, nous, l’histoire de notre famille et cette nécessité de bâtir entre les humains, les disciplines, les musiques,, sûrement les ponts de Constantine.»
Sans manichéisme l'Histoire se déroule. Fantazio évoque Frantz Fanon et la violence coloniale, Thomas de Pourquery popise en anglais, Leïla Martial s'envole, Portal tangote, et tous les solistes de rivaliser de lyrisme, soutenus par la puissance du Tricot !

→ Théo & Valentin Ceccaldi, Constantine, CD Brouhaha, dist. L'autre distribution, sortie reportée au 11 décembre 2020

jeudi 29 octobre 2020

Ed & Nancy Kienholz chez Templon


Il était temps d'aller à la Galerie Templon à Paris. L'exposition Edward & Nancy Kienholz se terminait samedi prochain, mais vous n'avez plus évidemment qu'aujourd'hui jeudi ! La culture est en berne. On comptera les morts sociaux plus tard.
Pour commencer, j'ai donc choisi de photographier Useful Art No.1 (chest of drawers & tv) en référence à la prestation télévisée de notre petit timonier hier soir (ci-dessus, 1992 !) ! J'avais découvert Kienholz en 1970 lors d'une rétrospective au CNAC rue Berryer, et le choc avait été pour moi déterminant, comme pour celle de Tinguely l'année suivante. Les œuvres présentées sur les deux niveaux de la galerie rue du Grenier Saint-Lazare ont l'avantage d'être tardives, voire posthumes, Nancy cosignant enfin de leurs deux noms, en particulier depuis la mort de son mari en 1994. Je n'en connaissais donc aucune. En mai dernier, j'avais publié l'ensemble des articles que je leur avais consacrés depuis 2006...


Les installations des Kienholz sont toujours figuratives et métaphoriques, politiques et sensibles. Chargées de références et de sens, elles méritent qu'on leur tourne autour, à l'affût du moindre détail. Lorsqu'on aperçoit The Grey Window Becoming (1983-84), une femme nue de dos tient un banjo à tête de porc devant un miroir. En s'approchant par la droite, apparaissent un Beretta posé sur la coiffeuse, un cahier, un rapace, une photo encadrée, etc., autant de signes qui, ensemble, suggèrent une histoire. Le socle est éclairé par une guirlande de petites ampoules rouge et les deux miroirs de côté de ce drôle de triptyque sont retournés face au mur.


La narration des Kienholz est à la fois cinématographique, conceptuelle et psychanalytique. Associées au pop art, leurs évocations critiques rappellent aussi la Figuration narrative de Jacques Monory ou leurs assemblages certains Nouveaux réalistes comme Daniel Spoerri. Cette manière d'associer des objets banals font aussi d'eux des héritiers de Kurt Schwitters ou Joseph Cornell. Les points de vue d'Edward Kienholz, tels The illegal operation (1962) ou Back Seat Dodge ‘38 (1964), ne plurent pas du tout à l'Amérique, le poussant à s'exiler en Europe en 1973 ou à s'installer en Idaho.


L'exposition présente, parfois pour la première fois en Europe, une vingtaine d’œuvres créées entre 1978 et 1994. Provocantes, elles fustigent "l'outrance consumériste, le racisme ordinaire, le sexisme, la violence institutionnelle, l'hypocrisie religieuse." The Pool Hall (1993) est explicite. D'autres œuvres sont plus énigmatiques.


Cherchant sans cesse à évoquer plutôt qu'à imposer une lecture de mes propres créations, laissant au spectateur ou au visiteur le soin de se faire son propre cinéma tout en orientant son regard critique sur une société en pleine décomposition, j'imagine que les installations d'Edward Kienholz furent pour moi fondatrices alors que je venais d'avoir 18 ans. Pendant les cinquante années qui suivirent, leur aspect cinématographique influença ma musique tout comme le Meccano de Tinguely me poussa à rendre mobile la matière brute dans un geste instrumental précieusement entretenu. De l'un j'héritais la fiction du réel, de l'autre une façon de m'approprier les machines.

mercredi 28 octobre 2020

Sounds of Brelok par les Space Galvachers


Les disques où je ne reconnais pas le timbre habituel des instruments m'ont toujours emballé. Le trio Space Galvachers a beau être composé d'un violoniste, Clément Janinet (O.U.R.S., La litanie des cimes), d'un violoncelliste, Clément Petit (entendu avec Blick Bassy) et d'un de mes percussionnistes préférés, Benjamin Flament (découvert chez Sylvain Rifflet), il sonne comme un gros gamelan moderne ou un orchestre symphonique ! Certaines pièces nous entraînent pourtant sur des chemins de terre sans âge. L'écoute du CD m'a rappelé un épisode de mon voyage au Népal, une mélopée incroyable jouée à l'archet par un vieillard au bord d'une route déserte que j'aurais rêvé d'enregistrer. À d'autres moments la transe électronique nous fait danser et rebondir. Les "préparations" des instruments sont savantes et leur traitement électroacoustique parfaitement maîtrisé. Si certaines pièces semblent écrites, d'autres improvisées, cela n'a aucune importance. Qui se soucie du temps entre la conception et l'interprétation ? Nous sommes sans cesse dans l'instant, dans l'instant des musiciens qui nous font arpenter des paysages inattendus.

Space Galvachers, Sounds of Brelok, CD Green Lab Records, à paraître le 1er novembre 2020

mardi 27 octobre 2020

5 Pink films japonais


Ne vous attendez pas à ressentir de troublants émois érotiques à la projection des 5 Pink films japonais (pinku eiga) rassemblés en coffret par Carlotta et jusqu'ici totalement inédits en France. Ces films roses tranchent évidemment avec le porno gonzo (hamedori en japonais !) répandu sur Internet. Comme l'avait annoncé Jean-Luc Godard avec l'avènement du X en 1975 bouleversant leur schéma économique, il y aura désormais des films au-dessus et en dessous de la ceinture. Il signifiait la détérioration de la qualité des films érotiques à venir : plus de scénario soigné, mais de l'abattage de scènes à la répétitivité morbide et réductrice. Or lorsque des réalisateurs professionnels japonais s'emparèrent du genre, tournant en 35mm ces films plus évocateurs que démonstratifs avec de petits budgets, ils en profitèrent pour expérimenter ce qui leur tenait à cœur en dehors de la motivation commerciale.
Le plus expérimental du coffret est Une poupée gonflable dans le désert d’Atsushi Yamatoya (1967), rappelant fortement L'année dernière à Marienbad d'Alain Resnais sur fond de free jazz (composé par Yōsuke Yamashita) tandis que le plus cru, Une famille dévoyée de Masayuki Suo (1984), est un pastiche de Voyage à Tokyo de Yasujirō Ozu ! Prière d’extase de Masao Adachi (1971) se rapproche de certains films politiques de Jean-Luc Godard, le réalisateur ayant rejoint plus tard l'Armée rouge japonaise ; il y filme les interrogations de la jeunesse perdue dans un brouillard très symbolique après les évènements de mai 1968. Deux Femmes dans l’enfer du vice de Kan Mukai (1969) qui emprunte ses couleurs au psychédélisme est aussi glauque que Chanson pour l’enfer d’une femme de Mamoru Watanabe (1970), les femmes dans la société nippone n'ayant pas le meilleur rôle. Les scénarios intègrent évidemment bondage et tatouages.
Ces 5 classiques du genre sont absolument passionnants à découvrir, surtout si l'on sait que Atsushi Yamatoya est le scénariste de La marque du tueur (Branded To Kill) de Seijun Suzuki (et de Chanson pour l'enfer d'une femme) sur lequel a également travaillé Mamoru Watanabe, Masayuki Suo était avec Kiyoshi Kurosawa à ses débuts, Masao Adachi joue dans La Pendaison de Nagisa Ōshima, le chef op' de Prière d'extase est Hideo Ito à qui l'on doit la lumière de L'empire des sens, etc. Sur sa boutique, Carlotta offre un petit livre de Dimitri Ianni, Brève histoire du cinéma érotique japonais en cinq films qui relate 50 ans de cinéma pink et rappelle l'importance de la société de production Kokei et de la productrice Keiko Satô.

