Lorsqu'on est un musicien de jazz, pilier du groupe Ursus Minor... Lorsqu'on est un musicien de rock, compagnon de Jack Bruce ou Jeff Beck... Lorsqu'on écrit pour orchestre symphonique... Lorsqu'on retranscrit Léo Ferré pour piano ou qu'on a accompagné Frank Sinatra... Lorsqu'on évoque la Résistance française et les Indiens d'Amérique, L'origine du monde de Courbet et la Commune de Paris, que Pascale Ferran a fait un long métrage de votre duo avec Sam Rivers... On aborde forcément le piano d'une manière très personnelle. Le nouveau disque solo de Tony Hymas est étonnant par la diversité des musiques et leur unité retrouvée sous les doigts du Britannique. Et je ne vous ai pas parlé du montagnard qui, un été, nous accompagna au Cirque de Gavarnie avec la contrebassiste Hélène Labarrière, trio de godillots sous un soleil où chaque rayon déclenchait un sourire...
Le jeu de Tony Hymas est franc, direct, comme les Anglo-Saxons savent le faire sans mâcher leurs notes. Au premier hymne delphique, premier morceau de musique écrit connu, daté de 128 avant J.-C.), qu'il s'approprie, succède naturellement la première Gymnopédie de Satie (1866-1925), avant qu'il n'attaque rageusement Winsboro Cottonmill Blues de Frederic Rzewski, sorte de poème symphonique des Temps Modernes. Suivent l'évocation de la mort d'un manifestant par Leoš Janáček (1854-1928) dans sa Sonate I.X.1905, "accident imbécile" survenu à Brno en Moldavie ce jour-là, et un mix de deux chansons liées à la Commune de 1871 dont La semaine sanglante. Hymas salue encore trois femmes compositrices que l'Histoire racontée par les hommes ignore avec un aplomb incroyable, le fougueux Essaim de mouches de Marie Jaëll (1846-1925), le tendre Éclogue de Mélanie dite Mel Bonis (1858-1937) et l'humoristique Air de ballet Callirhoë de Cécile Chaminade (1857-1944). Au regard des dates de ces musiciens et musiciennes on ne sera pas étonné de découvrir La plus que lente de Debussy (1862-1918), quitte à sauter le siècle pour retrouver Si tu vois ma mère de Sidney Bechet (1897-1959) sur les genoux duquel vous savez qui sauta si vous me lisez régulièrement ! Revenu à nous, l'inspiration révolutionnaire ne quitte pas Hymas avec un tango du film L'affiche Rouge de Frank Cassenti par le Cuarteto Cedron, La complainte du partisan que ma fille Elsa chantait sous sa direction dans le magnifique Chroniques de résistance, As Crechas de Jacky Molard et Gitans d'Avignon d'Ursus Minor. Voilà, ça réveille. Tony Hymas a passé l'âge de lire Tintin, mais pas celui de se révolter et de l'exprimer avec ses armes noires et blanches. Si après cela, vous préférez rester chez vous en attendant que ça passe, c'est que vous n'avez rien compris au film !
Comme toujours sur le label nato, le livret bilingue est soigné sous la houlette de Marianne T. et Christelle Raffaëlli, chaque pièce étant illustrée pleine page par Anna Hymas et l'ensemble "artisanalement produit" par Jean Rochard.

→ Tony Hymas, de Delphes, CD nato, dist. L'autre distribution, sortie le 5 mars 2021