Recevoir un message d'amis qu'on ne connaît pas ou si peu, d'amis qu'on n'a pas vus depuis trop longtemps, mais d'amis qu'on aime tant qu'ils nous aident à vivre, par leurs œuvres ou leur vie, est le plus beau des cadeaux. Décrocher le combiné et entendre la voix de Robert Wyatt qui me parle soudain dans un français quasi parfait, être confronté à l'émotion de Catherine Ribeiro découvrant un article que j'ai écrit sur ses rééditions, lire une lettre de Jean Marais à qui je demandais son aide pour un texte de Cocteau ou de Vercors à qui je quémandais les droits d'une illustration sublime réalisée avant la guerre lorsqu'il s'appelait encore Jean Bruller, recevoir un Gaston époque Idées noires de Franquin dont j'espérais une pochette pour un disque du Drame, être impressionné jusqu'à liquéfaction par les voix de Hanna Schygulla ou Michel Piccoli dans le combiné du téléphone, retrouver la correspondance entretenue avec Colette Magny, Dominique Meens ou simplement mes ex, que j'ai ou non gardé le contact, réentendre sur mon répondeur les messages des êtres chers qui ont disparu, voilà qui me fait vibrer le cœur et justifie l'amour offert en partage sur cette page et ailleurs.
Aujourd'hui c'est le mail de Michael Mantler qui éclaire cette fin de journée où l'été ressemble à octobre.
Mon opération récente m'a fatigué, mais je vais beaucoup beaucoup mieux. Seul un torticolis féroce me fait encore souffrir. Depuis ce matin, sur les conseils d'un ami, excellent ostéopathe, j'enfile de temps en temps une minerve souple pour soulager la douleur que je pense bientôt envolée, renvoyer, comme le reste, au passé, longue litanie des expériences vécues dont on ne se souvient que des bons moments. C'est du moins ainsi que je vis, en scope couleurs surround. Libre à celles et ceux qui préfèrent ne se rappeler que de l'obscurité. Je comprends Aragon lorsqu'il explique qu'il aurait été un salaud s'il avait écrit autre chose que Il n'y a pas d'amour heureux en janvier 1943. Paradoxalement, le monde a beau s'effondrer, toujours, à jamais, « (...) qu'allons-nous faire, de tant de bonheur. Le montrer ou bien le taire...». L'important est que la chirurgienne ait préservé mes cordes vocales ! Lui en savoir gré. Je retirerai les strips de mon cou vendredi et entrerai dans une nouvelle phase de convalescence douce, renaissance programmée à n inconnues... Minerve donc, que je porte ce soir à mon cou, est la déesse de la sagesse, de la stratégie, de l'intelligence, de la pensée élevée, des lettres, des arts, de la musique et de l'industrie. À part l'amour, personnel, universel, franchement que souhaiter de mieux ?