→ coffret 5 Pink Films, Carlotta 40€ en Blu-Ray ou DVD avec livret (attention, interdiction aux moins de 16 ans tout de même)

lundi 26 octobre 2020

Macau Peplum de Denis Frajerman


Tous les morceaux de l'album Macau Peplum commencent par des pattes de mouche, des bruits d'insectes, des mines de rien avant de se recomposer en petites mécaniques organiques qui débordent ironiquement l'écoute. Denis Frajerman (ici claviers, basse, batterie, etc.) aime les sons bruts, les casseroles qu'on se traîne, les peaux qu'on a sur les os. Il entraîne avec lui une ribambelle de musiciens étoffeurs qui se fondent dans ce paysage réinventé : Jacques Barbéri (sax alto), Sandrine Bonnet (voix, percussions, claviers), Frédéric d’Oliveira (percussions), Yannick Lemesle (violon, clarinette, voix), Arnaud Ouvrard (percussions), Philippe Perreaudin (ordinateur), Eric Roger (cornet, voix), Susannah Rooke (voix), Hervé Zénouda (zarb). Enregistré entre 1996 et 1999, le disque est une réédition Klang Galerie comme le label autrichien en produit sans cesse, boulimie merveilleuse qui comble les oreilles les plus curieuses. Macau Peplum, constitué de sept pièces où les bruits du monde sont reproduits par les gestes instrumentaux, est suivi par Le voyeur, accompagnement initialement pensé pour un livre de Jérôme Trinssoutrop. Enregistré en plus petite formation (Frajerman aux claviers/voix/bandes magnétiques, Barbéri au sax, Roger au cornet, Zénouda au zarb et Régis Codur à la guitare), il intègre encore des voix incantatoires et des pas plus lourds à sa free-pop déjantée aux accents Résidentiels. Cela s'écoute très bien au petit-déjeuner.

→ Denis Frajerman, Macau Peplum, CD Klang Galerie, en écoute sur Bandcamp

vendredi 23 octobre 2020

Melting Rust, "sin límites" sur Mutaciones


"Bien que presque tous les films aient été vraiment remarquables, il faut mentionner tout particulièrement Melting Rust d'Anne-Sarah Le Meur et Jean-Jacques Birgé. Un film qui utilise la 3D de manière vraiment innovante pour nous montrer un écran de cinéma très dense qui ondule au son d'un arrangement musical. Il n'y a que des couleurs qui laissent lentement place à des mouvements liquides d'une profondeur abyssale. Un trou noir tridimensionnel qui, si vous regardez bien, est capable d'avaler jusqu'à la dernière once de lumière pour la restituer sous la forme d'une faible ombre chromatique.
Melting Rust est, d'une certaine manière, le film qui capture le mieux l'esprit original du Collectif Jeune Cinéma. Cette rupture avec le significatif qui rend l'interprétation inutile et se "limite" à faire vivre une expérience unique qui n'est possible que dans un format audiovisuel. La revendication de l'avant-garde française des années 1920 qui a culminé dans le cinéma américain des années 1960, faisant de la forme et de rien d'autre son atout pour aller plus loin que les histoires, les scénarios et les acteurs. Pour parvenir à une vision de la matière qui se dispense de la logique oculaire et se fond dans un chaos continu et beau. La "vision tactile" de José Val del Omar ou "l'œil inexpérimenté" de Stan Brakhage... C'est-à-dire la forme comme dialogue principal et seule façon d'aborder ce qu'on appelait autrefois, en France, le cinéma différent."

Traduction (merci Judit Naranjo Ribó) de l'article en espagnol de Borja Castillejo Calvo pour la revue Mutaciones à propos de la projection de Melting Rust, performance réalisée samedi dernier avec Anne-Sarah Le Meur au Grand Action pour le Festival des Cinémas Différents.

jeudi 22 octobre 2020

Perspectives du XXIIe siècle (31) : vidéo "MEG 2152"


Jacques Perconte a livré la douzième et dernière vidéo du film collectif réalisé à partir de mon CD Perspectives du XXIIe siècle. J'imaginais bien que la musique de MEG 2152 l'inspirerait. Pour enregistrer Nicolas Chedmail, qui joue du cor sur la partie centrale, j'avais évoqué le célèbre tableau Le Voyageur contemplant une mer de nuages peint par Caspar David Friedrich en 1818. J'avais ajouté les voix d'Elsa et Jean-François sur le magnifique cor des Alpes du début en le resituant dans le paysage, enfin repris sa mélodie à l'orgue de cristal, accompagné par les tambours en berne de Sylvain Lemêtre. C'est une pièce calme et rassurante après le déchaînement de la catastrophe de L'Indésir que Sonia Cruchon avait mise en images. Il s'agissait de calmer le jeu, puisque nous quittions la dystopie pour entamer la reconstruction. Malgré la chaleur et les inondations, la nature resplendit. C'est là que l'on reprend son souffle avant de se mettre au travail ! Jacques Perconte a évidemment fait plusieurs essais, et choisi les carpes de Montesquieu au Château de la Brède. Elles rejoignent le bestiaire qui pullule à l'image comme au son. La fonte des neiges a provoqué la montée des eaux. Ainsi deux épisodes plus loin, on passera sous l'eau avec l'apparition des deux dragons. Jacques rappelle que plus c'est minimal, plus c'est délicat... Ici la dilution n'est pas seulement métaphorique.


Jean-Jacques BIRGÉ
MEG 2152
Film réalisé par Jacques PERCONTE

#3 du CD "Perspectives du XXIIe siècle"
MEG-AIMP 118
Archives Internationales de Musique Populaire
Musée d'Ethnographie de Genève
Sortie le 21 juin 2020

Jean-Jacques Birgé : orgue de cristal, field recording
Nicolas Chedmail : cor
Sylvain Lemêtre : percussion
Elsa Birgé et Jean-François Vrod : voix

Sources :
Suisses alémaniques. Alpsegen (bénédiction de l’Alpe). Cor des Alpes. Canton de Schwyz, 1942
Suisses alémaniques. Alpenfahrt (montée à l’alpage). Canton d’Appenzell, Wasserauen, 1942
Collection universelle de musique populaire
Archives Constantin Brăiloiu

CD "Perspectives du XXIIe siècle"
MEG-AIMP 118, Archives Internationales de Musique Populaire - Musée d'Ethnographie de Genève
Direction éditoriale : Madeleine Leclair
Distribution (monde) : Word and Sound
Commande : https://www.meg.ch/fr/boutique/disque-0

Les 12 épisodes séparés sur Vimeo en attendant le film complet !
Tous les articles du blog concernant le CD Perspectives du XXIIe siècle
Dossier du MEG en français et anglais
La presse : RTS Vertigo (Le MEG fait de l'anticipation sonore), RTS L'écho des pavanes (Jean-Jacques Birgé, ethnographie au futur antérieur), L'Autre Quotidien (L'Ethnographie revisitée en Perspective du XXIIe), Vital Weekly, Le Monde, Glob nato, Revue & Corrigée, Le Monde Diplomatique, Citizen Jazz...
L'album en écoute sur SoundCloud !

mercredi 21 octobre 2020

The Lunatic Fringe par Steve Dalachinsky & RG Rough


L'album posthume du poète Steve Dalachinsky (1946-2019) est une petite merveille de flow américain, à l'égal des meilleurs disques de William Burroughs par exemple. L'association avec le Bordelais anglais RG Rough y est pour quelque chose, le multi-instrumentiste soulignant la prosodie ou forçant le slam vers des accents mélodiques ou dramatiques, relativement rares chez le poète new-yorkais. Steve Dalachinsky marmonne, murmure, chante, éructe, porté par la batterie, la guitare électrique, les sons électroniques et les bruitages, rythmique et arythmie... L'auditeur devient le passager d'une embarcation lancée dans une tempête de paroles acérées et de transe musicale.


Sur Where is the love at the love canal ?, la saxophoniste Ryoko Ono rappelle les affinités de Steve Dalachinsky avec le free jazz,. Il collabora merveilleusement avec William Parker, Susie Ibarra, Matthew Shipp, Mat Maneri, Didier Lassere, Dave Liebman, Jim O'Rourke ou Joëlle Léandre, mais comme déjà avec Les snobs, le travail avec RG Rough est plus rock ou electro, plus imagé, surtout plus libre que le free !

→ Steve Dalachinsky & RG Rough, The Lunatic Fringe, CD et Bandcamp, Bambalam Records

mardi 20 octobre 2020

Sun Sun Yip exposé à la Biennale de Bangkok


Mon ami Sun Sun Yip nous invite à l'exposition du cloud 9 pavillon, qui fait partie d'un événement de la Bangkok Biennale 2020. C'est une occasion de revoir quelques œuvres de ses années digitales et aussi de découvrir les œuvres des autre artistes. Pour y aller, pas besoin de prendre l'avion, il suffit de cliquer sur le lien suivant : https://cloud9pavilion.weebly.com/.
Pour plus d'information concernant cet événement, voir la communication presse.
Sun Sun Yip y présente, entre autres autres, G10 dont, il y a 10 ans, j'avais composé la musique pour frein, un instrument original conçu et fabriqué au début des années 70 par Bernard Vitet dont la présence me manque cruellement ; c'est une contrebasse électrique à tension variable.


Il avait fallu à Sun Sun Yip un an de calcul avec trois ordinateurs à raison de trente minutes par image pour en venir à bout. Jusque là, je n'en connaissais qu'un agrandissement photographique d'un mètre cinquante de haut. J'ai composé une pièce de 18 minutes pour cordes transformées électro-acoustiquement qui rappelle les flux liquides qui s'échappent de l'objet impossible comme si c'était une fontaine, mais ce n'est pas de l'eau. L'œuvre rouge vif, G10 pour graine 2010, se réfère à la vie, à l'énergie, mais n'a rien à voir avec un cœur. Le choix des cordes a également pour mission d'empêcher toute interprétation hâtive de l'objet. J'ai enregistré cinq prises, les trois premières avec le frein, les deux dernières avec un hou-k'in, violon vietnamien cousin du erhu chinois dont l'archet est inséré entre deux cordes, et mon violon niçois, un Albert Blanqui de 1921. J'ai transformé chaque instrument en temps réel grâce à mon Eventide H3000 programmé par un algorithme d'échos en escalier déphasés et renversés qui rallonge chaque note sur une vingtaine de secondes. Le mixage des cinq pistes produit des ambiances variées alors que l'objet se transforme en pivotant dans l'espace et que la musique s'échappe en sources jaillissantes.
Sun Sun Yip maîtrise de nombreuses techniques (photographie, gravure, sculpture, etc.). Depuis quelques années il se consacre à la peinture à l'huile.

Perspectives du XXIIe siècle, ÉLU Citizen Jazz


C'est toujours un plaisir de lire les articles de Franpi Barriaux, d'abord parce que c'est une vigie qui pointe des œuvres rares, ensuite parce que son écoute révèle des angles inédits, une vision personnelle. Ainsi aujourd'hui, grâce à lui, je découvre le mythe grec d’Erysichton et le philosophe Anselm Jappe, de même qu'il note la proximité de ma démarche avec celle de Chris Marker, la référence au film La Jetée ayant été en particulier fondatrice de cet album.

JEAN-JACQUES BIRGÉ
PERSPECTIVES DU XXIIE SIÈCLE

Jean-Jacques Birgé (idiophones, objets, tp, cla, elec, fx) + invités

Label / Distribution : Musée Ethnographique de Genève

S’il est une chose que l’on ne peut reprocher à Jean-Jacques Birgé (JJB), c’est d’avoir de la suite dans les idées. En septembre 2018, il nous parlait de ses cent ans, en 2052. Deux ans après, on a pris un soudain coup de vieux : nous voici balancés en 2152, alors qu’une poignée d’humains se relèvent, ou plutôt ressortent de sous la terre, lavés des oripeaux malsains qui les avaient plongés dans les abysses : le capitalisme autophage et sa cohorte de désordres écologiques et sanitaires… Un tunnel dans lequel nous entrons de plain-pied et dont JJB pense la sortie avec un utopisme rien moins que béat ; il suffit pour s’en assurer d’écouter attentivement tous les méandres de « L’Indésir », que Nicolas Chedmail éclaire de sa trompette. Entre enregistrements de danses d’épées basques et luttes haoussas, on devine que le monde décrit dans ces Perspectives du XXIIe Siècle est un fruit mûr tombé à terre et que des mains affamées n’ont plus qu’à glaner.

Repartir de zéro, refaire société, embrasser le Monde. C’est l’hypothèse de JJB. Dans la petite cohorte de rescapés, il y a sa fille, Elsa Birgé, qui gambade en chantant sur les reliefs d’une géographie calcinée par la chaleur. Avec « MEG 2152 », il scelle un monde libéré de l’autophagie, celle du mythe grec d’Erysichton, que la faim insatiable et le besoin de posséder avait fini par tuer [1]. Le chant du cor, comme une aube, est rejoint par celui de la chanteuse ; ce sont les décors apaisants de l’Appenzell, pas les carcasses fumantes d’une ville éventrée, de celles qu’on voit dans la littérature post-apocalyptique. Plus loin, dans un « Gwerz de l’âme juste » très onirique, des chants populaires d’Europe (Bretagne, Roumanie, etc.) nous interpellent à travers le violon de Jean-François Vrod (La Soustraction des fleurs) et nous demandent où notre monde est tombé dans l’ornière, et s’il peut se relever. Il reste de l’espoir dans l’imaginaire fertile de JJB, et c’est peut-être pour cela que le Musée Ethnographique de Genève (MEG) lui a ouvert ses collections : tous les extraits, tous les idiophones que JJB utilise sont au musée. Dans cette période troublée ou les pires scénarios s’incarnent, il est galvanisant de se nourrir de fol espoir…

Jean-Jacques Birgé a fait une école de cinéma, l’image - et surtout l’image documentaire - a une importance cruciale dans son processus de narration. Dans ce disque très scénarisé qui raconte une histoire du futur pour mieux sonder notre réel contemporain, on pense à certains films de Jean Rouch, ou peut-être davantage Chris Marker pour son usage de la fiction. On suit les découvertes de ce groupe de refondateurs comme un puzzle très précis qui s’affranchit cependant de la linéarité. « Aksak Tripalium » par exemple est une pièce de transition où avec Antonin-Tri Hoang et Sylvain Lemêtre, JJB évoque, entre chants de travail des îles Hébrides et danses ouvrières macédoniennes, la joyeuse reconstruction. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » rappelle-t-il dans les notes de pochette. Une règle à ne jamais oublier : Perspectives du XXIIe siècle est une œuvre addictive et riche qui ne se lasse jamais de nous surprendre. C’est rare de prendre plaisir à se faire renvoyer dans ses XXII…

par Franpi Barriaux // Publié le 18 octobre 2020 sur Citizen Jazz

[1] A ce titre, Birgé rejoint le philosophe Anselm Jappe dans sa vision de l’avenir du capitalisme.

P.S.:


Renaissance (Perspectives du XXIIe siècle)
 from Jean-Jacques Birgé on Vimeo.

Perspectives du XXIIe siècle (Perspectives For The 22nd Century)
Distribution (monde) : Word and Sound
Commande : https://www.meg.ch/fr/boutique/disque-0
Les 12 vidéos en ligne sur Vimeo en attendant le moyen métrage de 52 minutes !
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Dossier du MEG en français et anglais
La presse : RTS Vertigo ("Le MEG fait de l'anticipation sonore"), RTS L'écho des pavanes ("Jean-Jacques Birgé, ethnographie au futur antérieur"), Le Monde, L'Autre Quotidien, Vital Weekly, Glob nato, Le Monde Diplomatique...
L'album en écoute sur SoundCloud !

lundi 19 octobre 2020

Un enterrement de première classe


Plongé dans la composition ou l'écriture, je ne sors pas si souvent. De temps en temps, je me force, souvent lorsqu'on m'invite, mais hélas et heureusement je ne peux pas non plus répondre à toutes les sollicitations. Au su du massacre culturel entamé par le gouvernement, je me suis dit que j'avais bien fait d'aller écouter quelques concerts au début du mois.
Au Studio de l'Ermitage, les Rivages du guitariste Kevin Seddiki avec l'accordéoniste Jean-Louis Matinier soulagent ma peine récente par une tendresse légère.
Au Théâtre Dunois, pour le 40e anniversaire du label nato, le guitariste Jean-François Pauvros accompagné par l'organiste Antonin Rayon et le batteur Mark Kerr, me réveille en cassant la baraque du bas rock à tort et à travers.
À la Maison de la Poésie, pour le Festival La voix est libre, le nouveau récital de la chanteuse réunionnaise Ann O'Aro m'enchante. J'avais chroniqué son premier disque, mais je ne l'avais jamais entendue sur scène. Une boule de feu en volutes de fumée, à la fois drôle et bouleversante. Remarquablement accompagnée par le trombone Teddy Doris et le percussionniste Bino Waro (rouler, sati, piker), son nouvel album, Longoz, est aussi envoûtant.
À l'Église Saint-Eustache, dans le cadre du Festival d'Automne, les compositeurs Alessandro Bosetti et David Cristoffel ont concocté un savoureux Consensus Partium à quatre mains, soit des pièces pour deux trios, trois gars aux cuivres (Matthias Champon, Nicolas Chedmail, Maxime Morel) et trois chanteuses (Valérie Philippin, Frédérique Borsarello, Noémie Legendre), mêlés à leurs propres voix et tripatouillages électroacoustiques. L'enjeu de faire sonner les voûtes de la paroisse est remarquablement réussi, les huit protagonistes se déplaçant sans cesse dans le chœur en jouant des différentes réverbérations qu'offrent les instruments, les modes de jeu et les emplacements.
À l'Échangeur de Bagnolet, le concert du Spat'sonore avec les Musiques à Ouïr est une autre manière d'exploser l'espace de la représentation puisque le public est encerclé par les musiciens et leur pieuvre instrumentale. Il suffit de fermer les yeux pour se laisser chavirer, les sons acoustiques provenant de gauche, de droite, des cintres et de partout à la fois, sans avoir recours à aucun procédé électronique.
Enfin, hélas enfin, avant d'emprunter la rue Poliveau pour regagner mes pénates avant 21h avec tous les moutons de mon espèce condamnés à un ridicule embouteillage, je suis allé samedi soir à ma propre performance au Grand Action, pour le Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux. J'accompagnais les images 3D temps réel d'Anne-Sarah Le Meur. À sa symphonie de couleurs, je répondis au clavier bien préparé de rouille fondante, morphing géant que j'agrémentai par ci par là d'un mouvement brownien en fonction des plissés que la plasticienne avait programmés...

vendredi 16 octobre 2020

Quand j'entends le mot culture, je sors mon couvre-feu


Le monde de la culture recèle de personnes critiques dont la profession ouvre la voie des ondes. Il a toujours représenté le dernier rempart contre la barbarie. L'affaiblir n'est pas innocent, alors que la plupart de la population est en proie à une peur savamment entretenue. On licencie des millions de gens sans que personne ne se révolte. C'est un coup de maître.
(N.B.: la cuisine et le monde la nuit font aussi partie de notre culture...)
Contrairement à l'époque référentielle (affiche), c'est à 21h que commence le black out chaque soir.
Peut-on légalement gueuler à sa fenêtre de 21h à 22h ?

Melting Rust au Grand Action, samedi 18h


Melting Rust est en compétition au Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris, organisé par le Collectif Jeune Cinéma. Projetée à la séance de 18h au Grand Action, 5 rue des Écoles à Paris, la performance avait été créée l'an passé à Victoria, en Transylvanie (Roumanie). "Melting Rust explore la puissance métaphorique des couleurs. Inspirée par une ville idéale, Victoria, initialement pointe de l’industrie pétro-chimique, maintenant ravagée par de nombreux accidents, elle se développe sur des teintes aux évocations multiples : vert pour la nature, bleu pour le rêve d’une vie meilleure, rouge pour l’amour et le drame, orange pour la rouille… selon des rapports contrastés, rien n’étant univoque."
Anne-Sarah Le Meur projette ses images en 3D temps réel tandis que j'improvise au clavier des masses sonores en mouvement que viennent trancher des lames de métal. La performance dure 30 minutes exactement.
Donc vous aurez le temps de rentrer chez vous. Les soirs suivants, portez le deuil de tout ce qui vous fait vivre !


Melting Rust vient d'être sélectionné par l'International Media Art Festival CYFEST, à Saint-Petersbourg (Russie) en février prochain. Le thème de cette 13ème édition est "Cosmos et chaos". Il est toujours sain de replacer notre humanité minuscule au sein de l'univers infini et d'envisager le chaos comme un évènement positif ! Tout le contraire de ce que le pouvoir nous assène, nous réduisant à obéir sans ne plus réfléchir... Melting Rust ? La rouille se liquéfie... Action !

jeudi 15 octobre 2020

Mascarade


Le Capital va continuer à licencier des centaines de milliers de salariés, produire des millions de chômeurs supplémentaires, sans que personne ne bronche. Depuis le début de la crise dite sanitaire, jamais les riches n'en ont autant profité.
Macron préfère fliquer la population, la mettre en fiches, assassiner des secteurs entiers de notre économie (culture, restauration, etc.), plutôt que de rouvrir des lits d'hôpitaux et d'engager du personnel soignant. Il ne restera pas grand chose de nos spécialités nationales. Ça rappelle des trucs qu'on n'a pas connus parce qu'on n'était pas né. On met dans la tête des gens qu'il faut obéir, avec le prétexte de sauver des vies. Donc on interdit les sorties le soir au théâtre, au restau, chez des potes, etc., mais on s'entasse dans le métro aux heures de pointe. Quel cynisme et quelle mascarade !

Ferons-nous le deuil de tout ce qui nous fait vivre ?

Illustration : Palais de Ceaucescu pour m'éviter un point Godwin ;-)
Depuis le temps que j'avais cette photo sous le coude...

mercredi 14 octobre 2020

Pique-nique au labo, la fête !


Élise Dabrowski, Amandine Casadamont, Elsa Birgé, Linda Edsjö, Eve Risser, Marie-Christine Gayffier, Vincent Segal, Karsten Hochapfel, Mathias Lévy, Jean-François Vrod, Antonin-Tri Hoang, Nicolas Chedmail, Hasse Poulsen, Jean-Brice Godet, Ravi Shardja, Médéric Collignon, Jonathan Pontier... C'était vraiment génial de vous avoir tous ensemble ! Nous avons mis les coudes pour ce cluster du diable. J'ai pensé aux absents, Alexandra Grimal, Birgitte Lyregaard, Sophie Bernado, Fanny Lasfargues, Christelle Séry, Samuel Ber, Nicholas Christenson, Pascal Contet, Julien Desprez, Wassim Halal, Edward Perraud, Sylvain Lemêtre, Sylvain Rifflet, Joce Mienniel... Et à toutes celles et tous ceux qui nous rejoindront lors de ces rencontres conviviales. Ce que nous avons enregistré ensemble montre simplement que l'improvisation n'est pas un style, mais une manière de vivre, soit réduire le temps entre composition et interprétation, penser longtemps pour agir vite. Il faut qu'il y ait d'autres dimanches où nous puissions discuter à bâtons rompus, confronter nos expériences, partager cette tendresse qui fait tant défaut aux professionnels que l'on veut faire de nous, il faut sans cesse retrouver la passion des amateurs, étymologiquement celles et ceux qui aiment. Pique-nique au labo ne se voulait pas un manifeste, mais la musique qui s'en dégage m'y fait penser !
En 2013 j'avais d'ailleurs rédigé un texte sur celles et ceux que j'appelais Les Affranchis. Vous en reconnaîtrez quelques un/e/s parmi mes invités. Leur rassemblement sur ces deux disques fait sens, musicalement, mais aussi politiquement. Parce que l'une ne va pas sans l'autre. Comme disait Jean Cocteau, une œuvre est une morale, même s'il déplorait que certains s'amusent sans arrière-pensée. J'avais développé mon point de vue dans un long article intitulé Cent soleils, commandé par la revue en ligne Citizen Jazz. J'y reviendrai, mais je suis aujourd'hui extrêmement heureux et fier que le travail de tous mes camarades de jeu dresse une sorte de portrait chinois de nos aspirations communes. Les plus jeunes avaient 20 ans lors des enregistrements, le plus âgé en a 60. Je ne parle pas du mien, je suis simplement jeune depuis plus longtemps que tous les autres, comme disait Françoise. Selon les générations et les différents secteurs où ils évoluent, leurs méthodes varient, mais ils cherchent tous et toutes la même chose, la liberté de créer comme ça leur chante, quand l'art et la vie se fondent dans le même mouvement.


La "release party", ce pique-nique festif qui m'avait cantonné deux jours en cuisine pour le préparer, m'a remonté le moral après (et avant) les incohérences à répétition du presseur Optimal Media qui traita notre commande par dessous la jambe, malgré l'insistance de Squeezer, notre intermédiaire parisien. Ces derniers jours tournèrent plutôt en "Panique au labo" ! C'est la seconde fois que le presseur allemand patauge dans la livraison. Pour le précédent album fabriqué chez eux pour le label GRRR ils avaient perdu le camion, avaient failli tout represser pour finalement retrouver le chargement au nord de la Suède. Ce n'est pas une blague ! Cela eut des conséquences dramatiques sur ma vie privée. Cette fois, alors qu'ils avaient tous les documents depuis trois semaines, ils se sont aperçus le jour prévu du départ du camion qu'il manquait de la matière graphique pour la coupe à un endroit non précisé dans le gabarit qu'ils nous avaient envoyé. Ce qui signifie évidemment qu'ils avaient pris du retard sans nous prévenir et qu'ils n'avaient pas ouvert les documents auparavant. Comme si cela ne suffisait pas, deux jours plus tard, ils ont découvert un nouvel endroit où il manquait de la matière, toujours pas précisé dans leur gabarit. Ils étaient pourtant prévenus qu'un retard de leur part impliquerait des frais supplémentaires en cascade. En me battant, j'ai fini par recevoir 100 exemplaires pour la fête de sortie, que j'avais dû décaler au dernier moment et où étaient conviés tous les musiciens. J'avais stipulé qu'ils m'en fallait 200 minimum ce jour-là. Allez m'expliquer pourquoi le deuxième carton de 72 disques n'en contenait que 28 ! Pour faire un compte rond ? Et pourquoi repousser la livraison de l'ensemble encore à la semaine suivante ? J'aimerais bien apprendre quelles sont les difficultés de conditionnement qui empêchent de livrer une commande complète lorsqu'on a accumulé les ratés sans jamais s'excuser. Et le jour absolument promis de la livraison, sans cesse repoussée, j'ai attendu en vain Dachser, leur maudit transporteur qui nous avait déjà plantés en 2018. Si c'était exceptionnel encore, mais non, la rigueur allemande en prend un coup. Heureusement l'objet est tel qu'attendu, magnifique (merci mcgayffier !), et les galettes sont nickel argentées (masterisées par bibi).

→ Jean-Jacques Birgé + 28 invités, Pique-nique au labo, double CD 3 volets avec livret 12 pages, GRRR 2031-2032, dist. Orkhêstra, 15€ (le prix d'un simple CD, mais celui-ci dure 120 minutes !), sortie officielle 21 Octobre 2020, ou déjà commander sur Bandcamp !

mardi 13 octobre 2020

La revanche de Robert Crumb


Article du 11 août 2007

Comme nous venions de voir le Fritz the Cat de Ralph Bakshi, Lucie nous a prêté le Crumb de Terry Zwigoff qui réalisa ensuite Ghost World et Art School Confidential d'après les bédés de Daniel Clowes. Le dessin animé de Bakshi librement inspiré et sauvagement critiqué par Robert Crumb était amusant.
Le documentaire de Zwigoff révèle la personnalité renversante du célèbre dessinateur américain, avec ses deux frères encore plus atteints que lui par la névrose familiale, vivant reclus l'un chez leur mère et ne quittant jamais sa chambre, l'autre méditant sur une planche à clous et ne fréquentant personne. Leurs deux sœurs ont refusé de figurer dans le documentaire. Quelles révélations pourraient-elles apporter ? L'extrême violence du père, les jalousies internes de la fratrie, les rapports de force qu'elles génèrent et leur obsession sexuelle à tous trois les ont fait se retrancher dans le monde des comics. Robert Crumb est aussi misanthrope et misogyne que ses frères, mais il a su utiliser la bande dessinée pour prendre sa revanche contre un monde qui le rejetait. Son expérience du LSD sera déterminante, ouvrant une brèche graphique qu'il exploitera après être "redescendu". Charles Crumb se réfugiait dans l'écriture et la littérature du XIXème siècle, il se suicidera en 1991, un an après le tournage. Max Crumb fait la manche dans la rue sur sa planche à clous. Bob n'écoute que des 78 tours de musique américaine, s'habille comme l'as de pique et enfile les déclarations provocantes qu'il réussit à faire passer grâce à son génie de la caricature. Il dynamite les conventions familiales, revendique ses déviances, s'entête contre la commercialisation à outrance de son œuvre et déserte les États-Unis pour le sud de la France.
Les bonus du dvd évoquent la place de la musique chez Crumb dont le clip des Primitifs du Futur avec qui il joue de la mandoline et un entretien avec le compositeur Dominique Cravic, plus une présentation d'Antoine Guillot et un entretien du directeur du Festival de BD d'Angoulême, Jean-Pierre Mercier.

lundi 12 octobre 2020

Papier ciseau pour Roberto Negro


Papier ciseau, parto ciselée, papier ciseau, impro taillée. Parmi les jeunes musiciens de la nouvelle scène dite jazz et musiques improvisées, qui n'est plus fondamentalement jazz ni improvisée, le pianiste Roberto Negro est probablement le compositeur français dont je me sens le plus proche. Sauf que lui joue vraiment bien du piano ! J'apprécie son mélange de romantisme délicat et de cut-up à l'arrache où la recherche de timbres électriques est riche de couleurs inédites. La ludicité, ici mise en avant, n'est jamais loin et la mémoire retravaillée rajeunit l'histoire avec de merveilleux points de suspension. Le trio DADADA est devenu quartet avec l'arrivée du violoncelliste Valentin Ceccaldi ici à la basse. Le saxophoniste Émile Parisien y est lyrique et le percussionniste Michele Rabbia inventif, juste ce qu'il faut pour prolonger l'imagination du pianiste qui a aussi recours à des claviers électriques. Plusieurs écoutes n'en viennent pas à bout, jusqu'à la ghost track qui rappelle que le silence est un art.



→ Roberto Negro, Papier ciseau, CD Label bleu, dist. L'autre distribution, sortie le 13 novembre 2020

vendredi 9 octobre 2020

Steve Potts, Musique Pour Le Film D'Un Ami


Il est toujours passionnant de faire sortir un musicien de sa zone de confort. Toute commande de musique appliquée provoque des remises en question de nos habitudes et fait sortir le pantin (Jack in the box) de la petite boîte dans laquelle le milieu musical nous cantonne. J'ai coutume de rappeler que lorsque je sais faire je gère, mais lorsque je ne sais pas je crée ! L'autre avantage est souvent économique. On peut ainsi équilibrer sa vie entre les commandes qui paient mais ne rapportent aucune visibilité dans les médias et ses propres projets qui coûtent parfois plus qu'ils ne rapportent, mais que la presse relate. En ce qui me concerne, le plaisir est le même, que ce soit dans la pure invention ou dans les exercices de style.
En 1975, Steve Potts avait quitté Steve Lacy le temps de composer Musique pour le film d’un ami à la demande du réalisateur Joaquín Lledó (a.k.a. Joaquin Noessi) pour le film Sujet ou Le secrétaire aux 1001 tiroirs. En acceptant de créer un tango ou une valse musette, un blues ou un rock, Steve Potts nous surprend par la manière personnelle avec laquelle il s'approprie les choses sans perdre de vue le swing du jazz et la liberté du free. En appelant à la rescousse des virtuoses comme Joss Basselli à l'accordéon, Elie Ferré (probablement Elios) et Christian Escoudé aux guitares, Gus Nemeth ou Jean-Jacques Avenel à la contrebasse, le saxophoniste assure ses arrières. On peut aussi entendre le trompettiste Ambrose Jackson, le pianiste Frank Abel, les batteurs Donny Donable ou Kenny Tyler, le joueur de bongos Keno Speller, et les chanteuses Flipas ou Juliette. Jusqu'au mixage de cette musique entraînante assuré par Jef Gilson au Studio Palm ! À force d'hétérogénéité l'ensemble finit par faire réellement penser à un disque de musique de film. Comme disait Bourvil dans la chanson Les crayons : "Quand on est artiste il faut faire tous les genres !".

→ Steve Potts, Musique pour le film d'un ami, cd/lp Le Souffle Continu (LP 20€ / CD 12€ / Numérique 7,90€)

jeudi 8 octobre 2020

Juliette ou la clé des songes


C'est bizarre, mais je n'avais jamais vu Juliette ou la clé des songes, film de Marcel Carné de 1950, tourné entre La Marie du Port et Thérèse Raquin. Le cinéaste, qui préférait parler de "fantastique social" plutôt que de "réalisme poétique" pour évoquer les films réalisés en collaboration avec Jacques Prévert, aimait beaucoup cette œuvre particulière qui fut descendue par la critique lors de sa présentation au Festival de Cannes. Les spécialistes n'acceptaient pas que Carné change de ton. On encensa la beauté des images de Henri Alekan et des décors d'Alexandre Trauner, ainsi que la musique de Joseph Kosma, mais ils jugèrent froide et artificielle l'adaptation de sa propre pièce par Georges Neveux. Si la manière de traiter le sentiment amoureux est pourtant proche des surréalistes, le film rappelle certaines œuvres de Jean Cocteau qui en avait d'ailleurs ébauché une première adaptation en 1941 pour Carné. Jean Marais, Micheline Presle, Fernand Ledoux, Alain Cuny devaient en être les protagonistes, mais l'abandon du tournage pour raison économique en décidera autrement. À la place, Carné tournera Les visiteurs du soir, et on peut y reconnaître, entre autres, les thèmes de la fatalité et de l'amour plus fort que la mort. Le livret de 28 pages accompagnant le DVD, rédigé par Philippe Morisson, raconte sa genèse absolument passionnante.


En mettant en scène "l'irréel dans le réel", Marcel Carné rapproche Juliette ou la clé des songes de Kafka et Cocteau. Les décors naturels donnent une impression documentaire du réel et la forêt reconstituée une poésie onirique virevoltante. Le rêve incarnant l'évasion psychique du prisonnier, incarcéré pour trois fois rien, tient de la critique sociale. Si Gérard Philippe est aussi lumineux que d'habitude, Suzanne Cloutier est rayonnante. J'ignorais la trajectoire de cette comédienne québécoise, adulée par Orson Welles (Desdémone dans Othello) et Jean Dasté, qui épousera Peter Ustinov, produira Beckett et la comédie musicale Hair, et travaillera avec Bob Wilson et Peter Brook ! Le sinistre châtelain joué par Jean-Roger Caussimon ne peut être que Barbe-Bleue, et Juliette sa septième proie. Dans ce pays de l'amnésie, Yves Robert est le seul qui se souvient, grâce à son accordéon. La musique a de drôles de pouvoirs ! Mais le merveilleux tourne au cauchemar lorsque se réveille le héros...

→ Marcel Carné, Juliette ou la clé des songes, DVD Doriane, 18€

mercredi 7 octobre 2020

Haut-Karabagh, Musiques du front


Alors que la guerre a repris au Haut-Karabagh, enclave arménienne en territoire azéri, je constate que le CD Haut-Karabagh, Musiques du front, paru chez Silex en 1995 et dont j'avais assuré la direction artistique, n'est plus disponible depuis fort longtemps. Récupéré par Auvidis, lui-même racheté en 1999 par Naïve qui à son tour en 2017 tombe dans l'escarcelle de Believe, le disque comme toute la formidable collection de musiques du monde Silex (ainsi que la collection non moins extraordinaire Zéro de Conduite) finira au pilon à l'orée du nouveau siècle. Cette constatation me désole, d'autant que le field recording de l'ingénieur du son Richard Hayon est exceptionnel et que je suis très fier du montage que j'en ai réalisé alors.
Le Haut-Karabagh est un territoire arménien attribué à l'Azerbaïdjan en 1921 par l'Union Soviétique. Relié à l'Arménie au sud-ouest par le corridor de Latchine, il a toujours été la proie d'invasions : arabes, turque, mongole, turkmène, persane et russe. Depuis le début du siècle, le Haut-Karabagh, dans un rapport de force de 1 contre 10, est en situation d'autodéfense face a l'Azerbaïdjan. Toutes les propositions pacifistes faites aux Azéris par l'Arménie pour l'indépendance du Karabagh se sont toujours soldées par la violence et des massacres. Après la dissolution en 1989 du bloc soviétique, le Haut-Karabagh s'auto-proclame République en septembre 1991. Depuis, c'est l'inévitable escalade d'une guerre de principes pour les uns et de survie pour les autres.
J'avais rencontré Richard Hayon à Sarajevo pendant le siège. Il avait auparavant enregistré au Haut-Karabagh musiques et vie quotidienne en direct sous les bombes, dans les tranchées et les ruines. Je lui avais demandé d'écrire à la main les notes de pochette comme le journal de bord de son aventure où il avait rencontré le célèbre Commandant Avo tué sur le front d'Aghdam en juin 1993. Des cartes manuscrites et des photos illustrent les 24 pages de ses descriptions. Silvio Soave avait mixé ce disque qui représente pour moi une de mes plus belles réussites dans ce domaine, après l'album collectif Sarajevo Suite la même année. Juste après le siège de la ville martyre, les Bosniaques, plutôt liés aux musulmans de Turquie, n'avaient pas compris que je prenne la défense d'orthodoxes, les Arméniens. Les Justes n'étant pas toujours les mêmes, j'ai choisi de toujours prendre parti pour les opprimés, que ce soit en Palestine ou dans mon propre pays.
Vous pourrez donc écouter ici les 21 index de ce disque qui, à ma connaissance, est le seul à avoir été enregistré au Haut-Karabagh. Au delà de son intérêt musical, ce CD présente un témoignage historique. Il s'ouvre sur les pleurs d'une femme sur la tombe de son fils au cimetière de Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh. Ce Jour des Morts, un violoniste accompagne son chant de douleur et de chagrin. C'est un disque poignant. Comme dans tous les films qui racontent le génocide dont ils furent victimes, les Arméniens n'en finissent jamais de pleurer.

mardi 6 octobre 2020

Robert Wyatt & Alfie Benge, côte à côte


Le recueil de textes de Robert Wyatt et Alfie Benge rend d'abord hommage à tout le travail de la muse du musicien anglais. Si elle est partout présente à commencer par le diptyque Alifib/Alife sur le disque Rock Bottom paru en 1974, Alfie est l'autrice des illustrations de toutes les pochettes et elle a écrit nombreuses paroles des chansons figurant sur la dizaine d'albums qui ont suivi et que nous écoutons avec des étoiles dans les yeux. Ses petits croquis, ici en noir et blanc, accompagnent les textes et elle en profite pour commenter les sujets qui l'ont inspirée alors que Robert livre simplement les siens. Il y a dix ans, les paroles de quatre vingt chansons étaient déjà parues avec leur traduction française dans un luxueux ouvrage illustré par Jean-Michel Marchetti et rassemblant 5 tomes publiés depuis 1997. Les selected lyrics qui sortent aujourd'hui en anglais chez Faber sous le titre Side By Side représentent donc réellement le travail du couple, leur vie et leur engagement. Après une introduction de Jarvis Cocker (du groupe Pulp) et les préfaces des deux auteurs, les paroles, tant pataphysiciennes que politiques, de Robert Wyatt sont classées en trois parties, non chronologiques, tandis que celles d'Alfreda Benge s'intitulent Espagne, Oiseaux, Conflit, Amour et perte, Comptines aléatoires. L'ouvrage est donc précieux, les explications d'Alfie permettent de mieux comprendre leur collaboration, leur manière d'avancer ensemble, leur intérêt pour la politique internationale déjà explicite pour qui parle anglais. J'ignore si est prévue une traduction française. Ce n'est certainement pas simple au su de la quantité de jeux de mots, de néologismes et de raccourcis poétiques. Le choix de ne pas renvoyer les textes aux albums souligne l'importance du sens des paroles et des images, débarrassées de la voix bouleversante et sublime, à la fois haut perchée et zozotante, de Robert Wyatt.

Je ne résiste pas au plaisir d'insérer la version d'Alifib, c'est de circonstance, par Odeia et chantée par ma fille sur laquelle l'auteur a écrit : "i should emphasise that your own arrangement of the song for alfie clearly transcends my original, in my opinion, as you may have guessed.. . . .you and your brilliant band— plus, the wonderful video… really moved me.."


Rappel de quelques articles sur RW publiés dans cette colonne :
Free Will & Testament / Le marché de Robert Wyatt / Odeia
Entretien que j'ai réalisé chez lui à Louth et publié en 1999 sur Jazz Magazine.

lundi 5 octobre 2020

Adieu Philippine


Comme dans la séquence du taxi du film de Jacques Rozier, chaque matin où je mange des œufs à la coque, je me remémore la phrase du chauffeur à Pachala joué par Vittorio Caprioli : "Et bien vous irez vous faire cuire un œuf tout seul !". Fais-je alors la même tête d'idiot éconduit ?
Le rituel implique minuteur, toqueur, coquetiers, toute petite cuillère, mouillettes tartinées de beurre salé ou de pâte d'algues japonaise. Mes parents nous avaient emmenés Au quai des ormes où on servait des œufs coque avec du caviar au dessus. Comme ils aimaient bien manger, pour les grandes occasions ils fouinaient pour trouver des restaurants gastronomiques pas trop chers, par exemple de jeunes chefs qui deviendraient vite inabordables.
Le matin je mange de plus en plus souvent salé. Il paraît aussi que le gras se digère mieux au petit déjeuner. Parfois je craque pour la charcuterie calabraise qu'Ignace a rapportée, mais le plus souvent ce sont des pains de fleurs ou des céréales avec des graines de lin et courge au lait de riz au matcha & sencha.
Depuis quelques jours je commence par un citron pressé dans de l'eau tiède. L'an passé c'était une cuillerée d'huile d'olive à jeun. J'essaie. Cela ne mange pas de pain, très justement. Comme les pépins de pamplemousse en gouttes ou les pastilles d'acérolas qui renforceraient les défenses immunitaires. D'ailleurs je continue de prendre de la vitamine D3 et des noix d'Amazonie pour le sélénium. C'est mon point faible, d'après les analyses sanguines poussées que mon homéopathe m'a fait faire en Belgique. Elle en a conclu que j'ai de bons gènes. C'est vrai, je suis rarement malade. Je n'ai jamais été opéré. On ne peut pas considérer le lumbago ou le heurt de petit orteil comme des maladies. Je mourrai peut-être en bonne santé. Tous ces aveux risquent de me valoir quelques conseils diététiques. J'ai d'ailleurs commencé à maigrir. Déjà trois kilos. Encore trois et je serai fier de moi, car je n'aime pas du tout le petit vendre de Bouddha qui a poussé. Même pas avec du pain...
Je n'abuse pas des œufs, La Bilouterie ne m'en livrant que six tous les quinze jours. Pareil avec le pain, un tout petit qui vient de La conquète du pain à Montreuil et le beurre des Amis de la Ferme. Ce sont tous des fruits de l'AMAP. Voilà, c'est malin, cela m'a donné faim. Je vais boire un verre d'eau. En général cela me cale et j'oublie mon appétit. Mais pas de faire l'œuf.

vendredi 2 octobre 2020

Du tour d'écrou aux Innocents


Article du 21 juillet 2007

Présenté comme un film d'horreur, Les innocents de Jack Clayton est plutôt une adaptation fantastique d'un drame psychanalytique où la sexualité hystérique du personnage de la gouvernante joué par Deborah Kerr est habilement suggérée dans un noir et blanc onirique, animé de courants d'air rappelant La chute de la Maison Usher de Jean Epstein. L'ambiguïté des fantasmes féminins d'Henry James dans Le tour d'écrou, dont c'est l'adaptation cinématographique, est magnifiquement transposée par Clayton dans ce film étrange de 1962.
Ma première approche d'une adaptation du roman qu'Henry James écrivit en 1898 fut l'opéra de chambre de Benjamin Britten. Le compositeur en dirigea la création en 1954 à la Fenice de Venise, avec, dans le rôle chanté du jeune Miles, David Hemmings, futur acteur du Blow Up d'Antonioni. Dans le film, l'interprétation des deux enfants, Flora et Miles, par Pamela Franklin et Martin Stephens, est d'ailleurs suffocante. Leur maturité flanque plus de frissons que les hallucinations de Miss Giddens. Le film à la trouble sexualité respire la souffrance jusqu'à sentir le soufre.
Les passionnants bonus du dvd (Opening) fournissent des pistes indispensables à la compréhension des enjeux du film, et la version historique de l'opéra, une des plus belles œuvres de Britten, existe en cd (London).

jeudi 1 octobre 2020

Mes Perspectives dans Le Diplo !


Troisième billet de la journée. Il y a des jours comme cela. Peut-être parce que c'est la Fête de la Lune ? L'Asie est plus éloignée que d'habitude par les temps qui courent. Fête de la mi-automne là-bas et même fête nationale chinoise, pleine lune simplement ici, mais heureusement la musique fait toujours voyager... L'article du Monde Diplomatique signé Éric Delhaye en plus lisible ici...

Perspectives du XXIIe siècle (Perspectives For The 22nd Century)
Distribution (monde) : Word and Sound
Commande : https://www.ville-ge.ch/meg/publications_cd.php
Les 11 vidéos déjà tournées en ligne sur Vimeo !
Tous les articles du blog concernant le CD Perspectives du XXIIe siècle
Dossier du MEG en français et anglais
La presse : RTS Vertigo ("Le MEG fait de l'anticipation sonore"), RTS L'écho des pavanes ("Jean-Jacques Birgé, ethnographie au futur antérieur"), Le Monde, L'Autre Quotidien, Vital Weekly, Glob nato...
L'album en écoute sur SoundCloud !

Derrière la crise

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Antoine Schmitt, avec qui j'avais créé entre autres le CD-Rom Machiavel en 1998, m'envoie un texte de la psychologue Laurence Leroy sur la crise liée au coronavirus qui nous semble important de partager... Vous le trouverez en tapant sur Lire la suite en bas de mon petit texte.
Je suis sidéré des dégâts produits sur nombreux ami/e/s par la gestion de cette crise politique mondiale dite "sanitaire"... Depuis que je suis né, aucun évènement n'avait réussi ainsi à ébranler les cerveaux les plus critiques, à provoquer la peur qu'on dit toujours mauvaise conseillère. La destruction systématique de la planète par déforestation, catastrophes nucléaires, pollution, la privation des libertés essentielles par la guerre, post-colonisation, répression, les lois (im)morales les plus réactionnaires, l'hécatombe due à la famine, l'asservissement de peuples entiers n'avaient pas réussi à nous lobotomiser. Or nous en sommes arrivés à obéir aveuglément à une mascarade absurde et mortifère. À quoi nous prépare-t-on exactement ?
Il y a vingt ans l'exploitation du 11 septembre avait brisé l'élan des altermondialistes qui risquaient de se déployer sur toute la planète. Aujourd'hui le virus a bon dos. Vous allez perdre votre emploi, votre raison de vivre, ou simplement la raison, pendant que les plus riches s'engraissent comme jamais, se nourrissant de cette crise inédite. Les gilets jaunes, par exemple, gagnaient du terrain sur tout le globe, où sont-ils maintenant ? Je ne mets pas en cause les évènements, mais l'exploitation qui en est faite, ce qu'on appelle la gestion de la crise. Ce qui est à l'œuvre, c'est l'asservissement de la population mondiale sous prétexte de la protéger de la mort. Comme si les virus en étaient seuls la cause. Comme si c'était la cause de mortalité actuelle la plus alarmante. Il est certain que le réchauffement climatique faisant fondre le permafrost, tout est à craindre de l'avenir. L'angoisse fabrique toutes les pathologies.
Mais Big Brother nous protège, il suffit de rester chez soi, de sortir masqués, de ne plus se regrouper, d'interdire les manifestations culturelles et politiques, d'éviter les gestes de tendresse, de nous méfier les uns des autres, de dénoncer celles et ceux qui ne se plient pas aux ordres (notez qu'aucune loi n'a été votée), de mourir de plein d'autres causes, mais surtout de mourir de ne plus vivre.
Le texte qui suit est un peu long. Il mérite que l'on prenne quelques minutes de ce qu'il nous reste de pensée...

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You don't know Jack ?


Article du 9 août 2007

En faisant le ménage dans mes archives, je retrouve le CD-Rom You Don't Know Jack que j'installe sur un Mac pouvant encore ouvrir des documents OS9 avec Classic (j'ai conservé un iBook blanc qui fait l'affaire !). Les nouvelles machines équipées d'une puce Intel (nous sommes en 2007 !) envoient toute ma collection aux oubliettes et je ne possède aucun PC qui puisse faire tourner mon jeu ou ses déclinaisons récentes sous Windows. Peut-être devrais-je installer Windows sur mon MacBook Pro ? Sinon je risque de ne plus jamais pouvoir regarder Puppet Motel de Laurie Anderson, Les machines à écrire d'Antoine Denize, Immemory One de Chris Marker et notre Alphabet qui ont tous marqué une époque où l'interactivité laissait entrevoir de nouvelles pratiques artistiques très prometteuses. Hélas, en 2000, l'explosion de la bulle Internet a entraîné dans sa chute l'édition de cd-Roms sans que la création sur le Web ne remplace jamais ce que l'off-line offrait. Aujourd'hui, les utilisateurs ont perdu l'habitude de se servir d'une souris autrement que pour ses fonctions basiques et seuls les jeux dits "vidéo" ont trouvé grâce aux yeux des joueurs (13 ans plus tard cela ne s'est pas arrangé !). L'interactivité est passée de mode, les utilisateurs préférant la prise en charge façon télé (YouTube, etc.), les forums et les déclinaisons communautaires du Web 2. et les jeux dédiés au joystick frénétique. La création artistique exploitant le médium se raréfie, Internet devenant progressivement un lieu de commerce et de services.
Bien que You Don't Know Jack prétende faire rencontrer la culture avec un grand C à la culture avec un petit cul, le CD-Rom ne fait pas partie des Zœuvres évoquées plus haut, mais c'est un des jeux les plus drôles et les plus déjantés qui soient, croisement de jeu de plateau et de quizz dans l'esprit loufoque des débuts de Nulle part ailleurs sur Canal +, "irrévérencieux et décalé" (fortement corrosif, il est déconseillé aux coincés et aux cardiaques), cocaïnomaniaque et si dingue que l'on se moque de perdre ou de gagner. Le secret de sa réussite provient du nombre étonnant de fichiers son qui vous accompagnent, vous guident et vous taquinent, et de la manière qu'a le programme de réagir à vos gestes et vos hésitations. Pierre prétendait que YDKJ était hanté : le 25 décembre, une voix s'exclama "alors, on joue le jour de Noël ?". Une autre fois, la meneuse de jeu se moque des joueurs B et C qui se bécotent, sic ! Chaque fois qu'on le lance, les dialogues sont différents, les questions sont sans cesse renouvelées. La version française n'a jamais été sérieusement commercialisée, bien qu'elle ait été pressée et packagée. Hyptique le vend(ait) sur son site, mais, attention, mieux vaut une machine pas trop récente pour le faire fonctionner correctement (spécifiée sur la boîte pour Windows 95 ou Mac Power PC système 7, ça marche très bien jusqu'au système 9). Vous m'en direz des nouvelles ! La démo d'une version récente anglaise (Episode 23) est en ligne sur le site de YDKJ.

P.S. du 20 octobre 2016 : Yann Le Brech a, depuis cet article, mis une version française en ligne. Elle n'est pas complète, mais c'est en cours. Il a même ajouté un entretien passionnant ponctué d'effets sonores avec Luc Mitéran, dit Walther Pépéka, le comédien qui a fait la voix de Jack !
Sur son site, Frédéric de Foucaud dit Fred de Fooko, l'un des auteurs avec Steve Austin et Jean-Christophe Parquier, livre quelques pistes. « The Quizz » contient 737 questions, 30.000 fichiers sons (20 000 phrases) représentant 900 mn (15 heures) de sketchs ! Chaque question englobe une douzaine de réparties. Alicia Alonso est la voix féminine, Roddy Julienne a fait les effets sonores. Jacqueline Ehlinger, Julien Loron, Christophe Leroy, Aline Bonnefoy et David Coiffier forment le reste de l'équipe.